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Jours tranquilles à Paris
27 septembre 2020

Attaque à Paris : Youssef, le « deuxième suspect », mis hors de cause, raconte comment il a tenté d’arrêter l’assaillant

attentat

Par Nicolas Chapuis - Le Monde

Youssef, qui fut le temps de sa garde à vue présenté comme le « deuxième suspect » de l’attaque perpétrée devant les anciens locaux de « Charlie hebdo », a rapidement été mis hors de cause. Il raconte au « Monde » comment il a tenté d’arrêter l’assaillant avant d’être lui-même pris à tort pour un complice.

« Je voulais être un héros et je me suis retrouvé derrière les barreaux. » Avec un sourire un peu désolé, Youssef résume son histoire, celle d’un geste courageux qui l’a conduit tout droit en garde à vue dans une affaire de terrorisme. L’espace d’une demi-journée, cet Algérien d’une trentaine d’années a été le « deuxième suspect » de l’attaque qui s’est déroulée dans la rue des anciens locaux de Charlie Hebdo, vendredi 25 septembre.

Il a été libéré dans la nuit de vendredi à samedi, après avoir été totalement mis hors de cause. « Son récit est tout à fait crédible, il n’est pas du tout connu de nos services », confie une source policière haut placée. Aucune charge n’est retenue contre lui. Le Monde l’a rencontré longuement, samedi 26 septembre, en compagnie de son avocate, Me Lucie Simon.

Il raconte, presque comme une mauvaise farce, l’enchaînement des événements. Son récit est régulièrement interrompu par ses deux frères et son meilleur ami, qui semblent réaliser plus que lui la gravité de la situation dans laquelle il s’est retrouvé. Il est aux alentours de midi quand cet ouvrier quitte son frère qui travaille dans un immeuble non loin de la rue Nicolas-Appert.

« J’ai entendu les cris d’une femme »

« J’étais en train d’entrer dans ma voiture, quand j’ai entendu les cris d’une femme. Je regarde dans mon rétroviseur pour voir ce qui se passe, puis je sors de ma voiture et j’entends cette fois un homme qui crie : “Non, non, non !” A ce moment-là, je vois un mec suspect qui court en direction du métro Richard-Lenoir, je suis parti directement pour le suivre. »

Youssef pense qu’il s’agit d’une agression. « Dans ma tête, je vais essayer d’attraper la personne qui a fait ça », explique-t-il. « Ce n’est pas la première fois qu’il fait ce genre de choses », ajoute son grand frère, avec un mélange de fierté et d’inquiétude.

Youssef voit l’individu se débarrasser d’un « grand couteau ». Il s’agit, en réalité, du hachoir avec lequel il vient d’agresser et de blesser grièvement deux salariés de la société de production Premières Lignes, dont les locaux se situent dans l’ancien immeuble de Charlie Hebdo. Il s’engouffre à sa poursuite dans le métro. Il enjambe le portique, hésite sur la direction à suivre et prend l’escalier sur la droite.

« Il m’a sorti une lame de cutter »

« Je me suis retrouvé sur le quai d’en face, je le vois de l’autre côté. Je lui ai dit : “Toi, reste là !”, j’ai fait comme un flic », s’amuse-t-il. Il rebrousse chemin et prend la direction du bon quai. « J’arrive et je lui demande ce qu’il a fait. Il m’a sorti une lame de cutter. » Youssef reste à distance. « Il m’a dit quelque chose, mais je n’ai rien compris. Je crois qu’il ne parlait pas le français. Il était étonnamment calme. C’est comme s’il attendait tranquillement le métro. Il est monté dedans sans agresser personne et il est parti en direction de Bastille. » Youssef a le temps de voir du sang sur le visage et sur la main de l’homme qui lui fait face.

En ressortant du métro, Youssef croise un homme avec une barre de fer qui cherche l’agresseur. Il le dissuade de suivre le suspect. La police est appelée sur les lieux et débarque une dizaine de minutes plus tard. Youssef explique la situation à un agent et l’informe que le suspect s’est dirigé vers Bastille.

« Ensuite, je voulais aller voir les victimes, mais un policier m’a dit : “Tu dégages !” J’ai raconté que j’avais suivi le mec. Ils m’ont d’abord dit de laisser mon numéro de téléphone. Ensuite, un policier m’a dit de me mettre contre le mur, il m’a fait une fouille. Un de ses collègues lui a dit de me lâcher, que je n’avais rien fait. » Youssef quitte alors les lieux en voiture. Il veut aller chercher son portefeuille avec sa pièce d’identité pour pouvoir témoigner.

« Pas besoin des menottes ! »

Au même moment, les agents de la Préfecture de police de Paris qui scrutent la vidéosurveillance repèrent son échange avec le principal suspect sur les caméras du métro. Sa photo commence à circuler et est montrée au gardien d’immeuble où travaille son frère. Ce dernier, qui est resté sur les lieux, le rappelle pour lui dire de revenir rapidement. Youssef fait demi-tour.

Arrivé sur les lieux, il approche un policier. « Il a appelé son chef, ils avaient ma photo. Ils sont venus autour de moi, ils étaient une dizaine. Ils m’ont emmené dans le métro. Ils m’ont demandé de regarder en direction des caméras pour prendre mon portrait, ils m’ont aussi pris en photo avec leurs téléphones. Puis ils m’ont mis des menottes. J’en entends un qui dit en chuchotant : “On l’a chopé.” Je lui réponds : “Vous m’avez pas du tout chopé, c’est moi qui suis venu pour témoigner !” »

Deux policiers s’approchent de lui pour lui notifier sa garde à vue et lui demandent de signer un document. Youssef ne comprend pas ce qui lui arrive. « Ils me demandent si je veux prendre un avocat, mais moi je ne voulais pas, je n’ai rien fait, je n’ai pas besoin d’avocat ! » La brigade de recherche et d’intervention arrive sur les lieux. « Ils étaient plus violents, eux, ils refusaient de me parler. Moi, j’essayais d’expliquer : “Je veux bien vous suivre où vous voulez pour raconter l’histoire, mais il n’y a pas besoin des menottes.” » Les policiers lui placent un masque anti-Covid sur le bas du visage, un masque occultant pour cacher les yeux et lui rabattent sa capuche sur la tête. « Avant de sortir du métro, ils ont parlé entre eux, en demandant : “Est-ce qu’ils sont là ?” Ils parlaient des journalistes. Ils voulaient que ça se voit qu’ils avaient arrêté quelqu’un. »

Youssef est conduit dans les locaux de la police judiciaire, dans le 17e arrondissement. Il est fouillé, ses lacets lui sont retirés et il est placé en cellule. « C’était la première fois de ma vie. Heureusement, il y avait un policier qui était là depuis le début et qui me parlait, lui j’avais confiance en lui. Il m’a dit : “Youssef, t’inquiète pas, on va juste te questionner, tu as fait un truc bien, on fait juste notre travail.” Lui, je le remercie. »

« S’ils m’avaient gardé à la place… »

Le jeune homme ne le sait pas, mais, à l’extérieur, c’est l’effervescence. L’auteur principal des faits a déjà été interpellé. La nouvelle de l’arrestation d’un « deuxième suspect » lié à l’attaque fait le tour des rédactions. Sa date de naissance est divulguée, ainsi que ses initiales et sa nationalité. « Ça, ça me dérange, lance son frère. Il a fait un geste héroïque et, au final, toute la famille se retrouve à avoir peur. Et puis pourquoi on met “un Algérien” en gros partout ? » Son meilleur ami raconte le sang d’encre qu’ils se sont fait : « Souvent, quand ils attrapent les terroristes, les mecs sont morts. Imaginez s’il avait fait un mauvais geste au moment de l’arrestation ou quelque chose comme ça… »

En cellule, Youssef réalise peu à peu ce dans quoi il est embarqué. « J’avais peur, s’ils avaient pas attrapé la personne, s’ils m’avaient gardé à la place… On imagine plein de choses. » Bénéficiant d’un titre de séjour de dix ans, il s’inquiète aussi pour ses démarches pour obtenir la nationalité française. Les policiers évoquent une perquisition de son domicile, mais elle n’aura jamais lieu. Preuve que la piste de son implication a rapidement été écartée, il est finalement libéré aux alentours de minuit. Plusieurs versions médiatiques feront pourtant état de « deux terroristes » toute la journée.

« Si l’on peut comprendre dans une affaire d’une telle ampleur que toutes les précautions doivent être prises, une garde à vue doit rester strictement nécessaire, estime son avocate, Lucie Simon. Ici, rien ne justifie que Youssef soit entendu sous ce régime, il aurait parfaitement pu être entendu librement, comme simple témoin. On traite un jeune homme au comportement héroïque comme un terroriste, on le cagoule, on le menotte. »

Son grand frère reprend : « Il se retrouve mêlé à une affaire dans laquelle il n’a rien à voir. Ça laisse des traces. Là, il sourit, mais je peux vous dire que, ce soir, il va mal dormir, c’est un sensible. » Quand on demande à Youssef s’il referait la même chose dans les mêmes circonstances ou s’il tournerait les talons, il rigole : « Je sais comment je suis, je le referais. »

L’auteur présumé de l’attaque pensait s’attaquer au siège de « Charlie Hebdo ». Le principal suspect dans l’attaque au hachoir, vendredi à Paris devant les anciens locaux de l’hebdomadaire satirique, pensait qu’il s’agissait toujours du siège du journal satirique, a indiqué une source proche de l’enquête, samedi. Selon Le Parisien, qui a révélé l’information, l’homme, qui se présente comme un Pakistanais de 18 ans, avait fait des repérages devant l’immeuble et voulait s’attaquer à des journalistes de Charlie Hebdo – des éléments qui ont été confirmés à l’Agence France-Presse par cette source proche de l’enquête. Le journal a déménagé ses bureaux depuis cinq ans pour une adresse tenue secrète, qui fait l’objet « d’une sécurisation renforcée avec garde statique depuis le début de l’ouverture du procès » des attentats de janvier 2015 début septembre, selon la Préfecture de police de Paris.

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27 septembre 2020

Charlie Hebdo

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26 septembre 2020

Attaque près des anciens locaux de « Charlie » : chez Premières Lignes, « la foudre a frappé deux fois au même endroit »

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Par Aude Dassonville, Lorraine de Foucher - Le Monde

Après le 7 janvier 2015, les dirigeants de la société de production avaient choisi de ne pas changer d’adresse. Son fondateur demande aujourd’hui qu’elle soit sanctuarisée.

Vendredi 25 septembre, il n’est pas encore midi. A son bureau du deuxième étage du 10 rue Nicolas-Appert, dans le 11e arrondissement de Paris, Louis (le prénom a été modifié), salarié de l’agence de presse Premières Lignes, entend des cris. Il ne réagit pas tout de suite, il y a souvent des personnes qui hurlent dans la rue. Jusqu’à ce qu’il entende : « Attention ! Attention ! Il a un couteau ! »

Cinq ans et demi après l’attentat du 7 janvier 2015, c’est encore à cette adresse, devant le bâtiment gris et bordeaux qui accueillait la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo, qu’une attaque sanglante a eu lieu.

Alors que sur le trottoir, Pierre-Adrien et Lucie – respectivement chargé de postproduction et responsable des plannings chez Bocode, qui dépend de Premières Lignes – s’effondrent sous les coups de hachoir de l’assaillant, à l’intérieur « les gens gardent leur sang-froid, agissant comme par réflexe. On sentait que les gestes avaient déjà été faits », raconte Louis.

Les portes sont fermées et barricadées avec des tables. Dans le calme, tout le monde prend la direction du toit, ce même toit duquel les journalistes avaient filmé les frères Kouachi criant « on a vengé le prophète Mohamed » en janvier 2015. « Je ne comprends toujours pas pourquoi on va sur le toit à chaque fois. Je veux dire si quelqu’un rentre, on fait comment ? On saute ? Peut-être que ça nous rassure d’être à l’extérieur », explique-t-il.

Elise Lucet : « C’est lourd, c’est violent pour nous »

Même toit, mêmes images d’épouvante depuis la balustrade d’où ils voient Pierre-Adrien blessé au sol. Puis la même attente des secours, qui semble interminable. « Je me suis dit “putain ça recommence, c’est pas possible, la foudre peut pas frapper deux fois au même endroit”. Et si. Quand on est dans les [anciens] locaux de Charlie Hebdo, c’est possible. »

La police arrive, et c’est la même exfiltration vers le théâtre d’à côté, le Comédie-Bastille. Puis la cellule psychologique, cette fois-ci à la mairie du 11e. Et les mêmes interrogations sur la survenue d’un événement comme celui-là.

Après l’attentat de 2015, Charlie Hebdo avait déménagé dans un bunker à une adresse tenue secrète. Premières Lignes, elle, était restée dans la rue endeuillée. Une adresse à la sonorité devenue familière, à force d’avoir été répétée depuis cinq ans. Une adresse martelée à l’occasion du procès des assassins des journalistes et dessinateurs, et dont « on aurait dû penser qu’elle allait réveiller les fragiles du bulbe qui ne demandent qu’à mourir le plus vite possible au nom de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique]», laisse tomber Paul Moreira, reporter et fondateur de Premières Lignes. En son for intérieur, il est persuadé que « le type ne savait même pas qu’il n’y a plus Charlie Hebdo ici ».

« C’est lourd, c’est violent pour nous, abonde Elise Lucet, la présentatrice de « Cash Investigation » sur France 2, produite par l’agence spécialisée dans l’investigation. Il y a beaucoup de gens dans la société qui sont encore extrêmement choqués par ce qui s’est passé il y a plus de cinq ans. Même si ce qui est arrivé aujourd’hui est moins dramatique, parce que personne n’est mort, nos équipes revivent un traumatisme. »

« Un bâtiment symbolique et une cible »

En général, la rue attire les curieux, « à 99 % bienveillants », et ceux qui viennent se recueillir devant le Charlie Hebdo Memorial, cette grande fresque de street-art représentant les visages des victimes du 7 janvier 2015. « C’est aussi l’endroit où on fait nos pauses clopes », décrit un journaliste de TV Presse, une agence de reportages et de documentaires voisine. Mais « Le 10, rue Nicolas-Appert, c’est un bâtiment symbolique et une cible, une cible molle », ajoute Paul Moreira, qui demande désormais que les lieux soient sanctuarisés.

Premières Lignes a joui d’une protection policière « pendant deux mois à peu près » après le 7 janvier 2015. Puis plus rien. « Là, pour le procès, on n’avait rien réclamé. On s’est laissé ramollir. Je suis en colère parce que [le ministre de l’intérieur Gérald] Darmanin et [le premier ministre Jean] Castex [qui se sont déplacés sur les lieux de l’attaque vendredi après-midi], comme nous, auraient pu y penser. Mais c’est inimaginable, un truc pareil. Comme ce qu’ont fait les frères Kouachi était inimaginable. »

Avec le procès et la republication des caricatures dans le journal satirique, Louis avoue l’avoir imaginé lui aussi, et s’être inquiété de la sécurité des lieux. « Quand tu tapes “Charlie Hebdo” dans Google Maps, tu arrives rue Nicolas-Appert. N’importe quel mec un peu débile, c’était sûr qu’il allait atterrir là », a pensé le salarié de l’agence de presse. « Quand on a revu la façade passer en boucle sur les écrans à l’occasion du procès, ça a renforcé notre sentiment d’inquiétude », confirme Elise Lucet.

Déménager ? Jusque-là, il n’en a pas vraiment été question. En 2015, Paul Moreira et son associé, Luc Hermann, avaient loué des locaux en face de la rédaction de l’agence, « pour ceux qui ne se sentaient pas de rester au 10, explique le journaliste. Mais petit à petit, les gens avaient préféré y revenir. » Cette fois, « on va en parler entre nous », promet-il.

26 septembre 2020

Attaque rue Nicolas-Appert près des anciens locaux de « Charlie Hebdo » à Paris : le point sur l’enquête

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Par Nicolas Chapuis, Lorraine de Foucher, Elise Vincent - Le Monde

Deux hommes ont été interpellés après l’attaque au hachoir qui a fait deux blessés dans le 11e arrondissement de Paris, près des anciens locaux du journal où se trouve l’agence Premières Lignes. L’un des deux a reconnu les faits.

Les sutures avaient déjà été mises à rude épreuve avec le procès des attentats de janvier 2015, qui se tient depuis le 2 septembre devant la cour d’assises spéciale de Paris.

Mais en ce vendredi 25 septembre, la cicatrice laissée par les attaques de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher s’est rouverte en grand. La rue Nicolas-Appert, dans le 11e arrondissement de Paris, où siégeait alors le journal satirique, a été le théâtre d’un nouveau drame en fin de matinée, quand un homme armé d’un hachoir s’en est pris à deux personnes sur le trottoir, les blessant gravement, avant de prendre la fuite en abandonnant l’arme sur place. Il a été interpellé aux alentours de 12 h 30 dans le quartier Bastille.

Les deux blessés, un homme et une femme, sont des salariés de Premières Lignes, une société de production qui travaille notamment avec France 2 pour l’émission « Cash Investigation », et de Bocode Studios, une société de postproduction, dont les locaux se situent dans le même immeuble que l’ancienne rédaction de Charlie Hebdo. Les membres de Premières Lignes avaient été les principaux témoins de l’assaut du 7 janvier 2015, qui s’était déroulé sur le palier d’en face.

Cette fois, c’est sur le trottoir au pied de l’immeuble que l’attaque a eu lieu. Les deux salariés étaient descendus faire une pause cigarette quand ils ont été agressés. Selon un témoin oculaire de la scène, interrogé par Le Monde, l’assaillant s’en serait d’abord pris à l’homme, âgé d’une trentaine d’années, lui donnant notamment un coup de pied pour le faire tomber, avant de l’attaquer avec son hachoir au niveau de la tête. Il a aussi asséné des coups à la femme, âgée de 28 ans. Cette dernière a été grièvement blessée au visage.

L’homme a ensuite pris la fuite vers le métro Richard-Lenoir. La police est arrivée sur les lieux quinze minutes plus tard, selon ce témoin.

Menaces sérieuses

Un premier suspect a été interpellé aux alentours de 12 h 30 dans le quartier Bastille. Son visage et ses mains étaient recouverts de sang. Placé en garde à vue, il a immédiatement reconnu être l’auteur de l’attaque.

Selon Jean-François Ricard, le chef du Parquet national antiterroriste (PNAT), chargé de l’enquête, cet homme est bien « l’auteur principal des faits ». Selon le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, il s’agit d’un Pakistanais né en 2002, « mineur isolé », arrivé en France il y a trois ans. Habitant dans le Val-d’Oise, il n’était pas connu des services de renseignement pour radicalisation. En revanche, il avait déjà eu affaire aux autorités pour « port d’arme prohibé », à savoir un tournevis.

Un deuxième suspect, né en 1987, a été interpellé un peu plus tard à la station de métro Richard-Lenoir, située à côté du lieu de l’attaque. Sa responsabilité dans les événements est, à ce stade, très incertaine.

Cette attaque intervient alors que le procès des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher brasse depuis plus de trois semaines les terribles souvenirs des victimes mais aussi de l’ensemble de la société.

Si aucun témoin n’a, à cette heure, fait état de cris de revendication de l’assaillant, l’adresse à laquelle les faits se sont déroulés porte en elle une symbolique forte. Une simple recherche Google « Charlie Hebdo » fait toujours apparaître l’adresse rue Nicolas-Appert, où se situe désormais une fresque en l’honneur des victimes du 7 janvier 2015.

La véritable adresse de la rédaction, qui a republié les caricatures de Mahomet pour l’ouverture du procès, est tenue secrète. Ces derniers jours, la directrice des ressources humaines du journal satirique avait été contrainte de déménager, après des menaces jugées sérieuses par les services de renseignement.

« On connaît le refrain maintenant »

L’histoire a donné l’impression de bégayer en ce vendredi 25 septembre. « On s’est mis en mode automatique, on connaît le refrain maintenant, on le connaît même trop bien », explique une source policière au cœur du dispositif.

Sitôt après l’attaque, un périmètre a été établi par les forces de l’ordre pour protéger la zone. La brigade de recherche et d’intervention, la force spécialisée compétente dans la capitale, a été déployée. Toutes les écoles du secteur ont été fermées provisoirement. A la Préfecture de police, les agents se sont mis à scruter les grands écrans de la salle de commandement, où sont projetées les images de l’ensemble des réseaux de vidéosurveillance de la ville de Paris, pour tenter de repérer d’éventuels suspects.

Dans le même temps, les informations ont commencé à circuler dans les médias, faisant d’abord état de quatre puis de deux victimes. Les mauvais réflexes sont aussi remontés à la surface : deux photos, l’une, de l’arme du crime ensanglantée, et l’autre, du principal suspect retenu au commissariat, ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Le parquet de Paris a annoncé vendredi soir l’ouverture d’une enquête pour déterminer l’origine de cette fuite.

La machine judiciaire s’est également mise en marche. Le PNAT s’est saisi en début d’après-midi. L’enquête a été ouverte pour « tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste, association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Outre le lieu de l’attaque et son timing, en plein procès, c’est l’attitude de l’assaillant qui justifie l’intervention du PNAT, selon son chef, Jean-François Ricard, qui a souligné « la volonté manifeste de l’auteur d’attenter à la vie de deux personnes dont il ignorait tout et qui se trouvaient à ce moment-là simplement en pause cigarette ». La brigade criminelle de Paris et la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) se sont vu confier les investigations. A commencer par la perquisition de l’appartement du principal suspect, qui a été effectuée dans la foulée.

Les deux victimes ont, elles, été prises en charge à l’hôpital européen Georges-Pompidou. Elles présentent de graves blessures. Lors d’un point de presse organisé à côté de la rue Nicolas-Appert, Jean Castex a cependant confirmé que leurs jours n’étaient pas en danger. Le premier ministre a par ailleurs exprimé son « attachement indéfectible à la liberté de la presse [et] sa volonté résolue, par tous les moyens, de lutter contre le terrorisme ».

Gérald Darmanin a, pour sa part, estimé sur France 2 qu’il s’agissait « manifestement » d’un « acte de terrorisme islamiste » : « C’est la rue où il y avait Charlie Hebdo, c’est le mode opératoire des terroristes islamistes, bien évidemment, cela fait peu de doute, c’est une nouvelle attaque sanglante contre notre pays. »

Comme tous leurs prédécesseurs ces dernières années, les deux hommes ont étrenné à leur tour la cellule de crise de la Place Beauvau. Un baptême du feu, mais avec un sentiment lancinant de déjà-vu.

26 septembre 2020

Vu de l’étranger - Une attaque qui réveille le traumatisme des attentats contre “Charlie Hebdo”

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COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a déclaré que l’attaque à l’arme blanche qui a fait deux blessés à Paris ce 25 septembre était “manifestement un acte de terrorisme islamique”. Pour la presse étrangère, il n’est pas surprenant qu’elle se soit produite à l’ancienne adresse de la rédaction de l’hebdomadaire, en plein procès des attentats de 2015.

“D’un coup, le sentiment d’horreur est revenu”, souligne la Süddeutsche Zeitung. Vendredi 25 septembre, peu avant midi, deux personnes ont été attaquées à l’arme blanche dans le onzième arrondissement de Paris, exactement l’endroit où, le 7 janvier 2015, la rédaction de Charlie Hebdo avait été la cible d’un attentat.

Sept personnes ont été placées en garde à vue vendredi soir, dont un jeune de 18 ans né au Pakistan, considéré comme l’auteur principal de l’attaque. Selon le gouvernement, “il n’avait jamais été identifié par les autorités commme un extrémiste potentiel”, observe le New York Times. 

Pour la Süddeutsche Zeitung, cette attaque a “rappelé de terribles souvenirs” et “rouvert la plaie” de ces attentats, alors même que le procès de 14 personnes accusées d’avoir aidé à préparer les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher se tient depuis le 2 septembre.

Un procès qui s’est accompagné “de nouvelles tentatives d’intimidation à l’encontre de l’hebdomadaire satirique”, ajoute le journal allemand. Le quotidien rappelle notamment que la DRH de Charlie, Marika Bret, a dû être évacuée clandestinement de son appartement “après que les menaces de mort à son encontre sont devenues de plus en plus concrètes”.

Dès le début du procès, on a pu constater à quel point la situation sécuritaire était tendue au Palais de Justice de Paris”, poursuit le quotidien allemand : pour suivre les audiences, vous devez […] passer par quatre portiques de sécurité différents. Après l’attaque de vendredi, la panique était à nouveau palpable.”

“La signification symbolique est claire”

La rédaction de Charlie Hebdo travaille aujourd’hui “dans un endroit secret, hors de ce monde”, observe l’édition italienne du Huffington Post, qui considère qu’“il n’est certainement pas surprenant” que quelqu’un ait pris une arme blanche et, ne sachant pas où se trouve maintenant la rédaction de Charlie, se soit rendu “là où avait eu lieu la grande vengeance d’Al-Qaida contre la publication des caricatures de Mahomet”.

Alors que le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a déclaré ce vendredi 25 septembre que l’attaque qui a blessé deux personnes était “manifestement un acte de terrorisme islamiste”, le quotidien brésilien O Estado de S. Paulo relève que la France est “depuis près d’une décennie dans la ligne de mire” de ce terrorisme et que plus de 250 personnes en ont été victimes depuis 2012.

La Repubblica rappelle toutefois que l’enquête doit déterminer si l’attaque de ce 25 septembre est “le travail d’une organisation ou de loups solitaires”. Mais “la signification symbolique est claire”, assure lui aussi le quotidien italien : il s’agissait “de frapper à cet endroit pendant que se tient le procès du premier massacre”. Pour La Repubblica, il s’agit d’un geste destiné à se transformer immédiatement en “manifeste de haine” pour “tous les fondamentalistes”, qui continuent de “faire des adeptes” malgré la chute de l’État islamique et la mort de Ben Laden.

Nicolas Coisplet

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25 septembre 2020

Dans la rue de l'ancien siège de Charlie Hebdo....

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15 septembre 2020

La branche yéménite d’Al Qaida, affaiblie, menace « Charlie Hebdo »

Les services de l’antiterrorisme craignent moins une attaque « projetée » qu’un passage à l’acte d’individus isolés

Dix-neuf ans après les attentats du 11-Septembre et quelques jours après l’ouverture du procès des attentats de janvier 2015 à Paris, Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA), la branche yéménite du réseau djihadiste, a de nouveau appelé, vendredi 11 septembre, à attaquer l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, le député néerlandais Geert Wilders, ainsi que les auteurs danois et suédois de certains dessins.

Si la date anniversaire des attaques sur le sol américain est un rendez-vous que le groupe djihadiste ne manque jamais de « célébrer », la remise à la « une » des caricatures de Mahomet a donné lieu cette fois à la diffusion d’une lettre de cinq pages de menaces. AQPA y appelle « les musulmans de France, d’Europe et de l’extérieur (…), les moudjahidine de tous les fronts et nos héroïques lions solitaires à les poignarder à leur retour ».

« Vous avez diffusé une première fois vos dessins en pensant être à l’abri de toute attaque (…). Nous rappelons à la France et à son journal que, depuis l’attaque de nos deux héros [les frères Kouachi], plus de 251 Français sont morts lors d’opérations djihadistes et des centaines ont été blessés sur son sol. Qui vous assure que vous ne ferez pas partie des prochaines centaines ? », ajoute le groupe, qui reprend à son compte les attentats de l’Etat islamique (EI).

Attaques de faible envergure

Ces menaces renouvelées sont pourtant l’œuvre d’une organisation affaiblie. Dont la propagande dirigée vers l’« extérieur » se faisait rare depuis de longs mois. Autrefois la plus puissante franchise de la mouvance Al-Qaida, AQPA accumule aujourd’hui les revers au Yémen après avoir un temps tiré partie des conflits qui déchirent le pays. Elle a perdu en février son émir et l’un de ses fondateurs, Kassim Al-Raïmi. Sur la défensive, elle n’a revendiqué que des attaques de faible envergure ces derniers mois. Depuis 2015, le groupe a été lié à seulement à deux attaques à l’extérieur du Yémen : celle de janvier 2015 contre Charlie Hebdo à Paris et une fusillade, en décembre 2019, sur la base navale militaire de Pensacola, en Floride. Peu avant sa mort, Kassim Al-Raïmi avait à ce titre revendiqué en son nom le meurtre de trois membres de l’aéronavale américaine par un militaire saoudien en formation aux Etats-Unis.

Après des mois d’enquête, le FBI a établi que l’assaillant avait échangé avec au moins un membre de l’organisation. Et un Tweet publié par le jeune Saoudien peu avant l’attaque rappelle l’influence durable que peut exercer la propagande d’AQPA. Il y mentionnait Oussama Ben Laden et Anwar Al-Aulaqi, imam américano-yéménite devenu une figure du groupe avant sa mort, en 2011. Al-Aulaqi avait d’ailleurs été cité par Chérif Kouachi dans les heures qui ont suivi l’attaque de Charlie Hebdo.

Pour l’antiterrorisme français, ces nouvelles menaces publiques d’AQPA ne constituent pas non plus vraiment une surprise. L’organisation terroriste n’a jamais quitté leurs radars. Elle s’inscrit plutôt dans la surveillance globale de la menace terroriste visant le territoire, au même niveau que celle, persistante, venant de l’organisation Etat islamique ou d’autres structures. Une menace jugée plus faible qu’en 2015 ou 2016, mais qui continue de mobiliser une part importante de l’appareil sécuritaire hexagonal.

Les mises en garde adressées par AQPA à Charlie Hebdo et plus largement à la France vont donc être prises en compte. La principale inquiétude vient toutefois moins d’une menace dite « projetée » – venant de l’étranger – que du fait que la publicité accordée à la propagande de l’organisation djihadiste puisse inspirer des passages à l’acte, notamment d’individus isolés ou fragiles psychologiquement, tels que ceux ayant commis les trois dernières attaques avec revendication religieuse en France depuis le début de l’année 2020 : trois attaques, pour l’heure non revendiquées.

Cette menace « endogène » demeure la plus compliquée à cerner et à prévenir pour les services enquêteurs. Aujourd’hui, si le risque de formation d’une cellule terroriste structurée sur le territoire français est considéré comme faible, les risques provenant du basculement très rapide de personnes ayant des antécédents psychiatriques continuent d’inquiéter. Selon nos informations, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) travaille d’ailleurs toujours à améliorer la détection de ce type de profil.

La menace « projetée », telle celle des frères Kouachi contre Charlie Hebdo en 2015, dont l’un d’eux était venu prendre ses ordres au Yémen quelques années plus tôt, avant de rentrer en France, est, elle, considérée comme peu probable. Le transport aérien est beaucoup plus surveillé qu’en 2015, même chose pour les voies maritimes.

Concernant les risques venant de la zone irako-syrienne, malgré les raidissements du président turc, Recep Tayyip Erdogan, le « verrou » turc semble encore être efficace, aux dires des spécialistes. Demeurent deux points de vigilance aujourd’hui : le Maghreb et la Libye. Deux régions considérées comme de possibles bases arrière ou une nouvelle zone « rebond » pour les candidats au djihad de tous ordres, en particulier francophones.

14 septembre 2020

Vu d’Allemagne - Ce que le procès de “Charlie Hebdo” et de l’Hyper Cacher révèle de la France

DER SPIEGEL (HAMBOURG)

Quelle civilisation ? Quelle identité ? Le procès de “Charlie Hebdo” et de l’Hyper Cacher cristallise le fossé s’étant ouvert dans la société française, observe cet auteur allemand. Qui, en raison du degré de polarisation du débat politique, n’est guère optimiste quant au chemin que le pays prend.

Emmanuel Macron a pris la parole [le 4 septembre] devant le Panthéon, lieu de mémoire dédié aux morts illustres de l’histoire de France, lieu de consensus. La République est indivisible, a-t-il martelé. Un vieux mantra censé redonner courage.

Comme souvent dans la rhétorique politique française, la formule n’en est pas moins problématique. Car elle pose une norme : la République doit être indivisible, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous. Il convient de tendre vers ce but. Sauf que, dit comme ça, on a l’impression d’entendre un état des lieux qui ne cadre pas avec la réalité.

De fait, un fossé s’est ouvert entre ce que la France aimerait être et ce qu’elle est vraiment. Car, en réalité, la société française d’aujourd’hui est plus clivée que jamais, aux prises avec l’islamisme, le nouvel antisémitisme, le racisme et le travail de mémoire sur son passé colonial.

La France fait peur aux Français. Peut-être aimeraient-ils croire Macron quand celui-ci parle d’unité. Seulement voilà, plus il en parle, plus la France s’enferre dans un doute dont elle ne parvient pas à s’extraire.

Conjurer l’effroi

Tout récemment, ce doute s’est cristallisé dans le procès, qui vient de s’ouvrir, des complices présumés des auteurs des attentats perpétrés contre le journal satirique Charlie Hebdo et le supermarché Hyper Cacher. Ce procès se veut historique : pléthore d’accusés, pléthore d’audiences, toutes filmées pour la postérité.

De grandes attentes pour une procédure pénale contre des complices, pour la plupart de petits délinquants sans lien avec l’islamisme. Comme si l’on avait intenté le procès de Nuremberg contre les chauffeurs et les secrétaires du IIIe Reich.

Les textes de loi, le droit, les témoignages peuvent-ils conjurer l’effroi qui étreint encore la France aujourd’hui ? Telle est la promesse [de ce procès]. Seulement, si l’on en juge par l’ambiance qui règne dans le pays, l’espoir ne fait plus vivre.

Au lendemain des attentats de janvier 2015, le pays était plus uni qu’il ne l’avait jamais été depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La France se reconnaissait et reconnaissait ses valeurs dans l’éthique des victimes. “Je suis Charlie”* : le slogan a été repris spontanément à l’unisson, l’esprit anarchiste des caricatures du journal correspondant à l’un des marqueurs de l’identité française, la liberté.

Seulement voilà, le slogan a eu une foule d’effets indésirables, faute de débat sur qui est en fait Charlie. Car être Charlie implique de faire montre du courage qu’ont eu les victimes de l’attentat. Or, qui peut, en toute bonne foi, s’y dire prêt à tout instant ?

Tout le monde ne peut pas être “Charlie”

Charlie s’inscrit dans une tradition bien française qui permet de brocarder tout et tout le monde. Ici, chaque curé est un pédéraste en rut, chaque policier, un facho. Lorsque le monde entier s’est ému de l’image du cadavre d’Alan Kurdi, Charlie lui a dédié un dessin représentant sa dépouille au pied d’une publicité pour les menus enfants de McDonald’s, avec pour légende : “Si près du but”.

Mais tout le monde ne peut pas être Charlie. Et beaucoup qui n’étaient pas pris en compte dans le débat ne le souhaitent d’ailleurs pas.

Comme Danièle Obono, députée de La France insoumise, tête de Turc de l’extrême droite, qui a du mal avec Charlie. Ce qui lui a valu les foudres d’Éric Zemmour, journaliste polémiste marqué très à droite. Plus tard, dans une interview, Danièle Obono, qui est noire, s’est vu demander si elle n’avait pas éprouvé de la tristesse après les attentats. Elle y a vu, et il y a de quoi, une remise en question de son humanité, une manière de l’ostraciser, comme si on lui avait demandé : “Massacrer de la sorte des personnes sans défense, vous trouvez ça bien ou mal ?”

Cet été, Danièle Obono était dessinée à demi nue, enchaînée, dans les pages de la revue de droite Valeurs actuelles, dans une fiction estivale sur la traite des Noirs au XVIIIe siècle. Danièle Obono a porté plainte. L’idée-force de cette fiction était de rappeler que les Africains avaient participé, eux aussi, à la traite des Noirs, ce que tout collégien sait, mais qui est martelé ici. Le sous-entendu est clair : “Nous autres, les Blancs, ne sommes pas les seuls coupables.”

Comme si des Français ne pouvaient pas être des tueurs islamistes

Qui sont les victimes, qui sont les meurtriers ? Voilà à quoi se résume le débat sur Charlie aujourd’hui en France. Autant dire que toutes les conditions sont réunies pour qu’il tourne en rond longtemps. Car personne n’explore, n’éclaire, n’enseigne véritablement l’histoire du colonialisme, de la guerre d’Algérie, de la Françafrique. Le besoin est criant d’une exposition grand public sur les tenants et les aboutissants, les promesses, les migrations, mais aussi la propagande qui imprègne les rapports de l’Hexagone avec le Maghreb et l’Afrique noire.

Les habitants des banlieues n’ont pas non plus vraiment voix au chapitre. La tuerie de Charlie a été considérée comme un acte extérieur, perpétré par des puissances étrangères – alors que ce n’est que partiellement vrai.

La réaction politique de François Hollande, le président d’alors, a consisté à déchoir de leur nationalité les auteurs des attentats. Comme si les Français ne pouvaient pas être des tueurs islamistes parce que ça leur était interdit – on retrouve ici le fossé entre ce que les Français sont censés être et ce qu’ils sont parfois.

L’écrivain Marc Weitzmann suit avec une vive inquiétude l’évolution culturelle et politique de l’Hexagone. Dans son livre Un temps pour haïr [éd. Grasset, 2018], il explique que c’est le refus d’affronter un antisémitisme qui a toujours existé et connaît aujourd’hui une résurgence rapide qui a conduit à cette situation délétère.

La vision d’une France immémoriale, rurale, patriarcale

C’est comme si, dit-il, les vieilles idéologies du communisme et du gaullisme s’étaient dissoutes, laissant apparaître ce qu’il y avait dessous, ce que personne ne voulait voir ou entendre : une haine originelle des Juifs et de la modernité – la vision désolante, mais qui hante toujours le pays, d’une France immémoriale, rurale, patriarcale. À quoi s’ajoute le refus et l’incapacité de la gauche libérale de réagir à la montée de l’islamisme.

Si elle partait d’une bonne intention, la solidarité avec les migrants a occulté les projets politiques des prédicateurs et de leurs fidèles. Les attentats ont ajouté une nouvelle dimension à la confusion idéologique ambiante, une forme de théâtralité de la violence et de la haine, et un militantisme qui, selon Marc Weitzmann, conforte la haine de soi de nombreux intellectuels. Comme dans les années 1930, on admire les hommes d’action et on méprise les rhéteurs modérés, une dureté et une intransigeance nouvelles s’emparent du pays.

Les uns voient partout un passé colonial glissé sous le tapis, les autres sont persuadés de la réalité d’un “grand remplacement” qui verrait les “Gaulois de souche” se faire supplanter par des populations venues d’Afrique.

Une théorie conspirationniste à succès lancée par l’extrême droite et colportée notamment par l’écrivain Renaud Camus, à coups de tweets quasi quotidiens, pianotés depuis son château dans le sud de la France. Les deux camps sont unis par la même aspiration à une virilité retrouvée : l’islamiste et l’extrémiste de droite se retrouvent dans la vénération de la figure du combattant et le dégoût que leur inspirent les femmes fortes, les hommes doux et les personnes non binaires.

C’est une lame de fond qui prend forme en France, une lutte pour la civilisation et l’identité. Comment crée-t-on la confiance et brise-t-on le silence ? Quels sont les extrêmes qui polluent le débat au lieu de le favoriser ? Qui est Charlie ?

* En français dans le texte.

Nils Minkmar

Source

Der Spiegel

HAMBOURG http://www.spiegel.de

13 septembre 2020

Al Qaïda menace à nouveau Charlie Hebdo.

Al Qaïda a menacé vendredi d’attaquer à nouveau la rédaction de Charlie Hebdo, pour avoir réédité des caricatures du prophète de l’islam Mahomet à l’occasion du procès de l’attentat de janvier 2015 contre le journal satirique, rapporte le Daily Mail. L’attaque contre Charlie Hebdo “n’était pas un incident ponctuel”, avertit vendredi l’organisation jihadiste dans sa revue – repérée par le groupe américain Site, spécialisé dans la surveillance des organisations jihadistes – et évoque les “héroïques frères Kouachi”, auteurs de l’attaque, qu’ils avaient revendiqués au nom d’Al Qaïda au Yémen.

9 septembre 2020

Vu de l'étranger - Au procès Charlie, l'"effroi" et la "détresse" des survivants de la tuerie

charlie tout ca

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

Au procès des attentats de janvier 2015, des survivants de la tuerie de Charlie Hebdo ont replongé mardi devant la Cour d’assises spéciale dans “l’horreur” du carnage.

“Je me suis sentie coupable”, retient El Universal, au Mexique. “J’attends la justice – la loi des hommes est la règle, pas la loi de Dieu”, pour The Daily Mail, au Royaume-Uni. “Dans la société, il y a des gens qui baissent leur froc !”, titre pour sa part Le Soir, en Belgique. Plusieurs quotidiens étrangers relayaient, mardi 8 septembre, les mots de la dessinatrice de Charlie Hebdo Corinne Rey, dite “Coco”, au cinquième jour du procès des attentats de janvier 2015 devant la cour d’assises spéciale de Paris.

Cette survivante de la tuerie a décrit dans l’après-midi, à la barre, comment, le 7 janvier 2015, “des terroristes islamistes l’ont forcée à ouvrir la porte des bureaux de l’hebdomadaire satirique sous la menace d’une arme alors qu’ils arrivaient pour assassiner 11 personnes”, relate le journal britannique The Guardian. Mise en joue par les frères Chérif et Saïd Kouachi “armés jusqu’aux dents”, c’est elle qui a composé le code de la porte d’entrée. “Je savais que c’était une kalachnikov”, a confié Coco, en racontant sa longue “ascension dans l’escalier” jusqu’à l’entrée de Charlie Hebdo.

Ils m’ont dit: ‘on veut Charlie, on veut Charb’. J’étais dévastée, comme dépossédée de moi, je n’arrivais plus à rien. J’ai avancé vers le code et je l’ai tapé (…). Je sentais que les terroristes approchaient de leur but, je sentais une excitation à côté de moi.”

“Coco ébranlée, dévastée, mais debout”

Corinne Rey, 38 ans, a “les larmes aux yeux” mais la voix “claire”, selon les mots du Daily Mail. “Ses mots résonnent d’une force incroyable et plongent la salle d’audience dans une émotion bouleversante. Elle raconte (…) le bruit sec des balles : ‘Tac tac’”, rapporte l’envoyée permanente à Paris du Soir. Des moments de “terreur pure”, résume le Washington Post, aux États-Unis.

Je ne suis pas blessée, je n’ai pas été tuée. Mais cette chose absolument effroyable, je la vivrai jusqu’à la fin de mes jours. C’est l’impuissance qui est le plus dur à traverser. Je me suis sentie coupable. Personne ne peut être à ma place. Personne ne pourrait s’imaginer ce que c’est. Cette fulgurance, ces armes. Ce sang-froid qu’ils avaient. Ils étaient portés par une idéologie. Ils voulaient tuer.”

Puis Coco se reprend, selon le récit du Soir, et proclame d’une voix forte :

Les seuls coupables, ce sont les terroristes islamistes et leurs complices. (…) Dans la société, il y a des gens qui baissent leur froc devant une idéologie. Si j’ai voulu parler à ce procès, c’est aussi pour ça.”

“Des mots pour l’histoire, dans ce procès où les caméras tournent. Mais qui interpellent aussi aujourd’hui. (…) Coco ébranlée, dévastée, mais debout”, commente le quotidien belge.

“L’un des chapitres les plus douloureux de l’histoire de France”

Son témoignage est suivi par celui d’Angélique Le Corre, responsable des abonnements, qui dit aujourd’hui se sentir “plus forte” et “pas terrorisée”. Puis de Sigolène Vinson. Cette ancienne avocate, qui tenait une chronique dans Charlie Hebdo, s’est “effondrée” à la barre, écrit The Guardian :

Le tireur avait son arme contre mon front. (…) J’ai accepté que j’allais mourir et je me suis dit que c’était mon tour. J’ai pensé à mes proches. Une balle dans la tête, c’est rapide. J’attendais qu’il me tue. (…) il a dit que s’il me sauvait, je devais lire le Coran. Il a dit qu’il ne tuait pas les femmes.”

Jean Cabut, dit Cabu, 76 ans, Georges Wolinski, 80 ans, et Stéphane “Charb” Charbonnier, 47 ans, qui “comptaient parmi les dessinateurs français les plus célèbres”, ont tous perdu la vie dans le massacre, rappelle le Daily Mail. Laurent Sourisseau, dit Riss, qui a été blessé par balle mais a survécu, est désormais directeur de la publication de Charlie Hebdo. Le procès, qui a débuté le 2 septembre, ajoute le tabloïd, “devrait se poursuivre jusqu’en novembre, rouvrant ainsi l’un des chapitres les plus douloureux de l’histoire de France.”

charlie458

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