Par Cédric Pietralunga - Le Monde
Différents scénarios institutionnels agitent le sommet de l’Etat pour légitimer auprès des citoyens un éventuel changement de sa politique par le président de la République.
Depuis son arrivée à l’Elysée, il y a trois ans presque jour pour jour, Emmanuel Macron le répète à l’envi : il a été élu pour appliquer son programme. Un mantra destiné à le distinguer de ses prédécesseurs, accusés d’avoir peu ou prou renié leurs promesses, mais aussi à lui éviter les godilles de l’exercice du pouvoir. « En aucun cas, je ne changerai de politique, assurait encore le chef de l’Etat en septembre 2018. Je me suis engagé à procéder aux transformations que notre pays, depuis des décennies, avait évitées par le petit jeu du tic-tac de droite et de gauche ou par les lâchetés. (…) Notre priorité n’est pas de durer, mais de faire. »
Dix-huit mois plus tard, Emmanuel Macron doit le constater : le programme de 2017 est tout ou partie caduc, bousculé par l’épidémie due au coronavirus et ses conséquences. La réforme des retraites a été suspendue, celle des institutions est à l’arrêt, l’équilibre budgétaire n’est plus qu’un vœu pieux… Le chef de l’Etat l’a dit lors de ses dernières allocutions : il va changer. « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, a-t-il expliqué le 12 mars. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture. » « Beaucoup de certitudes, de convictions sont balayées. (…) Le jour d’après (…) ne sera pas un retour au jour d’avant », a-t-il ajouté le 16 mars, promettant de tirer « toutes les conséquences » de la crise du coronavirus.
Mais que se passe-t-il quand on change de programme en cours de mandat ? L’onction de l’élection précédente suffit-elle ? Faut-il légitimer par un autre moyen le virement de bord ? Depuis quelques semaines, ces questions agitent le pouvoir. « Si on sort de la crise par un virage keynésiano-environnemental, le président aura un problème de légitimité et devra repasser par le peuple », estime un proche du chef de l’Etat. Pour le moment, aucune décision n’a été prise. Mais Emmanuel Macron y travaille. « Le déconfinement étant engagé, le président va commencer à empoigner pleinement l’anticipation et se projeter sur l’après, y compris politique », assure l’Elysée.
« Prendre son risque »
Sur le papier, le président dispose de plusieurs solutions institutionnelles. La plus évidente est la dissolution de l’Assemblée et de nouvelles élections législatives. Certains élus y voient l’occasion de renforcer la majorité, émoussée par les départs, et de donner une assise à l’acte III. Mais la plupart l’envisagent avec réticence. « Dans un moment où on appelle les partis à la responsabilité, ouvrir une période électorale, c’est figer le pays », estime un poids lourd de la majorité. « Il y a déjà quatre élections prévues d’ici à 2022 [le second tour des municipales, les départementales, les régionales et les sénatoriales]. Difficile d’en ajouter une autre à moins d’être en campagne permanente », met en garde Roland Lescure, député La République en marche (LRM) des Français de l’étranger.
« HORS COHABITATION, AUCUN PRÉSIDENT N’A JAMAIS ÉTÉ RÉÉLU SOUS LA VE RÉPUBLIQUE. IL NE FAUT PAS ÉCARTER CETTE SOLUTION », POINTE UN MINISTRE
Le précédent de 1997, qui avait vu Jacques Chirac perdre les élections législatives après avoir dissous l’Assemblée, l’obligeant à une cohabitation de cinq ans avec Lionel Jospin, est aussi dans les esprits. « Le souvenir de Villepin est un repoussoir, il y a un côté apprenti sorcier », reconnaît un proche du chef de l’Etat. D’autres, plus radicaux, y voient au contraire une opportunité pour 2022. « Aucun président n’a jamais été réélu sous la Ve République hors période de cohabitation. Il ne faut pas écarter cette solution », pointe un ministre, tout en reconnaissant qu’Emmanuel Macron n’est « pas d’un tempérament à cohabiter ». « Le président est capable de prendre son risque, c’est ce qui fait sa force », note Marie Lebec, députée (LRM) des Yvelines.
Plus classique, un remaniement du gouvernement est évoqué avec insistance. Pour l’aile gauche de la majorité, ce serait l’occasion de débarquer Edouard Philippe, jugé trop à droite. Mais à la condition de raconter une autre histoire. « Si on met Bruno Le Maire à Matignon, cela change quoi pour les Français ? », s’interroge un élu. « Un remaniement n’est qu’une demi-solution car il n’y a pas de légitimité du peuple. Ou alors il faudrait que le virage soit vraiment incarné », abonde un proche du locataire de l’Elysée. Les noms de Yannick Jadot et de Xavier Bertrand sont évoqués parmi d’autres. « Mais le président pourrait tout aussi bien faire tout son mandat avec Philippe, tout va dépendre du projet défini à la sortie de la crise », relativise un autre.
Le risque d’une « nouvelle vague dégagiste »
L’idée d’un gouvernement de coalition, réunissant des membres de chaque famille politique hors le Rassemblement national, est toujours portée par certains élus. « Notre pays mérite cela, estime Matthieu Orphelin, député (ex-LRM) de Maine-et-Loire. Se mettre d’accord sur un projet clair de coalition pour deux ans, quelque chose à l’allemande, permettrait de réembarquer les citoyens. Et cela n’empêcherait pas chacun de présenter ses options en 2022. » Daniel Cohn-Bendit, qui échange avec M. Macron, travaille à cette hypothèse. Mais l’idée semble difficile à mettre en œuvre tant les oppositions y sont hostiles.
Troisième solution, le référendum. Dès avant le Covid-19, Emmanuel Macron l’avait envisagé, pour que les Français s’expriment sur les propositions de la convention citoyenne pour le climat. L’idée prendrait d’autant plus de sens pour dessiner l’acte III. Le hic ? La Constitution ne permet pas de poser n’importe quelle question. « Il faut que cela porte sur un objet juridiquement ciblé. On ne peut pas faire approuver une politique générale », précise l’entourage de Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale. De même, impossible de poser des questions à plusieurs réponses, comme le font les Suisses lors des votations.
Mais c’est surtout la nature plébiscitaire du référendum qui fait hésiter le pouvoir. Depuis la démission du général de Gaulle en 1969, après une consultation où le « non » l’avait emporté, les politiques se méfient de cet objet. « Les Français ont pris l’habitude de répondre à une question qui ne leur était pas posée. Cela peut être le prétexte à une nouvelle vague dégagiste », craint un stratège de LRM, évoquant l’échec de Matteo Renzi, obligé de démissionner en 2016 après que les Italiens ont refusé de réduire le nombre de parlementaires, sujet pourtant consensuel.
Réunir le Congrès à Versailles ?
Reste une quatrième hypothèse, moins spectaculaire mais moins risquée : réunir les députés et les sénateurs en Congrès à Versailles, où le chef de l’Etat prononcerait un grand discours sur l’après. C’était la solution choisie par Nicolas Sarkozy en 2009, lors de la crise financière, et par François Hollande en 2015, après les attentats de Paris. Lors de son élection, Emmanuel Macron avait promis de se rendre chaque été devant les parlementaires, pour rendre compte de son action. Mais sa dernière visite remonte au 10 juillet 2018, celle prévue l’an dernier ayant été annulée à la suite du grand débat.
« RÉPONDRE À LA CRISE PAR UN MECCANO INSTITUTIONNEL, JE NE SUIS PAS SÛR QUE CE SOIT CE QUE LES FRANÇAIS ATTENDENT », MET EN GARDE UN MACRONISTE
Cette solution a l’avantage pour l’exécutif de rester en terrain connu et de gagner du temps. « Cela permettrait de dire où nous voulons aller, avant que les Français partent en vacances, tout en se donnant quelques mois pour les décisions », confie un soutien. Seul bémol : la Constitution ne permet pas au Parlement d’approuver par un vote un discours de politique générale du président. Seuls les sujets constitutionnels peuvent donner lieu à consultation. « Répondre à la crise par un meccano institutionnel, je ne suis pas sûr que ce soit ce que les Français attendent », met en garde un macroniste. « Une déclaration de politique générale du premier ministre suivie par un vote à l’Assemblée, serait déjà une première étape », avance Roland Lescure.
En l’absence de consensus sur l’outil institutionnel, certains préconisent de multiplier les débats au Parlement, en s’appuyant sur l’article 50-1 créé par la réforme constitutionnelle de 2008. Utilisé lors de la présentation du plan de déconfinement, il permet au gouvernement de faire une déclaration à l’Assemblée ou au Sénat, suivie d’un débat et éventuellement d’un vote, sans engager sa responsabilité. « C’est un format collectif qui permet de faire vivre le débat, d’associer davantage les oppositions, on est moins dans le vertical », énumère un conseiller, qui parie sur une prolifération de 50-1 dans les prochaines semaines. « On peut avoir des débats suivis d’un vote sur des sujets non législatifs, comme la rénovation énergétique des bâtiments, cela permettrait de créer du consensus », veut croire Roland Lescure.
A moins que le chef de l’Etat ne sorte de son chapeau une solution inédite, comme l’a été le grand débat au moment de la crise des « gilets jaunes ». « Cela avait été une façon pour le président de légitimer une évolution de sa politique, une réussite », se félicite l’Elysée. « On pourrait imaginer quatre ou cinq débats avec des citoyens, des élus, des associations… Un format plus resserré, pour se projeter sur l’après, où le président viendrait convaincre les Français », suggère Marie Lebec. « Le président aime penser “out of the box” [hors des sentiers battus], une autre solution pour se légitimer par le bas n’est pas à exclure », acquiesce un proche. Seule condition : se décider vite. Car le temps presse.