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Jours tranquilles à Paris
aung san suu kyi
3 septembre 2018

Liberté de la Presse - Birmanie

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9 mars 2018

Silence sur les Rohingyas : un prix retiré à Aung San Suu Kyi

La prix Nobel de la paix 1991, à la tête du gouvernement civil depuis 2016, a été pointée du doigt pour son manque de compassion à l’égard des Rohingyas et pour son silence sur le rôle de l’armée.

Le Musée de l’Holocauste de Washington a retiré mercredi 7 mars à la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi un prix décerné pour son combat contre la dictature et en faveur des libertés, en raison de son inaction dans la crise des Rohingyas.

Près de 690 000 musulmans rohingyas vivant dans l’ouest de la Birmanie se sont réfugiés au Bangladesh voisin depuis fin août 2017 pour fuir une opération de l’armée, qualifiée de campagne d’« épuration ethnique » par les Nations unies. « Nous avions espéré que vous – en tant que personne saluée pour votre engagement en faveur de la dignité humaine et les droits de l’homme universels – fassiez quelque chose pour condamner et stopper la brutale campagne militaire, et exprimiez votre solidarité avec la population rohingya », a expliqué le Musée dans un communiqué.

Mais « la Ligue nationale pour la démocratie, sous votre direction, a au contraire refusé de coopérer avec les enquêteurs des Nations unies (et) propagé une rhétorique de haine à l’encontre de la communauté rohingya », a ajouté le Musée en allusion au parti politique de Mme Aung San Suu Kyi. Il appelle en outre la dirigeante à user de son « autorité morale pour répondre à cette situation ».

« Action courageuse »

Cantonnée à la dissidence pendant près de trente ans, dont 15 en résidence surveillée, Aung San Suu Kyi avait reçu le premier prix « Elie Wiesel » décerné en 2012 par le Musée de l’Holocauste, pour son « action courageuse et son grand sacrifice personnel » contre la junte birmane et sa lutte pour « la liberté et la dignité du peuple birman ».

Mais la prix Nobel de la paix 1991, à la tête du gouvernement civil depuis 2016, a été pointée du doigt pour son manque de compassion à l’égard des Rohingyas et pour son silence sur le rôle de l’armée, avec laquelle elle doit composer sur le plan politique.

Influencés par un fort nationalisme bouddhiste, une majorité des Birmans considèrent les Rohingyas comme des étrangers et les voient comme une menace à la prédominance bouddhiste du pays.

19 septembre 2017

Religions « de paix » et « de guerre » en Birmanie

Par Jean-Pierre Filiu, Professeur des universités à Sciences Po

La tragédie des Rohingya de Birmanie rappelle, s’il en était besoin, que le bouddhisme n’est pas plus une religion « de paix » que l’islam ne serait une religion « de guerre ».

Imaginons un pays fictif d’Asie dont la culture ancestrale et l’art de vivre nourriraient à l’étranger une fascination durable. Peuplé à plus de 90 % de musulmans, il aurait longtemps été dirigé par une junte militaire, inspirée des dictatures en place au Pakistan et au Soudan. Ce pays serait resté longtemps fermé au monde extérieur jusqu’à ce qu’une ouverture démocratique, très contrôlée par les généraux, s’opère progressivement. L’icône de cette transition aurait été surnommée la Sayyida, la Dame, tant cette fille d’un père de l’indépendance aurait su préserver une inébranlable résistance durant les années les plus sombres de la répression.

Honorée du prix Nobel de la Paix, la Sayyida aurait aussi été célébrée dans une production hollywoodienne, réalisée par un cinéaste français, où son rôle aurait été tenu par une star de Bombay. Son immense prestige n’aurait cependant pas fait taire les critiques croissantes de son autoritarisme, et surtout de sa soumission aux diktats des militaires. Ceux-ci ne lui auraient concédé que le titre de « conseillère spéciale de l’Etat » et la direction de fait, et non en droit, du gouvernement. La Sayyida en serait venue à cautionner l’acharnement de la soldatesque locale contre la minorité bouddhiste, d’abord privée de ses droits à la nationalité, puis victime d’une politique systématique d’épuration ethnique. Le monde entier se serait naturellement dressé contre une telle infamie.

Deux poids deux mesures

Ce pays mythique restera une fiction, alors que la tragédie birmane est bien réelle. Mais imaginons un instant le tonnerre de protestations qui aurait accompagné les persécutions aujourd’hui infligées en Birmanie, si celles-ci avaient été menées par des musulmans, toujours soupçonnés de violence, à l’encontre de bouddhistes, spontanément crédités de pacifisme. La Sayyida n’existe pas, c’est Luc Besson qui a mis en scène la « Lady » sous les traits de Michelle Yeoh. Mais Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix en 1991, assume aujourd’hui à la face du monde la responsabilité des massacres perpétrés à l’encontre des musulmans de Birmanie. Elle ne couvre pas tacitement les crimes des militaires birmans, elle dénonce la « désinformation » de ceux qui les dénoncent, au point d’annuler un déplacement prévu à l’ONU.

Notre monde s’est habitué, depuis Sarajevo et Grozny, à ce que les massacres de musulmans laissent de marbre des consciences qui s’émeuvent légitimement face à d’autres violations massives des droits de l’homme. La lutte contre le « terrorisme islamiste » est bien commode pour justifier des indignations aussi sélectives. Oui, l’Armée du Salut des Rohingya du Arakan (ARSA) a ouvert cette crise, le 25 août, en menant des attaques coordonnées contre les forces birmanes de sécurité. Non, la Birmanie, confrontée pourtant depuis des décennies à différentes guérillas ethniques, n’a jamais vu un tel acharnement contre une population civile assimilée aux « terroristes » et traitée comme telle. Oui, l’ARSA a proclamé un cessez-le-feu dès le 30 août, que l’armée birmane a balayé pour mieux expulser en masse les Rohingya vers le Bangladesh. Non, la « désinformation » n’est pas à sens unique, elle est largement pratiquée par les uns comme les autres.

Une tragédie terriblement prévisible

L’engrenage menant à la crise actuelle remonte au moins à 2012, quand une vague de troubles a frappé la province birmane d’Arakan/Rakhine, frontalière du Bangladesh. Les Rohingya, qui représenteraient le tiers de la population de cette province, ont dès lors été la cible d’une politique discriminatoire en Birmanie même, tandis que les civils réfugiés au Bangladesh se voyaient interdire le retour dans leur pays natal. Une attaque menée par un obscur groupe Yakin, en octobre 2016, a entraîné une nouvelle vague de répression et d’expulsions. C’est ce groupe Yakin, devenu depuis l’ARSA, qui a déclenché, nous l’avons vu, la tragédie en cours.

J’avais, en février dernier, mis en garde contre l’abcès de fixation djihadiste que pourrait rapidement constituer la Birmanie si rien n’était fait pour traiter au niveau local et politique ce qui est fondamentalement un problème politique et local. L’ARSA continue d’avoir la Birmanie, et la Birmanie seule, pour horizon, tandis que la propagande djihadiste tente de se saisir de la tragédie des Rohingya au profit, entre autres, d’une implantation plus solide de Daech en Asie du Sud-Est. Il est certain que la zone frontalière entre le Bangladesh et la Birmanie fournirait des possibilités infinies à des réseaux transnationaux, que personne n’a encore signalés sur ce théâtre.

Le dalaï-lama et Kofi Annan

Barbet Schroeder, dans son récent documentaire Le Vénérable W, a jeté une lumière crue sur le courant extrémiste qui, au sein du bouddhisme birman, prône une haine féroce à l’encontre des musulmans. Le Dalaï-Lama a jugé de tels débordements assez dangereux pour proclamer récemment que « Bouddha aurait aidé ces pauvres musulmans ». Une confrontation religieuse est donc tout sauf inévitable. D’autant que le Bangladesh, troisième pays musulman le plus peuplé du monde, est loin d’épouser la cause des Rohingya, qu’il voudrait surtout détourner de son territoire. Le Bangladesh, qui a atrocement souffert lors de sa guerre d’indépendance de 1971 contre le Pakistan, ne nourrit aucune illusion sur les limites de la solidarité « islamique ».

Il n’est peut-être pas trop tard pour éviter une nouvelle escalade dont ne pourraient profiter que les réseaux djihadistes. Le rapport remis à Aung San Suu Kyi, le 23 août, par Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, et lui aussi prix Nobel de la Paix, fournit toutes les recommandations nécessaires en vue d’une solution durable de la crise dans la province birmane de Rakhine/Arakan. Mais la majorité bouddhiste de Birmanie doit enfin accepter que les musulmans de ce pays ne sont pas des citoyens de seconde zone, voire des étrangers à pousser à l’exode. Cette crise, politique et non religieuse, a donc des enjeux qui dépassent de loin la Birmanie et le sort des Rohingya. Il serait temps d’en tirer toutes les conséquences.

19 septembre 2017

La Birmanie prête à organiser le retour des réfugiés rohingyas (Suu Kyi)

aung224La dirigeante birmane Aung San Suu Kyi a assuré mardi que la Birmanie était "prête" à organiser le retour des plus de 410.000 Rohingyas réfugiés au Bangladesh voisin, se disant "profondément désolée" pour les civils "pris au piège" de la crise.

"Nous sommes prêts à débuter la vérification" des identités des réfugiés, en vue de leur retour, a-t-elle déclaré dans l'enceinte du parlement, à Naypyidaw, la capitale birmane, dans un discours télévisé très attendu après plus de trois semaines de troubles dans l'ouest de la Birmanie.

"Nous condamnons toutes les violations des droits de l'homme", a ajouté Aung San Suu Kyi, sans citer l'armée, accusée d'incendier des villages et de tirer sur des civils.

L'ONU de son côté a parlé d'"épuration ethnique".

"Les forces de sécurité ont reçu des instructions" afin de "prendre toutes les mesures pour éviter les dommages collatéraux et que des civils soient blessés" lors de l'opération antiterroriste, a-t-elle encore dit.

"Nous sommes profondément désolés pour les souffrances de tous ceux qui se sont retrouvés pris au piège de ce conflit", a-t-elle ajouté, évoquant les civils ayant fui en masse au Bangladesh, mais aussi les bouddhistes ayant fui leurs villages dans la région.

"Nous ne voulons pas que la Birmanie soit divisée par les croyances religieuses", a-t-elle insisté, alors que l'opinion publique birmane est chauffée à blanc par les critiques internationales sur le sort des Rohingyas.

Les violences et discriminations contre les Rohingyas se sont intensifiées ces dernières années: traités comme des étrangers en Birmanie, un pays à plus de 90% bouddhiste, ils représentent la plus grande communauté apatride du monde.

Depuis que la nationalité birmane leur a été retirée en 1982, ils sont soumis à de nombreuses restrictions: ils ne peuvent pas voyager ou se marier sans autorisation, et ils n'ont accès ni au marché du travail ni aux services publics (écoles et hôpitaux).

aung254

18 septembre 2017

Birmanie

"Nettoyage ethnique" en Birmanie. Environ 370 000 Rohingyas se sont réfugiés au Bangladesh depuis le 25 août, afin de fuir les violences de l'armée birmane qui participe à une idéologie de défense du bouddhisme face à l'islam. "Il y a une démocratisation en Birmanie, mais Aung San Suu Kyi est prisonnière de sa constitution. Impossible de savoir ce qu'elle sait ou pense vraiment", explique l'ethnologue Bénédicte Brac de la Perrière

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16 septembre 2017

Birmanie. L'Onu craint « le scénario du pire » pour les Rohingyas

La situation humanitaire continue de se dégrader au Bangladesh, étranglé par l'afflux de près de 389.000 musulmans rohingyas fuyant les violences en Birmanie. L'absence d'issue en vue laisse redouter, selon l'Onu, un « scénario du pire ».

Après des jours de marche dans la boue, avec, sur leurs dos, des bébés ou des personnes âgées, des réfugiés rohingyas s'arrachaient, hier, les portions alimentaires distribuées dans le camp d'Ukhia, près de Cox's Bazar, dans le sud du Bangladesh. Autorités locales et organisations étrangères sont débordées par cette marée humaine qui fuit une campagne de répression de l'armée birmane consécutive à des attaques de rebelles rohingyas.

La communauté internationale doit se préparer à l'éventualité d'un « scénario du pire » dans cette crise humanitaire, a averti, hier, un responsable onusien, à savoir le déplacement de tous les Rohingyas présents dans l'État Rakhine (Ouest) vers le Bangladesh.

Les Rohingyas sont estimés à environ un million. À l'heure actuelle, entre 10 et 20.000 Rohingyas épuisés, affamés et parfois blessés franchissent chaque jour la frontière. Au Bangladesh, nation parmi les plus pauvres de la planète, les camps de réfugiés préexistants croulent sous cet afflux.

Ambiguïté de Aung San Suu Kyi

Face à l'ampleur de l'exode, l'Onu n'hésite plus, depuis quelques jours, à parler d'« épuration ethnique ». Mercredi, le Conseil de sécurité a réclamé à la Birmanie des mesures « immédiates » pour faire cesser la « violence excessive » au Rakhine. Lui emboîtant le pas, le Parlement européen a adopté, hier, une résolution demandant à l'armée de « cesser immédiatement » ses exactions. Les récits des réfugiés se font l'écho de massacres, incendies de villages, tortures et viols collectifs.

L'ex-dissidente et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi est sous le feu des critiques à l'international pour sa position ambiguë sur ce dossier. Les violences et discriminations contre les Rohingyas sont allées en s'intensifiant ces dernières années : traités comme des étrangers en Birmanie, un pays à plus de 90 % bouddhiste, les Rohingyas représentent la plus grande communauté apatride du monde.

Depuis que la nationalité birmane leur a été retirée en 1982, ils sont soumis à de nombreuses restrictions : ils ne peuvent pas voyager ou se marier sans autorisation, ils n'ont accès ni au marché du travail, ni aux services publics (écoles et hôpitaux).

La dirigeante birmane, au pouvoir depuis avril 2016 après les premières élections libres depuis plus de 20 ans, a promis de sortir de son silence mardi prochain, lors d'un grand discours à la nation birmane.

15 septembre 2017

Minorité Rohingya - le Conseil de sécurité de l’ONU dénonce une « violence excessive » de la Birmanie

Le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) a réclamé à la Birmanie « des pas immédiats », mercredi 13 septembre, pour faire cesser « une violence excessive » à l’encontre de la minorité musulmane Rohingya, qui fuit le pays en masse pour tenter de trouver refuge au Bangladesh.

A l’issue d’une réunion à huis clos, le Conseil de sécurité a souligné la nécessité d’un accès humanitaire aux Rohingya. Ses membres « appellent le gouvernement birman à tenir ses engagements de faciliter l’aide humanitaire dans l’Etat Rakhine [aussi appelé Arakan] », dit une déclaration lue par le président tournant du Conseil, l’ambassadeur éthiopien Tekeda Alemu.

Avant que le Conseil ne s’exprime, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avait appelé les autorités birmanes à « suspendre les activités militaires et la violence ».

Plus tôt dans la journée, le porte-parole de Aung San Suu Kyi avait annoncé que la conseillère spéciale de l’Etat — mise en cause dans cette crise sans précédent — avait annulé une visite à l’Assemblée générale de l’ONU prévue à la fin du mois.

Une visite d’Aung San Suu Kyi annulée

Mme Suu Kyi s’adressera la semaine prochaine à la nation au sujet de la crise dans l’ouest du pays qui a poussé des centaines de milliers Rohingya à l’exode. La dirigeante birmane « parlera de réconciliation nationale et de paix » dans une allocution télévisée le 19 septembre, a déclaré le porte-parole du gouvernement, Zaw Htay. Il a ajouté que 176 villages avaient été désertés depuis le début des violences.

Interrogé mercredi par un journaliste à propos de l’expression « nettoyage ethnique » contre la minorité Rohingya, M. Guterres a répondu : « Quand un tiers de la population Rohingya doit fuir le pays, pensez-vous pouvoir trouver un meilleur mot pour décrire la situation ? »

Depuis le début de la flambée de violences, le 25 août, plus de 379 000 Rohingya ont fui la Birmanie pour tenter de trouver refuge au Bangladesh. L’armée birmane est accusée de persécutions envers cette minorité musulmane.

A la frontière birmano-bangladaise, les organisations internationales peinent à prendre en charge les personnes — malades, blessées pour certaines, affaiblies et affamées —, qui arrivent en nombre, complètement démunies dans une zone où les camps sont déjà surpeuplés. « L’ampleur et la vitesse de l’afflux sont sans précédent au Bangladesh », dit l’Unicef, qui ajoute que « 60 % des réfugiés sont des enfants ».

Le haut-commissaire de l’ONU aux droits humains, Zeid Ra’ad Al-Hussein, a évoqué lundi « un exemple classique de nettoyage ethnique ». Bien que sous le feu de critiques internationales, Mme Suu Kyi reste très peu loquace sur la crise et continue d’afficher son soutien à l’armée dans son opération contre des « terroristes ».

Promesse de soutien aux droits des Rohingya

La Chine, premier investisseur étranger en Birmanie, a réitéré mardi son « soutien » à la Birmanie et a loué « ses efforts pour préserver la stabilité de son développement national ». En revanche, plusieurs Prix Nobel de la paix, comme Malala Yousafzai, l’archevêque sud-africain Desmond Tutu, puis le dalaï-lama, que Mme Suu Kyi admire, l’ont appelée à intervenir.

L’an dernier, à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, l’ex-dissidente et lauréate du prix Nobel de la paix 1991, qui dirige de facto le gouvernement birman depuis avril 2015, avait promis de soutenir les droits des Rohingya.

Elle avait promis de « s’opposer fermement aux préjugés et à l’intolérance » et de promouvoir les droits humains, tout en demandant « à la communauté internationale de se montrer compréhensive et constructive » à ce sujet.

Les Rohingya, présents en Birmanie depuis des décennies, sont apatrides depuis 1982 et sont considérés comme des étrangers dans ce pays à 90 % bouddhiste. Au Bangladesh voisin, où ils ont fui en masse, ils sont des immigrés illégaux.

14 septembre 2017

Minorité rohingya

birmanie

Reportage

« Il n’y a plus rien là-bas » : sur les routes de la déportation des Rohingya birmans

Par Rémy Ourdan, de Gundum à Teknaf (frontière banglado-birmane), envoyé spécial - Le Monde

370 000 réfugiés sont arrivés au Bangladesh, fuyant tueries, persécutions et destructions. L’ONU dénonce un « nettoyage ethnique ».

Ils ont couru, marché, trébuché, puis couru encore ; ils sont exténués, affamés, certains sont blessés ; ils ont fui la mort aux trousses et la peur au ventre. Ils traînent avec eux le souvenir de leurs morts et la liste sans fin de leurs disparus. Il y a dans l’exode forcé des Rohingya de Birmanie, dans les scènes dantesques de la fuite de ces maudits, un air de fin du monde.

Deux semaines après les premières arrivées de Rohingya dans le sud du Bangladesh, sur l’autre rive de la rivière Naf, le doute n’est guère permis : les Rohingya n’affrontent pas une persécution supplémentaire, un énième épisode dans la longue série de cataclysmes meurtriers ayant marqué l’histoire tragique de cette communauté musulmane de l’Arakan. Cette fois, les Rohingya birmans sont la cible d’une campagne de déportation systématique, et dont l’objectif semble être qu’elle soit totale et définitive. Une fin de leur monde.

Parcourir la Route n° 1 qui relie Cox’s Bazar à Teknaf chaque jour à l’aube, s’aventurer dans les sentiers à l’est de la route, marcher dans les collines autour de Gundum puis dans les rizières en allant vers le sud, longer les berges de la Naf jusqu’à ce qu’elle se jette dans le golfe du Bengale, offre une idée de ce qui est à l’œuvre à la frontière banglado-birmane. Tous les témoignages concordent : seuls les morts, les blessés agonisants, les disparus – hommes cachés dans la jungle ou enfants perdus en chemin – et quelques vieillards trop au crépuscule de leur vie pour entreprendre ce voyage, ne fuient pas la Birmanie.

« Partez ou vous allez tous mourir ! »

« Partez ! » « Vous avez une minute pour quitter le village ! » « Vous devez tous partir ! » « Partez ou vous allez tous mourir ! » Ce sont les ordres donnés par l’armée birmane aux plus chanceux des Rohingya, ceux qui ont eu droit à des paroles avant des tirs, et qui ne laissent aucun doute sur l’intention de ce que l’ONU vient de qualifier d’« exemple classique de nettoyage ethnique ». L’expulsion des Rohingya n’est pas nouvelle : avec des pics de violences allant en s’intensifiant depuis vingt-cinq ans, les damnés de Birmanie, dont Rangoun n’a jamais reconnu la citoyenneté, étaient déjà, avant cette crise, la plus grande communauté apatride du monde.

« Partez ou vous allez tous mourir ! » Ce qui semble nouveau cette fois-ci, c’est l’ambition birmane d’en finir avec la question rohingya. Les témoignages d’hommes s’étant cachés dans la jungle, à l’orée des villages, confirment cet aspect définitif : ceux qui restent derrière les fuyards sont exécutés, et les villages sont systématiquement brûlés.

Les premiers jours, lorsque certains, tapis dans la jungle, hésitaient encore entre prendre la route du Bangladesh et attendre d’éventuellement rentrer chez eux, ils étaient traqués soit par les soldats birmans, soit par leurs supplétifs des milices bouddhistes. Une politique de terreur se déploya dans les collines, les forêts et les rizières.

Le plus souvent, les Rohingya n’ont pas eu le droit à ces paroles. Les unités arrivant dans les villages ont immédiatement ouvert le feu sur les maisons, pendant que les miliciens, armés de mâchettes et de couteaux, pourchassaient les fuyards. Il n’y eut nul besoin d’ordre ni d’explication pour faire comprendre aux communautés qu’elles devaient fuir sans se retourner.

« Ils ont tout incendié derrière nous »

Un matin à l’aube, ce sont Shilkhali et les villages alentour qui sont incendiés. Les colonnes de fumée sont parfaitement visibles depuis la rive bangladaise de la Naf. Trois heures plus tard, Sayedul Amin et Mohammed Tayeb sont les premiers à arriver à Kancharpara.

« Les soldats sont arrivés il y a quatre jours et, depuis la nuit dernière, ils brûlent des maisons à intervalles réguliers, raconte Sayedul Amin. Nous étions réfugiés sur la berge de la rivière. Nous avons abandonné à Shilkhali quelques vieillards, qui doivent avoir été tués. Ce matin ils ont tout incendié derrière nous, et nous avons enfin pu trouver un bateau de pêcheurs pour nous faire traverser la rivière. »

Ensuite il faut marcher avec de la boue jusqu’au torse, puis longer les rizières pendant cinq kilomètres. Les deux hommes sont exténués. A Kancharpara, ils vont attendre les autres. « Seuls deux bateaux ont traversé car ensuite il y a eu une patrouille navale. Les pêcheurs ont peur. Parfois l’armée confisque un bateau, ou le heurte pour le couler. Alors les autres attendent sur la berge que la patrouille soit partie. »

Beaucoup sont morts noyés en traversant la Naf à la nage ou en voyant leur embarcation sombrer. Une nouvelle colonne de fumée, puis une deuxième, puis une troisième s’élèvent à l’horizon. Les villages brûlent les uns après les autres, méthodiquement.

Terreur et bains de sang

Vu le flot ininterrompu de réfugiés arrivant au Bangladesh, le nettoyage ethnique semble inexorable. La tâche principale des unités militaires déployées dans l’Arakan, renforcées par les 33e et 99e bataillons d’infanterie légère de l’armée birmane, réputés pour leur brutalité (et dont la présence est confirmée par des réfugiés identifiant les insignes de leurs uniformes, selon un enquêteur international), est une politique de terreur et de terre brûlée.

Les militaires ne poursuivent par exemple pas systématiquement les fuyards sur les berges de la Naf. Soit ils ne sont pas assez nombreux, soit ils n’en ont pas reçu l’ordre. Leur priorité semble surtout être de brûler les villages, de briser tout espoir de retour.

Les tueries et exécutions furent légion les premiers jours. Après l’attaque d’une vingtaine de postes-frontières le 25 août par des rebelles de l’Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA) – combats qui aurait fait selon Rangoun une centaine de morts dont une dizaine de policiers –, l’Etat Rakhine (le nom officiel birman de la province d’Arakan) s’est embrasé.

Le 26 août fut un bain de sang. Les jours qui suivirent aussi. Les unités de combat étaient souvent devancées d’une minute par les soldats des postes voisins des villages, que les Rohingya connaissaient et dont ils ne s’attendaient pas à ce qu’ils ouvrent le feu sans sommation. D’où l’effet de surprise.

Exode et camps de fortune au Bangladesh

« A Soapran, les soldats sont arrivés le matin du 26 août avec des bouddhistes armés, raconte Mohammed Siddiqui. Ils ont tiré sur les maisons puis sur les habitants qui s’enfuyaient. J’étais dehors et j’ai couru directement dans la jungle. Mon fils de 15 ans, une belle-fille de 21 ans et sa fille âgée de deux mois ont été tués. »

Une fois dans les collines, les villageois se sont regroupés et ont entamé un éprouvant voyage de sept jours. « Pour le moment nous avons 284 disparus. Certains sont peut-être encore en chemin, mais je pense que la plupart ont été tués. » Mohammed Siddiqui attend, dans le camp de réfugiés de fortune d’Unchiparang, le retour de l’hôpital d’un autre fils, un enfant de 9 ans, blessé d’une balle dans la cuisse.

C’est son fils aîné, Mohammed Jobair, qui a perdu femme et enfant. « Sans prévenir, sans rien dire, les soldats ont rafalé les maisons. Ma femme, qui tenait notre fille contre elle, a reçu une balle qui lui a traversé l’épaule et les a tuées toutes les deux. J’ai couru vers la rizière. Les soldats nous ont poursuivis. J’ai fait le mort dans la boue. Un soldat m’a frappé le corps, puis il est parti. Deux heures plus tard, j’ai vu que le village brûlait. »

Assise de l’autre côté de la route, parce qu’il n’y a plus de place dans le camp de réfugiés improvisé, Sanjida caresse la tête de Salman, âge de 9 mois, dont le pied droit est brûlé. « A Merullah, ils ont mis le feu aux maisons directement. Le temps de récupérer mon enfant sur sa couche, son pied avait brûlé. » Depuis leur arrivée au Bangladesh, Salman n’a reçu aucun soin. Aucune organisation humanitaire n’est présente le long de la route de Teknaf. Sanjida apprend que des soins peuvent être délivrés dans les dispensaires des camps de réfugiés « officiels », créés après les exodes des années 1990, de Kutupalong et Noyapara. Personne ne le lui a dit.

« Hors de question de rentrer un jour »

Hasina Begum, elle aussi de Merullah, a eu de la chance. Elle a perdu ses deux parents mais, enceinte de huit mois ce 26 août, elle est parvenue à la fois à fuir et à accoucher. Après la panique et la course éperdue vers la forêt, elle a senti les contractions. « J’ai accouché dans une cabane près de la rivière. » Avec son mari Abdul Hamid et leurs désormais trois enfants, ils ont mis deux semaines à rejoindre le Bangladesh. Allongés dans l’herbe au bord d’une rizière, au nord d’Unchiparang, ils sont épuisés et affamés. Hasina a le regard grave et fiévreux. Abdul, lui, sourit d’avoir sauvé les gamins. Le dernier né, l’enfant du 26 août, n’a pas encore de prénom.

« Il est hors de question de rentrer un jour chez nous. Il n’y a plus rien là-bas. Rien, explique calmement Abdul Kashim, de Hassorata, qui est arrivé à Teknaf dans la nuit. Mon fils Ibrahim a été touché par une balle pendant que l’on courait, et nous ne l’avons plus revu. Les soldats achèvent les blessés et on ignore où ils les enterrent, puis ils brûlent les maisons. Il n’y a plus rien… »

370 000 Rohingya ont quitté la Birmanie en deux semaines, selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés de l’ONU. Dans le monde humanitaire à Cox’s Bazar, l’idée commence à être admise que le million de Rohingya birmans vont arriver au Bangladesh.

La terreur par les exécutions, les viols et les violences, l’étendue géographique des opérations militaires, la destruction systématique des maisons, l’ordre de « partir ou mourir » : le nettoyage ethnique est d’une ampleur encore pire que dans le passé. Et rien n’indique que Rangoun n’ait pas l’intention d’appliquer cette politique jusqu’à la déportation du dernier Rohingya.

13 mars 2017

A la tête de la Birmanie depuis un an, Aung San Suu Kyi déçoit ses anciens partisans

aung

 Par Bruno Philip, Rangoun (Birmanie), envoyé spécial

Outre son silence sur la répression de la minorité rohingya, l’ancienne dissidente ne semble avoir aucun projet économique pour améliorer le développement de son pays.

« En Birmanie, observe un expert étranger basé à Rangoun, il y a deux pouvoirs : d’un côté, le gouvernement d’Aung San Suu Kyi, et de l’autre, l’armée. Tous deux fonctionnent de manière indépendante et ne se demandent pas leurs avis sur la conduite des affaires du pays. »

La remarque illustre assez bien la situation du Myanmar, nom officiel de la Birmanie, depuis les élections législatives de novembre 2015, qui ont porté au pouvoir un gouvernement issu de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), le parti de l’ancienne dissidente.

Depuis le 1er avril 2016, cette dernière s’est installée de facto à la tête du pays, après que l’un de ses proches, Htin Kyaw, eut été désigné par le Parlement au poste désormais honorifique de président.

Deux personnages clés monopolisent le singulier théâtre politique birman : d’abord Mme Suu Kyi, 71 ans, qui occupe la double fonction de ministre des affaires étrangères et de conseillère d’Etat, ce qui fait d’elle une première ministre virtuelle. Ensuite, le général Min Aung Hlaing, 61 ans, chef de l’armée et héritier de la junte militaire, qui avait décidé, il y a bientôt six ans, de procéder à sa propre dissolution.

Aucun programme pour la santé ou l’éducation

Alors qu’Aung San Suu Kyi a vu son aura pâlir à l’étranger en raison de son silence sur la terrible répression, dans le sud-ouest du pays, de l’ethnie musulmane des Rohingya par la Tatmadaw, les forces armées birmanes, le bilan de son année au pouvoir est dramatiquement maigre. Voire carrément négatif.

La « Lady », célèbre pour son courage dans le passé et son caractère autoritaire aujourd’hui, semble n’avoir aucun projet économique ni vision précise des moyens à mettre en œuvre pour développer l’un des pays les plus pauvres d’Asie. Aucun réel programme dans les domaines cruciaux de la santé et de l’éducation n’a été annoncé.

Et, outre les atrocités commises contre les Rohingya à la frontière avec le Bangladesh, la guerre continue avec plusieurs armées de minorités ethniques dans les Etats Kachin et Shan, près de la frontière chinoise.

Pour autant, à Rangoun, ex-capitale du pays et centre des affaires, l’icône de la démocratie birmane reste populaire, son accession au pouvoir symbolisant malgré tout une transition, aussi chaotique, frustrante et éminemment imparfaite soit-elle.

« La Lady ne dispose pas de la pleine autorité ! »

Son silence à propos des Rohingya, dans l’un des pays les plus islamophobes de la planète, ne dérange pas grand monde. Même les musulmans lui trouvent des excuses : « C’est une femme intelligente, subtile, qui s’efforce d’arranger les choses de manière discrète en négociant avec l’armée », assure Tin Maung Than, secrétaire général du Conseil des affaires islamiques, l’une des six organisations islamiques du pays.

Pour cet homme d’une quarantaine d’années, à la tête d’une florissante entreprise immobilière, la cause est entendue : tout vaut mieux que la dictature. « N’oubliez pas que la Lady ne dispose pas de la pleine autorité ! Elle doit composer avec les réalités résiduelles de l’ancien régime. »

Mais n’y a-t-il pas quelque chose de choquant dans le fait qu’elle ait quasi entériné les propos de l’armée, qui nie toutes les atrocités commises à l’encontre de la minorité musulmane ? La réponse de Tin Maung Than est sans détour : « Politiquement, elle ne peut se permettre de donner le sentiment qu’elle défend les Rohingya. » Pour l’essentiel des Birmans, ces derniers ne sont que des Bengalis, des immigrants illégaux venus du Bangladesh voisin…

Maintien d’une loi liberticide

Le gouvernement d’Aung San Suu Kyi est malgré tout critiqué par nombre d’intellectuels, de militants des droits de l’homme et de journalistes pour s’être montré incapable de supprimer une disposition liberticide permettant d’embastiller toute personne accusée de diffamation sur Internet : le « 66.d », comme tout le monde l’appelle ici, en référence à un article de la loi sur les télécommunications permet tous les abus et sert, le cas échéant, de punition politique.

Le patron et le rédacteur en chef d’un quotidien ont fait de la prison à cause d’un article publié sur leur site Internet que le dirigeant de la région de Rangoun avait jugé diffamatoire. Un proche d’Aung San Suu Kyi, qui avait demandé sur Facebook au chef de l’armée de démissionner, est toujours sous les verrous.

Cette loi n’accorde pas la liberté provisoire aux prévenus en attente de jugement. Et, depuis un an, le nombre de personnes traînées devant les tribunaux ou arrêtées en vertu de ce texte est à la hausse.

Pour Thiha Saw, vice-président de l’Association des journalistes du Myanmar, ce n’est cependant pas tant l’article 66.d qui est en cause que « l’esprit dans lequel il est appliqué ». Pour ce célèbre journaliste qui a connu les amères années de la junte militaire, les difficultés de la période de transition s’expliquent par le fait qu’en réalité, l’ancien système est toujours en place.

Bureaucratie tétanisée

Certes, tous les prisonniers politiques ont été libérés et la censure préalable avant publication pour les journaux a été levée – sous l’ancien gouvernement issu de la junte, d’ailleurs. Mais la Birmanie n’est pas devenue pour autant un exemple de liberté d’expression : « Prenez le cas du ministre de l’information, Pe Myint, un ancien journaliste que je connais bien, poursuit Thiha Saw. Il est littéralement prisonnier des 4 000 bureaucrates sous ses ordres ! »

Si l’on ajoute à cela que cette même bureaucratie, héritière de l’ancien régime, s’avère tétanisée par le nouveau pouvoir, qui donne des ordres vagues – quand il en donne –, et que les ministres n’osent rien faire s’ils n’ont pas l’aval d’une Aung San Suu Kyi lointaine et plus « Dame de fer » que jamais, on a une idée du niveau de pétrification de l’actuelle Birmanie.

Même si elle reste adulée par la population, Mme Suu Kyi déçoit nombre de ses anciens partisans : « Je pensais qu’elle était une championne des droits de l’homme, mais ce n’est qu’une politicienne », se désole Thet Shwe Win, jeune activiste d’une ONG de défense des droits.

Aung San Suu Kyi sera-t-elle en mesure de convaincre, à terme, l’armée de renoncer à ses pouvoirs encore exorbitants et de vaincre l’inertie d’une bureaucratie connue de longue date pour son incompétence et sa corruption ? Rien n’est moins sûr. Même les députés de la NLD, majoritaires à la chambre basse du Parlement, n’ont rien fait pour supprimer l’article 66.d.

« Peut-être ne veulent-ils pas l’abroger parce qu’ils veulent s’en servir eux-mêmes », ironise Nay Phone Latt, ancien prisonnier politique et lui-même député NLD au Parlement régional de Rangoun. « Oui, observe-t-il dans un sourire un brin désabusé, c’est vrai que notre transition vers la démocratie est difficile. »

10 avril 2016

Grandes Résistantes Contemporaines - Exposition à l'Hôtel de Ville de Paris (dernier jour hier !)

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Reportage photographique : Jacques Snap

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