In memorem : Une armée fantôme a volé au secours de Brest
En août 1944, une armée de chars, de canons et de jeeps s’est jointe au siège de la ville. Mais tout cela n’est qu’illusion ! Les engins sont en latex et l’unité est composée d’artistes. Ils ont contribué à la libération de Brest le 18 septembre.
Normandie, fin juillet 1944. Quatre GIs s’approchent d’un char stationné dans un champ. Sous les yeux médusés d’un paysan local, ils soulèvent le mastodonte comme un fétu de paille ! L’armée fantôme vient de débarquer. En quelques semaines, elle va semer le trouble dans les rangs allemands. L’armée fantôme - ou Ghost Army - est née dans les usines de latex du Mississippi en 1943. Mais l’idée est pourtant britannique, comme le rappelle Fañch Guillemin, magicien brestois féru d’histoire :« Dès 1942, le Royal Magic Corps, un groupe de soldats illusionnistes, se joue des troupes de Rommel dans le désert africain. Les Américains se sont simplement inspirés du génie anglais et y ont apporté leur immense potentiel industriel. » Habitués aux ballons géants des grandes parades, les Américains produisent à la chaîne des avions, des jeeps, des canons et des chars d’un réalisme étonnant. Peint à la main, chaque modèle est unique et porte le numéro de série de son double d’acier. Par cargos entiers, ces « jouets » rejoignent leur unité en France, le 23 rd HQ Special Troops . Il s’agit d’un millier d’hommes dénichés dans des écoles d’art ou des agences de publicité.« La mission de cette troupe, composée de comédiens, peintres, photographes, ingénieurs du son, scénographes, attachés de presse et maquilleurs, est d’utiliser la ruse pour duper l’ennemi en se faisant passer pour d’autres soldats ou en prêtant vie à leurs inoffensives armes de caoutchouc », rapporte Rick Beyer, réalisateur du documentaire de The Ghost Army .
« Sans tuer personne »
Lorsque le 23 HQ arrive près de Brest le 18 août, la ville est déjà assiégée depuis onze jours.« Avec le repli de la VIe Division blindée, l’armée fantôme a pour mission de soutenir les IIe et VIIIe divisions d’infanterie du général Troy Middleton ,précise Fañch Guillemin.Elle doit simuler la présence de chars et figurer un bataillon entier d’artillerie de campagne ! » Dont acte. Pendant une semaine, l’armée fantôme leurre les Allemands, les oblige à repositionner régulièrement leur défense et les contraint à une veille permanente. Cinq sonic halftracks , des autochenilles blindées embarquant d’énormes enceintes, imitent des mouvements de chars chaque nuit. Les faux messages radios se multiplient. Les canons de baudruche crachent des flammes qui dupent jusqu’à la Kommandantur brestoise. Tant et si bien que les troupes assiégées finissent par les prendre pour cibles :« Ils reçurent entre vingt et trente obus des batteries allemandes » , écrit Eric Rondel, auteur de La Libération de la Bretagne.« Finalement, l’armée fantôme aura mené sa part du combat sans tuer une seule personne et en épargnant de nombreuses vies » , insiste Fañch Guillemin. Frappée du sceau du secret, son action demeurera néanmoins inconnue du grand public jusqu’en 1996 ; un hommage tardif pour tous ces vieux fantômes qui avaient enfin fini de ne pas exister. Article de Nicolas CHAFFRON.