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Jours tranquilles à Paris
13 décembre 2018

A Amsterdam, le Musée Anne Frank rénové pour entretenir la mémoire

Par Jean-Pierre Stroobants, Amsterdam, Envoyé spécial - Le Monde

Avec son 1,2 million de visiteurs annuels, la Maison Anne-Frank d’Amsterdam reste l’une des institutions les plus visitées des Pays-Bas. Pourquoi, dès lors, consacrer deux ans de travaux et 12 millions d’euros à sa refonte ? Sans doute parce que, pour les plus jeunes générations, le souvenir de la vie tragique d’« Annelein » – c’est ainsi que l’appelait son père, Otto – et de sa mort au camp de Bergen-Belsen en Allemagne, s’estompe.

« Nous voulions plus, et mieux, expliquer l’histoire », souligne Ronald Leopold, le directeur de la Fondation. Car les jeunes Européens ne se distinguent sans doute pas fondamentalement des Américains, dont une récente étude a indiqué qu’ils étaient désormais 70 % à ne jamais avoir entendu parler d’Auschwitz. Estimant que l’époque des « temps incertains » que nous vivons doit pousser à « se souvenir, réfléchir, agir », le directeur ne cache pas, par ailleurs, sa volonté de contribuer à la défense des valeurs et à l’acceptation des différences.

La célèbre « Annexe » du 263 Prinsengracht a donc été transformée pour devenir, au-delà du lieu emblématique où vécut, recluse, la famille Frank, de juin 1942 à août 1944, un lieu de témoignage, d’éducation et d’information sur la Shoah et les camps d’extermination. Sans être un autre Musée de l’Holocauste, insiste M. Leopold, mais « avec la volonté d’illustrer cette période sombre au travers du prisme d’une famille ».

Si, au premier abord, le bâtiment qui a abrité huit personnes dans des pièces situées au-dessus et à l’arrière des bureaux de l’entreprise Opekta d’Otto Frank, détaillées par Anne dans son célèbre Journal, n’a pas vraiment changé, la direction a osé quelques transformations notables.

Querelles d’héritage

Le sens du parcours a été inversé, le visiteur peut désormais bénéficier d’explications avec un audioguide – ce à quoi la Maison s’était refusée jusque-là –, la salle abritant le Journal a été totalement transformée afin de mettre celui-ci à l’abri de toute atteinte lumineuse et des vibrations. Un nouveau système permet aussi de réguler les entrées (de 80 à 90 personnes par quart d’heure) pour remédier à la longue file d’attente qui caractérisait le lieu.

L’émotion reste en tout cas très présente pour celui qui découvre, par exemple, les marques au crayon tracées sur un mur pour noter la croissance d’Anne et de sa sœur Margot, jusqu’à ce qu’elles soient dénoncées, arrêtées et promises à un voyage sans retour.

L’espace où vivaient les huit occupants, masqué par une armoire amovible, est, lui, resté intact. Et les pièces, vidées de leurs meubles après les arrestations de 1944 demeurent, elles aussi, telles quelles. Le vide marquant évidemment le départ des occupants et symbolisant aussi le sort d’une capitale qui se vida de 70 000 âmes durant la seconde guerre mondiale.

LA SALLE ABRITANT LE « JOURNAL » A ÉTÉ TOTALEMENT TRANSFORMÉE AFIN DE METTRE CELUI-CI À L’ABRI DE TOUTE ATTEINTE LUMINEUSE ET DES VIBRATIONS

Inauguré récemment par le roi des Pays-Bas Willem-Alexander, le « nouveau » musée devrait aussi faire oublier des épisodes tristes, ou nauséeux, survenus au cours des dernières années.

Comme la chute, après une violente rafale, du marronnier qui jouxtait l’Annexe, en 2010 : la jeune Anne avait décrit dans son livre cet arbre symbole vieux de cent cinquante ans. L’épisode avait plongé le royaume dans l’émotion, sans doute parce qu’il rappelait de trop mauvais souvenirs. Et il aura fallu, en 2010 également, attendre la mort de Miep Gies, 100 ans, pour que cessent les calomnies à l’encontre de cette réfugiée autrichienne, arrivée aux Pays-Bas à l’âge de 13 ans. Elle qui avait aidé les Frank et leurs amis fut accusée à tort de les avoir livrés aux nazis.

Présence très officielle du chef de l’Etat

Des querelles d’héritage sont par ailleurs survenues entre, d’une part, la fondation gérant la Maison et, d’autre part, le fonds établi à Bâle (Suisse), dirigé par Buddy Elias, un cousin d’Anne. Ils s’opposaient rudement sur la gestion des archives mais aussi sur la manière de continuer à évoquer au mieux le drame, par trop symbolique, de la famille Frank.

Une pièce de théâtre, montée en 2014 à Amsterdam, a elle aussi ravivé les polémiques, même si ce spectacle à grande échelle s’est finalement révélé très respectueux de l’esprit du Journal et de la volonté d’Otto Frank – le seul rescapé de la déportation – de protéger la mémoire de sa fille.

Au-delà, la relance du musée, rehaussée de la présence très officielle du chef de l’Etat, marque sans doute aussi un tournant dans l’histoire des Pays-Bas, cet Etat réputé philosémite parce qu’il a abrité, dès le XVIIe siècle, des juifs venus de partout, mais qui, entre 1940 et 1945, accepta des déportations massives. Les autorités de l’époque admirent rapidement d’exclure les juifs de la politique, de la fonction publique ou des universités, avant de tolérer la confiscation de leurs biens et leur complète spoliation.

Le fait que les Frank aient été plus que probablement dénoncés par un policier ou un indicateur néerlandais a toujours ajouté au malaise d’un pays qui a longtemps voulu ignorer cette part de son histoire. Celle qui s’est conclue par le fait qu’un quart seulement des juifs des Pays-Bas ont été sauvés de la déportation, contre la quasi-totalité d’entre eux au Danemark, les trois quarts en France et la moitié en Belgique.

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7 décembre 2018

Nécrologie - Joseph Joffo, l’auteur d’« Un sac de billes », est mort

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Avec vingt millions d’exemplaires vendus dans le monde, son roman autobiographique, récit de la survie de deux enfants juifs dans la France occupée, fut un incroyable succès.

Joseph Joffo, auteur du célèbre roman autobiographique Un sac de billes, est décédé à l’âge de 87 ans, a annoncé sa famille, jeudi 6 décembre.

L’écrivain, originaire de Paris, était malade depuis quelques années. Il est décédé à Saint-Laurent-du-Var (Alpes-Maritimes), où il était hospitalisé, a précisé à l’AFP Franck Joffo, l’un de ses fils.

Un sac de billes, écrit en 1973 avec Claude Klotz et publié chez Jean-Claude Lattès, raconte comment à 10 ans, enfant juif de Paris, il a fui les nazis avec son frère Maurice sous la France occupée par l’armée allemande pendant la seconde guerre mondiale.

Long périple jusqu’à Nice

Né à Paris le 2 avril 1931 d’un père coiffeur et d’une mère violoniste, immigrés russes qui s’étaient installés dans le quartier de Montmartre, son enfance s’écoule heureuse jusqu’à l’Occupation, où elle bascule dans le drame.

Comme il l’avait raconté avec beaucoup de pudeur et de tendresse dans son célèbre roman, il doit fuir Paris en 1942 avec son frère plus âgé pour se réfugier en zone libre, alors que la nasse se renferme petit à petit sur les juifs de la France occupée.

Démarre alors un long périple jusqu’à Menton puis Nice où leurs parents les rejoignent. Mais la trêve n’est que de courte durée. En 1943, les Allemands envahissent la zone et les Joffo s’enfuient de nouveau.

Maurice et lui sont arrêtés par la Gestapo, à l’hôtel Excelsior. Sommés de prouver qu’ils ne sont pas juifs, ils n’échappent à une probable déportation que grâce à un prêtre qui leur fournit des certificats de baptême. Suivront d’autres épreuves où leur débrouillardise leur permettra de survivre, jusqu’à la Libération. Leur père n’a pas cette chance : arrêté également, il est déporté à Auschwitz d’où il ne reviendra jamais.

Joseph avait respecté la tradition familiale en reprenant le salon de coiffure de son père. Avec un talent reconnu : avec ses frères, il en ouvrira une douzaine dans la capitale. « J’étais le meilleur coiffeur de Paris. Tout le monde venait chez moi, de Delon à Belmondo… Je me souviens un jour de cette formidable brochette : Pierre-Christian Taittinger, François Mitterrand, Jacques Chirac et Bernadette… Je regrette de ne pas avoir fait la photo », avait-il raconté l’an dernier au Parisien.

Sensibiliser les jeunes aux dangers de l’antisémitisme

C’est près d’une vingtaine d’années après les faits, qu’il rédige Un sac de billes sur un cahier d’écolier. Il est refusé par une quinzaine de maisons d’édition, avant que Jean-Claude Lattès ne le lance, en publiant le livre en 1973, écrit avec l’aide de Claude Klotz (Patrick Cauvin).

« Quand j’ai écrit ce livre, c’était juste pour raconter ma vie à mes enfants et mes petits-enfants. Cela m’a permis d’exorciser ces années », avait-il expliqué au Parisien.

Le livre fut un incroyable succès de librairie. Traduit en dix-huit langues, il a été vendu à près de vingt millions d’exemplaires dans une vingtaine de pays et a été adapté à de nombreuses reprises, notamment au cinéma (en 1973 par Jacques Doillon, puis l’an dernier par Christian Duguay).

Un sac de billes a aussi été étudié à l’école par des générations de jeunes Français. Joseph Joffo avait lui-même donné de nombreuses conférences dans des établissements scolaires, pour sensibiliser les jeunes aux dangers de l’antisémitisme et du racisme.

D’autres romans témoignages ont suivi, comme Anna et son orchestre (1975) où il relate la jeunesse de sa mère, Baby-foot (1977), la suite d’Un sac de billes, ou encore La Jeune fille au pair (1984) qui retrace l’arrivée d’une jeune fille au pair allemande juste après la guerre dans une famille juive. Son dernier roman, Le Partage, était paru en 2005.

5 décembre 2018

Johnny Hallyday

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Johnny Hallyday, de son vrai nom Jean-Philippe Smet, né le 15 juin 1943 dans le 9e arrondissement de Paris et mort le 5 décembre 2017 à Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine), est un chanteur, compositeur et acteur français.

Durant ses 57 ans de carrière, il s'impose comme un des plus célèbres chanteurs francophones et une des personnalités les plus présentes dans le paysage médiatique français.

S'il n'est pas le premier à chanter du rock en France, il est, à partir de 1960, le premier à populariser le rock 'n' roll dans l'Hexagone. Les différents courants musicaux auxquels il s'adonne – le rock 'n' roll, la pop, le rhythm and blues, la soul, le rock psychédélique – puisent tous leurs origines dans le blues. Bien qu'il interprète de nombreuses chansons de variété, de ballades et parfois de country, le rock reste sa principale référence.

Sa longévité au premier plan de la scène artistique et ses prestations vocales et scéniques lui attirent la reconnaissance de ses pairs et du public. Au total, il réalise 80 albums, dont 51 albums studio. Il totalise 6 disques de diamant, 40 disques d'or, 22 disques de platine et 10 Victoires de la musique. En dehors des pays francophones, s'il ne parvint pas à s'imposer durablement malgré plusieurs tournées à succès, notamment en Amérique du Sud, sa réputation d'homme de scène franchit les frontières. Il effectue ainsi 184 tournées et donne plus de 3 250 concerts, totalisant 29 millions de spectateurs, avec des prestations à gros budgets et effets scéniques.

Alors qu'il est atteint d'un cancer du poumon, il effectue sa dernière tournée en juin et juillet 2017, aux côtés de ses amis Jacques Dutronc et Eddy Mitchell, avec qui il a formé le trio des Vieilles Canailles. Sa mort, survenue quelques mois plus tard des suites de sa maladie, donne lieu à un important hommage populaire. Au moment de sa mort, les ventes de ses disques se chiffrent à 110 millions d'exemplaires.

jojo

5 décembre 2018

Deuil national aujourd'hui aux Etats Unis

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4 décembre 2018

George H. W. Bush, ancien président des Etats-Unis, est mort

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1 décembre 2018

La comédienne Maria Pacôme est morte à l'âge de 94 ans

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La comédienne Maria Pacôme est morte à l'âge de 94 ans, annonce samedi 1er décembre sa famille à l'AFP. L'actrice a joué dans de nombreux films et pièces de théâtre. Elle a incarné notamment la directrice de la "boîte à bac" dans Les Sous-doués et la mère de Victor dans La Crise.

1 décembre 2018

1er décembre 1955 : Rosa Parks refuse de céder sa place dans l’autobus…

Le 1ᴱᴿ décembre 1955, Rosa Parks a 42 ans. Cette couturière noire termine sa journée de travail très fatiguée, comme elle le rapporte plus tard. Pour retourner à la maison, elle prend l’autobus à Montgomery en Alabama, un bastion de la ségrégation raciale du sud-est des États-Unis. Assise à l’avant de l’autobus, elle refuse de se lever pour céder sa place à un homme blanc. Le chauffeur contacte alors la police et elle est emprisonnée.

Le 5 décembre suivant, Rosa est jugée et mise à l’amende. Cette sanction provoque une réaction de boycott des autobus de Montgomery. La direction du boycott est assumée par Martin Luther King, un jeune pasteur noir peu connu à l’époque. Le mouvement revendique la liberté pour les Noirs comme pour les Blancs de s’asseoir où ils veulent dans les autobus, la courtoisie des chauffeurs à l’égard de tous les passagers ainsi que l’embauche de chauffeurs noirs.

Cet évènement marque le début de la campagne pour les droits civiques. Les revendications pour l’égalité raciale vont prendre de l’ampleur, d’abord aux États-Unis, ensuite à travers le monde. Plusieurs historiens qualifient Rosa Parks de « la femme qui s’est tenue debout en restant assise ». Son geste symbolise la force de la non violence dans la lutte pour l’égalité raciale.

nora

1 décembre 2018

Nécrologie - George H. W. Bush, ancien président des Etats-Unis, est mort

Par Alain Frachon - Le Monde

L’ex-président républicain de 1989 à 1993 est mort vendredi à l’âge de 94 ans. Son mandat a été marqué par la fin de la guerre froide et la réunification de l’Allemagne.

Juillet 1990, l’été est chaud – et va le devenir plus encore. A mi-course d’un mandat paisible, sans grand relief, George H. W. Bush s’apprête à aller golfer dans sa patricienne résidence du Maine, à Kennebunkport. Les sondages sont médiocres, la bataille du budget 1991 est mal engagée, mais cela relève de la routine politique.

Tout n’irait pas trop mal pour cet aimable partisan du gouvernement minimum, si l’Irakien Saddam Hussein, enivré de son demi-succès dans la guerre contre l’Iran, puissamment armé par les Russes et les Occidentaux, ne cédait à son désir de domination régionale : le 2 août, les chars irakiens envahissent le Koweït. L’Irak double sa capacité pétrolière ; Saddam Hussein va acquérir les moyens de ses ambitions guerrières.

« Nous ne le permettrons pas. » George Bush est catégorique : les Etats-Unis useront de tous les moyens, y compris la force, pour que le Koweït recouvre sa souveraineté. Le reste de l’histoire est connu : ayant dépêché près d’un demi-million d’hommes en Arabie saoudite, brillamment assemblé une coalition hétéroclite de pays arabes et occidentaux, enfin s’étant assurés de la neutralité de l’Union soviétique (URSS), les Etats-Unis boutent Saddam Hussein hors du Koweït lors de l’opération « Tempête du désert » (du 17 janvier au 28 février 1991).

A l’origine de la détermination de George Bush, il y a, bien sûr, le pétrole (simple producteur de légumes, le Koweït n’aurait pas fait l’objet de tant de sollicitude), le souci de maintenir les équilibres au Proche-Orient, de contenir un Saddam Hussein de plus en plus agressif, etc. Mais, peut-être plus encore, il y a, au sortir de la guerre froide, la volonté de Moscou et de Washington d’empêcher l’éclosion de conflits régionaux nés de la dissolution des zones d’influence des super-grands. Pour George Bush, c’est une préoccupation centrale : le 41e président des Etats-Unis est attaché au statu quo de l’après-guerre.

Il n’aime pas le changement. C’est entendu, il fallait repousser l’agression irakienne, mais rien de plus. Quand, dans la foulée de la victoire américaine, les Kurdes et les chiites d’Irak, au départ incités par la CIA, tenteront de faire tomber Saddam Hussein, les Etats-Unis les abandonneront. Ne voulant pas d’un Irak démembré, Washington préfère alors le maintien au pouvoir d’un Saddam Hussein avec lequel l’administration Bush s’était d’ailleurs, avant le malencontreux épisode koweïtien, toujours bien entendue.

Le haut de l’échelle

Conservateur bon teint, centriste penchant à droite, le président Bush, mort le vendredi 30 novembre à l’âge de 94 ans, est à l’opposé de la flamboyance reaganienne et des bouleversements de la « révolution conservatrice » – souvent plus verbaux que substantiels. Il le prouve au lendemain de cette « Tempête du désert » qui sera le point fort de sa présidence. Il le prouvera quelques mois plus tard en appuyant Mikhaïl Gorbatchev qui tente de préserver l’URSS de la désagrégation. Pour George Bush, il faut que se maintienne à Moscou un pouvoir central, que perdure, sinon le système socialiste, du moins une forme d’union des Républiques ex-soviétiques. Dans un fameux discours à Kiev, il va même jusqu’à critiquer les indépendantistes ukrainiens !

Sur le plan intérieur, l’administration Bush se caractérisera par un immobilisme à peu près total. A tel point que quand il quitte le pouvoir en janvier 1993, deux journalistes de Time Magazine, Michael Duffy et Dan Goodgame, publient sur ses années à la Maison Blanche un ouvrage intitulé L’art du sur-place ou la présidence du statu quo (Marching in Place, the Status Quo Presidency of George Bush, Simon and Schuster).

C’EST UNE PRÉPARATION À DIRIGER ET À ADMINISTRER PLUS QU’À CONVAINCRE ET À ENTRAÎNER : BUSH APPREND À ÊTRE UN CHEF, PAS À AVOIR DES IDÉES

C’est qu’il en va souvent ainsi avec les gens biens élevés : ils ont le respect de ce qui est. Et George Bush est très bien élevé. En un sens, toute son éducation puis sa vie professionnelle ont d’ailleurs ressemblé à un parcours sans faute vers la présidence.

James Reston, l’ancien chef du bureau du New York Times à Washington, qui l’a suivi durant des années et l’aimait bien, écrivait : « Toute sa carrière n’a semblé qu’une préparation à la présidence. » En prenant ses fonctions, ajoutait-il, « il avait plus d’expérience personnelle du Congrès, des affaires, du renseignement militaire, de la guerre et de la diplomatie qu’aucun autre président de ma génération ».

Seulement, c’est une préparation à diriger et à administrer plus qu’à convaincre et à entraîner : Bush apprend à être un chef, pas à avoir des idées. Reagan, son prédécesseur, pouvait séduire, Bush gérera. Est-ce affaire de milieu familial ?

Il était né le 12 juin 1924, à Milton (Massachusetts) dans la haute société WASP (White Anglo-Saxon Protestant), soit dans ce qui ressemble le plus à une aristocratie américaine. Son père, Prescott Bush, banquier à Wall Street, puis sénateur du Massachusetts, est l’ami des Astor, Vanderbilt, Harriman, le haut de l’échelle.

Pas un « planqué »

Il grandit dans le domaine familial, dans le Connecticut, et accomplit tous les rites de la tribu : sports à outrance, études dans les meilleurs établissements privés. Mais le jeune homme que l’on conduit à l’école en voiture avec chauffeur n’est pas un planqué. A 18 ans tout juste, en juin 1942, il se porte volontaire dans l’aéronavale. Après avoir reçu une formation de pilote, il est affecté dans le Pacifique, sur le porte-avions San Jacinto, à l’escadrille VT-51, un squadron de choc qui a déjà perdu la moitié de son effectif dans des raids de bombardements contre les Japonais.

George Bush devient un pilote émérite. Le 2 septembre 1944, le VT-51 multiplie les attaques contre l’île de Chichijima où les Japonais ont installé un de leurs centres de communication. Bush est aux commandes d’un gros TBM Avenger, lesté de bombes, pour une énième mission, quand la DCA l’attrape. Moteur en feu, cabine envahie de fumée, la machine pique du nez… Blessé à la tête, il saute en parachute, puis, miraculeusement, récupère le canot pneumatique de l’avion. Il a été repéré par d’autres membres de l’escadrille et, deux heures et demie plus tard, un sous-marin vient le rechercher. Le lieutenant George Herbert Walker Bush termine la guerre bardé de décorations : Air Medal, Distinguished Flying Cross.

« J’ai fait ce que j’avais à faire », dira-t-il. Il sera paradoxal, des années plus tard, quand Bush se battra dans l’arène politique, de le voir traité par la presse de « poule mouillée », alors que Reagan, qui a fait toute la guerre à Hollywood – dans les services cinématographiques de l’armée –, projette une image de gros dur à la John Wayne… Une fois président, c’est d’ailleurs en partie pour se débarrasser de cette réputation de pusillanimité que Bush se lancera, en 1989, dans une intervention militaire au Panama sous le prétexte d’aller capturer le dirigeant de ce pays, Manuel Noriega, ex-agent de la CIA devenu trafiquant de drogue.

Paradoxe encore : après la guerre, des études à Yale (économie, lettres), une fois marié à Barbara Pierce, dont il aura cinq enfants – elle est morte le 17 avril –, il quitte le territoire des WASP, la côte Est, pour aller s’installer en pays redneck (« plouc ») au Texas, dans une bourgade nommée Odessa.

La petite histoire retient que le jeune Bush, l’argent familial aidant beaucoup, y fera fortune dans l’équipement pétrolier. L’histoire politique retiendra, elle, que George Bush, en s’installant au Texas, a peut-être voulu s’éloigner de son milieu familial ; il passera sa vie politique à s’efforcer de renier ses origines.

Elle commence en 1964 par une défaite à une élection sénatoriale au Texas (son chef de campagne est son partenaire de tennis, un nommé James Baker) ; il est élu à la Chambre des représentants deux ans plus tard, où il effectue deux mandats avant que le président Richard Nixon le nomme ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU (1971-1973), puis président du Parti républicain (1973-1974) en pleine tourmente du Watergate. Le président Gerald Ford l’envoie à Pékin installer ce qui n’est encore que le bureau de liaison américain dans la capitale chinoise (1974-1975), puis le rappelle à Washington où il dirigera brièvement la CIA (1976-1977). Bush est un bon gestionnaire de crise.

Un fidèle vice-président

La chronique politique de l’époque décrit un républicain modéré, un homme de bon sens, administrateur compétent, convaincu qu’il y a un savoir-faire du pouvoir, un art de diriger qui compte autant, sinon plus, que les idées. C’est sous cette enseigne qu’il mène une bataille féroce contre Ronald Reagan dans les primaires présidentielles républicaines de 1980. Le Californien, qui veut réduire le poids de l’Etat fédéral, diminuer les impôts tout en se lançant dans la course aux armements contre l’URSS, serait un illuminé. Le programme reaganien, c’est de l’« économie vaudoue », de la magie, lance Bush.

Sorti largement vainqueur des primaires, Reagan proposera à Bush de figurer sur son « ticket », histoire de ratisser large dans l’électorat républicain. Et George Bush, qui s’est prononcé pour l’avortement et contre la prière publique à l’école, n’en sera pas moins durant huit ans un fidèle vice-président : dans le sillage de son maître, il entonne les cantiques moralisants de la révolution conservatrice. Il en payera, plus tard, le prix politique. Car s’il est élu président en 1988 – à la suite d’une vile campagne contre le gouverneur Michael Dukakis, le candidat démocrate –, il entre à la Maison Blanche avec une image brouillée, trouble : républicain modéré avec Nixon, puis intégriste avec Reagan, le nouveau président serait un homme sans grande conviction.

Homme de la guerre froide, il va, cependant, devoir gérer une grande transition sur la scène internationale : la fin de l’URSS. Même s’il colle un peu trop longtemps à Mikhaïl Gorbatchev, méprisant ce mal élevé de Boris Eltsine, qu’il ne découvre que tardivement, lors du coup d’Etat d’août 1991, George Bush fait preuve d’un jugement sûr. Il sait ne pas humilier Gorbatchev et Eltsine, héritiers d’un empire qui s’effondre ; s’il ne crie pas victoire, il sait les convaincre de laisser l’Allemagne se réunifier tout en restant dans l’OTAN ; il saisit l’occasion pour conclure avec Moscou des accords de désarmement nucléaire historiques ; il rassure les pays d’Europe orientale et centrale qui viennent de reconquérir leur liberté. Ce n’est pas rien.

En ces temps de bouleversements, ses qualités de conservateur sans grande imagination font merveille : il calme, rassure, accompagne le mouvement de l’Histoire. Mais s’il promet béatement un « nouvel ordre international » de paix et de démocratie, il reste sans réaction devant la guerre qui éclate en Yougoslavie. Il ne prend vraiment l’initiative qu’au Proche-Orient où les Etats-Unis, après leur victoire contre l’Irak, parrainent un dialogue israélo-arabe qui débouchera en 1993, à Oslo, sur les premiers accords de paix – qui ne tiendront malheureusement pas leurs promesses – entre l’Etat hébreu et les Palestiniens.

Beaucoup moins engagé sur le front intérieur, qui ne l’intéresse pas autant que la diplomatie, il y est aussi beaucoup moins heureux. Il n’a pas la moindre idée de ce que devront être les Etats-Unis des années 1990. Au sortir des turbulences reaganiennes accompagnées d’une adaptation, à marche forcée, à la globalisation de l’économie, il promet une « Amérique plus douce ». Las, le pays est en pleine récession. Bush paye les excès des années 1980, la surchauffe, la spéculation, les déficits publics vertigineux – et reste sans réaction. Il donne l’impression de tout ignorer des dislocations économiques et sociales que vit l’Amérique en ces temps de compétition exacerbée ; il assiste impuissant et surpris aux émeutes raciales de Los Angeles qui dureront six jours et feront des dizaines de morts fin avril et début mai 1992.

Il ne fera pas de second mandat. Le vainqueur de « Tempête du désert » est battu de justesse par le démocrate Bill Clinton. Ayant occupé la Maison Blanche après Reagan et avant un jeune gouverneur du Sud, il laisse à son départ l’image d’un homme du passé, héritier d’un monde qui n’est plus, celui de la guerre froide, et de temps économiques révolus, quand l’Occident avait le monopole du développement.

Les tourments d’un père

Sa vie post-présidentielle prend l’allure d’une retraite malaisée. Même passé par le Texas, il reste un grand WASP : le pouvoir, pour cette élite, c’est un peu une affaire de famille. Son fils aîné, George « W » (Walker) Bush, est élu président en novembre 2000, puis réélu en 2004. Junior doit très largement son élection aux amis de la famille.

Le deuxième président Bush affronte les attentats du 11 septembre 2001. La campagne d’Afghanistan qui s’ensuit est approuvée par le clan. Mais George W. Bush s’embarque en mars 2003 dans une aventure beaucoup plus contestée, qui tourne vite au désastre : l’invasion de l’Irak. Volonté de faire mieux que son père, d’aller, lui, à Bagdad et de laisser « sa » trace dans l’histoire ? Dans les salles de rédaction, les commentaires politico-psychanalytiques vont bon train. L’ancien président Bush ne dit rien. Pas une intervention publique marquante. Mais les proches – le général Brent Scowcroft et « Jim » Baker, notamment – ne se privent pas de dire ce qu’ils pensent de l’intervention en Irak : une folie inspirée par des « néoconservateurs » qui n’ont jamais mis les pieds au Proche-Orient. Les folies d’un fils sont les tourments d’un père.

Dire qu’il ne se résigne pas aux atteintes de l’âge est faible. En juin 2014, pour fêter son 90e anniversaire, comme il l’avait fait pour ses 75 ans, ses 80 ans et ses 85 ans, il saute encore en parachute au-dessus de sa résidence du Maine. Mais cette fois, c’est un saut en tandem, accompagné par un professionnel, et sitôt qu’il a touché terre, est avancée sa chaise roulante. Depuis 2011, il ne se déplace plus qu’ainsi, sa mobilité ayant été atteinte par une forme de maladie de Parkinson.

Fin 2012, hospitalisé à Houston pour une bronchite, il en était ressorti sept semaines plus tard, suffisamment requinqué pour participer, le 25 avril 2013, à l’inauguration à Dallas du « centre présidentiel » accueillant les archives de son fils George Walker Bush, en présence de celui-ci, mais aussi de Barack Obama, de Bill Clinton et de Jimmy Carter. Après la bataille politique comme après un match de tennis, il met un point d’honneur à se montrer fair-play. Comme il se doit, pour l’un des derniers grands WASP.

Alain Frachon

George H. W. Bush en quelques dates

12 juin 1924 Naissance à Milton (Massachusetts)

1944 Blessé à bord de son avion lors de la guerre du Pacifique

1966 Elu à la Chambre des représentants

1971-1973 Ambassadeur à l’ONU

1973-1974 Président du Parti républicain

1974-1975 Installe le bureau de liaison américain à Pékin

1976-1977 Directeur de la CIA

1981-1989 Vice-président de Ronald Reagan

1989-1993 41e président des Etats-Unis

1989 Intervention militaire contre le Panama

1991 Lance l’opération « Tempête du désert »

1991-1993 Accords de désarmement nucléaire avec la Russie

1993 Parraine les accords d’Oslo entre Israël et les Palestiniens

30 novembre 2018 Mort de l’ancien président à l’âge de 94 ans

1 décembre 2018

Décès de George H.W. Bush

L'ancien président américain George Bush est mort à l'âge de 94 ans

C'est son fils George W. Bush qui l'a annoncé dans un communiqué diffusé sur Twitter.

Il était le 41e président des Etats-Unis. George Bush, élu à la Maison Blanche de 1989 à 1993, est décédé à l'âge de 94 ans, a annoncé, tard vendredi 30 novembre, son fils George W. Bush, lui-même devenu président en 2001.

"Jeb, Neil, Marvin, Doro et moi avons la tristesse d'annoncer qu'après 94 années remarquables notre cher papa est mort", a déclaré George W. Bush dans un communiqué publié sur Twitter par un porte-parole de la famille. "George H.W. Bush était un homme doté d'une noblesse de caractère et le meilleur père qu'un fils ou une fille aurait pu souhaiter".

George Bush avait été hospitalisé au printemps dernier pour le traitement d'une infection qui s'était répandue dans son sang.

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26 novembre 2018

Bernardo Bertolucci, le cinéaste de la transgression, est mort

CINEMA « Le Dernier Tango à Paris » et ses conditions de tournage particulièrement violentes ont profondément marqué Maria Schneider, l’actrice principale, âgée de 19 ans à l’époque…

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Maria Schneider et Marlon Brando dans le film «Le Dernier Tango à Paris». — REX FEATURES/SIPA

Si Bernardo Bertolucci, décédé ce lundi, marquera à jamais l’histoire du cinéma avec des films tels que La Tragédie d’un homme ridicule, Le Dernier Empereur ou encore Little Buddha, une ombre planera également sur son œuvre : Le Dernier Tango à Paris. Un film réalisé en 1972, salué par certains, décrié par d’autres, à commencer par Maria Schneider, son actrice principale. Agée de 19 ans à l’époque, face à un Marlon Brando qui en a trente de plus, la jeune femme subit une expérience traumatisante : le tournage d’une scène de viol par sodomie, avec une motte de beurre comme lubrifiant.

« J’ai eu l’impression d’être violée à la fois par Bertolucci et Brando. Marlon ne s’est pas excusé après la scène. Heureusement, il n’y a eu qu’une seule prise ! » confie-t-elle plus tard. Une séquence violente, dont Maria Schneider n’avait pas été avertie, dans un souci de réalisme.

« Un malentendu ridicule »

Dans une vidéo datant de 2013, réapparue en 2016, Bernardo Bertolucci reconnaissait avoir caché la vérité à son actrice. « La scène du beurre est une idée que j’ai eu avec Marlon le matin même. Je n’ai pas dit à Maria ce qu’il se passait parce que je voulais avoir sa réaction en tant que fille et pas en tant qu’actrice (…). Je ne voulais pas qu’elle joue son humiliation et sa rage, je voulais qu’elle les ressente. » Des déclarations qui avaient provoqué une vive polémique et suscité de nombreuses réactions, notamment de la part de certaines actrices comme Jessica Chastain, qui dénonçait la « planification d’un viol » par le réalisateur. Face à cet emballement, Bernardo Bertolucci était alors revenu sur ces propos. « Je voudrais, pour la dernière fois, clarifier un malentendu ridicule qui continue à être rapporté à propos de Dernier Tango à Paris dans des journaux du monde entier », expliquait-il dans un communiqué en 2016. « Certains ont pensé et pensent que Maria n’avait pas été informée de la violence subie (dans la scène). Faux ! Maria savait tout parce qu’elle avait lu le scénario où tout était décrit. La seule nouveauté était l’idée du beurre », affirmait-il, jugeant « désolante » la naïveté de ceux qui ne savent pas que « le sexe est (presque) toujours simulé au cinéma ».

« Le tournage a été un cauchemar pour elle »

Cette scène violente, mais aussi le scandale qu’a provoqué la sortie du film à l’époque, ont profondément marqué la vie de Maria Schneider. « J’étais jeune, innocente, je ne comprenais pas ce que je faisais. Aujourd’hui, je refuserais. Tout ce tapage autour de moi m’a déboussolée », confiait-elle plus tard, révélant notamment s’être droguée et avoir tenté de mettre fin à ses jours.

« Le tournage a été un cauchemar pour elle », indiquait en septembre dernier sur Europe 1 Vanessa Schneider, journaliste et cousine de l’actrice, auteure du livre Tu t’appelais Maria Schneider. « Dès qu’elle se plaignait, le réalisateur lui faisait comprendre qu’elle avait déjà bien de la chance d’être là. Il la considérait comme une moins que rien. » Selon elle, Le Dernier Tango à Paris avait eu de profondes répercussions. « Dans la famille, on ne pouvait pas parler de ce film. Il l’avait fait tellement souffrir que c’était tabou. Elle avait d’ailleurs donné des consignes très précises pour ses funérailles : que le nom du film ne soit pas prononcé. » Maria Schneider est décédée des suites d’un cancer à l’âge de 58 ans, en février 2011.

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Le réalisateur italien aura passé sa carrière à explorer des figures obsessionnelles : le désir d’abandon sensuel ou la nostalgie infinie d’une innocence du charnel.

Rappeler d’emblée, pour évoquer sa vie et son œuvre, que ce natif des environs de Parme, né le 16 mars 1941, est le fils aîné du poète Attilio Bertolucci est plus qu’un simple détail biographique. Car client des analystes et auteur d’une œuvre hantée par le scénario freudien, le cinéaste Bernardo Bertolucci n’aura jamais cessé de chercher à se libérer de ses figures paternelles. Il est mort à Rome, lundi 26 novembre, des suites d’un cancer, a annoncé son attachée de presse, Flavia Schiavi, à Variety. Il avait 77 ans.

Ne cessant d’écrire des poèmes d’inspiration familiale qu’en tournant son premier film, cet ex-admirateur du cinéma hollywoodien passe de la coupe de son père biologique sous celle de Pasolini. Bertolucci tourne, avec La Commare Secca (1962), un film « à la manière de » l’auteur de Mamma Roma, dont il a été l’assistant sur Accattone (1961). Puis, c’est Jean-Luc Godard qui le fascine lorsqu’il signe Partner (1968), patchwork brechtien sur la schizophrénie où rôdent les fantômes d’Artaud et de Dostoïevski.

Imbibé d’éducation bourgeoise et engagé au Parti communiste, il restera un fils de famille mal dans sa peau

Il confessera avoir fait La Commare Secca pour « dérober Rome à Pasolini », et s’il situe Prima della Rivoluzione (1964), son premier grand film, à Parme, c’est, dit-il, pour « dérober Parme à mon père ». La dévotion à la Nouvelle Vague le poursuivra jusqu’à Innocents (2003), entièrement tourné dans la nostalgie d’un Mai 68 vécu à Paris, où les jeunes insurgés bousculent les modes de vie de leurs aînés (« Papa déconne »), et où la litanie rétrospective des éblouissements distillés à la Cinémathèque de Chaillot n’oublie pas la Jean Seberg d’A bout de souffle entre Garbo, Dietrich et la Mouchette de Bresson.

Ce thème récurrent de l’Œdipe s’accompagne de celui d’une fatalité : suspectant d’être l’héritier d’un passé truqué, Bertolucci se sait otage de son milieu social. Imbibé d’éducation bourgeoise et engagé au Parti communiste, il restera un fils de famille mal dans sa peau, marqué par le péché originel d’être né chez les privilégiés. Romantique, gorgé de références stendhaliennes, l’autobiographique Prima della Rivoluzione donne le ton. Fabrizio, son héros, est en révolte contre une bourgeoisie qui symbolise l’alliance entre l’Eglise et l’Etat, et en sympathie avec les combats de la classe ouvrière.

Illustrée par une phrase de Talleyrand (« Celui qui n’a pas connu la vie avant la révolution n’a pas connu la douceur de vivre »), cette situation ambiguë entre le rouge et le noir est symbolisée par les deux femmes entre lesquelles il balance : Clélia, future épouse, image de l’ordre, du conformisme, et Gina, sa tante, image du désordre, de l’amour hors la loi. La grand-messe bourgeoise est symbolisée par un opéra de Verdi, refuge du bel canto, de la culture de classe.

Interroger l’histoire

Inspiré d’un texte de Borges, La Stratégie de l’araignée (1970), qu’il tourne juste après, est l’histoire d’un homme qui découvre que son père, ce militant de la lutte antifasciste que la légende a façonné au point de lui élever une statue, et dont il cultive la ressemblance au point de flirter avec son ex-maîtresse, ne fut pas un héros mais un traître. Le périple initiatique se déroule dans une Italie figée, léthargique, les herbes folles ont envahi les rails d’une gare où il ne passe plus de train. Mystifié par un décor enchanteur, sensuel, onirique, avec jardins enchanteurs et caves remplies de jambons de Parme, Bertolucci interroge l’histoire, son rapport à la vérité, son penchant pour les chimères. Là encore, le théâtre, l’opéra renvoient aux mensonges, aux complots. Une tentative d’assassinat de Mussolini se déroule pendant le grand air de Rigoletto.

En 1969 sort Il était une fois dans l’Ouest, de Sergio Leone, dont il a écrit le scénario avec Dario Argento. C’est cette même année que Bertolucci tourne son chef-d’œuvre : Le Conformiste, d’après un roman d’Alberto Moravia. L’histoire d’un homme qui a honte de son père, interné dans un asile, et de sa mère, vieille excentrique à gigolos. Un homme hanté par une homosexualité refoulée, une culpabilité remontant à l’enfance, et qui, par volonté de rachat, s’est voué à mener une vie sans troubles, à ressembler à tout le monde. Il a épousé une bourgeoise bécasse et se laisse convaincre par le régime fasciste d’assassiner son ancien prof de philo, un opposant politique réfugié à Paris.

Le film affiche une remarquable maîtrise de la mise en scène, une vision onirique et baroque. Ballets de tractions corbillards et de gentlemen à Borsalino, cette fresque Art déco à la beauté funèbre est stylisée dans des sanctuaires aux lignes droites à la Chirico. Il y multiplie les profondeurs de champ fantastiques, cultive les éclairages expressionnistes et claustrophobiques, les décors en trompe-l’œil. Ce portrait d’un fasciste des années 1930 (interprété par Jean-Louis Trintignant) brasse nombre de ses obsessions, dont celle du bal, instant où, pour Bertolucci, les masques tombent, où chacun dévoile des pulsions cachées, à l’image de ce troublant pas de danse entre Stefania Sandrelli et Dominique Sanda.

Le scandale du « Dernier Tango à Paris »

Un malentendu commence à s’installer entre ses admirateurs et Bertolucci, qui a décidé de s’« abandonner au principe de plaisir ». On lui reproche des concessions au public, on le désigne comme un maniériste. Il se rassure : « J’ai lu Roland Barthes et je sais que je peux penser au plaisir esthétique et au succès comme à quelque chose qui n’est pas nécessairement de droite. » Mais le scandale s’abat sur lui, en 1972, lorsqu’il signe Le Dernier Tango à Paris, expression d’un fantasme : rencontrer une femme dans un appartement désert, lui faire l’amour sans savoir qui elle est. Veuf d’une femme qui vient de se suicider, le personnage principal est un Américain partagé entre pulsion de vie (l’expérience primitive d’une étreinte physique, sans tabous ni notion de péché), et une pulsion de mort (qui attise brutalité de langage et jeux sexuels humiliants).

« Pasolini avait raison. Le succès est un cauchemar »

Brûlot contre les institutions sociales, pied de nez auto-ironique à la cinéphilie grâce à un personnage de rat de cinémathèque incarné par Jean-Pierre Léaud, le film (nimbé d’une lumière à la Francis Bacon) est habité par un Marlon Brando auquel il a demandé d’oublier les leçons de l’Actor’s Studio et d’être lui-même. Brando confesse sa propre enfance, sa mère toujours saoule, son père brutal. Il hurle à la mort sous le métro parisien qui passe au-dessus de sa tête. Et déclare en fin de tournage : « Je ne ferai plus jamais un film comme celui-là. Je me suis senti violé du début à la fin. On a tout sorti de mes tripes. » Bertolucci est sonné lui aussi : « Pasolini avait raison. Le succès est un cauchemar. » Des propos qui apparaissent aujourd’hui totalement déplacés au regard du traumatisme vécu durant le tournage par la comédienne Maria Schneider que l’acteur et le cinéaste avaient entraînée sans la prévenir dans des séquences sexuelles brutales et humiliantes.

Avec les dollars américains de trois majors (Artistes Associés, Paramount et Fox), il tourne 1900, fresque épique sur la naissance du communisme dans la plaine du Pô, ode au drapeau rouge, au combat collectif des masses laborieuses, avec Robert De Niro (le padrone) et Gérard Depardieu (le paysan). La Luna (1979) est une Phèdre à l’italienne où se côtoient pulsion incestueuse pour une mère cantatrice et recherche des paradis artificiels. Imbibé par l’atmosphère de désarroi qui plombe l’Italie à l’heure des attentats terroristes, La Tragédie d’un homme ridicule (1981) plonge un industriel dans un dilemme : doit-il sacrifier son fils, kidnappé par les Brigades rouges, ou sacrifier son usine en payant la rançon ? Les affres du Fabrizio de Prima della Rivoluzione sont toujours là, dans la terreur de voir disparaître le monde de l’enfance, un paradis perdu, une douceur de vivre qui n’appartient plus qu’au passé.

Entre instinct et raison

Ce sont ces mêmes émotions qu’il transpose dans Le Dernier Empereur (1987), évocation de la vie de Pu Yi, ultime représentant d’une dynastie déchue. Assis sur le trône laqué de l’empire de Chine à 3 ans, demi-dieu prisonnier de la Cité interdite, ce playboy passera dix ans dans un camp de rééducation après la révolution maoïste. Au-delà des images d’une splendeur d’apparats (palais aux toits d’émail, étendards bariolés, lampions fleuris, trésors de jade, mandarins et palanquins, phénix, licornes, incendie d’ors et de rouges), Bertolucci s’intéresse à un homme condamné au déracinement, transplanté d’une prison à une autre, marqué par le manque du sein maternel et par l’absence d’une figure paternelle, porté à violer les tabous (couper sa natte, porter des lunettes).

Les sensuelles parties de colin-maillard de part et d’autre d’un drap de soie tendu, ou la nuit de noces frémissante d’érotisme soulignent l’importance du sexuel chez ce cinéaste qui, trois ans plus tard, adapte Un thé au Sahara (1990). Le Brando du Dernier Tango était clone d’Henry Miller, cette fois c’est l’Américain Paul Bowles qui est pris comme modèle d’une quête identitaire dans le désert, avec perte des illusions, mort du couple, vertige existentiel. Consacré à la vie du prince Siddhartha, Little Buddha (1993) reflète une sorte de conversion chez un auteur athée, obsédé par l’ego, et découvrant avec le bouddhisme une forme de sagesse. Un tournant chez un homme dont le cinéma a toujours été fondé sur les conflits (homme-femme, fils-père, fils-mère, patron-salarié).

Ode au cinéma, rêve de révolution culturelle, situé dans les alcôves de jeunes bourgeois désinhibés (un trio formé par un Américain et un couple incestueux frère-sœur) plus que sur les barricades, Innocents (titre original The Dreamers) indique un repli (le huis clos de la chambre à coucher) et souligne l’éternel désir de transgression. Le film met le doigt sur le paradoxe d’un cinéaste tiraillé entre instinct et raison, brasse un certain nombre de figures obsessionnelles : le désir d’abandon sensuel, le bal ambigu des êtres caméléons, l’attrait du triolisme. La nostalgie infinie d’une innocence du charnel, d’un refuge privé, d’un communisme amoureux.

Jean-Luc Douin - Le Monde

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