Election américaine : Donald Trump torpille son premier débat présidentiel face à Joe Biden
Par Gilles Paris, Washington, correspondant - Le Monde
Les deux candidats à la Maison Blanche ont débattu dans une ambiance électrique, mardi, lors de leur premier face-à-face télévisé à Cleveland, suivi par des dizaines de millions d’Américains.
Une effroyable tempête, voilà à quoi s’est résumé le premier débat présidentiel organisé mardi 29 septembre entre les deux principaux candidats à l’élection présidentielle, Donald Trump et Joe Biden.
Les deux hommes se sont présentés sur scène à l’appel de leur nom. Ils ont pris place, sans se serrer au préalable la main en raison de l’épidémie de Covid-19, derrière les pupitres installés dans la salle de l’université de Cleveland (Ohio) choisie pour accueillir l’événement. Puis le désordre s’est installé, emportant le modérateur, le pourtant chevronné Chris Wallace, de la chaîne Fox News. Et par vagues successives ont déferlé, l’agressivité, l’aigreur et la méchanceté.
Au cours des jours précédents, l’équipe de campagne de Donald Trump avait multiplié les métaphores guerrières, évoquant même une « destruction » de l’ancien vice-président démocrate, régulièrement dépeint comme miné par l’âge. Le président sortant s’est tenu à ce cap, interrompant continuellement son adversaire, moquant ses réponses, affichant ouvertement son mépris, y compris sur son parcours universitaire (Joe Biden n’est pas passé par les grandes institutions du pays). « Il n’y a rien d’intelligent en vous », a assuré Donald Trump. L’objectif était clair : pousser son adversaire hors de ses gonds en comptant sur l’un des coups de sang qui ont ponctué la longue carrière de ce dernier et qui le ferait apparaître à son désavantage.
Régulièrement, Joe Biden a été sur le point de céder. « Ferme-la », « il est difficile de placer un mot avec ce clown, excusez-moi, cette personne », « continue à japper, mon gars » : à de nombreuses reprises, des formules de disputes de buveurs éméchés lui ont échappé sous le coup de l’exaspération, contribuant également à rabaisser le débat.
Rappel à l’ordre
Cependant, l’ancien vice-président a résisté, parvenant même régulièrement à énumérer propositions et projets sans prêter attention aux piques incessantes de son contradicteur. Joe Biden a même fini par trouver une parade efficace, celle de ne prêter aucune attention au président sortant pour s’adresser directement à la caméra qui lui faisait face, afin de parler à ses concitoyens.
Le fauteur de trouble a rapidement été désigné par Chris Wallace, initialement pris de court par la tournure des événements. « Monsieur le président, votre équipe de campagne a accepté que les deux camps disposent [pour chacun des thèmes évoqués] de deux minutes sans interruption », a-t-il fini par lâcher, tout en tentant parfois de ramener Donald Trump à de meilleures dispositions. « Vous allez être content », a-t-il ainsi assuré en annonçant des sujets où il s’attendait à être plus à son aise, notamment sur les questions de sécurité. Ni le rappel à l’ordre, ni la cajolerie n’ont pourtant payé.
Livré à lui-même, Donald Trump a pourtant travaillé contre ses intérêts. A deux reprises, à propos du Covid-19 et de la fraude électorale qu’il ne cesse d’associer au vote par correspondance, il a démenti les propos de responsables de sa propre administration.
Il s’était vanté de ne pas avoir besoin de se préparer avec le débat, mais cette désinvolture s’est affichée à ses dépens, ses propos de meetings, souvent mensongers et outranciers ne trouvant aucun écho dans une salle où avait pris place un public très clairsemé pour cause de coronavirus.
Trump incapable de condamner le suprémacisme blanc
Le président s’est même précipité la tête la première dans des pièges tendus à l’attention de son adversaire. Il n’a cessé de mettre en cause le comportement du fils de l’ancien vice-président, Hunter, connu pour son instabilité. Les républicains lui reprochent d’avoir utilisé son nom de famille pour faire des affaires même s’il n’a jamais fait l’objet de poursuites. Un rapport de sénateurs républicains n’a pas été en mesure de montrer que Joe Biden l’avait favorisé dans le cadre de ses fonctions.
Le président s’est cependant égaré dans ces attaques répétées, notamment lorsqu’il est revenu à la charge alors que son adversaire venait de mentionner son autre fils, Beau, emporté en 2015 par une tumeur au cerveau. « Je ne connais pas Beau, je connais Hunter », a-t-il dit à propos de cet ancien militaire, ancien procureur général du Delaware et sur lequel Joe Biden fondait de grands espoirs. « Mon fils… comme beaucoup de gens que nous connaissons, a eu un problème de drogue. Il l’a surmonté. Il s’est soigné. Il a travaillé pour y arriver. Et je suis fier de lui », a alors rétorqué l’ancien vice-président, opposant un peu d’humanité à la hargne de son adversaire.
Donald Trump est également retombé dans un autre de ses travers lorsqu’il lui a été rappelé qu’il s’était montré incapable de condamner le suprémacisme blanc après des affrontements à Charlottesville en Virginie, qui avaient entraîné la mort d’une militante antiraciste. Invité à le faire avec insistance, il a renâclé avant de se contenter simplement d’inviter un groupe d’extrême droite à prendre ses distances.
Le contraste entre les deux hommes a été encore plus manifeste à la fin du débat lorsque Joe Biden s’est engagé à reconnaître les résultats de l’élection alors que Donald Trump, une nouvelle fois, a esquivé. Puis la tempête s’est arrêtée, laissant derrière elle une démocratie américaine abasourdie par l’image qu’elle venait de donner d’elle-même.