Emmanuel Macron vante une « France unie » contre le coronavirus
Par Cédric Pietralunga, Alexandre Lemarié
Le président de la République a annoncé, jeudi soir lors d’une allocution télévisée enregistrée à l’Elysée, différentes mesures, dont la fermeture des établissements scolaires à partir de lundi.
L’Elysée avait promis un président « protecteur » et « rassembleur ». Pour son premier discours depuis le début de la crise du coronavirus, prononcé, jeudi 12 mars, lors d’une allocution solennelle de près d’une demi-heure, c’est un véritable plan de bataille contre la « plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle » qu’a en réalité esquissé Emmanuel Macron. « Je compte sur vous », a répété à plusieurs reprises le chef de l’Etat, comme un général s’adresse à ses troupes avant l’assaut.
A ses yeux, l’heure n’est en effet plus à tergiverser. « Nous ne sommes qu’au début de cette épidémie, et partout en Europe, elle s’accélère », a prévenu le président. « Malgré nos efforts pour le freiner, le virus continue de se propager », a-t-il ajouté, ton martial et regard droit depuis le Salon doré, situé au premier étage de l’Elysée.
Selon le ministère de la santé, 2 876 cas de Covid-19 ont été enregistrés en France depuis l’apparition du virus et 61 personnes en sont décédées. Des chiffres sous-évalués, selon la plupart des experts, pour qui le pic de l’épidémie, requalifiée mercredi en « pandémie » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est encore devant nous.
Face au risque de saturation des services de réanimation dans les hôpitaux, comme en Italie, le chef de l’Etat a donc décrété une sorte d’état d’urgence, même s’il n’a pas utilisé le terme et s’il n’a pas évoqué un passage au stade 3 de l’épidémie qui pourrait intervenir dans quelques jours. Pour protéger les plus fragiles, il a d’abord invité « toutes les personnes âgées de plus de 70 ans », mais aussi « celles et ceux qui souffrent de maladies chroniques ou de troubles respiratoires » ou sont « en situation de handicap », à « rester autant que possible à leur domicile ». Une sorte de confinement volontaire destiné à éviter les contacts avec le virus et à ralentir l’épidémie.
De même, Emmanuel Macron a annoncé le report de deux mois de la fin de la trêve hivernale, prévue le 31 mars, pour éviter que des personnes en situation de précarité se retrouvent à la rue. « Je demande au gouvernement des mesures exceptionnelles, dans ce contexte, pour les plus fragiles », a-t-il ajouté, sans donner plus de détails.
Une décision d’une ampleur inédite
Surtout, le président a provoqué la surprise en annonçant la fermeture « dès lundi et jusqu’à nouvel ordre » de toutes les crèches, des écoles primaires, des collèges, des lycées et des universités. Une décision d’une ampleur inédite en France : selon l’Insee, près de 12,4 millions d’élèves étaient inscrits rien que dans les écoles, les collèges et les lycées à la rentrée 2019, ce qui représente 18,5 % de la population française. « C’est à la fois pour les protéger et pour réduire la dissémination du virus à travers notre territoire », a justifié Emmanuel Macron.
Pour éviter un blocage du pays et permettre aux gens d’aller travailler, le président de la République a assuré qu’« un service de garde sera mis en place région par région » et il a demandé aux entreprises de « permettre à leurs employés de travailler à distance ». « Le déploiement de notre système d’enseignement à distance va s’enclencher pour toute la France », a par ailleurs précisé le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui assurait pourtant, le matin même sur Franceinfo n’avoir « jamais envisagé la fermeture totale » des établissements scolaires.
A l’inverse, et malgré une rumeur qui a alimenté les conversations toute la journée, Emmanuel Macron n’a pas souhaité reporter les élections municipales, prévues les 15 et 22 mars. « J’ai interrogé les scientifiques sur nos élections municipales (…). Ils considèrent que rien ne s’oppose à ce que les Français, même les plus vulnérables, se rendent aux urnes », a expliqué le chef de l’Etat, qui avait réuni, jeudi matin, le conseil scientifique de suivi de la crise du coronavirus, composé de onze médecins et chercheurs, chargés d’éclairer les décisions de l’exécutif.
« J’ai aussi demandé au premier ministre [Edouard Philippe] (…) de consulter largement toutes les familles politiques, et elles ont exprimé la même volonté », a-t-il ajouté, même si les discussions ont été âpres en coulisses et si le chef de l’Etat a longtemps hésité avant de se rallier à la position défendue par Gérard Larcher, le président (Les Républicains) du Sénat, et le chef du gouvernement, pour une fois unis dans le même combat.
Les failles de notre modèle
Mais Emmanuel Macron ne s’est pas contenté d’énumérer les mesures. Il a aussi esquissé ce qui pourrait être le tournant social que lui réclame depuis des mois une partie de ses troupes.
Au-delà de l’annonce de la mise en place d’un « mécanisme exceptionnel et massif de chômage partiel » pour limiter les conséquences économiques de la crise, et du report « sans justification, sans formalité, sans pénalité, [du] paiement des cotisations et impôts dus en mars » par les entreprises, le président de la République s’est ainsi dit déterminé à « interroger le modèle dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour ».
« Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-Providence, ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe », a ainsi défendu le chef de l’Etat, régulièrement présenté par l’opposition comme voulant détruire le modèle social français, notamment à l’occasion de la réforme de l’assurance-chômage ou de celle du système de retraites.
Surtout, Emmanuel Macron s’est dit résolu à « placer en dehors des lois du marché » un certain nombre de biens et de services. « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie (…) à d’autres est une folie », a-t-il expliqué, sorte de critique en creux de la mondialisation et du libéralisme. « Nous devons en reprendre le contrôle », a-t-il ajouté, une phrase qui n’est pas sans faire écho au slogan « Take back control », utilisé par l’américain Donald Trump, lors de sa campagne victorieuse de 2016.
« Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai », a promis le président, donnant le sentiment d’esquisser le programme qui pourrait le conduire à une prochaine candidature en 2022. A la fin de son discours, Emmanuel Macron a d’ailleurs utilisé la locution « la France unie », qui était le slogan de campagne de François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de 1988.
« Mais maintenant, c’est la guerre »
Sans surprise, ce discours a suscité l’enthousiasme de l’aile gauche de la majorité. « C’est clairement un discours humaniste, vraiment à la hauteur. On place l’humain et la santé au-dessus de toutes priorités. On se mobilise sur ce qui nous rassemble. Une orientation qui remet la science au centre et écarte le repli nationaliste », se félicite Guillaume Chiche, député (La République en marche, LRM) des Deux-Sèvres. « Nous aurons des enseignements à tirer sur le monde dans lequel nous vivons. Des services publics à préserver, un modèle de développement à réinventer. Le président prend date », abonde Hugues Renson, vice-président (LRM) de l’Assemblée nationale et ancien conseiller de Jacques Chirac.
Signe que le coronavirus fait bouger les lignes, Edouard Philippe et ses soutiens ont de leur côté remisé le costume de gardiens de l’orthodoxie budgétaire. « Le premier ministre et [le ministre de l’économie et des finances] Bruno Le Maire ont été proactifs sur le plan de relance, il n’y a pas de sujet », affirme un familier des deux hommes. « Quand on est dans un moment de croissance, il est normal de faire des efforts. Mais quand le moteur cale, on ne va pas appuyer sur le frein », assure un conseiller, qui décrit un chef du gouvernement « à l’aise » avec les annonces du chef de l’Etat. « L’orthodoxie budgétaire, c’est pour être plus fort avant la guerre. Mais maintenant, c’est la guerre », a confié Edouard Philippe à son entourage, jeudi soir au retour de l’Elysée.
Parmi les soutiens d’Emmanuel Macron, on se dit en tout cas persuadé que ce discours marquera un tournant dans le quinquennat. « La crise du coronavirus peut être au chef de l’Etat ce que la crise bancaire de 2008 a été pour Nicolas Sarkozy, la révélation que lui aussi tient bon dans la tempête », estime un ministre.
« C’est un discours fondamental. Le président acte une rupture majeure avec la façon dont le siècle passé a fonctionné et il dessine un nouveau modèle français et européen au XXIe siècle, s’enthousiasme Pieyre-Alexandre Anglade, député des Français établis hors de France et porte-parole du groupe LRM à l’Assemblée nationale. Le Covid-19, c’est la crise qui nous fait quitter le XXe siècle et entrer de plain-pied dans le XXIe. »