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Jours tranquilles à Paris
7 juin 2017

Légion d’honneur : le revers de la médaille

Par Marie-Béatrice Baudet

Comme Mussolini ou Ceausescu avant lui, Bachar Al-Assad est grand-croix de la Légion d’honneur. Le nouveau grand maître de l’Ordre, Emmanuel Macron, va-t-il mettre fin à ces pratiques qui jettent l’opprobre sur la distinction suprême de la République ?

C’est un poids supplémentaire sur les épaules du jeune chef d’Etat. Certes, le collier de grand maître de la Légion d’honneur qu’Emmanuel Macron a reçu, dimanche 14 mai, lors de son investiture à la présidence de la République pèse à peine un kilo, mais les deux lettres « HP » (honneur et patrie) placées au centre du bijou en or massif sont lourdes de sens républicain.

Déjà empêtré dans l’affaire Richard Ferrand, le nouvel élu, chantre de l’éthique, va-t-il se décider à mettre de l’ordre dans l’Ordre afin que le ruban rouge ne soit plus l’objet de scandales et de railleries à répétition depuis sa création, le 19 mai 1802, par Bonaparte ? Car c’est un chagrin de voir le fait du prince et les trafics d’influence salir une décoration que tant d’autres portent si haut.

Désormais « garant suprême » des ordres nationaux, Emmanuel Macron sait-il ainsi que le président syrien Bachar Al-Assad, qui empoisonne son propre peuple au gaz sarin, est grand-croix de la Légion d’honneur ? Soit la plus haute distinction de l’ordre derrière celle de grand maître, réservée au seul chef de l’Etat français. Vient tristement à l’esprit, la phrase de Jules Renard : « En France, le deuil des convictions se porte en rouge et à la boutonnière. »

A entendre les témoignages des proches du dossier – selon l’expression consacrée –, cette tache rouge serait tombée dans les oubliettes de l’Histoire. Un trou de mémoire collectif qui s’expliquerait tout bonnement par des usages protocolaires auxquels personne ne prête vraiment attention et dont il n’existe aucun registre. La tradition veut en effet que chaque dignitaire étranger accueilli lors d’une visite d’Etat en France soit honoré par la patrie des droits de l’homme. Une sorte de « routine » pour reprendre le mot utilisé par un ancien ambassadeur.

Jeu de piste

Concernant Bachar Al-Assad, c’est Jacques Chirac qui est à la manœuvre, en 2001, comme le raconte le livre de Béatrice et Michel Wattel : Les Grand’Croix de la Légion d’honneur, de 1805 à nos jours (éditions Archives & Culture). Préfacé par l’académicien André Damien, ancien membre du conseil de l’ordre de la Légion d’honneur, l’ouvrage a été publié en 2009. « Il nous a fallu cinq ans pour réunir les données. Un incroyable jeu de piste. Nous avons dû faire la tournée des ambassades, car les noms des étrangers promus ne sont pas publiés », se souvient aujourd’hui Béatrice Wattel quand elle évoque cette somme documentaire de 700 pages, un travail de moine archiviste.

Nous parvenons à retrouver une image de la cérémonie immortalisée par l’un des photographes officiels du régime syrien. Bachar Al-Assad, sourire aux lèvres, semble s’amuser de la maladresse de Jacques Chirac, qui peine à lui accrocher une médaille au revers de la veste. On distingue mal la décoration, mais la large boîte rectangulaire rouge laissée ouverte sur la table ne laisse guère de doute. En ce lundi 25 juin 2001, le chef de l’Etat remet la grand-croix de la Légion d’honneur au jeune président syrien en visite officielle à Paris.

Le moment élyséen aurait dû être solennel. Le cliché montre au contraire un protocole –littéralement – entre deux portes. Bannie, la salle des fêtes ; éloignés, les huissiers en grande tenue. Le premier ministre Lionel Jospin n’a pas été convié, pas plus qu’Hubert Védrine, le ministre des affaires étrangères.

« LA GRAND-CROIX À “BACHAR” ? J’AI DÛ LE SAVOIR À UN MOMENT DONNÉ, MAIS JE L’AVAIS COMPLÈTEMENT OUBLIÉ… », ADMET HUBERT VÉDRINE

« La grand-croix à “Bachar” ? J’ai dû le savoir à un moment donné, mais je l’avais complètement oublié… », admet ce dernier, invité à se replonger seize années en arrière dans ce huis clos régalien. « Chirac m’avait emmené en 2010 aux obsèques du père, Hafez Al-Assad [décoré de la grand-croix en 1976 par Valéry Giscard d’Estaing]. Le président était persuadé que le changement de génération dans le monde arabe, avec l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI au Maroc, d’Abdallah II en Jordanie et de “Bachar” en Syrie, allait faire bouger les choses… » Ce pari, « qui ne paraissait pas déraisonnable à l’époque », estime un diplomate français spécialiste du Moyen-Orient, a été tragiquement perdu.

Chagall, Lévi-Strauss et Mandela

Ancien ministre des affaires étrangères de François Hollande, de mai 2012 à février 2016, Laurent Fabius dit ne pas avoir eu connaissance du geste de Jacques Chirac envers le maître de Damas. « Si je l’avais appris, j’aurais certainement demandé à ce qu’on en tire les conséquences », nous affirme solennellement l’actuel président du Conseil constitutionnel.

Comment tolérer, en effet, un assassin notoire au sein de la cohorte la plus prestigieuse de la République française ? La même médaille glorifierait donc le meilleur comme le pire ?

Le meilleur de la Légion d’honneur, c’est Valéry Giscard d’Estaing élevant en 1977 Marc Chagall à la dignité de grand-croix ; ou François Mitterrand honorant Claude Lévi-Strauss, en 1991, et Nelson Mandela, en 1994. Parmi ces dignes qu’il est impossible de nommer tous, il y a l’abbé Pierre mais aussi Marie-José Chombart de Lauwe, visage féminin de la Résistance, rescapée de Ravensbrück, 94 ans aujourd’hui et toujours en vie.

Et puis, surtout, il y a cette cérémonie, au printemps 2011. Quelques mois plus tôt, par un décret présidentiel du 13 juillet 2010, Nicolas Sarkozy confère la grand-croix à Raymond Aubrac, héros de la lutte contre l’occupation nazie.

Le vieil homme de 96 ans accepte le privilège à condition que la distinction ne lui soit pas remise par l’ancien maire de Neuilly. Il refuse toute cérémonie à l’Elysée et entend choisir le dignitaire qui le décorera. Ce sera le professeur François Jacob, 90 ans, ancien compagnon de la Libération. « Ni l’un ni l’autre ne pouvaient rester debout très longtemps. Ils s’épaulaient. Nous les avons aidés à se faire l’accolade », se souvient avec encore beaucoup d’émotion l’un des rares invités présents auprès de la famille.

« Open bar » pour la realpolitik

Comprendre. Ouvrir le code de la Légion d’honneur et lire les premières lignes : « La Légion d’honneur est la plus élevée des distinctions nationales. Elle est la récompense des mérites éminents acquis au service de la nation, soit à titre civil, soit sous les armes. » Cette charte de plus de 130 articles a été réclamée par le général de Gaulle, soucieux d’adapter les textes fondateurs de l’ordre de la chevalerie à la Ve République naissante. Elle date du 28 novembre 1962 et a été plusieurs fois amendée. Et si elle devait encore l’être ?

Revenons sur le cas des étrangers. Puisqu’ils ne peuvent pas prêter serment à la patrie française, ils ne sont pas officiellement membres de la Légion d’honneur, ils en sont juste « décorés ». Et n’entrent donc pas dans le quota de 75 grands-croix (vivants) autorisé. Qui plus est, disposition idéale pour la « routine » diplomatique, ni la grande chancellerie, ni le conseil de l’ordre n’ont leur mot à dire dans l’attribution des médailles « aux chefs d’Etat étrangers, à leurs collaborateurs ainsi qu’aux membres du corps diplomatique », précise le code. En clair, c’est open bar pour la realpolitik.

A la lecture de quelques noms piochés au hasard des pages du livre de Michel et Béatrice Wattel, le déshonneur se révèle immense. Benito Mussolini élevé à la dignité de grand-croix en 1923, deux ans après qu’il eut fondé le Parti national fasciste. Un insigne qu’il gardera sur son torse bombé même après être devenu le complice d’Hitler. Mais aussi Nicolae Ceaucescu, Bokassa, Omar Bongo, Mobutu… Tous décédés le ruban à la boutonnière. Des rumeurs insistantes évoquent également un Mouammar Kadhafi gratifié. Mais nous n’avons pas pu le vérifier avec certitude.

La jurisprudence « Noriega »

Lundi 29 mai, Emmanuel Macron recevait Vladimir Poutine dans le faste de Versailles. Savait-il que le président russe était lui aussi grand-croix ? L’ancien agent du KGB l’a reçue des mains de Jacques Chirac (bis repetita) le 22 septembre 2006, au nom de « sa contribution à l’amitié indéfectible entre la France et la Russie ».

Reporters sans frontières (RSF) avait à l’époque jugé « choquante » l’initiative chiraquienne, estimant que l’honneur conféré à Vladimir Poutine était « une insulte faite à tous ceux qui, en Russie, luttent pour la liberté de la presse et la démocratie dans leur pays ». Deux semaines après la cérémonie au palais de l’Elysée, où pas un seul journaliste français n’avait été convié, RSF manifestait de nouveau son indignation, dénonçant l’assassinat à Moscou, le 7 octobre, de la journaliste d’investigation Anna Politkovskaïa, farouche opposante au potentat du Kremlin.

Aucun article du code ne prévoyait la possibilité d’exclure de l’ordre les décorés étrangers jusqu’à la jurisprudence « Noriega » de 2010. L’ex-dictateur panaméen, décédé dans la nuit du 29 au 30 mai 2017, avait été fait commandeur de la Légion d’honneur en 1987, sous la présidence de François Mitterrand, au titre des relations anciennes entre les deux pays. Difficile d’oublier, en effet, le creusement du canal de Panama par des milliers d’ouvriers français qui se tuèrent à la tâche, frappés par la malaria.

Mais, en 1999, Paris condamne, par contumace, le général à dix ans d’emprisonnement pour blanchiment d’argent issu du trafic de drogue. Onze ans plus tard, il est extradé des Etats-Unis vers l’Hexagone pour y être jugé. Le militaire est encore commandeur. Impensable de le voir arborer dans le box des accusés cette décoration qu’il appréciait tant, sa préférée, disait-il. Son insigne lui sera retiré.

La foire internationale à la breloque

Car la France se décide enfin, après des années et des années de laisser-faire, d’en terminer avec le ridicule de cette foire internationale aux breloques. Sur rapport de François Fillon, le premier ministre de l’époque, le code de la Légion d’honneur est modifié par un décret du 27 mai 2010.

Le ruban rouge peut être désormais enlevé à un étranger « condamné pour crime ou à une peine d’emprisonnement sans sursis au moins égale à un an ». Ou s’il a « commis des actes ou eu un comportement susceptibles d’être déclarés contraires à l’honneur ou de nature à nuire aux intérêts de la France à l’étranger ou aux causes qu’elle soutient dans le monde ».

« LES DÉCRETS D’ATTRIBUTION DE LA LÉGION D’HONNEUR AUX ÉTRANGERS NE SONT PAS COMMUNICABLES ET LES PROCÉDURES DISCIPLINAIRES SONT CONFIDENTIELLES »

Plus aucun obstacle ne se dresse donc aujourd’hui – en principe – à la révocation de Bachar Al-Assad ou d’autres despotes. Mais encore faudrait-il connaître la liste précise des déméritants aux mains sales. Or, comme en témoigne la réaction de Laurent Fabius, le secret est tellement protégé qu’il peut se perdre dans les profondeurs administratives.

Soupçons de copinage

C’est bel et bien le cas. « Les décrets d’attribution de la Légion d’honneur aux étrangers ne sont pas communicables et les procédures disciplinaires sont confidentielles », nous fait savoir par e-mail la grande chancellerie, qui a refusé de recevoir Le Monde pour cette enquête.

En pièce jointe au courrier électronique, un avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) officialise cette loi du silence concernant les « attributions de la Légion d’honneur aux étrangers », au titre de la confidentialité inhérente à la politique extérieure de la France. Amis de la transparence, passez votre chemin, il n’y a rien à voir ou à entendre.

Le président de la République devra également se pencher sur les grands-croix français afin, là aussi, de faire taire moqueries et soupçons de copinage. Fin mai, ce cénacle illustre dont nous avons dû nous-mêmes établir la liste (elle n’est pas publiée sur le site de la grande chancellerie) comptait 74 membres vivants sur les 75 autorisés.

Le chef de l’Etat, grand maître de l’ordre, ne pourra donc proposer qu’un seul nom – sauf si un décès intervient entre-temps – lors de la prochaine promotion de légionnaires, celle du 14 juillet. Qui célèbrera-t-il ? L’ancien ministre de l’économie voudra-t-il distinguer un chef d’entreprise ou élèvera-t-il plutôt (homme ou femme) un vieux brave, un grand serviteur de l’Etat, un scientifique ou un artiste ? Son choix fera symbole, à n’en pas douter.

Le mécène, plutôt que le financier

En avril, pour la dernière promotion de son quinquennat, François Hollande avait pu mixer ses préférences : un conseiller d’Etat honoraire, François Bernard, et un fidèle ami de Jacques Chirac, l’homme d’affaires François Pinault. Pour la promotion du 1er janvier 2014, le président socialiste avait suscité quelques sourires narquois en élevant à la dignité de grand-croix Bruno Roger, patron de la banque Lazard, qu’il décorera personnellement le 17 juin 2014. « Deux ans après le discours du Bourget où il avait expliqué que son ennemi était la finance, nous avons été plusieurs à trouver succulente cette petite initiative », raconte un ami du récipiendaire, présent au cocktail.

L’Elysée avait toutefois pris ses précautions. Sur l’agenda présidentiel, il était noté pour le 17 juin 2014 à 18 heures : « Cérémonie de remise de décoration à M. Bruno Roger, président du festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence ». François Hollande honorait le mécène, pas le financier. Puisque cela allait sans dire, il valait mieux l’écrire.

Les nominations d’industriels et d’entrepreneurs dans l’ordre de la chevalerie ont toujours été les plus questionnées. Y compris du temps de Napoléon, qui imposa l’accès de l’ordre aux civils. Les critiques fusèrent après que Martin-Guillaume Biennais, l’orfèvre accrédité à la cour, ou Benjamin Delessert, l’industriel qui mit au point la méthode d’extraction du sucre à partir de la betterave, furent récompensés par l’empereur.

Renvois d’ascenseur ? Conflits d’intérêts ? Les interrogations restent les mêmes au fil du temps. Le « Penelopegate » l’a rappelé récemment. Les enquêteurs se demandent encore si le recrutement de l’épouse de François Fillon à la Revue des deux mondes par son propriétaire, Marc Ladreit de Lacharrière, pourrait avoir un lien avec la grand-croix de la Légion d’honneur décernée au milliardaire sur insistance du premier ministre. Les juges en décideront.

« Quoi le Mediator ? »

Irène Frachon, la pneumologue de Brest qui a révélé en 2009 la toxicité du Mediator, le médicament des laboratoires Servier accusé d’être responsable de la mort de 1 500 personnes, ne méprise pas la Légion d’honneur. Mais la lanceuse d’alerte a stoppé net les tentatives de celles et ceux qui œuvraient pour qu’on la lui remette : « Ce ruban rouge, c’est la fierté et l’identité de la nation. Je ne peux pas appartenir à l’ordre de chevalerie qui a honoré Jacques Servier », décédé le 16 avril 2014, à l’âge de 92 ans. Le 7 juillet 2009, dans la salle des fêtes de l’Elysée, Nicolas Sarkozy élevait ainsi à la dignité de grand-croix son « cher Jacques », dont il fut l’un des avocats d’affaires.

« CE RUBAN ROUGE, C’EST LA FIERTÉ ET L’IDENTITÉ DE LA NATION. JE NE PEUX PAS APPARTENIR À L’ORDRE DE CHEVALERIE QUI A HONORÉ JACQUES SERVIER »

Raymond Soubie, conseiller social du président de la République, assistait à la cérémonie. Lui aussi connaissait bien le docteur Servier. A la fin des années 1990, le pharmacien avait demandé à ce spécialiste de l’actionnariat salarié de réfléchir à la possible transformation de son groupe en fondation.

Le cocktail dure une vingtaine de minutes. « Nicolas Sarkozy était déjà parti quand on a passé les toasts », se souvient Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé, qui évoque un « moment convenu et rasoir, sans aspérité notable ». Et le Mediator ? « Quoi le Médiator ?, s’étonne aujourd’hui Raymond Soubie. Je n’en savais rien. J’ai appris cela par la presse. »

Le diable se cache souvent dans les détails des procédures

Le coupe-faim sera retiré des officines le 30 novembre 2009, cinq mois après les petits-fours. Mais, dès 1997, Irène Frachon et le cardiologue Georges Chiche avaient obligé le laboratoire à cesser la commercialisation mondiale de l’Isoméride et d’un autre coupe-faim, le Pondéral. Cette odeur de soufre ne serait, semble-t-il, pas parvenue jusqu’à l’Elysée. La première plainte concernant le Mediator sera déposée en novembre 2010 par une patiente aujourd’hui décédée.

Jacques Servier mourra, lui, avec sa grand-croix. Par mail, la grande chancellerie précise que toute procédure disciplinaire ne peut être engagée qu’à compter du « caractère définitif de la condamnation ». Le procès Servier n’a pas encore eu lieu, c’est exact. Mais l’honneur dans tout cela ?

Pour comprendre où, globalement, le bât blesse, il faut analyser de près les textes en vigueur car, comme pour les dignitaires étrangers, le diable se cache souvent dans les détails des procédures. Rappelons les principes. Après l’étude, par ses services, des dossiers de légionnaires pressentis, chaque ministre transmet des propositions (sous forme de mémoires) au grand chancelier de l’ordre de la Légion d’honneur – le général d’armée Benoît Puga depuis le 1er septembre 2016.

Ce dernier préside le conseil de l’ordre, une assemblée de dix-sept sages qui instruit les demandes et en prononce la « recevabilité » ou l’« ajournement ». Les noms des heureux élus sont ensuite soumis au grand maître, à l’Elysée, qui signe les décrets à paraître au Journal officiel. Fermez le ban !

Nommés, promus ou « élevés »

Mais si on lit précisément le communiqué de presse publié le 16 avril 2017 par la grande chancellerie, on comprend que ce circuit vertueux ne concerne que les candidats « nommés ou promus », c’est-à-dire ceux décorés pour la première fois (les chevaliers) ou ceux qui accèdent à un grade supérieur (officier ou commandeur). Pour les deux titres les plus prestigieux (grand officier et grand-croix), on parle, nous rappelle doctement le communiqué, d’« élévation ».

Pinaillage ? Loin de là. Pointer l’emploi de ce vocabulaire permet une lecture fine des articles R5, R31 et R119 du code de la Légion d’honneur. Tous trois assignent au conseil de l’ordre le seul examen des « nominations » et des « promotions ». Le terme « élévation » n’y apparaît pas.

« POUR LES GRANDS OFFICIERS ET LES GRANDS-CROIX, ÇA VENAIT D’EN HAUT, DU CHÂTEAU. ON N’ÉTAIT PAS DU TOUT DANS LE COUP… »

« Ce petit distinguo est fondamental car il sort du droit commun les dignités et donne officiellement la main à l’Elysée pour les titres de grand officier et de grand-croix. Leur attribution relève donc, comme les textes l’indiquent, du fait du prince », commente Olivier Ihl, professeur à l’Institut d’études politiques de Grenoble et auteur de l’essai Le Mérite et la République (éditions Gallimard, 2007).

La grande chancellerie réfute cette interprétation, expliquant dans un e-mail, le 28 avril, que « les élévations aux dignités sont des promotions » et qu’elles ne font donc pas exception à la règle générale.

Désert documentaire

Ce n’est pas tout à fait l’avis de Bruno Genevois, 75 ans, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, président de section honoraire au Conseil d’Etat et membre du conseil de l’ordre de la Légion d’honneur. Un savant du droit, reconnu comme tel par ses pairs. « Je prends acte de la réponse de la chancellerie, dit-il. C’est un tournant dont je me réjouis car, auparavant, le conseil de l’ordre n’avait guère de pouvoir sur les dignités. Nous pouvions donner notre sentiment mais la liste lue par le grand chancelier s’imposait à nous. »

Le juriste précise que les choses ont commencé à bouger depuis la présidence de François Hollande : « L’information du conseil de l’ordre concernant les futurs grands officiers et les futurs grands-croix est devenue systématique, ce qui nous permet de donner un avis. »

Les témoignages au creux de l’oreille – « surtout, c’est vraiment off » – de deux anciens sages du conseil de l’ordre ne font que confirmer la longue mise hors circuit des dix-sept gardiens du temple : « Pour les dignités, ça venait d’en haut, du Château. On n’était pas du tout dans le coup… », dit l’un. « Mais oui, ça se traitait à l’Elysée, qu’est-ce que vous croyez ? », répond l’autre, visiblement amusé de la question.

Surgit alors l’idée d’aller en bibliothèque se plonger dans les délibérations passées du conseil de l’ordre. Saugrenu ! Les archives nationales n’en ont aucune trace. Si l’on se montre très patient, il est possible d’accéder aux dossiers individuels des légionnaires, mais « les mémoires de proposition, c’est-à-dire l’évaluation du mérite qui conduit à la décoration, ne sont pas joints », témoigne Olivier Ihl, confronté à ce désert documentaire pour l’une de ses recherches. « La grande chancellerie est l’une des institutions les plus secrètes de la République », regrette-t-il. Grands-croix étrangers, grands-croix français… Emmanuel Macron se satisfera-t-il de la confortable opacité qui les entoure ?

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31 mai 2017

Réflexion

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25 mai 2017

ça c'est bien vrai !

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22 mai 2017

Réflexion

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20 mai 2017

Réflexion

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20 mai 2017

À partir de quand peut-on être considéré comme « vieux » ?

Article de PAUL DOUARD

Route des fromages, soirées lecture et musique trop forte : parfois, il faut savoir regarder la vérité en face.

Je me souviendrai toujours de cet instant où j'ai prononcé les mots « Tu peux baisser un peu le son, s'il te plaît ? » pour la première fois. J'ai subitement senti une profonde décharge d'angoisse m'envahir, qui n'était sans doute rien d'autre que ce qu'on appelle plus communément la vieillesse. Quelque chose s'est alors brisé en moi. En quelques minutes, je suis passé par toutes les étapes du deuil : le choc et le déni d'abord ; puis la colère, le marchandage avec moi-même, et enfin une petite phase dépressive, avant l'acceptation finale. J'ai 28 ans, un deux-pièces aux murs de couleur taupe et j'aime bien me balader sur la plage quand j'en ai l'occasion.

Quand on a entre 20 et 30 ans, on navigue entre deux mondes différents. On ne veut plus forcément se farcir une soirée Erasmus dans un bar dansant où l'air s'est transformé en sueur de membres de BDE qui chantent du Michel Sardou, mais on ne veut pas non plus participer à une route des fromages pendant l'été. Ce moment charnière où tous les jeunes vous disent que vous êtes vieux et tous les vieux vous disent que vous êtes jeune est un enfer psychologique. Les deux camps essayent de vous attirer, l'un avec du Get 27, l'autre avec une carte d'abonnement UGC illimité. Cette période transitoire s'apparente à un pédiluve : tout le monde doit y passer, mais certains cherchent désespérément à le contourner grâce au minuscule rebord qui l'entoure – ce qui est impossible, évidemment. Chacun finit par être « vieux », mais tout le monde ne le devient pas en même temps. Récemment par exemple, je me suis rendu à un mariage où j'ai croisé une petite fille de huit ans qui semblait déjà vieille avant d'avoir vécu. Lunettes papillon et nœud dans les cheveux, elle donnait l'impression d'être née directrice de CDI – le genre qui passe le plus clair de son temps à faire « chuuuuut » aux gens.

Se faire apostropher par un vulgaire « T'es vieux » accompagné d'un sourire narquois fait toujours un peu mal, comme si cette remarque nous poussait plus rapidement que prévu vers quelque chose d'inéluctable. Mais objectivement, à partir de quand est-on considéré comme vieux par ses potes, ses collègues et l'ensemble de la société ? D'emblée, je préfère éliminer le critère le plus débile à mon sens : être en couple. Pour les inquisiteurs du célibat qui s'opposeront corps et âme au reste du monde marital, être en couple serait selon eux le début d'une nouvelle vie faite de parties de Scrabble endiablées et de week-ends en Normandie – donc a priori un truc de vieux hyper chiant. Pourtant, être en couple est un statut, un peu comme être alcoolique ou accro à la meth. C'est tout. Diriez-vous que les couples libertins et échangistes sont vieux ? Cela n'a donc aucun sens, et nous amène plutôt vers un autre critère plus pertinent pour qualifier quelqu'un de vieux : la vie sociale.

Quand on prononce le mot « vieux », un autre résonne très souvent dans notre tête : solitude. Du coup, être jeune serait étroitement lié à notre nombre d'amis et plus largement à notre vie sociale. Bien souvent, refuser de vous rendre à une soirée fait de vous « un pti' vieux » – blague qui vous fait brièvement ricaner car, bien sûr, elle ne vous touche pas mais vous empêchera néanmoins de dormir pendant huit semaines, allant même jusqu'à vous pousser à questionner des forums afin de voir si effectivement, vous êtes vieux. Il y a quelques mois, une étude réalisée par des chercheurs de l'université des sciences d'Aalto et de l'université d'Oxford suggère que nous commençons à perdre nos amis à partir de 25 ans – tout comme nos neurones. Si nous n'avons plus beaucoup d'amis une fois le quart de siècle passé, serait-ce le début des soirées Netflix, des visites d'expositions de vieilles voitures le dimanche, et donc de la vieillesse ? Difficile à dire, d'autant plus qu'une autre étude a quant à elle montré que 33 % des Français de moins de 25 ans disent se sentir seul. Par conséquent, si la solitude touche autant les jeunes que les vieux (ici, les vrais vieux), il ne s'agit pas encore de ça. Surtout, on pourrait à l'inverse croire que quelqu'un qui a beaucoup d'amis est jeune dans sa tête. Pour comprendre que cette affirmation n'a aucun sens, il suffit de vous rendre à une réunion des jeunes Les Républicains.

Un autre mot se rapproche très souvent de « vieux » : chiant. Oui, la notion de « jeune » est en fait très proche de celle de « cool » et aurait plus à voir avec votre comportement auprès des autres qu'avec votre âge. Effectivement, refuser d'être cool vous fait très souvent passer pour un vieux, comme être le mec qui ne veut pas se rendre dans ce bar « parce qu'il n'y aura pas assez de place » ou cette personne qui reste assise au fond de la pièce à faire la gueule et qui répond « Non, rien » quand on lui demande ce qui ne va pas. Si ces personnes peuvent être aussi agaçantes qu'une rage de dents, on peut être tenté de leur dire « T'es vieux ou quoi ? », ce qui revient au même que de taxer quelqu'un de chiant. Par conséquent, il se peut que vous soyez catégorisé comme vieux dès lors que vous n'êtes pas assez heureux ou enjoué aux yeux de vos amis. Vous êtes une barrière qu'ils doivent sans cesse enjamber pour faire ce qu'ils veulent, et à ce titre, vous leur rappelez inévitablement les déjeuners avec leur grand-mère lorsqu'ils ne pouvaient pas sortir de table.

Il y a aussi clairement un choix dans les activités. Être jeune s'apparente souvent à faire beaucoup de choses très divertissantes, comme baiser et boire. À l'inverse, être vieux nous éloignerait de ces deux activités réservées aux jeunes. Si cette théorie de comptoir tient potentiellement la route dans une discussion d'afterwork, la science dit l'inverse. Comme l'expliquaient récemment nos amis de Munchies, une étude publiée par l'agence publicitaire Havas Worldwide avance que 54 % des personnes âgées entre 18 et 34 ans pensent qu'un « bon repas est aussi plaisant que le sexe ». Qui plus est, s'ils ont le choix entre une partie de jambes en l'air et « un excellent resto », 35 % optent pour le dîner. Peut-être qu'en fait, être vieux c'est avant tout avoir un peu plus de fric et en profiter. Souvent, les vieux que les jeunes trouvent « cool » sont ceux qui ressemblent le plus « aux jeunes », justement – ce qui explique que ce soient très souvent des gens fauchés.

Le problème est que si vous vous sentez vieux, vous mettez déjà un pied dans la tombe. D'après les données de trois études menées entre 1995 à 2013 auprès de 10 000 personnes âgées de 24 à 102 ans, ceux qui ont déclaré se sentir plus vieux que leur âge avaient 10 à 25 % plus de chances de se faire hospitaliser dans les deux à dix ans. Finalement, on devient peut-être vieux quand on commence à se poser la question. Pensez-y la prochaine fois que vous clamez à votre pote qui veut se coucher tôt qu'il est vieux. Pourtant, il paraît que le meilleur est à venir et qu'on peut s'amuser après 30 ans – même si vouloir faire des trucs de jeunes est un mauvais départ.

19 mai 2017

Petite philosophie du macronisme

Par Nicolas Truong

Inspiré par le philosophe Paul Ricœur, rencontré en 1999, le président est marqué par son empreinte. Plongée dans un parcours intellectuel qui éclaire ses choix politiques.

Mais qui est-il ? Ricœur ou Rothschild ? L’héritier de Michel Rocard ou une rock star ? Le président Nouveau Monde ou celui de la fin de l’Histoire ? Est-il la figurine choyée de l’élite déterritorialisée ou la figure réconciliatrice d’une France fracturée, l’homme de la troisième voie ou la tête de pont du capitalisme financier ?

Depuis le sacre du Louvre, dimanche 7 mai, la France se demande de quelle façon Emmanuel Macron relie sa pensée à son action. Depuis sa victoire éclair, le monde s’interroge sur la manière dont cette start-up politique articule le dire et le faire, de quelle manière ce jeune monarque républicain aux allures de chérubin conjugue sa formation philosophique à sa pratique politique.

La réponse est sans doute dans ce « et en même temps » que le nouveau président prononce si souvent. Car Emmanuel Macron se présente à la fois comme de gauche et de droite, social et libéral, soucieux de conjuguer le roman national et l’histoire globale, le sacre de Reims et la Fête de la Fédération, Pierre Nora et Patrick Boucheron, la mémoire et l’oubli, la révolution et la monarchie.

Une source qui ne s’est pas tarie

Ce n’est pas le « ou bien ou bien » kierkegaardien mais le « et » ricœurien, cette façon de penser ensemble des choses hétérogènes, qui le caractérise. « Vouloir par exemple en même temps la libération du travail et la protection des plus précaires, cette manière d’introduire une tension soutenable entre deux énoncés apparemment incompatibles, est vraiment très ricœurienne », explique Olivier Abel, professeur de philosophie et d’éthique à la Faculté de théologie protestante de Montpellier.

« C’est Ricœur qui m’a poussé à faire de la politique », déclare M. Macron dans un entretien à l’hebdomadaire Le 1 (n° 64, 8 juillet 2015, repris dans Macron par Macron, L’Aube, 136 pages, 9,90 euros). D’où l’importance de remonter à la source, qui ne s’est d’évidence pas tarie.

En 1999, François Dosse, historien, professeur à Science Po et biographe de Paul Ricœur (1913-2005) cherche, à la demande du célèbre philosophe, un jeune doctorant pour vérifier les notes de bas de pages, les références et l’appareil critique de l’œuvre que Ricœur est en train de rédiger, L’Histoire, la mémoire, l’oubli, qui paraîtra aux éditions du Seuil en 2000.

Il propose à Emmanuel Macron, son étudiant « brillant, souriant, affectueux, sensible et conceptuel, pas ramenard ni singe savant » d’entrer en contact avec le maître de l’herméneutique et de la phénoménologie française.

Intenses échanges intellectuels

Peu impressionné en raison de sa « complète ignorance » de l’œuvre de Ricœur, qu’il n’avait pas lu, Emmanuel Macron pousse alors la porte des Murs Blancs, la maison de Châtenay-Malabry que les disciples du philosophe connaissent bien.

De la rencontre entre ce professeur de 86 ans et ce jeune homme de 22 ans naîtra une véritable relation de travail doublée d’une « relation affective du fils adoptif au (grand-)père spirituel », témoigne François Dosse. Souvent mise en doute ou contestée, l’intensité des échanges intellectuels fut réelle (« Macron, un intellectuel en politique ? », Le Monde du 2 octobre 2016).

Les « notes d’orientation » rédigées par Emmanuel Macron et conservées dans les archives du Fonds Ricœur à la Bibliothèque de l’Institut protestant de théologie de Paris, que Le Monde a pu consulter, renseignent sur la nature des apports de l’impétrant.

Macron prodigue à Ricœur des conseils éditoriaux : « Définir plus précisément le concept de chronosophie », écrit-il (à propos de la page 24 du manuscrit du chapitre 1, consacré à la mémoire et aux phénomènes mnémoniques). Il suggère des références bibliographiques : « Ne peut-on pas citer, au sujet de l’événement, Paul Veyne et son discours inaugural au Collège de France ? » (page 35). Et se risque même à quelques appréciations élogieuses ou lapidaires : « Fin très bonne » (p. 41) ou « A refaire. Précisez dès le début que vous présentez des hypothèses, formulez clairement le choix d’une histoire des ­mentalités » (à propos de la page 9 du chapitre 2 dédié à l’épistémologie des sciences historiques).

Densité des discussions

Amie intime de la famille Ricœur et chargée des archives du penseur protestant, Catherine Goldenstein témoigne de la densité des discussions « d’égal à égal » entre les deux hommes.

Celle qui accompagna Simone Ricœur, la femme du philosophe qui « s’éteignait comme une petite chandelle » et qui aida Paul Ricœur à traverser son deuil après sa mort, se souvient de « la délicatesse » de l’étudiant envers le philosophe. De son « autorité » aussi parfois, mêlée à une profonde gratitude.

Dans une lettre inédite, dont nous reproduisons l’intégralité, Emmanuel Macron écrit à Paul Ricœur qu’il ne doit voir « aucune présomption » dans les ­notes et remarques qu’il vient de lui adresser. Et déclare : « Je suis comme l’enfant fasciné à la sortie d’un concert ou d’une grande symphonie, qui martyrise son piano pour en sortir quelques notes ; à force de vous lire, de vous suivre dans l’analyse, j’ai l’envie, l’enthousiasme de m’y risquer ».

Ainsi, « n’en déplaise aux mauvaises langues », relève Olivier Mongin, directeur de la publication de la revue Esprit et ami des deux hommes, il y a bien eu « une rencontre véritable entre le vieux sage et le jeune philosophe qui s’intéresse à Hegel et Marx à l’époque ».

CETTE CAPACITÉ DE L’INDIVIDU À DÉVELOPPER SES PROPRES POTENTIALITÉS, QUI AVAIT ÉTÉ THÉORISÉE PAR PAUL RICŒUR, EST AU CŒUR DU LOGICIEL MACRONIEN

Mais que reste-t-il de Ricœur en lui ? Une « forte empreinte », assure François Dosse, soucieux de faire mentir ceux qui prétendent que cette proximité fut usurpée, voire instrumentalisée.

Tout d’abord une philosophie de la volonté qui vise à « tout faire pour rendre l’homme capable », a déclaré Emmanuel Macron le 16 novembre 2016 à Bobigny, lors de l’annonce de sa candidature.

« Devenir maître de son destin »

Car dans la pensée ricœurienne, la fragilité de « l’homme faillible » n’empêche pas « l’homme capable » d’être en mesure de mobiliser en lui-même des ressources inemployées. A la « capacité d’être lui-même » de l’homme souffrant ou agissant de Ricœur correspond chez Macron la possibilité du citoyen de parvenir à « la libre disposition de soi-même » et de « réaliser ses talents ».

Cette capacité de l’individu à développer ses propres potentialités, qui avait été théorisée par Paul Ricœur, ou bien cette « capabilité » conceptualisée plus tard par l’économiste Amartya Sen, sont au cœur du logiciel macronien. Ainsi, selon Emmanuel Macron, la politique doit « déployer le cadre qui permettra à chacun de devenir maître de son destin, d’exercer sa ­liberté. Et de pouvoir choisir sa vie ».

La force du récit, aussi, est un puissant motif ricœurien chez le président. Un « pouvoir de raconter » qui, comme le disait Ricœur lors de la réception du Kluge Prize, en 2005, « occupe une place éminente parmi les capacités dans la mesure où les événements de toute origine ne deviennent lisibles et intelligibles que racontés dans des histoires ».

Ainsi « l’identité narrative » de Ricœur s’oppose aux identités figées, puisque le récit que l’on fait de sa propre vie, écrit le philosophe, « offre la possibilité de raconter autrement et de se laisser raconter par les autres ». C’est précisément ce qui arrive à Emmanuel Macron, qui met en scène sa propre histoire et le récit de sa généalogie : « J’étais donc un enfant de la province (…). Né dans la Somme, je vivais l’entrée à Paris comme une promesse d’expérience inouïe, de lieux magiques. » (Révolution, 264 pages, 17,90 euros).

« Le vrai projet patriote »

Le storytelling de meeting a souvent été pointé. Mais sa conception du récit héritée de Ricœur lui fait préférer les appartenances aux essences. Ainsi n’oppose-t-il pas « l’identité heureuse » d’Alain Juppé à « l’identité malheureuse » d’Alain Finkielkraut, mais il propose une histoire ouverte de l’identité de la France.

« Ce que nos adversaires disent, c’est qu’il y a quelques vrais Français, de souche, paraît-il. Moi, je ne sais pas ce qu’est une souche unique ; nous en avons tous de multiples. Donc, ­notre projet, c’est le vrai projet patriote. Parce qu’être patriote, c’est aimer le peuple français, son histoire, mais l’aimer de manière ouverte », déclare Macron à Reims, le 17 mars. « Le projet national français n’a jamais été un projet clos », prolonge-t-il dans le magazine L’Histoire, car la culture nationale s’est construite dans « l’ouverture au grand large ».

Ainsi l’identité narrative est une subtile dialectique du « même » et de l’« autre », et permet à l’individu tout comme à un pays d’ailleurs, d’être pluriel, ouvert, divers : « Soi-même comme un autre », disait Paul Ricœur.

Une pensée de la mémoire enfin, qui éclaire sans doute les débats houleux suscités à ce sujet par les prises de position d’Emmanuel Macron sur la colonisation. Dans La Mémoire, l’histoire, l’oubli (2000), ouvrage au sein duquel l’ancien étudiant est remercié pour sa « critique pertinente de l’écriture et la mise en forme de l’appareil critique », Paul Ricœur défend l’idée d’une « politique de la juste mémoire ». Entrant de plain-pied dans les controverses hautement sensibles du moment, le philosophe se déclare « troublé par l’inquiétant spectacle que donnent le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs, pour ne rien dire de l’influence des commémorations et des abus de mémoire – et d’oubli ».

Appartenant à une génération qui, sur le plan ­historique, n’a « ni totems ni tabous », ­ Emmanuel Macron n’a pas hésité à ­mettre la plume dans la plaie lorsqu’il qualifia, à Alger, la colonisation de « crime contre l’humanité » et de « vraie barbarie ». Et il ne faut pas oublier que c’est l’attitude du socialiste Guy Mollet qui, lors de la guerre d’Algérie, poussa Ricœur à quitter la SFIO.

Mais, ici encore, il s’agit de concilier les contraires. Il s’agit pour le président de dire « en même temps » que « la racine du phénomène colonial est mauvaise » et de « reconnaître la souffrance des harkis et des pieds noirs ». Conclusion de Macron dans une formule que n’aurait pas démentie Ricœur : une politique ­digne de ce nom doit aujourd’hui « réconcilier les mémoires ».

« Ethique de la discussion »

Un respect et une reconnaissance des points de vue opposés lorsqu’ils se déploient dans le cadre de l’argumentation rationnelle, comme en témoigne par exemple son souhait de faire applaudir ses adversaires le soir du premier tour, s’inscrivent également dans les pas du philosophe.

« Paul Ricœur disait souvent : “Tous les livres sont ouverts devant moi. Toutes les pensées, tous les points de vue.” Il avait une extraordinaire capacité de comprendre l’altérité, et de ne pas délégitimer le point de vue opposé au sien avant de le critiquer. Emmanuel Macron s’est souvent réclamé de cette éthique de la discussion », fait observer la philosophe ­Monique Canto-Sperber, théoricienne du libéralisme de gauche.

Autre point central pour comprendre la filiation intellectuelle du nouveau président : Ricœur, « c’est l’autre voie de Mai-68 », fait observer Emmanuel Macron (Macron par Macron, p. 22). Non pas celle de la déconstruction, mais celle de l’interprétation ; non pas celle de la révolution, mais celle de la réforme.

Ricœur n’est pas sur les barricades dans ces années de poudre, mais à Nanterre dont il sera le doyen entre 1969 et 1970, un jour même chahuté par des étudiants insurgés de l’université. Ricœur permet donc à Macron de refuser le repli rance des réactionnaires tout comme une certaine outrance des gauchistes libertaires.

C’est pour cela qu’il faut lire jusqu’au bout la phrase d’Emmanuel Macron : « C’est Ricœur qui m’a poussé à faire de la politique, parce que lui-même n’en avait pas fait. » Parce le philosophe était « malheureux de tout ce qu’il n’avait pas dit lors de cette période » et fut, comme beaucoup, intimidé par « la brutalité du moment », poursuit-il. Il faut donc passer de la réflexion à l’action. Non plus seulement dire, mais faire.

Troisième voie

Ainsi Emmanuel Macron fait sienne la célèbre phrase de Karl Marx : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit maintenant de le transformer. » Mais, cette philosophie de l’agir le conduit bien loin de l’insurrection prolétarienne chère au philosophe allemand. Il s’agit d’une « révolution » réformiste qui s’inscrit dans le sillage de Michel Rocard, dont Ricœur était proche et avec qui il dialogua longuement au sein de la revue Esprit (Philosophie, éthique et politique. Entretiens et dialogues, Paul Ricœur, Seuil, 232 pages, 21 euros).

Cette revue fondée en 1932 par Emmanuel Mounier représenta d’ailleurs un précieux « foyer de discussion » tant pour le maître que pour l’élève. Au point qu’Antoine Garapon, juriste et actuel directeur de la rédaction aille jusqu’à percevoir en Emmanuel Macron un « devenir du personnalisme », à savoir un prolongement de la philosophie de Mounier qui, à l’époque, cherchait une troisième voie entre le capitalisme et le communisme à partir d’une morale fondée sur le respect de la personne.

AINSI POURRAIT-ON DIRE QUE LE MACRONISME, C’EST L’UBÉRISATION PLUS LES CARS MACRON, LA FLEXISÉCURITÉ PLUS LA 4G

Entre 2000 et 2011, Emmanuel Macron a publié six articles et comptes rendus d’ouvrages dans la revue Esprit, dont un sur la réforme de l’Etat et un autre sur L’Histoire, la mémoire, l’oubli, tout à fait « remarquables et pour lesquels il n’y avait rien à retoucher » se souvient Marc-Olivier Padis, alors directeur de la rédaction d’Esprit.

Retiré du comité de rédaction dans la foulée de sa candidature, Emmanuel Macron – qui a été membre de son conseil d’administration – demeure aujourd’hui actionnaire de la revue.

L’actualité confère à l’article intitulé « Les labyrinthes du politique. Que peut-on ­attendre pour 2012 et après ? » (Esprit, mars-avril 2011) une saveur tout à fait particulière. Critiquant la polarisation du temps politique sur la préparation de l’élection, qualifiée de « spasme présidentiel », Macron estime que « le débat idéologique » est la condition même de la « restauration de l’action politique », trop souvent contrainte d’adopter des lois dans l’urgence et « la pression médiatique qui impose une quasi-transparence, en temps réel, de la décision ». (« Dans l’Esprit d’Emmanuel Macron », Le Monde de 1er septembre 2014).

Un progressisme libéral

Mais quelle est donc son idéologie ? En voulant rassembler des personnalités de droite et de gauche, l’ancien ministre de l’économie a choisi la coexistence d’éléments en apparence divergents plutôt que l’opposition des contraires.

M. Macron préfère donc le dialogique à la dialectique. Mais le président bipartisan n’en est pas moins le théoricien d’un dépassement des contradictions par une synthèse nouvelle. A l’opposition gauche-droite, Emmanuel Macron veut substituer celle entre progressistes et conservateurs. Ainsi le président oppose-t-il la « mise en mouvement » contre le cloisonnement (des idées comme des villages).

C’est en ce sens que « la mobilité physique est loin d’être anecdotique », dit-il. Lénine disait que « le communisme, c’est les soviets plus l’électricité ». Ainsi pourrait-on dire que le macronisme, c’est l’ubérisation plus les cars Macron, la flexisécurité plus la 4G. C’est pourquoi le macronisme est un progressisme libéral.

« Un libéralisme pragmatique et optimiste », précise son ami Jacques Attali, qui lui fit rencontrer François Hollande et l’invita à devenir rapporteur général adjoint de la Commission sur la libéralisation de la croissance française, en 2007-2008. Un libéralisme politique qui se rapproche davantage de celui de John Stuart Mill (1806-1873) que de celui d’Alexis de Tocqueville (1805-1859), notamment parce que l’économiste britannique associait non pas le conservatisme, mais le socialisme et le féminisme à son libéralisme.

Selon Thierry Pech, directeur général du groupe de réflexion Terra Nova, Emmanuel Macron fait la synthèse de trois courants politiques : social-démocrate, ­libéral-social et chrétien-démocrate. La social-démocratie est présente dans sa volonté de mettre en place une flexisécurité, un accompagnement social de la « société du risque », selon l’expression du sociologue Ulrich Beck (1944-2015), à l’image des pays qui, comme la Suède, associent la flexibilité du travail à la sécurité du parcours des travailleurs. Le libéralisme social ou encore le « centrisme radical » offre, lui, un cadre à « la société des individus », ainsi que l’a théorisé le sociologue Anthony Giddens et tel que Tony Blair l’a appliqué au Royaume-Uni.

Enfin la démocratie chrétienne est à la fois présente dans l’aspiration spirituelle et dans le sérieux budgétaire. Le macronisme serait donc une nouvelle synthèse de ces familles politiques parfaitement compatibles. Le libéralisme bien compris et l’économie du microcrédit : « Tocqueville + Amartya Sen, voilà le chemin du progrès ! », résume Thierry Pech.

« Candidat de la volonté »

Les néoréactionnaires dominaient la scène intellectuelle, les néoconservateurs enchaînaient les pamphlets à succès, « on commençait à raser les murs », se souvient Thierry Pech, l’auteur d’Insoumissions. Portrait de la France qui vient (Seuil, 240 pages, 18 euros).

Et voici qu’un progressiste libéral « terrasse le dragon ». Il a su à la fois répliquer aux antimondialistes de droite et aux antiglobalisations de gauche, renchérit Jacques Attali, en affichant un « libéralisme et un cosmopolitisme décomplexé ». Car Macron n’a pas de complexe avec le succès. Pour lui, « il ne faut pas s’excuser de réussir », renchérit Attali.

Dans la politique et dans la vie, « il y a ceux pour qui le scandale c’est la richesse, et ceux pour qui le scandale c’est la pauvreté, poursuit-il. Macron n’aime pas les rentes et les professions réglementées. Il préfère ceux qui font de l’argent plutôt que ceux qui en ont ».

C’est « le premier président libéral à l’optimisme entrepreneurial », assure l’historien et philosophe Marcel Gauchet. Tout d’abord sceptique devant ce « personnage énigmatique » qu’il rencontra à l’Elysée au début du quinquennat de François Hollande, Marcel Gauchet le trouva, cinq ans plus tard, beaucoup plus « consistant ». Celui qui n’était qu’un « technocrate étriqué, désinvolte et arrogant » il y a quelques années s’est transformé en un « candidat de la volonté », en un président du « réformisme social ». Non pas en intellectuel, mais en « politicien cultivé ».

L’exemple de sa politique scolaire résume bien sa philosophie. Selon Philippe Raynaud, professeur de sciences politiques et auteur de L’Esprit de la Ve République (Perrin, 250 pages, 19,90 euros), François Fillon, c’était le retour des blouses grises et du roman national ; Benoît Hamon, l’extension de l’école unique et la disparition des filières élitistes, comme les classes bilangues. Macron, c’est aider les zones d’éducation prioritaires (ZEP), « et en même temps » rétablir le latin et le grec.

Il s’agit donc pour M. Macron de « rendre les conditions de la compétition équitable », explique Philippe Raynaud. Ce n’est pas le retour de l’Ancien Régime, mais celui de la Révolution de l’année 1789, celle qui disait aux citoyens : la carrière est ouverte aux talents ! » Pourtant, il y a quelque chose de troublant et d’éclairant dans ses dires et son comportement.

Le roi est mort, vive le roi !

En 2015, Emmanuel Macron expliquait qu’il y a dans la démocratie « un absent ». Et que cet absent est la « figure du roi », dont il est persuadé que « le peuple français n’a pas voulu la mort ». Même si la France a tenté de « réinvestir le vide » avec Napoléon Bonaparte et Charles de Gaulle, poursuit-il, l’espace reste vacant. Et « ce que l’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction ». Le roi est mort, vive le roi ! La République serait ainsi hantée par une ombre portée et une figure monarchique regrettée.

Cherchant à s’appuyer sur les mouvements – Charles de Gaulle aurait dit les rassemblements – contre les partis, la rhétorique macronienne assume la monarchie républicaine. Et fait, selon Philippe Raynaud, écho au général de Gaulle qui, à propos de la Constitution de 1958, se demandait : « Vais-je saisir l’occasion historique que m’offre la déconfiture des partis pour doter l’Etat d’institutions qui lui rendent, sous une forme appropriée aux temps modernes, la stabilité et la continuité dont il est privé depuis cent soixante-neuf ans ? » Cent soixante-neuf ans auparavant, autrement dit… depuis 1789.

Fin de l’homme normal et du pouvoir horizontal, retour du monarque et de la décision verticale. Voilà qui ne va pas calmer les contempteurs d’Emmanuel Macron, ­régulièrement campé en roitelet des marchés financiers.

Car le questionnement des proches ou des partisans ne doit pas faire oublier les innombrables critiques dont il est l’objet. Comme celle, particulièrement acerbe, de Frédéric Lordon, selon qui Macron « est le spasme d’un système » oligarchique « qui repousse son trépas, sa dernière solution ». (« La Pompe à phynance », blog du Monde diplomatique, 12 avril 2017).

Président de la « post-politique » pour l’historien des idées François Cusset, ancien candidat de la « post-histoire » pour Michel Onfray, les critiques de ceux qui ne sont pas Macron sont légion parce qu’il serait l’incarnation du « cercle de la raison ».

Pour l’heure, le macronisme est un syncrétisme. Aussi bien un bonapartisme ­social qu’un progressisme libéral, aussi bien un dégagisme oligarchique qu’un libéralisme transcendantal. Mais qui l’a fait roi ? Sa bonne étoile et l’extraordinaire alignement des planètes formé par les forfaits et les rebondissements d’une campagne folle ? Nul ne le saura. Car, comme l’écrivait Paul Ricœur, « on ne sait jamais ce qui est hasard et ce qui est destin ».

14 mai 2017

« M. Macron, soyez un président littéraire » - Par Eric-Emmanuel Schmitt, de l’académie Goncourt

La France se distingue par sa tradition littéraire. Certains des présidents de la Ve République ont affiché ouvertement leur attachement aux lettres. Emmanuel Macron doit renouer avec ce passé, considère, dans sa tribune, Eric-Emmanuel Schmitt.

Bientôt, un nouveau président s’installera aux commandes de la France. Je lui souhaite très sincèrement de réussir car je nous souhaite, à tous, violemment, de réussir. Sa chance sera la nôtre. Emmanuel Macron, jeune (ça ne dure pas), intelligent (ça dure), doué (ça aide), humaniste (ça se cultive), modeste (ça s’oublie facilement), ambitieux (du moment que c’est pour la France et pas pour lui), dégage un dynamisme optimiste que j’espère contagieux et dans lequel nous gagnerions à nous reconnaître. Je voudrais attirer son attention sur ce qui, aujourd’hui, semble anecdotique, mais se révèle, avec le recul, symbolique et significatif : le rapport du président à la littérature.

La France est un pays littéraire. Littéraire parce qu’on y lit beaucoup et qu’on y écrit encore plus. Littéraire car on se nourrit de La Fontaine, de Saint-Exupéry ou de Marcel Aymé à la mamelle. Littéraire parce que l’on y traverse l’adolescence avec Verlaine, Rimbaud, Baudelaire. Littéraire car on appelle la langue celle de Molière. Littéraire parce que la nation rayonne par ces écrivains et penseurs dans le monde, de Voltaire à Lévi-Strauss. Littéraire car elle médiatise ses auteurs qui sont reconnus, salués, fêtés dans les rues, des rues qui portent souvent le nom de romanciers, de poètes ou de dramaturges. Littéraire parce qu’il y a autant de prix littéraires que de fromages ou de jours dans l’année. Littéraire car tout le monde veut écrire un livre, même ceux qui se contentent de le signer. Littéraire parce qu’y règne l’idée que la littérature ennoblit : à la différence des médias qui écrivent sur l’eau, elle s’imprime sur le papier et se grave dans le marbre, défiant l’usure des ans. Littéraire car ses écrivains demeurent, même quand leur génération s’est éteinte. Littéraire tant elle aime flirter avec l’éternel.

Il fut un temps où les présidents de la République française affichaient leur lien avec la littérature. Charles de Gaulle ne se contenta pas de lire, il se montra un mémorialiste magistral. Georges Pompidou, agrégé de lettres, composa une Anthologie de la Poésie qui servit de bréviaire à mes jeunes années. Valéry Giscard d’Estaing cria son amour pour Maupassant et siège désormais à l’Académie française. François Mitterrand se régala de façon fine et gourmande des ouvrages, multipliant les rencontres avec les écrivains qu’il savourait, tel Michel Tournier.

L’homme qui lit atteint l’universel

Après eux, le moule s’est cassé. Non que Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, soient dépourvus de culture, mais nous constatons de manière euphémique que, de la littérature, ils ont une curiosité ponctuelle, pas la passion. Or, de façon concomitante, la fonction présidentielle a perdu de son autorité et de son prestige. N’y aurait-il pas un lien ?

Aimer la littérature, c’est dépasser les clivages, les lobbys et les camps. Aimer la littérature, c’est s’intéresser autant aux ouvriers que décrit Zola qu’à la Princesse de Clèves, autant aux paysans de Sand qu’aux aristocrates de Proust, autant aux libertins de Laclos qu’aux âmes souffrantes de Bernanos, autant au christianisme de Bossuet qu’à sa critique par Diderot. Aimer la littérature, c’est non seulement dépasser les idéologies figées mais franchir les frontières : c’est devenir russe en lisant Dostoïevski, japonais avec Mishima, italien avec Moravia, allemand avec Mann, égyptien avec Mahfouz. La littérature enjambe même les frontières du temps puisqu’elle m’a permis de vivre au Ve siècle av. J.-C. avec Sophocle ou à la renaissance avec Shakespeare et Cervantes.

L’homme qui lit atteint l’universel. Il n’incarne plus un seul groupe, des intérêts précis, une classe sociale, un étage de la société, non, il transcende les définitions et ne connaît plus rien d’étranger. Il épouse le multiple dans sa complexité. Et qu’est-ce qu’un président, sinon celui qui épouse le multiple dans sa complexité ?

Emmanuel Macron éprouve cet amour de la littérature : il entreprit des études de lettres, de philosophie et souhaita, me dit-on, devenir écrivain. A son emploi de la langue, à son goût de la précision, à son bonheur de s’appuyer sur l’adjectif bien choisi, je perçois l’éventuel président littéraire. Soyez-le sans honte, Monsieur Macron, avec éclat. En étant un président littéraire, vous serez le Président de tous.

7 mai 2017

Rêvez !

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27 avril 2017

Réflexion

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