Articlke de Matthieu Goar, La Réunion, envoyé spécial - Source : Le Monde
Les suites de l’affaire Penelope n’ont pas épargné le déplacement à La Réunion du candidat de la droite, ce week-end.
Il y a des moments, dans une campagne, où l’on ne sait plus trop à quel saint se vouer. Dimanche 12 février, lors de son deuxième jour de déplacement à La Réunion, François Fillon s’est rendu à l’église Notre-Dame de la Paix, à Saint-Gilles. Un moment de dévotion assumé. Cette messe dominicale était inscrite à son agenda politique.
Sous le soleil, face à l’océan Indien, les journalistes l’ont donc accueilli avec des questions à la frontière entre la religion, la politique et les affaires. « Certains disent que vous avez beaucoup de choses à vous faire pardonner ? » ou encore « Qu’allez-vous confesser ? » Le candidat n’a pas répondu. Il n’a pas souri non plus. Tout le week-end, il a en fait ignoré les questions des journalistes qui ne lui convenaient pas.
A l’intérieur de l’église, un éventail à la main, les paroissiens ont assisté au ballet des caméras autour du député de Paris. Lui, impassible, a écouté la lecture des Evangiles. Notamment le chapitre 25 du livre 5 de l’Evangile de saint Matthieu. « Accorde-toi vite avec ton adversaire tant que tu es en chemin avec lui pour éviter que ton adversaire ne te livre aux juges, le juge aux gardes et qu’on ne te jette en prison », a lu le prêtre Russel Torpos, avant de poursuivre : « Amen, je te le dis, tu ne t’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou. » Dans son homélie, le curé n’a pas été beaucoup plus charitable : « Si nous pensons être quittes de tout ce que nous avons fait au motif que personne ne nous a vus, nous nous trompons. » A la sortie, interrogé à nouveau par les journalistes, M. Fillon a refusé de commenter la teneur de cette messe.
Illustration d’une campagne où chaque geste et chaque parole sont analysés à travers le prisme des affaires. Même à plus de 9 000 kilomètres de la métropole, François Fillon ne peut échapper aux soupçons et aux interrogations sur l’emploi présumé fictif de son épouse comme assistante parlementaire. Sans oublier les autres révélations sur le travail de deux de ses enfants. Près de trois semaines après le premier article du Canard enchaîné, l’ancien premier ministre aimerait pourtant passer à une autre étape, parler du fond et attaquer ses adversaires. Retrouver la routine d’une campagne normale.
Un entourage tétanisé
Dimanche, en fin d’après-midi, lors d’un meeting à Saint-Pierre, il a évacué le sujet en quelques phrases sans changer sa ligne de défense : il se pose en victime et il restera inflexible. « Mes amis, depuis deux semaines, je suis attaqué, 24 heures sur 24. Mais je reçois aussi d’innombrables soutiens. J’en reçois énormément (…) Je me battrai jusqu’au bout car mon programme est le seul capable de relancer la France. » Cette corvée expédiée, il a longuement visé ses principaux concurrents. Emmanuel Macron ?« Le radeau de sauvetage de tous les naufragés du hollandisme. » L’extrême droite ? « Elle mettrait la France en faillite au bout de six mois. »
DIMANCHE, EN MARGE D’UN PIQUE-NIQUE AU MILIEU DE SES SYMPATHISANTS, LE CANDIDAT A RÉPÉTÉ SUR LA CHAÎNE LOCALE RÉUNION PREMIÈRE QU’IL N’Y AVAIT PAS DE SOLUTION DE REMPLACEMENT
Et, campagne oblige, il a sorti quelques promesses de ses bagages : pas de réduction d’effectifs de fonctionnaires pour l’Outre-mer « tant que la situation de l’emploi ne sera pas meilleure », un budget supplémentaire de 2 milliards d’euros par an…
Mais, avant de mettre en place ces réformes, il faudra remettre de l’ordre. Tétanisé, l’entourage politique du candidat ne vient plus au contact pour décrypter sa position sur les sujets d’actualité. Alors que la plupart des médias nationaux l’ont suivi à La Réunion, il a fallu attendre un communiqué pour avoir sa première réaction sur les violences commises samedi 11 février à Bobigny. Les affaires plombent chaque étape de la campagne.
A son arrivée à l’aéroport, samedi, François Fillon avait pourtant reçu une bonne bouffée d’air chaud. Les sympathisants et militants du parti Les Républicains (LR) avaient bien fait les choses. Des djembés et des percussions ont rythmé les « Fillon, Fillon ». Parenthèse de courte durée. L’après-midi, en marge de la visite d’une ferme piscicole, une dizaine d’opposants, dont certains arboraient des autocollants Jean-Luc Mélenchon, avaient sorti des banderoles où on pouvait lire par exemple : « Politique propre. Non aux emplois fictifs ». Ce moment de tension a dégénéré en bagarre avec des pro-Fillon. Dimanche midi, avant un pique-nique, trois personnes qui avaient collé la figure de Penelope Fillon sur des pancartes ont été bloquées. Idem avant le meeting. Quasiment à chaque fois, les opposants tapent sur des casseroles.
Et même s’ils sont peu nombreux, leur tintamarre focalise l’attention médiatique. Drapé dans son inflexibilité, le candidat fait comme si de rien n’était. Impossible pourtant de redémarrer sa campagne avec ce boulet au pied. Et impossible de réussir un sursaut dans l’opinion quand son sort judiciaire est toujours en sursis. A la fin de l’enquête préliminaire du parquet national financier (PNF) débutée le 25 janvier, l’ouverture d’une information judiciaire ou un renvoi devant le tribunal correctionnel est possible. M. Fillon est donc toujours suspendu à un calendrier qu’il ne maîtrise pas.
Changement de stratégie
En ce qui concerne le volet judiciaire de sa campagne, il a changé de stratégie. Au début des révélations, il avait demandé à être entendu rapidement et espérait être blanchi dans des délais assez brefs. C’est pour cette raison qu’il avait demandé aux parlementaires LR, le mercredi 1er février, de lui donner quinze jours. Ses avocats pensent aujourd’hui que la procédure sera plus longue. Ils tentent maintenant de délégitimer le PNF, comme lors de leur conférence de presse, jeudi 9 février. Dimanche, les présidents des quatre groupes parlementaires de la droite et du centre ont publié une tribune dans le JDD, où ils estiment que « la séparation des pouvoirs a été malmenée dans la procédure ». Comme si l’entourage de M. Fillon ripostait par avance à une décision à venir.
Jeudi 26 janvier, François Fillon s’est engagé à ne plus être candidat s’il était mis en examen. Il a réitéré cet engagement dans les colonnes du JDD. Cette épée de Damoclès continue à inquiéter les parlementaires de sa famille politique. Ces derniers ont passé un troisième week-end dans leur circonscription, et les remontées depuis le terrain ne sont toujours pas bonnes. Dimanche, en marge d’un pique-nique au milieu de ses sympathisants, le candidat a répété sur la chaîne locale Réunion première qu’il n’y avait pas de solution de remplacement. Quelques minutes plus tard, il a dansé le séga, une danse locale, sur la chanson Ti fleur fanée. Sans savoir si sa candidature allait refleurir un jour.