Reportage - « On a du mal à y croire » : dans le Morbihan, le difficile réveil en troisième foyer du coronavirus en France
Par Charlotte Chabas, Auray, Morbihan, envoyée spéciale
Douze malades ont été testés positivement à Auray, Crac’h et Carnac. Tout rassemblement public est interdit durant quatorze jours.
Il fallait être un couche-tard, ou un insomniaque. A 57 ans, Jean-Louis Macé n’a jamais été ni l’un, ni l’autre. Comme tous les lundis matins, le réveil de ce maraîcher a sonné à 5 h 15 pour aller s’installer sur la place des Quatre-Vents, à Auray (Morbihan). Comment aurait-il pu se douter qu’à 23 h 45, dimanche 1er mars, un arrêté préfectoral avait interdit durant quatorze jours tout rassemblement public dans la commune de 13 000 habitants, ainsi que dans les villes voisines de Crac’h et de Carnac ?
En une nuit, les trois bourgades bretonnes se sont découvertes officiellement troisième foyer de propagation du virus SARS-CoV-2 en France, avec douze malades testés positivement en une seule journée.
« On a du mal à y croire. Hier ça nous paraissait loin et exotique, et aujourd’hui c’est sur notre paillasson », reconnaît Jean-Louis Macé en tendant à une cliente une botte de radis. Comme ses voisins commerçants, l’agriculteur n’a rien changé à ses habitudes hebdomadaires – personne ne l’en a empêché à l’aube. « C’est vrai qu’on a encore beaucoup de mal à savoir ce qui est autorisé ou non », reconnaît un policier municipal qui fait le pied de grue face à la mairie en contemplant la foule d’acheteurs qui se salue et s’embrasse comme à l’accoutumée. « Ça va être compliqué de bousculer les habitudes de ce petit monde », sourit-il.
Les dix-sept établissements scolaires du secteur, eux, ont strictement appliqué la consigne de fermeture qui court jusqu’au 14 mars. Prévenus dans la nuit par mail ou SMS, la grande majorité des parents d’élèves ne se sont pas présentés devant les écoles.
« Au réveil, j’avais soixante-quatorze notifications »
« Avant il y avait le bouche-à-oreille, maintenant c’est la boucle WhatsApp qui fait le job, reconnaît Judith Josse, mère de deux enfants scolarisés à Auray. Au réveil, j’avais soixante-quatorze notifications, et j’ai compris qu’il allait falloir faire jouer le système D. » A 8 h 15, les deux rejetons de cette aide ménagère étaient déposés chez les grands-parents, à une quinzaine de kilomètres de la zone concernée par la mesure. « Ils vont y rester au moins deux jours, le temps que je vois avec mon travail comment je peux m’organiser », explique la mère de famille, inquiète pour ceux qui « n’ont pas autant de solutions ».
Devant la grille du lycée Benjamin-Franklin, à 8 h 45, le proviseur Didier Ménager renvoyait tout de même chez eux quelques adolescents venus « vérifier par curiosité ». Les yeux brillants, eux qui devaient faire leur rentrée scolaire n’en revenaient pas de rempiler pour quinze jours de vacances supplémentaires. « C’est ouf, pour une fois qu’on a de la chance de vivre à Auray ! », s’enthousiasme un jeune homme, vite douché par ses camarades : « Oublie pas que tout va être fermé quand même, on va peut-être se faire chier. »
Jusqu’où va s’appliquer la mesure de prévention ? Toute la journée, la ville a bruissé des dernières informations, données au compte-gouttes par la préfecture du Morbihan, dont le site Internet a été rendu inaccessible toute la journée par un trop grand nombre de connexions.
Fermés les cinémas, piscines, clubs de sport, agences Pôle emploi ou encore salles associatives. Confinés la maison de retraite et le foyer pour personnes âgées. Annulés le festival de théâtre, les réunions électorales, les rencontres sportives et les offices religieux.
« Il n’y aura plus de marché non plus », lance à 11 h 30 devant le stand du volailler un adolescent, écouteurs enfoncés dans les oreilles pour entendre en direct le point presse d’urgence donné à Vannes, à vingt kilomètres de là. « Il dit aussi que la vie continue, qu’il faut pas paniquer », lance le garçon. « Bah il est bien gentil lui, mais si on crève pas du coronavirus, on crèvera de faillite », s’agace le boucher, qui annonce déjà « qu’il sera là la semaine prochaine, coûte que coûte ».
« Ce n’est pas très cohérent tout ça »
L’amertume est d’autant plus forte que les supermarchés, considérés comme « des lieux de passage », pourront rester ouverts. Déjà, lundi après-midi, les deux zones commerciales de la ville faisaient le plein, notamment dans les drives.
« On préfère envoyer les gens dans des endroits confinés où tout le monde touche la nourriture, ce n’est pas très cohérent tout ça », ose un médecin de la ville, inondé d’appels toute la journée. Lui a conseillé de surveiller sa température, renvoyé vers le 15, et orienté un patient vers le centre hospitalier de Vannes, où les tests sont réalisés. « L’ARS [agence régionale de santé] nous a promis des masques chirurgicaux sous peu, mais on sent que c’est poussif, et qu’on va devoir improviser la réponse sanitaire au pied levé. »
A deux kilomètres de là, le guichetier de la SNCF peine lui aussi à cacher son étonnement. « Tout le monde peut monter à bord des trains qui vont vers Quimper et Paris. C’est pas très logique, mais c’est la consigne. En tout cas, jusqu’à la prochaine consigne. »