Coronavirus : l’exécutif réfléchit à confiner les Français
Dimanche, le confinement total de l’ensemble de la population et l’annulation du second tour des élections municipales ont été envisagés.
Par Cédric Pietralunga et Alexandre Lemarié Publié - Le Monde
Place de la République à Paris, le 15 mars. MARLENE AWAAD POUR « LE MONDE »
C’était le 6 mars, mais c’est comme si c’était il y a un siècle. Après avoir visité une maison de retraite à Paris, Emmanuel Macron s’était ce jour-là rendu avec sa femme, Brigitte, au Théâtre Antoine (10e arrondissement), pour y assister à une représentation de la pièce Par le bout du nez. On était alors au début de l’épidémie due au coronavirus SARS-CoV-2, et le chef de l’Etat voulait montrer que « la vie continue ».
« Il ne faut pas, sauf pour les populations fragiles, modifier les habitudes de sortie », avait alors déclaré M. Macron, selon des propos rapportés par le producteur Jean-Marc Dumontet, un très proche du couple présidentiel.
Dix jours plus tard, le temps n’est plus à l’innocence. Après avoir décidé, jeudi 12 mars, de fermer tous les établissements scolaires, puis, samedi 14 mars, les restaurants, bars, discothèques, cinémas, le chef de l’Etat envisage désormais de confiner tous les Français chez eux, comme l’ont déjà décidé l’Italie ou l’Espagne.
« Des Parisiens qui font comme si de rien n’était »
Une mesure jamais appliquée en France en temps de paix, mais qui pourrait être la seule façon de ralentir l’épidémie, qui ne cesse de s’étendre et prend des proportions qui effraient jusqu’au sommet de l’Etat.
Dimanche soir, le bilan était officiellement de 5 423 cas de Covid-19 en France, soit plus de 900 supplémentaires en vingt-quatre heures, et de 127 morts liés à la maladie. Un bilan que tous les médecins s’accordent à dire sous-estimé, tous les patients n’étant plus testés.
Moyen efficace d’enrayer l’escalade, le confinement de l’ensemble de la population a été évoqué lors d’une réunion téléphonique, dimanche après-midi, entre les directeurs de cabinet du gouvernement. Durant cette discussion, la liste des options possibles pour freiner la propagation du virus a été passée en revue, dont celle du confinement total. Une issue jugée désormais possible au sommet de l’Etat, au vu « des images des Parisiens qui font comme si de rien n’était », indique Matignon.
Le long des quais de Seine à Paris, le 15 mars. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
« Si les Français ne respectent pas les mesures barrières comme on l’a vu dimanche sur les quais de Seine, aux Buttes-Chaumont ou au parc du Luxembourg, on va vers un modèle “à l’italienne”. C’est-à-dire un confinement total, hors courses nécessaires et activités de soignants, sécurité… », indique une source gouvernementale. « En fonction du degré d’appropriation de la distanciation sociale, on verra s’il est nécessaire d’aller plus loin », a reconnu la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, dimanche soir sur RTL.
Abstention record au premier tour des municipales
Lors de cette réunion, une annulation du second tour des élections municipales a également été étudiée. L’exécutif a confirmé, dimanche soir, qu’il demanderait leur avis aux autorités sanitaires sur l’opportunité de tenir le scrutin, prévu le 22 mars.
Le chef du gouvernement, Edouard Philippe, a annoncé qu’il réunirait « à nouveau en début de semaine » les experts scientifiques et « les représentants des forces politiques » afin de prendre une décision. « Sans doute mardi », a précisé le ministre de la santé, Olivier Véran, sur France 2. « Mais les choses évoluent à une telle vitesse qu’il faut être prudent », nuance-t-on à Matignon. Le premier tour du scrutin, qui s’est déroulé dimanche, a été marqué par un taux d’abstention record estimé entre 53,5 % et 56 %.
Bureau de vote à l’école Maurice-Korsec à Marseille, le 15 mars. FRANCE KEYSER / MYOP POUR « LE MONDE »
Parmi les personnalités politiques, le report du second tour des municipales ne fait en tout cas guère de doute. « Compte tenu [des] circonstances exceptionnelles et d’un éventuel confinement national à venir, le report d’un deuxième tour (…) me semble être plus prudent », a déclaré Damien Abad, le président du groupe Les Républicains (LR) à l’Assemblée nationale. « Le second tour n’aura manifestement pas lieu, compte tenu de l’aggravation prévisible de l’épidémie. Il faut considérer acquises les élections de premier tour et reporter les autres dans quelques mois », a demandé la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, lors d’une allocution dimanche. « Face à l’urgence sanitaire, relayée par de nombreux médecins, le président doit prononcer dès demain l’annulation du second tour », a abondé Carole Delga, présidente (PS) de la région Occitanie.
Selon un sondage Harris Interactive publié dimanche, 54 % des Français disent ne pas comprendre la décision du gouvernement d’avoir maintenu le premier tour du scrutin.
Malaise de la majorité
Durant le week-end, l’exécutif s’était pourtant échiné à convaincre les Français que la démocratie serait plus forte que le Covid-19. Dimanche midi, Emmanuel Macron a lui-même justifié le maintien du premier tour au nom de « la vie démocratique » du pays. « Il est important de voter dans ces moments-là », a-t-il déclaré, après avoir glissé un bulletin dans l’urne au Touquet (Pas-de-Calais), tout en appelant les Français à respecter les consignes de prévention. « Les opérations de vote se dérouleront demain comme prévu et je sais que les Français démontreront à cette occasion leur calme, leur civisme et leur capacité à respecter les règles que nous avons édictées pour leur sécurité », avait aussi vanté Edouard Philippe samedi soir, lors de l’annonce de la fermeture de tous les commerces hors alimentaire.
Un ton péremptoire qui cache mal le malaise de la majorité face à la décision de l’exécutif d’organiser coûte que coûte ce scrutin. Tout l’après-midi de samedi et jusque tard dans la soirée, c’est une « bataille de titans » qui s’est jouée entre les partisans de l’annulation et ceux du maintien, selon un habitué de l’Elysée. Une sorte de répétition des débats qui s’étaient déjà tenus, jeudi, alors que le chef de l’Etat avait hésité à reporter le scrutin.
D’un côté, le président du MoDem, François Bayrou, et plusieurs députés importants de la majorité ont plaidé en faveur d’un report. « Dès jeudi, étant donné l’aggravation de la situation sanitaire, j’ai soutenu l’idée d’une annulation et d’un report des élections. Une conviction renforcée après les déclarations du premier ministre samedi soir. La situation pose beaucoup de questions pour le second tour », confie M. Bayrou, candidat à sa réélection comme maire de Pau.
A l’Elysée, le secrétaire général de la présidence, Alexis Kohler, aurait poussé dans le sens inverse, tout comme le directeur du cabinet d’Edouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas. Une position également défendue, selon plusieurs sources, par le premier ministre lui-même. « Remettre en cause des élections n’est pas un acte anodin dans une démocratie », explique un conseiller au fait des discussions.
« Chantage inacceptable »
Mais la gravité de l’intervention du chef du gouvernement, samedi soir, a semé le trouble. Immédiatement après sa prise de parole, un sentiment de panique avait envahi le sommet du pouvoir : comment faire appliquer les consignes de confinement, tout en appelant 47,7 millions de Français aux urnes ? Comment justifier une telle décision, dans un contexte où la France vient de passer au stade 3 de la gestion de l’épidémie ?
« A vrai dire, je ne sais plus… », soufflait un ministre, samedi soir. Sur les coups de 23 heures, certains membres du gouvernement se demandaient encore si un conseil des ministres extraordinaire n’allait pas être convoqué avant minuit pour prendre un décret annulant la convocation des élections.
Redoutant que l’exécutif soit tenu responsable d’une accélération de la propagation de l’épidémie, plusieurs soutiens de M. Macron ont alors tenté de faire reposer le choix de maintenir le scrutin sur l’opposition, en chargeant en particulier le président (LR) du Sénat, Gérard Larcher, et celui de l’Association des maires de France, François Baroin, qui auraient fait pression de tout leur poids sur Emmanuel Macron, jeudi, pour que ce dernier renonce à annoncer un report.
« Larcher et Baroin on fait du chantage inacceptable en criant à la dictature », accusait samedi soir Stéphane Séjourné, aujourd’hui chef de file des eurodéputés macronistes
« Larcher et Baroin on fait du chantage inacceptable en criant à la dictature. En réalité, ils avaient en tête de protéger leurs intérêts électoraux », accusait, samedi soir, l’ex-conseiller de M. Macron, Stéphane Séjourné, aujourd’hui chef de file des eurodéputés macronistes. Un argumentaire repris par le patron de La République en marche (LRM), Stanislas Guerini, dimanche soir, sur France 2 : « Les formations politiques ont été réunies à deux reprises autour du premier ministre. A ce moment-là, pas une formation politique n’a demandé le report des élections. »
Une attaque jugée irrecevable par l’opposition, en particulier par le secrétaire national d’Europe Ecologie-Les Verts, Julien Bayou, soulignant que « le premier ministre a rigoureusement écarté l’option de reporter les municipales », jeudi, lorsqu’il a reçu l’ensemble des responsables politiques à Matignon.
« Un jour, un bilan devra être tiré des décisions prises et surtout non prises », a attaqué de son côté Marine Le Pen, dimanche soir, en dénonçant les « atermoiements », « retards », ou encore « les choix idéologiques et contradictoires » de MM. Macron et Philippe. « Il y a un vrai risque que ça retombe sur le gouvernement », redoute un ministre.
Président « concentré » et « déterminé »
Des accusations balayées au sommet de l’Etat. « La vérité, c’est que nous avons une méthode : nous suivons les recommandations des scientifiques, explique un proche d’Edouard Philippe. Jeudi comme samedi, ils nous ont dit que le premier tour des élections municipales pouvait se tenir. C’est pour cela qu’on a maintenu le scrutin. On ne pouvait pas ajouter une crise politique à la crise sanitaire en prenant une décision unilatérale. »
Dans l’entourage du premier ministre, on observe d’ailleurs que « le consensus républicain évolue » sur la question d’un report du second tour. « Les déclarations de ce dimanche soir ne sont pas les mêmes que celles de jeudi dernier », analyse un conseiller.
Reste que la décision d’un confinement de l’ensemble de la population ne sera pas facile à prendre, tant les conséquences sur la vie quotidienne mais aussi l’économie seraient importantes.
Pour le moment, les proches d’Emmanuel Macron décrivent un président « concentré » et « déterminé ». « Il a le sentiment d’être d’une cohérence absolue, il n’a aucune envie de tomber dans la politique politicienne. Il doit à chaque étape embarquer le pays et toutes ses forces, sans effet de panique », observe un habitué du palais, qui échange nuit et jour avec lui.
Seule certitude, M. Macron devait tenir, lundi, une réunion par visioconférence avec les chefs d’Etat du G7, dont l’américain, Donald Trump. Objectif : faire le point sur l’avancée de la recherche et coordonner la réponse économique à l’épidémie. De son côté, Edouard Philippe devait de nouveau rencontrer, « en tout début de semaine », les responsables de parti et des associations d’élus, pour recueillir leur avis et les informer des décisions de l’exécutif. « On n’est qu’au début de la crise, le pic épidémiologique n’est pas encore en vue, souffle un conseiller de l’exécutif. On doit tenir sur la longueur. »