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Jours tranquilles à Paris
27 juillet 2018

VAN GOGH : 27 juillet 1890. Le jour où Van Gogh prend une balle mortelle en pleine poitrine

Le dimanche 27 juillet 1890, Vincent Van Gogh quitte l'auberge Ravoux où il loge depuis mai, avec son matériel de peinture. Il s'installe dans un champ de blé, derrière le château d'Auvers-sur-Oise. Des idées déprimantes tournent follement dans sa tête. Il se reproche de vivre aux crochets de son frère Théo qui vient d'être père et de perdre son travail... Non, il ne veut plus être un poids pour lui, alors il saisit un vieux revolver dans sa boîte à peinture et, bang !, il se tire une balle dans la poitrine, côté cœur.

auberge ravoux

pistolet

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27 juillet 2018

Exécution des six derniers membres de la secte Aum condamnés à mort au Japon

Par Philippe Mesmer, Tokyo, correspondance - Le Monde

L’exécution de treize personnes en moins de trois semaines laisse l’Archipel sans réponses face aux questions soulevées par l’attentat au gaz sarin de 1995.

Soucieuses de clore l’un des épisodes les plus traumatisants de l’histoire récente du Japon, les autorités nippones ont exécuté en moins de trois semaines les treize membres de la secte Aum Shinrikyo, qui avaient été condamnés à mort. Sept avaient été pendus le 6 juillet, dont le fondateur, en 1984, du mouvement, Chizuo Matsumoto (alias Shoko Asahara). Les six autres ont subi le même sort jeudi 26 juillet.

Tous avaient été reconnus coupables de crimes multiples. Il y eut l’assassinat, en 1989, de l’avocat Tsutsumi Sakamoto, de sa femme et de leur bébé ; la mort, en 1994, par intoxication au gaz sarin produit dans un laboratoire de la secte, de huit personnes à Matsumoto, dans le département de Nagano (centre) ; il y eut, enfin et surtout, l’attentat du 20 mars 1995 dans le métro de Tokyo, encore au gaz sarin, qui fit treize morts et intoxiqua plus de 6 200 personnes, dont beaucoup sont restées handicapées à vie.

« La souffrance et le chagrin »

Comme à chaque fois au Japon, l’information sur les exécutions n’a filtré que tardivement. En conférence de presse, après leur confirmation, la ministre de la justice, Yoko Kamikawa, a parlé de l’attentat de 1995 comme d’une attaque terroriste ayant répandu la peur, même à l’étranger.

« Beaucoup de vies précieuses ont été perdues, de nombreuses personnes souffrent d’un handicap, d’autres connaissent des difficultés. La peur, la souffrance et le chagrin que ressentent les victimes et les familles endeuillées sont inimaginables. La question de l’exécution a été soigneusement pesée avant d’être tranchée », a déclaré celle qui a, à ce jour, signé les ordres d’exécution de dix-sept condamnés à mort depuis son entrée en fonction en août 2017.

« Les exécutions ne sont pas une fin en soi pour les survivants et les familles des victimes », a réagi, également devant la presse, Shizue Takahashi, épouse d’un employé du métro mort dans l’attentat de 1995 et dirigeante d’un groupe de victimes. Mme Takahashi a promis de « continuer d’agir pour que ce crime ne soit pas oublié ».

Jusqu’à 10 000 fidèles

En tout, 189 membres d’Aum ont été jugés. La dernière procédure s’est terminée avec la confirmation, en janvier, de la condamnation à perpétuité d’un membre arrêté en 2012.

Depuis, le gouvernement réfléchissait au calendrier des exécutions, avec, semble-t-il, la volonté de les appliquer avant la fin de l’ère Heisei – commencée en 1989 et qui coïncide avec le règne de l’empereur Akihito, devant abdiquer en 2019 –, dont l’attentat au gaz sarin reste l’événement le plus meurtrier.

Par ailleurs, les autorités redoutaient une réaction des anciens fidèles du culte toujours en liberté. Après sa dissolution, Aum, qui a compté jusqu’à 10 000 fidèles au Japon, a été divisé en deux mouvements, Aleph et Hikari no wa (« L’harmonie de la lumière »). Toujours sous surveillance des autorités, les deux structures réuniraient 1 650 membres. Les fidèles d’Aleph maintiendraient même leur fidélité au fondateur, Shoko Asahara, au point d’avoir organisé des pèlerinages à la prison où il attendait dans le couloir de la mort. Le mouvement aurait aussi des fidèles en Russie, malgré son interdiction en 2016.

Le mois de juillet aurait été retenu car les pendaisons ne devaient pas non plus interférer avec l’élection de septembre à la présidence du Parti libéral-démocrate (PLD, au pouvoir). Le premier ministre Shinzo Abe est candidat et compte l’emporter pour conserver la tête du gouvernement. Il semble avoir voulu éviter les critiques de l’opposition, même s’il y avait peu de risque que la peine capitale fasse l’objet de débats. Les pendaisons du 6 juillet avaient été vite « oubliées ».

Procès déroutants

Et ce, malgré les condamnations internationales, notamment de la France qui, par la voie de son ambassadeur, Laurent Pic, a dit partager « la douleur des victimes, de leur famille et du peuple japonais », tout en ajoutant : « Comme ses partenaires de l’Union européenne, [la France] n’en est pas moins opposée à la peine de mort et elle appelle à son abolition partout dans le monde. »

Outre les questions sur le maintien de la peine capitale, l’exécution des treize membres du culte alimente un sentiment d’inachevé dans la réflexion autour de l’attentat le plus meurtrier commis au Japon depuis la guerre, à l’origine d’un énorme traumatisme dans l’Archipel. Les procès des membres de la secte furent parfois déroutants. Après avoir, dans un premier temps, reporté la responsabilité des crimes sur ses fidèles, le gourou Asahara s’est enfermé dans un mutisme ponctué de déclarations incohérentes.

« Beaucoup de questions fondamentales sur les crimes d’Aum restent sans réponse. Pourquoi le groupe a-t-il manifesté une telle hostilité envers la société et a-t-il été jusqu’à commettre l’attaque au sarin dans le métro ? Y avait-il une possibilité d’empêcher ses crimes ? », s’interrogeait dans un éditorial le quotidien de centre gauche Asahi, au lendemain des exécutions du 6 juillet.

« Frénésie d’exécution sans précédent »

Le Mainichi, également de centre gauche, se posait les mêmes questions, et citait le romancier Haruki Murakami, qui a consacré un ouvrage d’entretiens, Underground (Belfond, 2013) à l’attentat au gaz sarin.

Dans ce livre, M. Murakami dénonce l’attitude des autorités et des Japonais qui tendent à considérer le crime comme un acte « extrême et exceptionnel » commis par un groupe isolé, et à éviter de s’interroger sur une réalité plus sombre de la société japonaise qui a poussé des personnes éduquées, des scientifiques ou encore des médecins à suivre aveuglément le gourou Asahara.

L’organisation Amnesty International a d’ailleurs dénoncé une « frénésie d’exécution sans précédent », qui « ne laisse pas la société japonaise plus en sécurité » : « Les pendaisons ne parviennent pas à expliquer pourquoi les gens ont été attirés par un gourou charismatique avec des idées dangereuses », a réagi Hiroka Shoji, chercheur de l’organisation.

23 juillet 2018

Une fondatrice des Femen retrouvée morte à Paris

L'Ukrainienne Oksana Chatchko, l'une des membres fondatrices du mouvement féministe Femen, a été retrouvée morte ce mardi dans son appartement parisien. Selon les premiers éléments de l'enquête, il pourrait s'agir d'un suicide, la jeune femme ayant souffert de dépression depuis plusieurs années.

Elle aurait déja tenté auparavant par deux fois de mettre fin à ses jours. Et peut avant sa mort, elle avait posté un dernier message sur Instagram, dans lequel on pouvait lire : « tu es faux ». On ne savait pas à qui s'adressait cette phrase. Une autopsie devait être menée pour confirmer la thèse du suicide.

 « La plus courageuse (…) Oksana Chatchko nous a quittés, a déclaré Anna Hutsol, qui a cofondé les Femen avec elle. Avec ses proches et sa famille, nous sommes en deuil et nous attendons la version officielle de la police. Pour le moment, ce que nous savons, c’est que (…) le corps d’Oksana a été retrouvé dans son appartement à Paris. Selon ses amis, elle a laissé une lettre de suicide. »

Artiste de profession, Oksana Chatchko avait fondé les Femen en avril 2008 à Kiev, avec deux autres militantes, Anna Hutsol et Alexandra Shevchenko. Il s'agissait à l'époque de protester contre le harcèlement sexuel que subissaient les étudiantes. Peu à peu, le mouvement a pris de l'ampleur, les Femen s'attaquant à l'exploitation sexuelle des femmes et au tourisme sexuel en Ukraine.

Leur mode de protestation avait contribué à les faire connaître : elles investissent des lieux à l'improviste, seins nus et des slogans peints sur leurs poitrines. Relocalisées à Paris, les Femen ont mené de nombreuses opérations en France et en Europe, notamment contre Dominique Strauss-Kahn après que ce dernier a été accusé de viol à New York.

Oksana Chatchko s'était installé à Paris en 2013, et avait quitté l'organisation, se consacrant à son métier d'artiste peintre.

oksana

Oksana Chatchko et Inna Chevtchenko au Salon du Livre le 24 mars 2013 - Photo : J. Snap

Oksana Chatchko, parfois écrit Oxana Shachko voire Oksana Shachko1 (ukrainien : Оксана Шачко), née le 31 janvier 1987 à Khmelnytsky en Ukraine et morte le 23 juillet 2018 à Montrouge2, est une militante activiste féministe ukrainienne. Avec Anna Hutsol et Aleksandra Shevchenko, elle est l'une des trois fondatrices du mouvement Femen, créé en avril 2008

http://femen.org/

21 juillet 2018

Ernest Hemingway

ernest

17 juillet 2018

Il y a un siècle le tsar Nicolas II était assassiné avec toute sa famille

famille imperiale

Dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, le tsar Nicolas II, la tsarine Alexandra Feodorovna et leurs cinq enfants étaient exécutés par les bolchéviques. C’était il y a 100 ans.

Nuit du 16 au 17 juillet 1918. Il y a cent ans, dans la cave d’une maison de Ekaterinbourg, disparaissait Nicolas II. Le dernier tsar de toutes les Russies était exécuté avec sa famille, dans des circonstances longtemps restées mystérieuses, et qui prêtent encore à controverse de nos jours.

L’impopulaire tsar Nicolas II contraint d’abdiquer

Il faut remonter au mois de février 1917 pour trouver l’origine de cette fin tragique. A cette période, les difficultés d'approvisionnement, le froid particulièrement sévère et les défaites successives de l'armée impériale lors des combats de la Première Guerre mondiale provoquent des manifestations dans la capitale russe, Petrograd (aujourd'hui Saint-Pétersbourg). Des ouvriers en grève se joignent aux manifestants. Nicolas II déploie les troupes des garnisons de la ville, mais une partie des soldats se mutinent. Les manifestations se transforment en émeutes et poussent l'impopulaire tsar à abdiquer. Ce qu’il fait le 2 mars. Plusieurs gouvernements provisoires se succèdent alors, jusqu'à la prise de pouvoir des bolchéviques, emmenés par Lénine, en octobre.

Dans un premier temps Nicolas II cherche à s'exiler. Il se tourne, sans succès, vers son cousin George V qui règne sur le Royaume-Uni. Mais bientôt le tsar se retrouve enfermé dans le palais Alexandre à Tsarkoïe Selo, de même que son épouse la tsarine Alexandra Feodorovna et leurs cinq enfants, les grandes duchesses Olga, Tatiana, Maria et Anastasia et le tsarévitch Alexis. Puis tous les sept sont déplacés à Tobolsk en Sibérie et enfin à Ekaterinbourg, dans l'Oural, à des milliers de kilomètres du pouvoir central. Jusqu’au jour où, alarmés par l'approche de l'Armée blanche sur cette ville, les responsables bolchéviques locaux décident de se débarrasser des Romanov.

Les restes présumés de Maria et d’Alexis conservés dans des boîtes

Au petit matin du 17 juillet 1918, le commissaire de police Iakov Iourovski fait descendre la famille impériale et leurs domestiques à la cave. Il leur lit un ordre d'exécution.  «Nicolas se retourna, et stupéfait, essaya de poser une question. Iourovski répéta sa déclaration puis sans hésitation, cria: "Feu!"», raconte l'historien britannique Robert Service dans «The Last of the Tsars» publié en 2017. Nicolas, Alexandra et leurs cinq enfants sont assassinés, de même que le valet de chambre, la dame d'honneur, le cuisinier et le médecin de famille qui vivaient à leurs côtés. «Les premières balles ne tuèrent pas les plus jeunes qui furent achevés à coups de crosse et avec des balles tirées à bout portant», relate l'Eglise orthodoxe russe, qui a canonisé l'ensemble de la famille, reconnue martyre, en 2000. Les corps sont ensuite jetés à la va-vite dans une fosse commune aux environs d'Ekaterinbourg.

En 1979, des restes de l’ancien tsar, de sa femme et de trois de leurs filles, Olga, Tatiana et Anastasia, sont retrouvés par des historiens amateurs. Découverte qui n'est révélée qu'en 1991 alors que l'Union soviétique est en plein éclatement. Il faut attendre 1998 pour que les ossements soient officiellement identifiés par le gouvernement russe. Le 17 juillet de cette même année, qui marque le 80e anniversaire du décès des Romanov, ces restes sont inhumés en grande pompe dans la crypte de la cathédrale Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg. Cette exécution constitue «l'une des pages les plus honteuses de notre histoire», déclare à cette occasion le président russe Boris Eltsine. Retrouvés en 2007, les restes présumés du tsarévitch Alexis et de sa sœur Maria n'ont en revanche toujours pas été enterrés, l'Eglise doutant de leur identification. Ils attendent dans des boîtes entreposées aux Archives d'Etat.

Rien ne prouve que Lénine aurait ordonné cette exécution

Pendant de nombreuses années, des rumeurs ont circulé sur une possible survie d'une partie de la famille impériale, et notamment de la grande-duchesse Anastasia. Et plusieurs faux prétendants ont réclamé en vain une part d'héritage. En 2008, la Cour Suprême de Russie réhabilite Nicolas II et sa famille, les jugeant victimes de la répression politique bolchevique.

En janvier 2011, la justice russe clôt, pour la seconde fois, l'enquête sur l'exécution. Les enquêteurs affirment n'avoir pas trouvé d'éléments prouvant que le père de la révolution bolchevique, Lénine, ait ordonné de les tuer. «Il n'y a aucun document fiable prouvant que Lénine soit l'instigateur»,  de même pour le chef de la police régionale, Iakov Sverdlov, avait affirmé l'un des enquêteurs interrogé par l'AFP. «Cependant, lorsqu'ils ont appris que la famille entière avait été tuée, ils ont officiellement approuvé la tuerie».

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16 juillet 2018

Rafle du Vel d'Hiv - in memorem

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13 juillet 2018

Frida Kahlo

Magdalena Frida Carmen Kahlo Calderón ou Frida Kahlo, née le 6 juillet 1907 dans une démarcation territoriale (es) de l'actuelle entité fédérative de Ciudad de México, la délégation de Coyoacán, et morte le 13 juillet 1954 au même endroit, est une artiste peintre mexicaine.

Tout au long de sa vie, elle garde une santé fragile, souffrant de poliomyélite depuis l'âge de six ans puis victime d'un grave accident de bus. Elle devra subir de nombreuses interventions chirurgicales.

Après son accident, elle se forme elle-même à la peinture.

En 1922, elle falsifie sa date de naissance en 7 juillet 1910, année du début de la révolution mexicaine.

En 1929, elle épouse l’artiste Diego Rivera, mondialement connu pour ses peintures murales.

frida

7 juillet 2018

La lettre politique de Laurent Joffrin : Claude Lanzmann, le XXe siècle incarné

Claude Lanzmann arrive dans un dîner, le sourire en coin, l’œil ironique, avançant comme le pilier de rugby dont il avait la carrure : «Je n’accepterai rien d’autre qu’une admiration inconditionnelle.» Demi-plaisanterie : il cultivait une forme d’orgueil qui confinait à la vanité, tempérée par l’humour. Libé avait longuement loué Shoah à sa sortie. Il était devenu ami du journal et, fierté en miroir, nous avions retrouvé une reproduction en grand de nos papiers, punaisée sur une porte de son appartement du XIVe arrondissement. Exigeante amitié : à intervalles réguliers, sa voix traînante retentissait dans le téléphone : «Shoah est projeté demain à Limoges, (à Londres, à Valparaiso…), c’est un événement, il faut que vous en parliez !» Pour le film, comme pour les Temps modernes, Lanzmann était prêt à tout, même à se changer, lui, le cinéaste adulé, l’écrivain célébré, le journaliste et l’aventurier, en attaché de presse insistant, quémandeur, infatigable. Irritant ? Pas vraiment : luttant avec ces petits moyens pour une œuvre immense, Lanzmann avait raison. C’était un têtu, un acharné, un obsessionnel. Sans ces défauts, point de création.

Film à nul autre pareil, ni fiction ni documentaire, mais monument, Shoah explore – «comme un maniaque», disait-il – la machinerie nazie, dont la vérité se trouve, d’abord, dans les détails, rapportés avec une précision vertigineuse. Evénement, donc, parce qu’il rejette toutes les règles : plus de neuf heures d’exploration, sans une image d’archives, sans un commentaire, avec ces longs plans d’aujourd’hui, sur les lieux mêmes, où l’on ne voit que le vent, le ciel serein, la terre refermée, ces voix d’outre-mort, ces survivants en larmes, ces bourreaux piégés, ces témoins polonais qui ont tout oublié, tout occulté. Dans la longue histoire du génocide, Shoah est une borne décisive, qui rend leur réalité aux victimes et aux bourreaux leur folie minutieuse, industrielle, administrative.

Pour son voyage d’Ulysse au cœur du XXe siècle des crimes démesurés, Lanzmann laisse un héritage unique. Sa dévotion à Israël, étrangeté pour un sartrien de naissance, vient de là, avec sa longue série de films aussi forts qu’apologétiques, qui font, non approuver, mais comprendre la fragilité et les excès de cet Etat neuf né de la mémoire la plus persistante. Intellectuel, mais aussi écrivain à la plume vibrante, longuement aiguisée dans l’artisanat du «journalisme alimentaire» et ses portraits «people» tout en nuances, Lanzmann sera l’homme de ce XXe siècle qui a ébranlé la confiance en l’homme, pour le voir tout de même survivre et souvent triompher. Résistant lucide, existentialiste au sens plein du terme, journaliste zélé, cinéaste sans peur, séducteur brusque et enflammé, égocentrique tourné vers les autres, créateur entêté, Lanzmann laisse une œuvre et une vie, qui sont, autant que des objets d ’art, des objets d’histoire contondants.

LAURENT JOFFRIN

6 juillet 2018

Nécrologie : « Shoah », « Sobibor », les « Quatre sœurs » : une œuvre au service de la mémoire

lanzmann

Par Jacques Mandelbaum - Le Monde

Pas d’images d’archives, aucune reconstitution, axé sur la parole des témoins directs, rescapés des camps ou nazis, et sur les paysages du crime : avec « Shoah », film titanesque, Claude Lanzmann a bouleversé son époque.

Avec Shoah, documentaire sorti en 1985 et consacré à l’extermination des juifs durant la seconde guerre mondiale, Claude Lanzmann fut et restera l’auteur d’un film d’une envergure exceptionnelle dans l’histoire du cinéma comme dans celle des idées et des mentalités. Ce monument, d’emblée reconnu comme tel, a bouleversé son époque et il faut aujourd’hui rassembler ses souvenirs pour comprendre l’onde de choc qu’il a suscitée.

Premier choc : la portée historique du film, qui révèle par le détail au grand public l’existence et le processus d’un génocide partiellement occulté de la mémoire collective depuis l’après-guerre. Un lent travail de réappropriation de cette mémoire avait de fait commencé dès le début des années 1960, qu’il s’agisse de la tenue du procès Eichmann en Israël ou de la publication, aux Etats-Unis, de la somme de l’historien Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe.

Insoutenable réalité

Deuxième choc : la manière dont le film fait soudain advenir cet événement dans sa plus insoutenable réalité, contre la dissimulation des nazis qui en ont effacé les traces, contre le pieux oubli des nations qui l’ont laissé commettre et contre la banalisation des fictions qui le remettent au goût du jour, à l’instar du célèbre feuilleton américain Holocauste (1978). Shoah, de la même manière qu’il le configure, nomme d’ailleurs l’événement, comme pour la première fois.

Troisième choc, sans lequel tout cela serait sans doute resté nul et non avenu : la radicalité esthétique du film. C’est d’abord sa dimension titanesque. Onze années de préparation, trois cents heures de pellicule tournées, neuf heures trente de projection. Un projet littéralement fou, tenu par la volonté d’un homme seul qui consacre dix années de sa vie à parcourir le monde et les archives, à rencontrer des survivants, pour tenter de donner forme à une chose qui en est, a priori, totalement dépourvue : l’annihilation industrielle de six millions d’êtres humains, gazés, brûlés, éparpillés aux quatre vents avec les infrastructures qui ont permis au crime de s’exercer. Filmer, en un mot, le néant.

Quelques partis pris intangibles

Pour ce faire, Lanzmann se compare à un topographe. Il repère, il étudie, il mesure, il cherche à comprendre et à relier les choses entre elles. Il fait sienne la maxime de Raul Hilberg : « Je n’ai pas commencé par les grandes questions, car je craignais de maigres réponses. »

Concrètement, cela se traduit par quelques partis pris intangibles : pas une image d’archives, pas l’ombre d’une reconstitution, un film entièrement au présent fondé sur la seule parole des témoins directs (rescapés des commandos affectés aux chambres à gaz, nazis, citoyens polonais) et sur le pouvoir évocateur, jusque dans leur banalité, des lieux et des paysages du crime.

La pertinence du film, sa portée proprement pédagogique sur le mécanisme de l’extermination, doit à cette méthode à la fois modeste et scrupuleuse, qui se préoccupe davantage du comment que du pourquoi.

Sa dimension bouleversante, quasiment hallucinante, relève sans doute de raisons moins avouables. Elles tiennent à cette remarque du philosophe Jean-Luc Nancy : « Montrer les images les plus terribles est toujours possible, mais montrer ce qui tue toute possibilité d’image est impossible, sauf à refaire le geste du meurtre. »

Shoah, parce qu’il est un film qui s’efforce de regarder sans compromission ni consolation la mort en face, refait à bien des égards le geste du meurtre. Lanzmann y tient le rôle du passeur, qui extorque à ses passagers une parole ou un geste qui se révèlent vitaux pour le film. Par la ruse à l’officier nazi, par la violence aux paysans polonais, par l’insistance et la supplication aux rescapés, ces morts-vivants dont on sent bien qu’une part vitale d’eux-mêmes est restée là-bas, et qui ne doivent cesser de lutter de toutes leurs forces pour ne pas répondre à son funeste appel.

Art poétique de l’évocation

Shoah est un film qui réactive un passé monstrueux, honteux et infiniment douloureux par la force et la cruauté de sa mise en scène. Mais c’est aussi une œuvre qui émeut profondément par son art poétique de l’évocation, par sa manière de faire revenir les morts à travers le corps et la parole des vivants.

Tous ceux qui l’ont vu le savent : peu de films s’inscrivent dans la mémoire sensible comme celui-ci. Peu de films auront également été à ce point montrés dans les cinémas, les télévisions, les écoles du monde entier, ni suscité un tel nombre d’études, de commentaires, de débats, voire de polémiques.

Ces dernières, nombreuses, n’auront jamais cessé. Attisées par le caractère ombrageux du réalisateur, enflammées par la transformation de la Shoah en paradigme de la barbarie contemporaine, elles prennent des tournures souvent déraisonnables, parfois abjectes, notamment sur le terrain de la concurrence victimaire.

Les plus notables d’entre elles découlent toutefois d’un texte rédigé par Claude Lanzmann dans les colonnes du Monde à l’occasion de la sortie de La Liste de Schindler de Steven Spielberg (« Holocauste, la représentation impossible », le 3 mars 1994). Il y écrit notamment : « L’Holocauste est d’abord unique en ceci qu’il édifie autour de lui, en un cercle de flamme, la limite à ne pas franchir parce qu’un certain absolu d’horreur est intransmissible : prétendre le faire, c’est se rendre coupable de la transgression la plus grave. La fiction est une transgression, je pense profondément qu’il y a un interdit de la représentation. »

Une querelle Lanzmann-Godard

Cette formulation, sans doute maladroite dans le choix de ces termes, mais juste sur le fond, déclenche à plus ou moins long terme des débats entre historiens sur l’unicité de la Shoah, et des controverses esthétiques autour de la représentation du génocide.

Sur un autre versant, celui de l’existence possible d’images de l’extermination, de la valeur qu’il convient de leur accorder et de l’usage qu’il convient d’en faire, une sourde querelle oppose Claude Lanzmann à Jean-Luc Godard, le premier prônant la destruction, le second espérant la rédemption. Faute d’un terrain d’entente, les deux hommes ne se rencontreront jamais sur Arte, qui leur propose, à l’invitation du philosophe Bernard-Henri Lévy, de filmer ce débat en 1998.

Si ces polémiques n’entament en rien la valeur et le génie intrinsèques de Shoah, elles sont en revanche une indication de ce qui change avec le temps dans la perception du film comme de l’événement qu’il évoque. Shoah cristallise en 1985 une prise de conscience, il est perçu, notamment par les cinéphiles, comme une inquiétude critique qui se situait dans la droite ligne du cinéma moderne et comme un moment en quelque sorte indépassable de la représentation du génocide.

Les choses ont changé

Dix ans plus tard, en dépit des signes de reconnaissance manifestés à l’égard de Claude Lanzmann par de jeunes cinéastes français tels qu’Arnaud Desplechin ou Arnaud des Pallières, les choses ont pourtant déjà changé. L’inflation mémorielle autour de la Shoah, la prolifération des travaux sur le sujet, la fiction classique, et le plus souvent médiocre, qui s’en empare de plus belle au cinéma, tout cela signifie sans doute que l’événement commence tout bonnement à entrer dans l’Histoire.

Mais Shoah ne doit pas faire oublier que son auteur a réalisé d’autres films, qui lui sont plus ou moins directement liés. En amont, il y a eu, dès 1973, Pourquoi Israël, documentaire passionnant sur l’existence de l’Etat d’Israël qui signe ses débuts de réalisateur. Le film, qui reconstitue le choc ressenti par Lanzmann vingt ans plus tôt lors de la découverte du pays, est une interrogation pleine d’empathie et de finesse sur l’hypothétique définition d’une normalité juive. C’est aussi une œuvre mosaïque sur les tensions et les contradictions de cet Etat où cohabitent de manière un peu miraculeuse des communautés, des croyances, des manières de penser radicalement différentes.

A la lisière du cadre

Lanzmann, en y imprimant sans doute beaucoup de sa personnalité, inaugure ici un style cinématographique qui a plus à voir avec l’essai subjectif et poétique qu’avec le documentaire classique. C’est une manière bien à lui de se tenir à la lisière du cadre, d’affirmer une présence opiniâtre, tantôt revêche, tantôt séduisante, de bousculer allègrement les règles du récit et de la pseudo-objectivité pour mieux pénétrer au cœur des choses.

En aval, il y aura ensuite Tsahal (1994), une mise en perspective, sans doute plus discutable, de l’armée israélienne, du rôle qu’elle a joué dans les différentes guerres menées par le pays, et plus encore de sa signification symbolique dans le processus de reconquête de l’Histoire, et partant de la violence, menée par le peuple juif au cours du XXe siècle.

Mais il y aura surtout eu les cinq films tirés de l’immense matériau laissé en friche par Shoah, et qui sont bien davantage que des séquelles de cette œuvre matricielle. Le premier est Un vivant qui passe (1997), long et édifiant entretien mené avec Maurice Rossel, un représentant de la Croix-Rouge qui avait visité, durant la seconde guerre mondiale, les camps d’Auschwitz et de Theresienstadt pour rédiger à son retour un rapport totalement insignifiant sur la situation. Une parabole sur l’incapacité du regard à surmonter l’aveuglement idéologique, doublé d’une radicale mise en doute du caractère d’évidence attaché au visible.

Fureur

Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures (2001) évoque ensuite, à travers le récit du rescapé Yehouda Lerner, personnage à la fois héroïque, brisé et bouleversant, le soulèvement « réussi » des déportés dans le camp d’extermination de Sobibor. C’est un film lyrique, élégiaque, qui met en scène avec une folle élégance la dignité retrouvée d’un peuple de parias.

Le Rapport Karski (2010) naît d’une polémique violente, comme savait les nourrir Claude Lanzmann. Tout part du roman Jan Karski, de Yannick Haenel, paru en septembre 2009, qui s’approprie la figure historique de Karski, cet émissaire de la résistance polonaise qui avertit en vain les alliés du génocide en cours. Le romancier se prévaut de la fiction pour faire tenir à Karski des propos mettant en cause la complicité des alliés dans le génocide.

Fureur de certains historiens, fureur de Lanzmann également, qui avait longuement interrogé Karski pour Shoah, dans lequel il se montre bouleversant. Le cinéaste décide de montrer des passages restés inédits de cet entretien, touchant plus précisément à la rencontre de Karski avec les dirigeants alliés, dans un film délibérément destiné à ruiner l’intuition du romancier qui sera diffusé sur Arte.

Une mémoire opiniâtre

Le Dernier des injustes (2013) est quant à lui centré autour de la figure du rabbin viennois Benjamin Murmelstein, dernier « doyen » du Conseil juif de Therensienstadt, ce camp-vitrine utilisé par les nazis pour donner le change à l’opinion mondiale.

Le témoignage de Murmelstein, longuement rencontré à Rome par Lanzmann en 1975, ne sera finalement pas retenu dans Shoah. Quelque quarante ans plus tard, le cinéaste l’exhume pour signer un film de trois heures quarante, amer, brûlant, irrémissible, qui prend tout à coup une forte dimension testamentaire.

Lanzmann se place, avec la question des dirigeants juifs des ghettos, au cœur de la perversité nazie en même temps que d’une interminable polémique historique et morale. Il s’investit de surcroît comme jamais dans ce film, tant en termes de présence à l’écran que de prise de parole. Le vertige du film réside donc moins dans la terrible lucidité de Murmelstein que dans la manière dont la présence de Lanzmann, devenu un vieillard non moins intraitable, lui fait intimement écho quarante ans plus tard.

Attentat contre la survie

Ultime, mais non moins bouleversant matériau inédit prélevé par l’auteur aux rencontres insensées qui firent naître Shoah : Les Quatre Sœurs, diffusé en janvier 2018 sur la chaîne Arte. Ce long récit enchaîne le témoignage de quatre femmes survivantes, parole féminine de fait rare dans le film princeps, quand bien même deux d’entre elles y intervenaient déjà, mais de manière très concise.

Avec elles, un autre point de douleur d’un martyre qui ne fut que souffrances apparaît, le pire peut-être, qui tient à la proximité des femmes avec les enfants, avec leurs enfants, et qui désigne le crime nazi comme un attentat concerté non seulement contre la vie, mais au-delà encore, contre la survie.

Ainsi, à l’heure où la Shoah, cet événement qu’il contribua comme aucun autre à faire connaître et reconnaître, entrait dans la zone froide de l’Histoire, Lanzmann posait à son tour en « dernier des injustes », en « dinosaure sur l’autoroute », inquiétant le monde de sa présence et de sa mémoire opiniâtres, perclus dans son refus d’apaiser l’abjection accablant depuis lors l’humanité.

Quelque chose s’avouait ainsi, in fine, du rapport intime de l’homme et de l’œuvre. Pour l’universaliste et républicain convaincu que fut Lanzmann, mais aussi bien pour le juif sartrien dépossédé par l’Histoire de sa culture et de son identité, cette œuvre fut sûrement, de manière plus significative qu’il ne l’aura laissé paraître, un mouvement vivant et profond de reconquête personnelle et de lien restauré à la communauté martyrisée de ses ancêtres.

Chronique du destin juif au XXe siècle

Si tous ces films, qui constituent le noyau brûlant de son œuvre, esquissent une chronique du destin juif au XXe siècle, il n’en reste pas moins que l’un des derniers opus de Claude Lanzmann, homme décidément surprenant, quitte les rives du judaïsme pour nous emmener en Corée du Nord, à la poursuite d’un souvenir amoureux évoqué dès 2009 dans sa belle autobiographie, Le Lièvre de Patagonie.

En 2017, à l’âge de 91 ans, Lanzmann, vert vieillard et père récemment accablé par la mort d’un fils, signe ainsi Napalm, un documentaire totalement déconcertant qui sort discrètement au cinéma, relatant la brève passion sans lendemain qu’il vécut avec une infirmière lors du premier voyage d’une délégation occidentale en Corée du Nord en 1958.

Rien ne filtre dans le film de son compagnonnage avec le Parti communiste, guère plus sur ses propres compagnons de voyage qui s’appellent notamment Chris Marker ou Armand Gatti, mais au centre du film un récit à la première personne, assumé, torride, sensuel, tendu, sur cet amour interdit, sur cette femme marquée dans sa chair par le napalm et qui ne devait plus cesser de brûler sa mémoire.

La marque irrémissible de la mort combattue jusqu’au dernier souffle par la rage inextinguible de vivre : telle fut bien la marque de fabrique de Claude Lanzmann.

6 juillet 2018

Claude Lanzmann, le réalisateur de « Shoah », est mort

liberation

Par Franck Nouchi, Médiateur du Monde

Le cinéaste, défenseur acharné de la cause d’Israël, était aussi écrivain, journaliste et philosophe.

L’idée même de la mort lui paraissait scandaleuse. Ayant eu 90 ans en 2015, il comprit qu’il ne pourrait pas lui échapper. « La mort est là, elle peut arriver à tout moment, disait-il. La statistique est contre moi. C’est très mal. » Contredisant Heidegger, Claude Lanzmann ajoutait : « Mourir n’a rien de grand. C’est la fin de la possibilité d’être grand, au contraire. L’impossibilité de toute possibilité. »

Comme un volcan qui se serait endormi, Claude Lanzmann est mort à Paris jeudi 5 juillet à l’âge de 92 ans, a appris Le Monde auprès de son entourage. Il serait dommage de ne retenir de lui qu’un seul film – un chef-d’œuvre, il est vrai : Shoah. Certes, il fut un cinéaste majeur, l’un de ceux qui ont marqué à jamais l’histoire du cinéma ; mais il fut aussi écrivain, journaliste, philosophe, directeur des Temps Modernes, ami de Sartre, compagnon de Simone de Beauvoir… la liste est loin d’être exhaustive.

Cet homme qui, selon l’expression de son ami Didier Sicard, « donna au peuple juif la sépulture qui lui manquait » en réalisant Shoah, connut, peu avant de mourir, l’épreuve la plus douloureuse qui se puisse imaginer : la mort de son fils Félix, qui, le 13 janvier 2017, fut emporté, à 23 ans, par un cancer.

Le père, portrait craché du fils

Rien de mieux pour connaître la vie de Claude Lanzmann que de lire son maître livre, Le Lièvre de Patagonie (Gallimard, 2009). En voici quelques notations, qui aideront à mieux comprendre qui était cet homme.

Il naquit le 27 novembre 1925 à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine). Sa mère, Paulette (qui en réalité s’appelait Pauline), bégayait, car en 1903, à l’âge de 3 mois, on l’avait étouffée avec un oreiller afin qu’elle puisse embarquer clandestinement depuis le port d’Odessa sur un navire à destination de Marseille. Après le terrible pogrom de Kichinev (aujourd’hui Chisinau), Yankel Grobermann, le grand-père maternel de Claude, s’était résolu comme beaucoup d’autres juifs à fuir vers l’Ouest. Parvenue à Paris au prix de mille difficultés, la famille Grobermann s’installa sur la barrière de Clichy, la « zone », disait-on à l’époque.

Né en 1874 à Wilejka – un shtetl, communauté villageoise juive, aux environs de Minsk, en Biélorussie –, Itzhak Lanzmann, le grand-père paternel de Claude, partit à l’âge de 13 ans pour Berlin, où il apprit le métier de tailleur. Puis, il se rendit en France, où il rencontra Anna, elle-même née à Riga. Comme beaucoup de commerçants juifs d’avant-guerre, Itzhak avait changé son prénom pour celui, « plus policé et complètement gratuit », de Léon. Léon, dira plus tard Lanzmann, « je l’ai connu longtemps et aimé aussi longtemps que je l’ai connu. Il ressemblait trait pour trait à Charlie Chaplin ».

Quant à Armand, le père de Claude, « il était bel homme, se souvenait Lanzmann. Il demeura mince toute sa vie, aimait le sexe et les femmes autant qu’il leur plaisait ». Le portrait craché de son fils, en somme. La minceur exceptée.

Découverte de l’antisémitisme

1934 : les parents Lanzmann divorcent. Avec leur père, les trois enfants (Claude, Jacques et Evelyne) partent vivre à Brioude, en Haute-Loire. Retour à Paris en 1938. Année au cours de laquelle, au lycée Condorcet, Claude découvre l’antisémitisme :

« Caché derrière un pilier de la cour de récréation, j’assistai, pétrifié, sans intervenir et craignant d’être découvert, au quasi-lynchage d’un grand rouquin juif nommé Lévy. »

« La peur régnait », ajoute Lanzmann. En classe, tandis qu’un professeur commentait « la livre de chair » de Shylock, dans Le Marchand de Venise, un condisciple se retourne vers Claude et lui susurre : « Mais, toi aussi, tu es un petit juif. » « Au lieu de bondir et de le gifler, je protestai et niai (…) : Mais non, je ne suis pas juif. »

Dans Le Lièvre, Lanzmann se souvient :

« Celui qui m’a guéri et délivré de la honte en me faisant comprendre ce qui m’était arrivé s’appelle Jean-Paul Sartre. »

Sartre, « le plus grand écrivain français », dont, après la guerre, il dévora les Réflexions sur la question juive : « Je me sentais littéralement revivre à chacune de ses lignes ou, pour être plus précis, autorisé à vivre », dira Lanzmann.

Et puis ce fut la guerre. A 18 ans, interne au lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, Claude Lanzmann adhère aux Jeunesses communistes et devient l’un des organisateurs de la Résistance de Clermont-Ferrand. Après la Libération, retour à Paris. Il retrouve sa mère et son compagnon, Monny de Boully.

Janvier 1945 : à l’hypokhâgne de Louis-le-Grand, Lanzmann devient l’ami de Jean Cau ; échoue à Normale-Sup ; choisit comme sujet pour son diplôme d’études supérieures de philosophie : « Les possibles et les incompossibles dans la philosophie de Leibniz ». Avec, plus tard, ce commentaire : « Incompossible, cela veut dire qu’il y a des choses qui ne sont pas possibles ensemble, élire l’une, c’est interdire à l’autre d’exister. Tout choix est un meurtre, on reconnaît, paraît-il, les chefs à leur capacité meurtrière, on les appelle des “décideurs”, on les paie pour cela très cher. Ce n’est pas un hasard si Shoah dure neuf heures trente. »

Le suicide de sa sœur

1946 : c’est à la fois l’année de la rencontre avec l’actrice Judith Magre (qu’il épousera en 1963), et celle du suicide, le 18 novembre, d’Evelyne, la sœur de Claude, une merveilleuse actrice qui eut des relations amoureuses avec Sartre, Deleuze, Rezvani et le médecin et psychanalyste Norbert Bensaïd. Constatant l’état ravagé de Lanzmann après ce drame, Claude Day, une amie de Sartre, lui écrivit : « Vous vous trompez, vous oublierez, la vie l’emporte toujours. »

« Elle avait raison. Et tort. Je n’ai rien oublié, j’ai vécu. Mais les novembres ne me valent rien, c’est le mois de la mort d’Evelyne, c’est aussi celui de ma naissance. »

1947 : sur les conseils de son ami Michel Tournier, Lanzmann part étudier la philosophie à l’université de Tübingen, en Allemagne. Découvre Berlin, dont il dira plus tard : « J’aimais, j’aime toujours Berlin et je n’en aurai jamais fini avec l’énigme que l’ex-capitale du Reich représente pour moi. »

De retour en France, il lui faut gagner sa vie. Il est engagé par Pierre Lazareff et Charles Gombault comme « nègre » et « rewriter » dans le groupe de presse qu’ils dirigent. Toujours « habité » par l’Allemagne, il y repart avec l’accord de Lazareff, passe en RDA en se recommandant du Monde et finit par écrire une dizaine d’articles que la direction de France-Soir refuse. Sous le titre « L’Allemagne derrière le rideau de fer », Le Monde les publie. Sartre les apprécie et propose à Lanzmann d’assister aux réunions des Temps modernes.

Les narines de Beauvoir

Il y a là Merleau-Ponty, Jean Cau, Jean Pouillon, Jacques-Laurent Bost, Francis Jeanson, François Erval, Roger Stéphane. Et, bien sûr, Simone de Beauvoir. « Nous y voilà, écrit Lanzmann dans Le Lièvre. J’ai aimé aussitôt le voile de sa voix, ses yeux bleus, la pureté de son visage et plus encore celle de ses narines. »

Avril 1952 : sous le pseudonyme de David Gruber, Lanzmann publie son premier article dans les Temps modernes : « La presse de la liberté ». Trois mois plus tard, en juillet, il part pour la première fois en Israël. La veille du départ, il invite Beauvoir à aller au cinéma. Plutôt que de voir un film, ils vont dans le studio que Beauvoir occupe alors au dernier étage du 11, rue de la Bûcherie :

« Nous contemplâmes Notre-Dame nocturne et irréelle. Je ne sais plus si nous dînâmes, ce qui advient après a occulté le reste. Je la pris dans mes bras, nous étions aussi émus et intimidés l’un que l’autre. Nous restâmes longtemps enlacés après avoir fait l’amour. Elle posa sa tête sur ma poitrine et me dit : “Oh ! ton cœur, comme il bat !” »

Dans Le Lièvre de Patagonie, Lanzmann résume ainsi le rapport qu’il entretient avec le judaïsme et Israël :

« En un sens, je suis un vieux Français, d’une francité ancienne, bien plus ancienne en tout cas que celle de beaucoup de juifs français. Mon père est né à Paris le 14 juillet 1900, ma famille est en France depuis la fin du XIXe siècle, je m’éprouve si solidement Français, oserais-je dire, qu’Israël n’a jamais été un problème pour moi, comme il a pu l’être pour des juifs d’assimilation plus récente, arrivés en France entre les deux guerres ou après la seconde guerre mondiale (…) La rencontre avec Israël me dévoilait d’un même mouvement Français et Français de hasard, pas du tout “de souche”. »

Mais pourquoi n’avoir pas, comme le lui suggérait un ami, décidé d’étudier les Textes ? Il écrit :

« Je ne l’ai pas fait en effet. Je ne pouvais pas le faire. Ce n’était pas paresse, mais bien plutôt un choix originel, un acte de conscience non thétique qui engageait mon existence entière. Je n’aurais jamais réalisé “Pourquoi Israël” ou “Tsahal” si j’avais choisi de vivre là-bas, si j’avais appris l’hébreu, si je m’étais mis “à l’étude”, en un mot, si l’intégration avait été mon but. De même, je n’aurais jamais pu consacrer douze années de ma vie à accomplir une œuvre comme “Shoah” si j’avais été moi-même déporté. Ce sont là des mystères, ce n’en sont peut-être pas. Il n’y a pas de création véritable sans opacité, le créateur n’a pas à être transparent à soi-même. »

Le 7 octobre 1973, Pourquoi Israël est projeté au Festival de New York. Lors de la conférence de presse, une journaliste l’interpelle : « Mais enfin, monsieur, quelle est votre patrie ? Est-ce la France ? Est-ce Israël ? » Sa réponse fuse : « Madame, ma patrie, c’est mon film. »

Revoir ses films

Ainsi était Claude Lanzmann, militant anticolonialiste – sartrien jusqu’au bout des ongles – et défenseur acharné de la cause d’Israël. Admirateur à la fois de l’écrivain et psychiatre martiniquais Frantz ­Fanon, figure emblématique du tiers-mondisme, et de Menahem Begin, premier ministre d’Israël de 1977 à 1983.

Pour en comprendre l’importance, outre la lecture du Lièvre de Patagonie, il faut voir et revoir ses films : Pourquoi Israël (1973), Shoah (1985), Tsahal (1994), Un vivant qui passe (1999), Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures (2001), Le Rapport Karski (2010), Le Dernier des injustes (2013), Napalm (2017), Les Quatre Sœurs (2018).

Les plus grands cinéastes, Arnaud Desplechin, Luc Dardenne, Steven Spielberg, Quentin Tarantino, tant d’autres encore, ont dit – et écrit, en particulier dans un ouvrage collectif intitulé Claude Lanzmann, un voyant dans le siècle (Gallimard, 2017) – leur admiration pour l’auteur de Shoah.

Retenons simplement ce qu’écrivait Simone de Beauvoir, dans Le Monde (du 28-29 avril 1985) à propos de Shoah. Qualifiant le film de « pur chef-d’œuvre », elle écrivait :

« Il y a de la magie dans ce film, et la magie ne peut pas s’expliquer. Nous avons lu après la guerre des quantités de témoignages sur les ghettos, sur les camps d’extermination ; nous étions bouleversés. Mais, en voyant aujourd’hui l’extraordinaire film de Claude Lanzmann, nous nous apercevons que nous n’avons rien su. Malgré toutes nos connaissances, l’affreuse expérience restait à distance de nous. Pour la première fois, nous la vivons dans notre tête, notre cœur, notre chair. Elle devient la nôtre. Ni fiction, ni documentaire, “Shoah” réussit cette recréation du passé avec une étonnante économie de moyens : des lieux, des voix, des visages. Le grand art de Claude Lanzmann est de faire parler les lieux, de les ressusciter à travers les voix et, par-delà les mots, d’exprimer l’indicible par des visages. »

Pour l’historien Pierre Vidal-Naquet, en réalisant Shoah, Claude Lanzmann a fait entrer dans l’histoire l’enseignement de Marcel Proust, « la recherche du temps perdu comme temps perdu et retrouvé tout à la fois ». « Entre le temps perdu et le temps retrouvé, ajoutait-il, il y a l’œuvre d’art, et l’épreuve à laquelle “Shoah” soumet l’historien, c’est cette obligation où il se trouve d’être à la fois un savant et un artiste, sans quoi il perd, irrémédiablement, une fraction de cette vérité après laquelle il court. »

Un soir, alors qu’il était déjà très affaibli par son cancer, François Mitterrand pria Claude Lanzmann de venir le voir à l’Elysée. « Lanzmann, qu’est-ce que la mort ? », demanda le chef de l’Etat. « C’est un scandale absolu, monsieur le président. »

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