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Jours tranquilles à Paris
27 septembre 2019

Mort de Chirac : Macron loue « une certaine idée de la France »

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Par Cédric Pietralunga, Olivier Faye

L’actuel chef de l’Etat s’est adressé aux Français pour dire sa « tristesse » et son « émotion », lors d’une allocution télévisée, jeudi, jour de la mort de l’ancien président de la République.

Le 8 janvier 1996, a noté Emmanuel Macron, Jacques Chirac avait su trouver des « mots lumineux » pour saluer la mémoire de François Mitterrand, tout juste décédé. C’est dire la montagne qui se dressait face à l’actuel chef de l’Etat, jeudi 26 septembre, au moment de s’adresser aux Français pour dire sa « tristesse » et son « émotion » après la mort de son si populaire prédécesseur corrézien. De cet « homme d’Etat que nous aimions autant qu’il nous aimait », de ce « destin français », comme l’a souligné le président de la République, lors d’une allocution prononcée depuis le palais de l’Elysée. De ce héraut de la politique à l’ancienne, qui mit trente ans à conquérir le pouvoir suprême, là où Emmanuel Macron s’y est propulsé en moins de trois ans.

Le 8 janvier 1996, Jacques Chirac avait su capter l’émotion du pays, et s’installer dans la lignée des chefs d’Etat de la Ve République. Jeudi, son lointain successeur s’est efforcé d’attraper l’esprit de celui qui sut incarner mieux que personne le rôle de père de la nation. Chirac, héritier de Charles de Gaulle et surtout de Georges Pompidou, « incarna une certaine idée de la France », selon M. Macron, en présidant aux destinées de ce pays « dont il a constamment veillé à l’unité, à la cohésion, et qu’il a protégé courageusement contre les extrêmes et la haine ». Un homme qui dut affronter, comme lui, l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle. C’était en 2002, face à Jean-Marie Le Pen, quand Emmanuel Macron a trouvé face à lui Marine Le Pen, en 2017.

« A la hauteur de l’histoire »

Jacques Chirac, aux yeux du chef de l’Etat, incarnait aussi « une certaine idée du monde », par son engagement en faveur de l’environnement, qui l’a hissé « à la hauteur de l’histoire », estime M. Macron. « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs », avait-il déclaré, en 2002. Par son opposition, aussi, à la guerre menée par les Etats-Unis en Irak, en 2003, représentant alors une « France indépendante et fière », loue M. Macron. Ces deux aspects, l’actuel locataire de l’Elysée les a mis en avant comme pour tendre un miroir qui refléterait sa propre action, lui qui entend porter la question écologique de par le monde, tout en érigeant la France en « puissance d’équilibre » sur le plan géopolitique.

Enfin, Emmanuel Macron a tenu à souligner les qualités d’un homme qui « aimait profondément les gens dans toute leur diversité ». « Les plus humbles, les plus fragiles, les plus faibles, furent sa grande cause », a-t-il souligné. Une attention constante qui valut à Jacques Chirac un « attachement affectueux, quasi filial » des Français. Son successeur, parfois qualifié de « président des riches », tente pour sa part de construire ce lien et de dépasser l’acrimonie exprimée à son endroit lors de la crise des « gilets jaunes ».

Pointilleux comme à son habitude, Emmanuel Macron avait soigné les détails de cette intervention, préparée durant la journée avec sa garde rapprochée. Sur le bureau du Salon doré, au premier étage de l’Elysée, le chef de l’Etat avait posé un seul objet : un petit cadre en bronze représentant le Général de Gaulle. Il lui avait été offert par Jacques Chirac, en juillet 2017, lors de leur seule rencontre, pour « marquer la continuité de la République par-delà les appartenances politiques ». On le sait moins, mais M. Macron travaille également tous les jours, dans le salon d’Angle du palais, sur un bureau utilisé un temps par le Corrézien après son départ de l’Elysée : une pièce de béton signée Francesco Passaniti.

« Il faut laisser le pays se recueillir »

Selon son entourage, Emmanuel Macron n’a pas hésité plus de quelques minutes à annuler sa participation au grand débat sur les retraites qui était prévue à Rodez, jeudi soir, pour lancer la concertation sur cette réforme phare de la deuxième partie de son quinquennat. « En avril, le président avait déjà reporté sa conférence de presse de sortie du grand débat national à cause de l’incendie de Notre-Dame. La décision a été, cette fois aussi, facile à prendre », assure un proche. L’heure est au recueillement, pas aux dossiers qui fâchent.

Comme au moment de la mort du colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame, en mars 2018, ou de Johnny Hallyday, en décembre 2017, Emmanuel Macron veut accompagner l’émotion populaire. Mais il sait, cette fois, qu’il doit agir avec tact. Le chef de l’Etat n’a jamais été un proche de Jacques Chirac, et n’a pas plus revendiqué de filiation avec celui que Nicolas Sarkozy avait dépeint en « roi fainéant ». « Il n’était pas trop dans le radar », reconnaît un ex-membre du cabinet élyséen. « Il ne faut pas surjouer l’empathie, et donner le sentiment qu’on veut récupérer l’événement », met d’ailleurs en garde un élu macroniste. D’autres, à droite, comme François Baroin ou Christian Jacob, auraient plus de légitimité à le faire.

Dans une forme d’œcuménisme républicain, le chef de l’Etat a d’ailleurs décidé d’ouvrir l’Elysée en hommage à l’ancien président. Dès 21 heures jeudi soir, un recueil a été installé dans le vestibule d’honneur de l’Hôtel d’Evreux, afin que les Français puissent y « exprimer leurs condoléances ». L’Elysée restera ouvert jusque dimanche soir, pour absorber la longue file qui se formait dès le début de la soirée. C’était aussi une demande de la famille Chirac, qui souhaitait qu’un lieu soit trouvé pour que les nostalgiques de l’ancien président puissent lui dire au revoir, lui qui n’avait jamais connu d’année sans mandat électoral entre 1967 et 2007.

Comme pour le Général de Gaulle, en 1970, pour Georges Pompidou, en 1974, et pour François Mitterrand, en 1996, une journée de deuil national a été décrétée par le chef de l’Etat, même s’il ne s’agit pas d’une obligation. Elle se tiendra le lundi 30 septembre. Une cérémonie religieuse se déroulera à midi dans l’église Saint-Sulpice, à Paris, la cathédrale Notre-Dame n’étant plus accessible depuis son incendie. Nombre de chefs d’Etat, de responsables politiques et de dignitaires y sont attendus. Le débat sur l’immigration, prévu lundi 30 septembre, à l’Assemblée nationale, avec notamment un discours du premier ministre, Edouard Philippe, a été reporté. « Il faut laisser le pays se recueillir », explique-t-on à l’Elysée. Il sera bien temps, ensuite, de reprendre le combat politique.

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27 septembre 2019

Jacques Chirac, frère, père ou grand-père de toutes les générations

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Par Raphaëlle Bacqué

De nombreuses personnes sont venues signer le registre de condoléances mis à disposition par l’Elysée pour rendre hommage à l’ancien chef d’Etat qui a accompagné un morceau de leur propre existence.

Dans le crépuscule qui tombe peu à peu sur l’Elysée, une petite foule avance lentement. Des hommes et des femmes de tous les âges, parfois si jeunes que l’on doute qu’ils aient jamais eu à voter pour l’homme qui vient de « s’éteindre paisiblement », comme l’a fait savoir sa famille, ce jeudi 26 septembre. C’est ainsi : les présidents qui meurent emportent souvent un peu de notre vie avec eux, et ceux qui sont là, patientant en file indienne jusque devant la place Beauvau, dans le 8e arrondissement de Paris, viennent autant rendre hommage à l’ancien chef d’Etat que se souvenir qu’il a accompagné un morceau de leur propre existence.

Jacques Chirac est mort quelques heures plus tôt. Alors que la rumeur d’une aggravation de son état de santé courait depuis plusieurs jours, son gendre Frédéric Salat-Baroux a annoncé la nouvelle à l’Agence France-Presse (AFP) autour de midi, et déjà cette information engloutit tout. Sur toutes les chaînes de télévision, toutes les radios, plus rien n’existe. Pas même cette grave explosion d’une usine chimique à Rouen qui, en d’autres circonstances, aurait frappé les esprits. Emmanuel Macron l’a bien saisi. « Nous, Français, nous perdons un homme d’Etat que nous aimions autant qu’il nous aimait », a-t-il souligné en décidant d’ouvrir le palais de l’Elysée, dès 20 heures et « aussi longtemps qu’il le faudra », à cette longue file venue témoigner son attachement au président défunt.

Ce décès ne ressemble pas tout à fait à celui des présidents précédents. De Gaulle avait disparu comme un monument qui s’effondre. Pompidou, par surprise. Le jour de la mort de François Mitterrand, une partie du pays s’était précipitée vers les fleuristes pour acheter des milliers de roses rouges – symbole du parti socialiste. Puis, on avait vu se dresser les affidés, sourcilleux comme des gardiens du temple, pour empêcher que s’expriment des réserves ou que l’on réclame un inventaire.

Une image légendaire

Jacques Chirac, lui, s’est éteint sans drame ni trauma, retiré depuis plusieurs années de la vie publique pour mieux dissimuler les ravages de la vieillesse. Au 4, rue de Tournon, dans le bel hôtel particulier mis à disposition des Chirac par l’homme d’affaires François Pinault, le secret a été si étroitement préservé que plus personne dans le quartier n’a vu Jacques Chirac depuis déjà plusieurs années et cette méconnaissance a largement contribué à préserver intacte une image légendaire.

Cela ne fait pas dix minutes que sa mort a été annoncée que fleurissent déjà sur les télévisions et les réseaux sociaux, ces chromos d’une époque disparue. Un grand type en costume large, la clope au bec et la blague facile et c’est comme si la nostalgie pour un monde qui ne reviendra plus s’était substituée aux éloges qui habituellement accompagnent les deuils.

Chirac a de la chance : les archives regorgent de photos, d’extraits de débats, de saynètes qui sont comme autant de moments cultes que même les plus jeunes connaissent. Y a-t-il un autre responsable politique dont la figure et la voix ont été autant déclinées en sketchs ou même en chansons ? Ses expressions à la Audiard, son accent français face aux services israéliens − « What do you want ? Me to go back to my plane ? » − ses mimiques et jusqu’à sa marionnette ont envahi en un instant les écrans et les réseaux sociaux.

A peine une heure après sa mort, ont débarqué rue de Tournon, une dizaine de journalistes japonais qui commentent depuis Paris les images diffusées au Japon de Chirac à Kyoto, Chirac au combat de sumo, Chirac en compagnie de l’empereur. Ce ne sont plus des nécrologies, c’est une longue rétrospective des meilleurs moments d’un acteur.

« Ils racontent un homme »

Ce qui frappe, pourtant, c’est la tournure qu’ont vite pris, en France, les hommages. La mort, généralement, ne souffre pas les réserves. Mais Jacques Chirac est ainsi fait qu’il a laissé derrière lui un cortège d’amis lucides. Pas de panégyrique excessif, pas d’embaumement symbolique sous les compliments trop appuyés. Non, les chiraquiens acceptent que l’on passe son bilan politique au scanner, conscients de ses insuffisances et de ses contradictions. « Oui, il y a des critiques à faire, mais je n’ai pas envie de les chercher », a reconnu très tôt dans l’après-midi le Marseillais Renaud Muselier, comme un résumé de l’état d’esprit des anciens fidèles. Ils ne défendent pas un héritage. Ils racontent un homme. Tant pis pour les ratages ou les scandales qui accompagnèrent sa vie. Même l’ancien juge d’instruction Eric Halphen, qui a longtemps poursuivi Chirac dans l’affaire des HLM de la ville de Paris, ne trouve pas vraiment de contradicteurs lorsqu’il s’insurge sur Franceinfo : « Il a abaissé la fonction présidentielle en utilisant pour sa conquête de mauvais chemins. »

Au fond, dans un temps si prompt à vilipender les politiques, Jacques Chirac réussit ce curieux miracle de susciter une affection qui déborde largement son camp, mais une affection sans aveuglement.

On ne regrette pas un grand homme. D’ailleurs, qui songerait à le qualifier ainsi ? Dès les premières heures, la minceur du bilan – au moins sur le plan intérieur –, s’est exprimée sans fard. Sa « plasticité » idéologique, pour ne pas dire sa démagogie, est rappelée partout. Comme ses affaires judiciaires ou ses erreurs stratégiques. Mais un mot revient sans cesse : « sympathique ». C’est comme un sauvetage ou une compensation : l’humain chaleureux semble sans cesse invoqué comme pour rattraper le président médiocre. Même Lionel Jospin, si longtemps exaspéré par ce Chirac avec lequel il avait vécu une cohabitation tendue, de 1997 à 2002, assure « garder le souvenir de la vitalité de l’homme et des moments de cordialité que l’exercice du pouvoir peut préserver ».

Un geste attentif dans une cour de ferme, un regard rieur sur un plateau de télévision, voilà ce qui emporte le morceau dans cet instant de deuil. Certes, un ancien adversaire comme Valéry Giscard d’Estaing n’a rien oublié des trahisons passées. « J’ai appris avec beaucoup d’émotion la nouvelle de la disparition de l’ancien président de la République, Jacques Chirac. J’adresse à son épouse et à ses proches un message de profondes condoléances », a-t-il écrit avec un laconisme révélateur, dans un communiqué publié en début d’après-midi. Mais les autres figures de la droite ont choisi de souligner l’aspect le moins discuté de Jacques Chirac : son humanité.

Une somme de bons mots

« Je l’ai aimé simplement pour sa main, qui savait prendre la vôtre avec chaleur, souligne ainsi, dans une belle lettre manuscrite, Bruno Le Maire qui fût son ministre de l’agriculture. Je l’ai aimé pour cet appel téléphonique un soir de Noël, quand, après une année de travail harassante, il avait tenu à me joindre dans une vallée des Alpes pour me remercier avec ces mots si simples : “Je suis désolé du temps que j’ai pris à vos enfants”. »

François Fillon, qui avait disparu depuis deux ans après sa défaite à l’élection présidentielle, réapparaît soudain pour raconter, malgré leur mésentente passée, ce président qui accompagna aussi sa propre vie politique. « C’était même difficile d’avoir des conflits avec lui, reconnaît-il. Je me souviens d’avoir vu dix fois Philippe Séguin partir déjeuner avec Chirac avec la ferme intention d’en découdre. Puis, lorsqu’il rentrait, on lui demandait : “Alors ?” “Alors on a parlé de foot”. »…

C’était donc cela, ce grand fauve du pouvoir ? Une somme de bons mots, un appétit féroce et une cuirasse sur laquelle tout glisse ? Depuis que les hommages s’enchaînent, il devient clair que l’extraordinaire longévité politique du président est pour beaucoup dans sa capacité à transcender les générations. Quel Français de plus de 20 ans ne l’a pas connu dans l’un ou l’autre moment de sa vie ? « Jacques Chirac, c’est quand même l’homme politique qui aura réussi à la fois, à me faire descendre dans la rue contre les lois Devaquet de son gouvernement à l’automne 1986, et à me faire voter pour lui au nom de la défense de la République en mai 2002 », écrit ainsi Thierry, un lecteur du Monde.

« L’émotion efface le bilan »

Le 6 décembre 2017, les Français avaient tous en eux quelque chose de Johnny Hallyday. La mort de Jacques Chirac semble réunir pareillement, quels que soit les âges. Il est le frère, le père ou le grand-père de toutes les générations, une figure familière pour la plupart. Le Monde, qui a proposé à ses lecteurs d’apporter leurs témoignages, recueille en quelques minutes une série de démonstrations d’attachement à l’homme, malgré les regards sévères sur son action politique. « La tristesse du peuple français est aussi grande que la sympathie qu’il éprouvait pour lui, ce qui semble rattraper globalement un septennat raté et un quinquennat moyen. L’émotion efface le bilan », reconnaît ainsi Romain. « Enfant à l’école primaire en 1999 j’avais dû écrire le nom de trois adultes en qui j’avais entièrement confiance et qui me protégeraient, écrit de son côté Alban sur le fil de discussion ouvert par le journal. J’avais écrit le nom de mon père, celui de son meilleur ami… et Jacques Chirac. Je le voyais tout le temps à la télé et il me semblait si gentil. Pourtant ma famille était tout sauf pour le RPR ! »

Le quotidien britannique The Guardian résume le phénomène en une ligne lapidaire sous-titrant sa nécrologie : « One of France’s favourite politicians, despite a presidency marked by inaction » (« L’un des politiciens favoris en France, malgré une présidence marquée par l’inaction »).

Dès les premières heures après l’annonce du décès, une photo géante a été déployée à Tulle sur l’hôtel du département de Corrèze et des livres d’or ont été ouverts dans le village de Sarran, fief des Chirac. La « Corrèze est orpheline », « la Corrèze est en deuil », répètent en boucle les élus de droite comme de gauche du département. A quelque deux kilomètres de là, c’est un pont à Mostar, autrefois bombardé pendant la guerre en ex-Yougoslavie, qui a été habillé aux couleurs de la France en hommage à Jacques Chirac, qui avait rompu avec la neutralité affichée de François Mitterrand dans cette guerre des années 90 au cœur de l’Europe.

Restent les irréductibles adversaires. Ceux-là ont vite compris qu’en une journée de deuil, ils sont inaudibles. Mais on reconnaît la vigueur de leur détestation à la sécheresse de leurs communiqués. « Mort, même l’ennemi a droit au respect », a lâché en une phrase Jean-Marie Le Pen en début d’après-midi, comme si en dire d’avantage était au-dessus de ses forces. « Chirac, une carrière de politicien bourgeois qui aura coché toutes les cases, dénonce de son côté la porte-parole de Lutte ouvrière, Nathalie Arthaud, avant de lister “attaques anti ouvrières, “bruit et odeur” contre les immigrés jusqu’aux affaires et autres emplois fictifs ».

A 21 heures, les illuminations de la tour Eiffel se sont éteintes, en signe de deuil. Il a fallu attendre minuit pour que la pluie qui tombait drue sur Paris finisse par dissuader les derniers badauds venus signer le registre de condoléances mis à disposition par l’Elysée. Il n’est alors resté sur le perron du palais présidentiel qu’un portrait de l’ancien chef de l’Etat, sourire aux lèvres et regard flottant. Comme un souvenir s’effilochant dans la nuit.

27 septembre 2019

Jacques Chirac

ALERTE-Chirac: « Le président Chirac incarna une certaine idée de la France (...) Une France indépendante et fière (...) le président Chirac incarna une certaine idée du monde » (Emmanuel Macron)

Intervenant dans une allocution solennelle radio-télévisée depuis le palais de l’Elysée, Emmanuel Macron a rendu hommage à Jacques Chirac : « Nous perdons un homme d’Etat que nous aimions autant qu’il nous aimait ».

« Jacques Chirac était un grand Français, libre » a affirmé le président de la République, rappelant auparavant qu’il « incarna une certaine idée de la France » et « une certaine idée du monde ». « Jacques Chirac était un destin français » , « il portait en lui l’amour de la France et des Français » a dit encore Emmanuel Macron. 

« Nous avons ce soir pour Jacques Chirac de la reconnaissance » a souligné le chef de l’Etat. Puis Emmanuel Macron a confirmé une journée de deuil national lundi 30 septembre, journée qui sera marquée par une cérémonie à midi.

26 septembre 2019

Mort de Jacques Chirac

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L'ancien président de la République Jacques Chirac  est mort jeudi 26 septembre au matin, à l'âge de 86 ans, a annoncé son gendre Frédéric Salat-Baroux à l'AFP. "Le président Jacques Chirac s'est éteint ce matin au milieu des siens. Paisiblement", a déclaré l'époux de Claude Chirac. Suivez tout au long de la journées les réactions et les hommages sur franceinfo.

 Macron renonce à son déplacement sur les retraites. Cette mort chamboule l'emploi du temps du président de la République. Alors qu'il devait se rendre à Rodez (Aveyron) pour parler des retraites, Emmanuel Macron restera à Paris pour prononcer une allocution en hommage à l'ancien président.

 L'Assemblée nationale observe une minute de silence. Pour rendre hommage à l'ancien chef de l'Etat, les députés ont observé une minute de silence à l'Assemblée nationale.

 Une dernière apparition en 2014. La dernière apparition de l'ancien chef d'Etat à une cérémonie officielle remonte au 21 novembre 2014. Diminué, la main sur l'épaule de son épouse, il était arrivé sous les applaudissements de la salle. L'absence médiatique qui a suivi est d'autant plus marquante que Jacques Chirac a été omniprésent dans la vie politique française pendant près de cinquante ans.

 Une santé dégradée depuis son départ de l'Elysée. Sa santé s'était dégradée depuis son départ de l'Elysée en 2007, conséquence notamment d'un accident vasculaire cérébral survenu en 2005, durant son second mandat de président de la République. En septembre 2016, il avait dû rentrer en urgence du Maroc, où il était en villégiature avec son épouse Bernadette, afin d'être hospitalisé à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris pour une infection pulmonaire. Il y avait séjourné pendant près d'un mois, avant de pouvoir regagner son domicile parisien.

26 septembre 2019

L'ancien président de la République, Jacques Chirac, est décédé

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NÉCROLOGIE Jacques Chirac est mort à Paris ce jeudi à l'âge de 86 ans...

A 86 ans, dont quarante-deux ans d’une vie publique riche en rebondissements, Jacques Chirac s’est éteint ce jeudi à Paris. Ce Parisien de naissance mais Corrézien d’adoption s’est forgé un destin hors norme : deux fois président, deux fois Premier ministre, dix-huit ans maire de Paris. Une formidable longévité politique au prix de nombreuses métamorphoses.

Né en 1932 à Paris, Jacques Chirac intègre Science Po Paris en 1951 et l’Ecole nationale de l’administration (ENA) deux ans plus tard. Il sortira dixième de sa promotion (Vauban) en 1959. En 1965, ce gaulliste pragmatique est élu conseiller municipal de Saint-Féréole en Corrèze. Son premier poste politique dans un département de vieille tradition radicale dont il fait un fief, qu’il représentera à l’Assemblée de 1967 à 1995.

Un « bulldozer » selon Georges Pompidou

Considéré comme un « jeune loup » et surnommé le « bulldozer » par Georges Pompidou, il est nommé en 1967 secrétaire d’Etat auprès du ministre des affaires sociales. Il ne s’arrêtera plus.

Rapidement, il enchaîne les plus hautes fonctions : ministre sans interruption de 1967 à 1974, deux fois chef de gouvernement - sous Valéry Giscard d'Estaing de 1974 à 1976, sous François Mitterrand de 1986 à 1988 -, trois fois maire de Paris de 1977 à 1995. De ce bastion parisien, il se lancera par deux fois, sans succès, à la conquête de l’Elysée, en 1981 et 1988.

Il prépare alors méthodiquement l’élection de 1995. Ses deux victoires présidentielles de 1995 et 2002, il les a remportées en déjouant tous les pronostics. Mais il a eu ensuite du mal à transformer l’essai, contraint notamment de cohabiter cinq ans avec le socialiste Lionel Jospin après une malencontreuse dissolution de l’Assemblée, ou subissant un échec majeur avec le fiasco du référendum européen en 2005.

Bon vivant en privé, un « tueur » en politique

Ses partisans ont vu en lui un homme chaleureux, généreux, « toujours attentif aux autres ». Ses adversaires l’ont décrit comme « versatile », sans vision, « plus capable de conquérir le pouvoir que de l’exercer ». Ses biographes s’accordent toutefois à reconnaître que Jacques Chirac est bien plus complexe que l’image qu’il a longtemps donnée : un bon vivant au parler cru, amateur de bière et de tête de veau, s’adonnant avec appétit aux bains de foule, «caressant le cul des vaches» dans les salons agricoles.

Car cet homme au visage hâlé, toujours en mouvement, élancé - il dépasse le mètre quatre-vingt-dix - est aussi un amoureux de l’Asie, passionné de sumo, grand défenseur des « peuples oubliés », artisan du dialogue des cultures. Il œuvre au lancement d’une Fondation en faveur du développement durable et du « dialogue des cultures » et porte le projet ambitieux du musée du quai Branly, qui ouvre ses portes en 2006.

Ses nombreux combats politiques lui ont valu la réputation d’un « tueur » éliminant tout concurrent potentiel. A l’exception notable de Nicolas Sarkozy, dont il n’a pu empêcher la marche forcée vers l’Elysée.

Le « caméléon »

Il a aussi été comparé à un « caméléon » en raison de sa faculté à changer avec les modes : partisan d’un travaillisme à la française dans les années 1970, il se fait le chantre du libéralisme à la Ronald Reagan dix ans plus tard, avant de dénoncer la « fracture sociale » en 1995. C’est ainsi que le « fana-mili » a incarné l’opposition à la guerre en Irak ou que l’homme de la reprise des essais nucléaires s’est mué en défenseur d’une planète en danger.

« L’agité », qualificatif dont on prête la paternité à Giscard, s’est peu à peu assagi, selon ses proches. À la fin de son mandat, il a commencé à lever le voile sur ses déchirures intimes, confiant que l’anorexie mentale de sa fille Laurence (décédée le 14 avril 2016) avait été « le drame » de sa vie.

Il est devenu le premier ancien président de la République à être poursuivi par la justice, en novembre 2007, dans une affaire d’emplois présumés fictifs du temps où il était maire de Paris. Il sera finalement condamné à deux ans de prison avec sursis pour « détournement de fonds publics, abus de confiance, prise illégale d’intérêts et délit d’ingérence » en décembre 2011.

Affaibli par un premier AVC en 2005, l’état de santé de Jacques Chirac s'était dégradé ces dernières années et ses apparitions publiques se faisaient de plus en plus rares depuis son départ de l’Elysée, en 2007. Membre de droit du Conseil constitutionnel, il avait cessé d’y siéger en septembre 2011. Il avait été hospitalisé une quinzaine de jours en décembre 2015 pour « affaiblissement », puis le 18 septembre 2016 pour une infection pulmonaire.

En mars de cette année, Jean-Louis Debré, son ami de toujours, donnait de ses nouvelles : « Je ne sais pas s’il me reconnaît, j’en ressors moralement épuisé, ça me fait mal de le voir comme ça. » L'ancien président du Conseil constitutionnel assurait : « J’ai tellement d’affection pour lui, je serai là jusqu’au bout. »

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26 septembre 2019

FLASH- Jacques Chirac est mort (officiel)

L’ancien président de la République, Jacques Chirac, est décédé à l’âge de 86 ans, annonce sa famille.

22 septembre 2019

Robert Frank, monument de la photographie, est décédé à 94 ans

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Par Ingrid Luquet-Gad
Avec le livre The Americans publié en 1958, Robert Frank changeait à jamais la photographie. Photographe de l'Amérique des laissés-pour-compte et compagnon de route de la Beat Generation, il est mort à l'âge 94 ans.
Robert Frank, l'un des photographes les plus influents du XXe siècle, est décédé ce lundi 9 septembre. Il avait 94 ans. Né en 1924 en Suisse, arrivé à New York à l'âge de 23 ans, c'est rapidement le cœur rural et industriel du pays qui l'attire.

Lui-même est un outsider, fraîchement débarqué dans un pays dévasté par la Seconde Guerre mondiale, un émigré également. Tout naturellement, au fil de deux années de périples sur les routes de l'Amérique, il capte les interstices d'un pays dont la mythologie triomphante n'est pas la sienne et qui, dans les faits, est effectivement en train de se déliter.

Auto-stoppeurs, cireurs de chaussures, funérailles, dancings glauques, rails rouillés, arrêts de bus : les images de Robert Frank sont rapides, parfois floues, préférant le paysage au portrait, l'instant volé à la pose... Mais expressives néanmoins, du fait d'une prédilection pour les compositions diagonales conciliant le dynamisme de la composition à la "vacuité" des sujets – le terme qu'emploiera Diane Arbus pour qualifier ses photos, qu'elle admirait précisément pour leurs qualités creuses.

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Couverture de livre "The Americans" de Robert Frank, 1958
L'oeuvre d'un amateur, diront à l'époque certains

Publiées en volume en 1958, ces images marquent d'une pierre blanche l'histoire du photojournalisme, et de la photographie tout court. Le livre en question s'intitule sobrement The Americans (Les Américains). C'est dire le choc que représentera sa parution. Le monde change. Mais le cœur du pays, infinité morne, reste englué dans l'après-guerre qui s'éternise. Les prémisses de la société de consommation, des mouvement des droits civiques, de l'optimisme qui déferlera bientôt sur le pays avec l'arrivée des années 60 et la reprise de la croissance, les grandes villes côtières les ressentent peut-être, le centre non.

Ces images, y règnent la pauvreté, la solitude, la ségrégation et surtout, tout simplement, l'abandon et l'ennui, l'arrêt pur et net du temps. L'ouvrage, et ses 83 photos, sélectionnées parmi les 28 000 qu'il shootera au total sur les routes, devient culte. Tout surprend, tout choque. Il faut réapprendre à voir. Le sujet, certes - la réalité sociale à jamais dévoilée et figée -, mais également le style.

Alors que l'instant décisif d'un Cartier-Bresson, aux clichés ultra-composés, était alors à la mode, Robert Frank se rapproche d'un Walker Evans ou d'un André Kertész : ses images, prises avec son petit Leica 35mm de poche, sont brutes, rugueuses. L'oeuvre d'un amateur, diront à l'époque certains.

“Tirer un poème triste de l'Amérique”

Avec lui, c'est également l'un des derniers témoins de la Beat Generation qui disparaît. The Americans paraît à l'époque accompagné d'une préface de Jack Kerouac. Pour lui, Robert Frank était parvenu à "tirer un poème triste de l'Amérique". Les deux hommes étaient proches, comme le photographe l'était du reste du groupe. Amis mêmes, mais Robert Frank se gardera toujours de faire partie du mouvement.

Ce refus d'être identifié à quoi que ce soit se lit dans sa carrière. Devenu un monument avec The Americans, mais refusant farouchement de l'être, il délaisse la photographie. Dans les années 1960, ce sera les films. Pull My Daisy sur la Beat Generation en 1959, ou Cocksucker Blues sur les Rolling Stones en 1972.

Le road-movie, suite naturelle, il y vient en 1987 avec Candy Mountain, où Joe Strummer, leader du Clash, tient un rôle. La fin de sa vie, il la passe reclus, passant la majeure partie de son temps dans une maisonnette à Mabou, au Canada, ne revenant timidement à la photographie que par le photomontage ou la manipulation de négatifs. A l'occasion de la sortie du film documentaire Robert Frank – L'Amérique dans le viseur réalisé en 2013 par Laura Israel, il se replongeait dans les archives de plus de 70 années de carrière sans concession.

17 septembre 2019

En Irlande du Nord, l’impossible procès du « Bloody Sunday »

Un soldat soupçonné d’avoir tué deux manifestants lors du massacre du 30 janvier 1972 doit être jugé à partir du 18 septembre. Mais la décision de la justice de ne poursuivre qu’un seul militaire sur les 18 impliqués a profondément déçu les familles de victimes.

Par Eric Albert 

derry irlande 18 septembre

Lors d’une manifestation à Derry, en Irlande du Nord, en mars 2019. Niall Carson/PA Photos/Abaca

Alors que le chaos du Brexit risque de raviver les tensions communautaires en Irlande du Nord, les fantômes du passé n’en finissent pas de ressurgir. Quarante-sept ans après le massacre du Bloody Sunday, qui avait fait quatorze morts à Derry, l’audition préliminaire du seul et unique soldat à être poursuivi en justice va se tenir mercredi 18 septembre. Près d’un demi-siècle après les faits, les réactions outrées de chacun des deux camps rappellent à quel point les blessures sont mal refermées.

Dimanche 30 janvier 1972. Depuis trois ans, les violences se multiplient en Irlande du Nord. Les républicains (qui réclament l’unification de l’Irlande) se révoltent contre « l’occupation » britannique soutenue par les unionistes (ceux qui veulent rester dans le Royaume-Uni). À Derry (Londonderry pour les unionistes), une manifestation républicaine sans violence se déroule. L’armée intervient et tire sur la foule. Treize personnes sont tuées, une quatorzième meurt des suites de ses blessures quelques mois plus tard.

Les militaires affirment aussitôt que les manifestants étaient armés et qu’ils ont visé des cibles légitimes. Un rapport, écrit par Lord John Widgery, confirme quelques mois plus tard cette version des faits, se contentant d’accuser l’armée d’avoir agi « à la limite de l’irresponsabilité ».

Excuses officielles

Le massacre est un tournant en Irlande du Nord. L’IRA, le groupe paramilitaire, gagne en popularité. Stormont, l’Assemblée législative nord-irlandaise en place depuis les années 1920, est suspendue. Londres prend le contrôle direct de la région, et les « troubles » connaissent leur pire période. Près de cinq cents personnes trouvent la mort sur la seule année 1972.

Pour les familles des victimes, un immense combat pour la vérité et la justice commence. Celles-ci remportent une victoire auprès de l’opinion quand le groupe irlandais U2 écrit sa fameuse chanson Sunday Bloody Sunday, au début des années 1980. « Broken bottles under children’s feet/Bodies strewn across the dead end street (…)/ the real battle’s just begun », chante Bono (« des bouteilles cassées sous les pieds des enfants/des corps qui gisent dans les impasses/(…) la vraie bataille vient de commencer »).

À la fin des années 1980, un collectif des familles se met en place. Après une longue lutte d’influence, et grâce au climat apaisé par l’accord du Vendredi saint, qui met fin aux violences en 1998, le gouvernement de Tony Blair lance une grande enquête publique sur le massacre. Il faudra douze longues années pour que l’énorme rapport de dix volumes soit publié, mais il marque une victoire symbolique des victimes. L’armée était responsable du massacre et les manifestants tués n’étaient pas armés, affirment les conclusions. Mieux encore, David Cameron, alors premier ministre, présente devant la chambre des Communes des excuses officielles. « C’était injustifié et injustifiable. »

Le « soldat F » seul sur le banc des accusés

Les familles ont obtenu la vérité et des excuses. Maintenant, elles réclament justice. Leur dernière bataille, si longtemps après les faits, est particulièrement difficile. Quelles preuves apporter devant une cour de justice ? Les soldats n’étaient-ils que les pions d’une manœuvre qui les dépassait ou peuvent-ils être poursuivis individuellement ? La justice s’est penchée sur vingt dossiers, dont ceux de dix-huit militaires et de deux membres de l’IRA. En mars, elle a décidé de s’en tenir à la poursuite d’un seul militaire, « soldat F », pour deux meurtres et quatre tentatives de meurtre. Pour les autres, les preuves n’auraient pas été recevables par un tribunal, estiment les procureurs.

Cette décision a provoqué de vives réactions. « Une profonde désillusion », estime le porte-parole des familles. Du côté britannique aussi, l’agacement est palpable. À l’annonce de la poursuite judiciaire, Theresa May, alors première ministre, a promis de prendre en charge la défense de « soldat F ». « Le gouvernement va réformer urgemment le système qui s’occupe des cas historiques, ajoutait Gavin Williamson, alors ministre de la défense. Notre personnel, actuel et ancien, ne peut pas vivre constamment dans la peur d’une poursuite judiciaire. »

Le problème est d’autant plus complexe que les anciens terroristes de l’IRA coulent aujourd’hui des jours tranquilles. Certains, accusés de meurtre de militaires, ont reçu des courriers du gouvernement britannique promettant qu’ils ne seraient pas poursuivis par la justice, « en l’absence de nouvelles preuves ». Un geste très proche de l’amnistie.

L’audition du 18 septembre n’est que préliminaire et il n’est pas certain que le procès de « soldat F » ait finalement lieu. Mais le dossier rappelle à quel point il est difficile, et douloureux, de faire la paix.

Eric Albert (Londres, correspondance)

11 septembre 2019

World Trade Center - 11 septembre 2001

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11 septembre 2019

Nécrologie - La mort de Robert Frank, dans le spleen de l’Amérique

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Par Claire Guillot

Auteur du livre majeur « Les Américains », le photographe pionnier et cinéaste expérimental, est mort le 9 septembre à 94 ans.

Il était l’auteur du plus célèbre et du plus influent des livres de photographie au monde : avec ses images douces-amères et lyriques prises sur les routes des Etats-Unis dans les années 1950, The Americans est devenu l’un des monuments visuels du XXe siècle. Mais il était aussi un artiste rétif à la consécration, qui a rapidement préféré tourner le dos au passé et à la photographie pour s’engager vers des films à la forme libre, souvent nourris de ses tragédies personnelles. Le photographe et cinéaste Robert Frank est mort le 9 septembre à Inverness, en Nouvelle-Ecosse (Canada) à l’âge de 94 ans, après avoir marqué non seulement les artistes de son temps, musiciens, photographes, mais aussi l’inconscient de toute une génération.

En 1959, en 83 images en noir et blanc, liées comme un seul long poème, le suisse Robert Frank a tendu aux Etats-Unis, son pays d’adoption, un miroir brisé dans lequel les gens ont d’abord refusé de se reconnaître. Dans l’Amérique arrogante des « trente glorieuses », le photographe avait rapporté, après trois ans d’errances sur les routes du pays, des images discordantes et assez mal accueillies : une bannière étoilée froissée, des juke-box, des funérailles lugubres, des auto-stoppeurs fatigués, des cinémas en plein air…

Ses images accidentées, parfois floues, subjectives, ont marqué un jalon dans l’histoire de la photographie, montrant qu’elle pouvait servir autant à dire le monde qu’à exprimer un paysage intérieur. « Quand quelqu’un regarde mes images, déclare Robert Frank au magazine Life en 1951, je veux qu’il ait la même sensation que face à un poème dont il voudrait relire le même vers deux fois. »

La naissance d’un mythe

Avec ce livre, Robert Frank a donné naissance à un mythe, à un culte dans lequel il ne s’est jamais reconnu. Allergique aux hommages officiels et aux admirateurs qu’il accueillait souvent avec hostilité, il a mis un point d’honneur à cultiver sa liberté d’artiste, électron libre proche de la contre-culture et ami des écrivains de la Beat Generation – sans jamais faire partie du mouvement. Délaissant rapidement l’image fixe pour le cinéma, il a signé des films expérimentaux d’une grande variété, tant sur la forme que sur le fond. Et s’il est finalement retourné à la photographie dans les années 1970, c’est pour mieux détruire toute idée de belle image.

Né à Zurich en 1924, dans une famille bourgeoise et sans harmonie, Robert Frank n’était pas fait pour la Suisse et ses horizons trop étroits. Il grandit dans un milieu bourgeois et triste, entre un père vendeur de radios, photographe amateur à la vocation contrariée, et une mère diminuée par une vue fragile. La guerre pèse lourdement sur sa famille de juifs allemands, rendus apatrides par les lois de 1941. A la fin du conflit, enfin naturalisé suisse, Robert Frank va tenter de faire corps avec son pays natal : il fréquente assidûment les scouts et la montagne, s’engage dans les grenadiers, une unité spéciale de l’armée.

Mais le jeune Frank n’est pas fait pour l’autorité, quelle qu’elle soit : en rupture avec l’école, refusant de reprendre la boutique familiale, il finit comme apprenti chez un voisin photographe. Il y apprend la technique mais commence surtout à se forger une esthétique, influencé par le photographe suisse Jakob Tuggener. « Sans bien comprendre, je percevais son point de vue anti-sentimental, dira Frank bien plus tard. C’était comme un phare qui me prévenait d’un risque dont l’effet est de bloquer la vision. » Tuggener lui transmet aussi sans doute sa vision radicale de l’artiste, lui qui travailla en usine avant de tout quitter pour vivre en ermite et se consacrer à ses livres, dont un seul fut publié – le mythique Fabrik, sorte de long poème industriel sur l’homme et les machines.

En 1947, pour « conquérir la liberté d’être soi-même », Robert Frank abandonne finalement sa patrie étouffante et policée pour les Etats-Unis. Sa maîtrise technique convainc rapidement Alexei Brodovitch, le directeur artistique charismatique du célèbre magazine Harper’s Bazaar. Mais Robert Frank trouve vite insupportable de photographier des chaussures et des vêtements, ou de participer à la compétition féroce que se livrent les photographes de mode. Au bout de six mois, il claque la porte et voyage en Amérique du Sud, seul avec un Leica et un Rolleiflex, quasiment sans parler à personne, pour y faire des images qui hésitent encore entre le reportage et la photographie humaniste.

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Des images remarquables de subjectivité

Dans ses voyages suivants, en Espagne, à Paris et à Londres, rapportant des images déjà remarquables de subjectivité, qu’il publiera en livres, il embarque souvent sa compagne et leur fils Pablo. Aux Etats-Unis, Robert Frank a en effet rencontré une toute jeune fille, Mary Lockspeiser, danseuse, peintre et modèle, qui vit une vie de bohème à New York et partage avec le photographe les mêmes aspirations artistiques. Elle n’hésite pas à s’enfuir avec lui à Paris avant de l’épouser, enceinte, à 16 ans. Au contact de l’Europe encore marquée par les restes de la guerre, le style de Robert Frank se durcit, se fait plus spontané, plus heurté, marqué par la vitesse et le flou. Dans son premier livre d’artiste, Black White and Things, il réunit des images prises dans divers pays dans une suite visuelle tourbillonnante, où le sujet importe moins que l’atmosphère créée par les images. « Dès mes premières photos, je savais que jamais je ne raconterais des histoires avec un début, un milieu et une fin », disait-il.

De retour à New York, même s’il participe à une exposition collective au Musée d’art moderne de New York, en 1953, ses images rencontrent d’abord peu d’écho. Il trouve pourtant un allié en Walker Evans, le photographe inventeur du « style documentaire », dénué de tout sentimentalisme. Les deux deviennent amis malgré leurs différences d’âge et de style – l’Américain, dandy et puritain, apprécie peu les accointances de Frank avec l’avant-garde littéraire dissolue. Walker Evans fait travailler Frank comme assistant et, surtout, l’incite à postuler à une bourse du Guggenheim pour son odyssée mythique : une traversée mélancolique des Etats-Unis, « portrait visuel d’une civilisation ».

Pendant près de trois ans, au milieu des années 1950, en trois voyages, dans une Ford, en train ou même en bus, Robert Frank sillonne le pays et prend plus de 27 000 images. Il passe par les usines, les fêtes foraines, les enterrements, les rodéos, les magasins, errant souvent au hasard, à la recherche d’une sensation, d’un élan intime. Une seule prise, trois maximum. « La première impulsion, la première énergie, disait-il au Monde. Quand on déclenche une seconde fois, il y a déjà un moment de perdu, c’est plus faible. »

Sans le vouloir, il arrive à Détroit au moment où une grève se déclenche. Il saisit souvent des symboles nationaux – un défilé patriotique, un cow-boy, une célébration à l’église – mais au moment faible, lorsque l’attention se relâche, que les sourires s’effacent et que le chant de l’Amérique héroïque sonne faux. Sur ses images, les divisions raciales apparaissent au grand jour : dans ce bus où les Blancs sont à l’avant, les Noirs à l’arrière. Les magasins illuminés brillent comme des bijoux en toc. Personne ne sourit, et l’acte même de photographier semble parfois brutal : un couple noir assis dans l’herbe fixe le photographe, et donc le spectateur, d’un air hostile.

Un récit sombre et chaotique de l’Amérique

L’époque est au maccarthysme, et les pérégrinations du photographe débraillé et mal rasé ne sont pas sans accroc. Arrêté deux fois, il est jeté en prison dans l’Arkansas, où la police l’accuse, sur la base de son fort accent et de ses enfants « aux noms étrangers » d’être un « commie » (communiste). Seul sa signature trouvée sur le magazine chic Fortune le sortira d’affaire.

Les 83 images finales, qu’il organise en un récit sombre et chaotique, à l’ordre immuable, se répondent par des motifs formels. Les images granuleuses, accidentées, composent un spleen poisseux, une mélancolie qui est autant celle de l’Amérique que celle de Robert Frank : avec Les Américains, le photographe invente le reportage autobiographique. Il inclura même, en toute fin d’ouvrage, une photo où l’on aperçoit Mary et Pablo dans la voiture : « Parler de moi, c’est montrer que la coupure entre le photographe et son sujet est artificielle. Quand on travaille sur la réalité, on parle de soi. »

Le livre ne sera accepté par aucun éditeur américain et c’est finalement le Français Robert Delpire qui le publie en 1958, mais au prix de plusieurs concessions pour Robert Frank : la couverture est un dessin de Saul Steinberg, et des citations d’écrivains américains émaillent tout le livre. C’est seulement en 1959 que paraîtra l’édition américaine de référence, telle que la veut Frank : une photo en couverture, une page blanche entre chaque image, et surtout une nouvelle préface signée de l’écrivain Jack Kerouac, l’auteur du célèbre Sur la Route qu’admire Frank : « Après avoir vu ces images, on finit par ne plus savoir si un juke-box est plus triste qu’un cercueil », écrit-il.

L’Amérique, dans l’ensemble, va détester ce portrait déprimé, fait par un étranger qui piétine les règles de la « belle photographie » et prend à rebours la photo humaniste, bienveillante pour les personnes qui figurent dans le cadre, qui domine à l’époque. Le magazine Popular Photography le qualifie même de « poème triste pour gens malades ». Sur les 2 600 exemplaires du livre, 1 100 seulement sont vendus. Mais Robert Frank, déjà, a déjà remisé ses appareils Leica au placard pour se lancer à corps perdu dans les films : « Après Les Américains, j’ai eu l’impression d’être allé au bout de quelque chose. » Il ne croit plus en la photographie, à l’image isolée et muette.

Une peinture déprimante de la célébrité

Avec son voisin le peintre Alfred Leslie, Robert Frank va d’abord tourner un film expérimental, adapté d’une pièce de l’écrivain Jack Kerouac : il y montre la soirée d’un couple perturbée par l’arrivée d’un groupe d’amis hauts en couleur. Avec ses airs spontanés et décousus, avec son casting de figures de la contre-culture – le poète Allen Ginsberg, le peintre Alfred Leslie, l’écrivain Jack Kerouac qui a improvisé la voix off dans un état très alcoolisé… – le film a fini, au fil des années, par incarner toute la Beat Generation.

Mais le film le plus mythique de Frank – et sans doute le plus difficile à voir - suit la tournée des Rolling Stones en 1972. Cocksucker Blues (« le blues du suceur de bite ») est tout sauf un film musical : le cinéaste coupe les chansons, ne s’attache pas aux relations entre les musiciens ou à leur vision du métier. Il fait plutôt une peinture déprimante de la célébrité, ce cirque frénétique entrecoupé par de longs moments d’ennui. Prise de drogue, déplacements incessants, coucheries avec les groupies, masturbation… sont filmés de façon chaotique, par un Robert Frank aussi défoncé que ses sujets.

Le résultat final va effrayer les Stones, qui craignent de se faire expulser des Etats-Unis. Ils vont faire un procès à Robert Frank et obtenir l’interdiction de montrer le film sauf lors de rares projections, en présence du cinéaste. « C’est si difficile d’être célèbre, commentait le cinéaste dans le New York Times. C’est une vie horrible. Tout le monde veut obtenir quelque chose de vous. »

Faisait-il aussi référence à lui-même ? La célébrité grandissante des Américains, à partir des années 1960, si elle lui apporte une aisance financière, attire aussi vers lui une attention qu’il accueille avec circonspection, voire hostilité. Il accepte les rétrospectives avec parcimonie, ne se reconnaît pas dans le culte qu’il a fait naître. Retiré en Nouvelle-Ecosse à Mabou avec sa femme Leaf, il préfère se consacrer à ses films. Il en signe une trentaine en quarante ans, tournés comme dans l’urgence, qui hésitent entre différents genres.

Comme pour ses images fixes, on y trouve souvent des éléments biographiques, échos d’une vie marquée très vite par le chagrin et la perte : ses manquements en tant que père (Conversations in Vermont, 1969), la mort de sa fille Andrea dans un accident d’avion en 1974 (Life dances on, 1980) les difficultés de Pablo, atteint de schizophrénie, jusqu’à son suicide en 1994 (True Story, 2004). « Je regarde toujours l’extérieur pour essayer de regarder l’intérieur, pour essayer de trouver quelque chose de vrai, mais peut-être rien n’est-il jamais vrai. »

Robert Frank finira par revenir à la photographie, dans les années 1970, mais pas telle qu’il l’a laissée. Il découvre le Polaroid, qui lui permet de raturer, décomposer, abîmer la matière d’une œuvre qui se couvre de mots et se fait toujours plus sombre, hantée par les regrets. Le livre Lines of My Hands, publié en 1972 puis 1989, embrasse toutes sortes d’images, de différentes époques, des planches contact et des tirages, assemblées dans des collages et ponctuées de commentaires de Frank qui font ressurgir le passé : « Pour certains la photographie est une chambre de l’oubli. Pour moi, c’est une boîte à mémoire, un grenier à souvenirs. »

En 1990, refusant de vendre ses archives, le photographe avait donné la majeure partie de son travail photographique à la National Gallery de Washington, de crainte qu’après sa mort, disait-il, « on publie les Américains Tome II ou les Feuilles mortes de Robert Frank ». Les éditions Steidl ont aussi entrepris de republier toute son œuvre, à la fois ses livres ainsi que ses films réunis dans un coffret. De quoi constater la cohérence d’une œuvre qui a toujours cherché à sortir du cadre. « Moins d’art, plus de vérité, disait Frank. Etre assez libre pour faire des choses authentiques, plus rugueuses, moins calculées. »

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