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Jours tranquilles à Paris
societe
31 janvier 2020

Du plaisir de partir tout seul en vacances

« Ce qui pouvait être absolument déprimant produisit l’effet inverse sur ma santé​, contrairement à tout ce qu’on dit d’ordinaire sur la solitude. »

Par Marc-Aurèle Baly

La perspective de partir en vacances a toujours été pour moi source d’anxiété. Sans doute car j’ai toujours abordé ce passage obligé soit avec ma famille, une bande de potes ou bien ma copine du moment, et que l’entreprise s’est immanquablement révélée être un prétexte pour m’engueuler à propos de sujets aussi réjouissants que la thune, la bouffe, les activités en plein air ou encore mon prétendu « égoïsme ». Ce qui revient, je pense, à dénaturer complètement la philosophie du plaisir et du délassement que l’on associe d’ordinaire aux doigts de pieds en éventail et aux petits plongeons dans l’eau.

Pour toutes ces raisons, et pour d’autres un peu moins calculées (un manque d’argent criant et la perte de mes papiers qui m’empêchaient de partir à l’étranger), j’ai décidé, un peu sur un coup de tête, de partir tout seul. J’ai choisi Belle-Île-en-Mer, parce que c’est une île, que je suis moi-même une île, et parce que ça me regarde après tout.

Juste avant de décamper de la vie citadine, j’ai fait face à deux réactions typiques : « Je pourrais jamais faire ce que tu fais, quel courage », ainsi qu’une moue circonspecte, un mélange de pitié et de férocité dans le regard, comme si je subissais tout ce que je faisais, ou que j’étais dans le déni du désert insondable qu’est ma vie en sortant une excuse bidon de type « je suis une célibattante épanouie ».

La peur d’être seul

Le seul fait de voir ne serait-ce qu’une once d’extravagance ou d’héroïsme dans le fait de partir seul pendant une semaine dans le cul de la Bretagne montre bien que je ne traine qu’avec des gens qui ont une peur panique du vide - ou juste que j’habite à Paris. La solitude des grandes villes, ça a été prouvé et documenté maintes fois, ne réside pas tant dans la peur d’être seul que dans le fait de se sentir seul au milieu de millions de personnes. Personnellement, c’est toujours quand je suis entouré de gens que je me sens le plus isolé. Par exemple dans le métro bondé le matin, lorsque je me retrouve entouré de regards fuyants et d’enfants en surpoids, ou bien dans les lieux de socialisation comme les warehouses en deep banlieue, en particulier au moment où la lumière se rallume pour recracher cette somme d’individus uniformes qui suintent le dégoût de soi et des autres.

Qu’allais-je donc essayer de prouver en partant ainsi seul pour la première fois ? Que j’en avais dans le pantalon ? Que j’allais en sortir grandi ? Que l’expérience précèderait l’essence ? Calmons-nous, on était tout de même loin des ambitions de Thoreau parti se terrer au fond d’une cabane dans les bois pendant deux ans et qui écrivait dans Walden : « Je gagnai les bois parce que je voulais vivre suivant mûre réflexion, n’affronter que les actes essentiels de la vie, et voir si je ne pourrais apprendre ce qu’elle avait à enseigner, non pas, quand je viendrais à mourir, découvrir que je n’avais pas vécu. »

De toute façon, en arrivant dans l’île aux plaisirs, toutes mes velléités transcendantalistes se sont trouvées balayées d’un revers de main. Ou plutôt d’un coup de vent, glacial, sur le port du Palais, où je me retrouvais planté là comme un con, après avoir voyagé en ferry pendant près de 45 minutes, m’être rendu compte que je n’aurais pas de réseau pendant une semaine, pas de wifi dans le petit studio que j’avais loué pour une somme presque modique, et que de toute façon la propriétaire était injoignable. Bref, assez pour me provoquer une petite coulée d’effroi dans le bas du dos d’entrée de jeu. Peur panique qui serait exacerbée le soir même par une terreur nocturne sans justification aucune, alors même que ma chambre donnait sur un petit port de plaisance tout ce qu’il y a de plus charmant.

Signe évident que ma petite entreprise ne consistait pas tant à me retirer du monde qu’à obéir à une certaine pulsion de mort, le seul livre que j’avais jugé bon d’emporter avec moi étant un recueil de Cioran. Rien de tel que de lire des aphorismes de type « la conscience est bien plus que l'écharde, elle est le poignard dans la chair » au bord d’une falaise avant de se jeter à l’eau. Plouf.

Extrait d'une journée virile

Ce côté antichambre de la mort n’était pas seulement prégnant à cause de mon état pré-suicidaire, mais parce que la seule population de Belle-Île à cette époque de l’année (j’ai eu la riche idée de partir « hors-saison » afin de ne croiser personne) se trouvait être composée quasi exclusivement de vieux. Vieux qui, s’ils ne me posent pas nécessairement de problème en temps normal (sauf peut-être quand ils se rangent sur le côté gauche de l’escalator ou qu’ils s’échinent de manière générale à ne pas crever) ne faisaient à ce moment-là que mettre en exergue ma propre mortalité. Ça plus le fait que je ne recherchais à ce moment-là que de la tranquillité, les bienfaits de la nature et le bruit des vagues comme seule pollution sonore accentuaient l’idée qu’en outre, je sois peut-être tout simplement devenu un prototype de chiantise. Ce qui est au moins aussi effrayant.

Bien évidemment, après une ou deux journées passées à me morfondre et à me demander ce que j'allais bien pouvoir faire de moi, une certaine routine mêlée d’un confort pas si désagréable en bouche se mettait en place. Mes journées se déroulaient et se ressemblaient un peu toutes, lesquelles consistaient à pédaler sur mon vélo comme un cinglé, dénicher une plage sauvage (toutes essentiellement vides), bouquiner quelques instants le livre d’un écrivain misanthrope roumain de compétition, puis végéter sur ma serviette en attendant que la journée se termine en pensant vaguement à ma vie.

Enfin, la nuit tombée, rentrer chez moi, me balader le long du port en ayant l’air d’un creep, pour finir par m’endormir comme une masse avec la perspective de passer une nuit sans rêve. Ce qui pouvait être absolument déprimant produisit l’effet inverse sur ma santé, contrairement à tout ce qu’on dit d’ordinaire sur la solitude - à savoir que cette dernière favoriserait, au choix : des maladies cardio-vasculaires, une inflammation chronique, une dépression, puis, inévitablement, la mort.

Au lieu de ça, quelque chose d’assez inattendu se produisit. Je commençais à ne plus avoir 15 pensées qui se battent en même temps dans ma tête, je comprenais enfin ce que je lisais en n’ayant plus besoin de relire plusieurs fois la même phrase, et je me rendais même au restaurant seul, sans ressentir l’envie impérieuse de dégainer mon téléphone toutes les cinq secondes pour combler le vide de l’existence. C’est comme si on m’enlevait une par une chaque couche de mon hostilité pour me retrouver déplumé comme un oiseau qui entame sa mue.

Ce qui n’est pas si surprenant en soi. Dans son essai Solitude Volontaire, le philosophe Olivier Remaud écrit que « la solitude est aussi nécessaire à la société que le silence au langage, l’air aux poumons et la nourriture au corps ». Pour moi, ça s'est effectivement apparenté à un moment de respiration, mais plutôt la respiration d’un asthmatique qui vient de courir un sprint et qui a tout le mal du monde à reprendre son souffle. Ou celle du nageur qui sort la tête hors de l'eau après avoir fait de l'apnée trop longtemps. Et pile au moment où mes perles de stress s'achevaient de couler le long de mon flanc, où je commençais enfin à m'acclimater pour de bon à cet état semi-végétatif (appelez ça de la sagesse si vous voulez) qui n'a rien de naturel chez moi, commençait à germer une autre pensée dans un coin de ma tête, laquelle se mit à trottiner lentement mais sûrement en direction de mon état de béatitude benêt : « Ça aurait quand même été pas mal de faire tout ça avec quelqu’un ». Plouf.

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29 janvier 2020

Free Nipples

free nipples

28 janvier 2020

Mimi Haleyi témoigne au procès Weinstein : « Chaque fois que j’essayais de me relever, il me repoussait »

weinsyein

Ancienne assistante de production, la quadragénaire a raconté au tribunal de Manhattan la soirée de juillet 2006 pendant laquelle elle accuse le producteur de l’avoir agressée sexuellement.

L’une des deux victimes pour lequel Harvey Weinstein est poursuivi devant le tribunal de Manhattan a raconté, lundi 27 janvier, comment elle avait été agressée sexuellement dans une chambre d’enfant de l’appartement du producteur hollywoodien, à New York.

Si plus de 80 femmes ont accusé le magnat du cinéma de les avoir harcelées ou agressées sexuellement, Harvey Weinstein, qui affirme que ses relations sexuelles étaient toutes consenties, n’est poursuivi devant un tribunal pénal new-yorkais que par deux femmes. L’une d’elles est l’ancienne assistante de production Mimi Haleyi, qui affirme avoir été agressée sexuellement en juillet 2006.

Lundi, au quatrième jour des débats, la quadragénaire a livré sa version de cette soirée dans l’appartement d’Harvey Weinstein, à SoHo, où lui avait demandé de venir le producteur pour le saluer. Elle a décrit un homme affable, se transformant d’un coup, sans signe avant-coureur. « Il m’embrassait et me tripotait », s’est-elle souvenue.

« J’ai fermé mon esprit »

Une fois debout, « je marchais en reculant parce qu’il me poussait avec son corps », a-t-elle poursuivi. Acculée, elle a raconté s’être retrouvée dans une chambre d’enfants, avec des dessins accrochés au mur. « Durant tout ce temps, je lui ai exprimé que je ne voulais pas de ça. » Le producteur l’a poussée sur le lit, et « chaque fois que j’essayais de me relever, il me repoussait », a-t-elle affirmé, laissant échapper des sanglots.

L’un des hommes les plus puissants d’Hollywood lui a alors fait un cunnilingus, après avoir retiré son tampon, a-t-elle raconté. « J’essayais de m’échapper, mais j’ai réalisé que ça ne servait à rien, a-t-elle dit, alors que le producteur pèse environ trois fois son poids. J’ai fermé mon esprit. »

« Je me disais qu’aller voir la police n’était pas une option pour moi », a expliqué cette élégante femme brune, car elle travaillait alors à New York sans visa de travail et risquait l’expulsion des Etats-Unis. Mme Haleyi, qui a changé son nom de famille depuis la publication des premières révélations sur le producteur, a aussi dit craindre cet homme de « pouvoir » et de « contacts ».

Un mail signé « plein d’amour »

Lors du contre-interrogatoire qui a suivi, l’un des avocats de la défense, Damon Cheronis, a produit un courrier électronique envoyé deux ans après environ par Mimi Haleyi à Harvey Weinstein, et signé « plein d’amour ». Avant le procès, la défense avait déjà cherché à discréditer son témoignage en insistant sur le fait que l’ancienne assistante de production avait gardé contact avec le producteur plusieurs années après l’agression supposée.

En cas de condamnation, M. Weinstein, père de cinq enfants et divorcé deux fois, risque la perpétuité. Une condamnation serait une victoire pour le mouvement #metoo : si des dizaines d’hommes de pouvoir ont été accusés d’agressions sexuelles depuis octobre 2017, la quasi-totalité a échappé à des poursuites pénales.

27 janvier 2020

Les SOLDES... ça continue !

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24 janvier 2020

Enquête : « Loïc, c’était notre pote, les victimes, c’étaient nos potes, et on n’a rien vu de tout ça »

bagad auray

Enquête - « Loïc, c’était notre pote, les victimes, c’étaient nos potes, et on n’a rien vu de tout ça » : silence de plomb en pays breton

Par Henri Seckel, Nicolas Legendre, Rennes, correspondance

En octobre 2019, Loïc Le Cotillec, le jeune et talentueux chef d’orchestre du bagad d’Auray, dans le Morbihan, est mis en examen pour « viols aggravés ». L’information ne sortira dans « Le Monde » que le 14 janvier. Auparavant, ni la presse locale, ni le maire de la commune, ni les musiciens n’ont ébruité les faits.

Six cents personnes dans cette salle. Combien savent ? Le préfet du Morbihan et le député de la 2e circonscription sont excusés, mais toute la bonne société locale a pris place dans les gradins : élus, chefs d’entreprise, directeurs d’école, présidents d’association, gendarmes en uniforme. Dans une heure, on ira déguster du mousseux et des macarons à la framboise offerts par la municipalité. En attendant, le Tout-Auray qui a eu le privilège d’être invité à la salle Athéna, samedi 11 janvier, écoute sagement le maire de cette commune à mi-chemin entre Vannes et Lorient lui présenter ses meilleurs vœux.

Joseph Rochelle égrène les projets menés à bien en 2019 et ceux prévus pour 2020, la gare qui s’agrandit, les halles du centre-ville qu’on rénove. Bonne nouvelle : neuf bornes Wi-Fi publiques ont été déployées l’an dernier. Mauvaise nouvelle : les ruches installées dans le parc de Treulen ont été vandalisées et des dizaines de milliers d’abeilles vont mourir. « C’est un acte inqualifiable. » Le maire lit son texte. Encore une demi-heure avant le mousseux.

Belle allure, belle gueule

L’écran géant diffuse à présent un long clip qui rappelle, à coups de ralentis et de plans tournés au drone, les hauts faits sportifs et culturels qui ont animé la commune. Entre les treizièmes joutes nautiques du Loch et le soixante-quinzième anniversaire de la libération de la Bretagne, le film met à l’honneur la Kevrenn Alré, l’association de la ville qui chapeaute à la fois le bagad, le groupe de danse et une école de musique.

Pendant quelques secondes, on voit l’ensemble de musique bretonne, fierté d’Auray, défiler dans ses rues en costumes au son des bombardes. Il est emmené par son penn-soner – compositeur et chef d’orchestre –, un grand jeune homme, carrure de déménageur, belle allure, belle gueule : Loïc Le Cotillec. Les projecteurs se rallument pour le clou du spectacle : quarante musiciens sur scène dans un immense vacarme. Le bagad en chair, en os et en binious, mais sans son charismatique penn-soner.

Loïc Le Cotillec passe la soirée à 100 kilomètres de là, dans sa cellule de la prison de Vezin-le-Coquet, en banlieue de Rennes. Depuis le 25 octobre 2019, l’homme de 24 ans est en détention provisoire, et mis en examen pour « viols aggravés ». La prestation du bagad et du cercle de danse qui l’accompagne est époustouflante. Tonnerre d’applaudis­sements. Fin de la cérémonie. Mousseux à volonté.

Mutisme général

Quatorze mille habitants dans cette ville. Combien savent ce qui est arrivé au jeune prodige local, entré à la « Kevrenn » quand il avait 12 ans et nommé penn-soner quand il en avait 19 ? Ceux qui étaient au stade du Moustoir, à Lorient, le 2 août 2014, ont encore des frissons quand ils évoquent la performance magistrale de la Kevrenn Alré : premier con­cours comme penn-soner et première victoire pour Loïc Le Cotillec.

Auray aime son ensemble presque septuagénaire et plusieurs fois champion de Bretagne (et donc de France) des bagadoù ; la municipalité chouchoute ses musiciens en leur fournissant locaux et subventions ; la vie de la Kevrenn est fréquemment chroniquée dans les deux quotidiens régionaux et concurrents, Ouest-France et Le Télégramme. Si Loïc Le Cotillec avait été mis en examen pour viols aggravés et incarcéré, on peut imaginer que ça se saurait. De toute façon, dans une ville de 14 000 habitants, tout se sait, non ? Non, manifestement.

Mi-décembre, M Le magazine du Monde est informé de cette histoire par une source naviguant dans le milieu de la musique bretonne qui souhaite dénoncer le mutisme général. « Il y a des victimes qui enragent de voir ce silence si bien cimenté et si bien organisé », nous écrit-on. Après l’officialisation du départ de Loïc Le Cotillec, Ouest-France s’en était tenu à une brève dépourvue de détails, et Le Télégramme s’était contenté d’annoncer le « départ précipité » du jeune homme sans en donner la raison, préférant dresser le portrait de son remplaçant, Fabrice Lothodé, l’ancien penn-soner revenu en catastrophe pour préparer la première manche du championnat, le 16 février, à Brest.

Lettre de démission

Il a fallu demander des nouvelles de Loïc Le Cotillec au procureur de la République de Rennes, qui a immédiatement confirmé qu’« une information judiciaire a été ouverte visant cette personne qui a été mise en examen pour viol aggravé au préjudice de trois victimes et harcèlement ». Les faits auraient été commis entre mai et septembre 2019. « Pour l’une d’entre elles, il a été notamment retenu la circonstance aggravante “par personne ayant autorité” », précise le magistrat, qui ajoute que « trois autres noms de victimes potentielles ont été évoqués lors de l’enquête préliminaire, mais elles n’ont pas donné suite aux convocations de l’enquêteur ou ne souhaitent pas déposer plainte ». Nous n’en apprendrons pas plus.

Les victimes potentielles appartiendraient à au moins une des trois institutions musicales que fréquentait Loïc Le Cotillec. Nous n’en apprendrons pas davantage auprès de Damien Moulin, président de la Kevrenn Alré depuis novembre 2017, joint par téléphone : « Je ferai une réaction le jour où vous sortirez votre article. Je peux juste vous dire qu’on a pris les mesures nécessaires dès qu’on a été informés. J’ai mis fin à la collaboration de M. Le Cotillec, je suis allé faire une déposition à la gendarmerie, et l’association a porté plainte contre lui. »

Nous en apprendrons encore moins du côté du Pont supérieur, prestigieuse école de musique de Rennes où étudiait Loïc Le Cotillec. « L’ensemble des informations est entre les mains de la justice, nous répond la directrice, Catherine Lefaix-Chauvel. Vous comprendrez que les étudiants souhaitent poursuivre leurs études en toute sérénité. »

Enfin, nous n’apprendrons strictement rien auprès de Sonerion, la fédération des ­bagadoù du Morbihan, ni de Sonerion 35, celle d’Ille-et-Vilaine, au sein de laquelle Loïc Le Cotillec donnait quelques heures de cours depuis trois ans : ces deux structures ignoraient tout jusqu’à notre coup de fil. « Les bras m’en tombent, je n’ai eu aucun appel de personne, je ne sais pas quoi dire, j’hallucine un peu », a réagi Leslie Le Gal, la directrice de la première. « C’est vous qui me l’apprenez », nous a dit Bob Haslé, le président de la seconde, qui avait bien reçu une lettre de démission, sans le moindre motif, alors que Loïc Le Cotillec était déjà en prison. Et qui s’empresse de préciser qu’il n’avait « jamais eu de problème » avec le jeune homme ni remarqué « aucun comportement suspect ». Vraiment, Loïc était « une personne charmante, prête à rendre service. Combien de fois des gens m’ont loué ses qualités pédagogiques ! » Dans l’entourage professionnel et musical, on ne comprend pas. « Cette histoire, c’est tout sauf Loïc. »

« VOUS SAVEZ, ICI, C’EST UNE TERRE DÉMOCRATE-CHRÉTIENNE, IL FAUT QUE CE SOIT PAISIBLE. » ALAIN LAMARRE, LIBRAIRE À AURAY

Nous accostons le mercredi 8 janvier dans la calme cité médiévale d’Auray. « Auray a un bon chic de bonne petite vieille ville », décrit Flaubert dans Par les champs et par les grèves, après avoir fait escale ici lors d’une traversée de l’ouest de la France en 1847. Ravissante chapelle du XVIIe siècle en guise d’office du tourisme. Maisons du Moyen Age et joli pont à piles triangulaires au port de Saint-Goustan. « Savez-vous pourquoi Loïc Le Cotillec a dû quitter si brusquement le bagad ? » A l’office du tourisme, on ne sait pas. A L’Armoric, bistro phare de Saint-Goustan, on ne sait pas. A L’Antre de Coupe (le coiffeur), on ne sait pas. « Diver­gences sur le plan artistique », croient savoir les uns. « Projets personnels à Rennes », supposent les autres. « Aucune idée », répond la majorité. Auray ne sait pas et, manifestement, ne cherche pas à savoir.

S’aventurer chez les bouquinistes

Alain Lamarre, le libraire du centre-ville (celui qui nous a parlé de Flaubert), nous met au parfum : « Vous savez, ici, c’est une terre démocrate-chrétienne, il faut que ce soit paisible. » Il évoque « une espèce de discrétion morbihannaise ». Puis il lâche trois mots : « Pas de vagues », en traçant devant lui, avec ses deux mains à l’horizontale, la surface d’une mer d’huile imaginaire. Il est l’un de nos rares interlocuteurs à savoir que Loïc Le Cotillec « aurait fait quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire ». Sa femme est une ancienne de la Kevrenn, et elle avait mis le sujet au menu du dîner du réveillon.

Il faut s’aventurer chez les bouquinistes, où l’on trouve toujours plus que ce qu’on était venu dénicher. Au Livre Penseur, par exemple, un peu à l’écart du centre-ville, formidable fatras dont on se demande comment il n’a pas encore enseveli sa sympathique propriétaire. On y entre à tout hasard, en quête d’un hypothétique ouvrage sur l’histoire de la Kevrenn Alré, on en ressort avec le numéro de téléphone d’une ancienne gloire de l’association, qui accepte très vite de nous recevoir chez elle. L’homme qui nous ouvre la porte a le sourire, c’est toujours un plaisir pour lui de causer musique et d’évoquer le passé de la Kevrenn. Le café est servi, la discussion s’engage, passionnante, pendant un quart d’heure.

« Coupez votre truc »

On évoque alors Loïc Le Cotillec. Le sourire s’estompe. Un court silence. Il reprend une gorgée de café. « Coupez votre truc. » On éteint le Dictaphone. « Je me suis éloigné de l’association, mais cette affaire est arrivée jusqu’à mes oreilles, explique-t-il. Ça fait du mal à tout le monde. En plus, le papa de Loïc est maire d’une commune voisine [Saint-Philibert], ça fout une merde terrible. » On explique que la Kevrenn refuse de nous recevoir, et qu’on aimerait comprendre pourquoi la nouvelle n’a pas été diffusée. « La situation est malsaine, poursuit notre homme. Il faudrait qu’ils parlent, plutôt que de garder ça pour eux, ça va leur retomber dessus. Auray est une petite ville, il s’est passé quelque chose de grave. C’est dérangeant que l’on ne puisse pas savoir. »

« ON NOUS A DIT LES CHOSES SANS NOUS LES DIRE. JE NE SAIS PAS QUI SONT LES VICTIMES, ET JE NE VEUX PAS LE SAVOIR. » UNE MUSICIENNE DE LA KEVRENN ALRÉ

A Auray, la brume du golfe du Mor­bi­han ne s’est toujours pas levée. Un comptoir du centre-ville nous apprend qu’une musicienne de la Kevrenn travaille dans un commerce voisin. Cette dernière explique qu’à l’intérieur même du bagad l’information est restée parcellaire : « On nous a dit les choses sans nous les dire. Je ne sais pas qui sont les victimes, et je ne veux pas le savoir. » Elle précise qu’elle tient à son anonymat. Dans la soirée, l’écran du téléphone s’éclaire : « Damien Moulin (bagad) ». Le président de la Kevrenn. « Je sais que vous avez vu une de nos instrumentistes aujourd’hui. » On est poliment mais instamment prié de laisser ses musiciens tranquilles, et de ne pas venir rôder autour du local où l’ensemble répète.

L’association ne s’exprimera que si la presse évoque les faits. « C’est déjà assez compliqué à gérer comme ça, on ne voit pas l’intérêt d’aller crier ça sur tous les toits », déclare-t-il, en nous renvoyant vers l’avocat de l’association, qui, après une négociation de plusieurs jours, nous transmettra le communiqué envoyé par la direction aux 250 membres de la Kevrenn Alré quelques jours après la découverte des faits. Où l’on constate qu’il était mentionné « un comportement pénalement répréhensible » et « des faits d’une extrême gravité », mais jamais de « viols » ni d’« agressions sexuelles ». Ni le mot victimes.

« Il n’y avait pas encore eu de plaintes déposées à l’époque, il fallait respecter la présomption d’innocence, explique Me Henry Ermeneux, qui conteste tout sentiment de malaise. Je comprends l’impression que l’on pourrait avoir de l’extérieur, mais la Kevrenn n’a vraiment rien à se reprocher, elle a fait tout ce qui était à faire vis-à-vis de l’institution judiciaire. Pour autant, on n’a pas envie que ça jase dans tout Auray, dans tout le Morbihan, dans toute la Bretagne. » Il nous confirme qu’en plus de défendre les intérêts de l’association il est l’avocat d’une des plaignantes victimes de viol et membre de la Kevrenn. Il n’y voit aucun conflit d’intérêts. Depuis trois mois, à l’image de la chouette qui lui sert d’emblème, la Kevrenn Alré vole en silence à travers les turbulences.

Homme vrai et un peu sombre

Le lendemain, l’écran du téléphone s’allume à nouveau : c’est notre ancienne gloire de la Kevrenn rencontrée la veille qui a deux choses à nous dire. Il réclame d’abord que son nom n’apparaisse pas, puis prononce celui d’un homme qui pourra sans doute nous renseigner. « Il a suivi cette histoire de près. Allez sonner chez lui. Vous verrez, c’est un homme vrai, et un peu sombre. » A l’adresse indiquée, un homme vrai et un peu sombre nous ouvre la porte. Trois minutes plus tard, le café servi, une discussion confuse s’engage avec ce retraité dont on ignore toujours qui il est.

« J’ai vu mon fils arriver à la maison en pleurs un jour, fin septembre. » Son fils joue dans le bagad. Les pleurs, c’est parce que le président de l’association venait de lui apprendre les faits reprochés à son pote Loïc. On n’a pas eu le temps de toucher à notre tasse que le fils en question rentre du boulot. Notre ancienne gloire nous a envoyé au bon endroit, mais on craint que le jeune homme ne nous mette à la porte. Il s’assoit avec nous. Trois mois après le cataclysme, l’atmosphère est « très bonne » au sein du bagad, assure Erwan, qui ne s’appelle pas Erwan, mais qu’on appellera Erwan puisqu’il ne souhaite pas, lui non plus, que son nom soit publié.

« LOÏC, C’ÉTAIT NOTRE POTE, LES VICTIMES, C’ÉTAIENT NOS POTES, ET ON N’A RIEN VU DE TOUT ÇA. » UN MEMBRE DU BAGAD KEVRENN ALRÉ

« Loïc, c’était notre pote, les victimes, c’étaient nos potes, et on n’a rien vu de tout ça », raconte-t-il. Le choc a été rude. « Je faisais n’importe quoi au boulot, alors je me suis mis en arrêt pendant une semaine. Le week-end suivant, on jouait à la salle Athéna, quinze jours après, on avait un gros fest-noz. Forcément les gens venaient nous demander : “Il est pas là, Loïc ? — Bah…” En plus, on jouait la musique qu’il avait composée… Mais on a tourné la page sur notre pote, sur cette période, sur cette musique. Maintenant, on fonce, c’est la meilleure thérapie pour nous. »

Au bout de quelques minutes, on comprend que la page n’a pas du tout été tournée : « Rien que d’en reparler là, d’un coup, ça fait remonter plein de trucs qu’on essaie de jarter en ce moment. Les victimes ont porté plainte, et elles ont toutes dit : ‘‘Maintenant, on ne veut plus en entendre parler.’’ » Au bout d’une petite heure de conversation, à fleur de peau : « Bon, allez, ça suffit, stop. » Une demi-heure après, ­téléphone, « Damien Moulin (bagad) » : « Je sais que vous avez vu un des musiciens… »

Disparition soudaine

Le bureau du maire est situé au-dessus des halles, qui seront rénovées en 2020, si l’on a bien compris les vœux deux jours plus tôt, et c’est avant de filer à ceux de son homologue de Plouharnel que Joseph Rochelle nous reçoit. Elu en 2018, ce petit homme svelte à lunettes vient d’Ille-et-Vilaine – « mais ma femme est d’Auray » – et se présente comme « l’un des rares défenseurs de la culture bretonne dans ce conseil municipal », ayant notamment mis fin à une anomalie : avant lui, Auray n’accueillait aucun fest-noz.

Bref, le maire adore la culture bretonne, il adore son bagad, et on est persuadé, en entrant dans son bureau, qu’il saura nous rencarder sur la disparition soudaine de Loïc Le Cotillec, d’autant plus qu’il connaît bien son père, François Le Cotillec, qu’il côtoie au moins à chaque réunion de l’intercommunalité. Le maire d’Auray pourrait-il ignorer ce qui est arrivé au fils du maire de Saint-Philibert, à dix minutes de là (par la D28) ? « J’ai effectivement vu que Loïc Le Cotillec était parti rapidement, mais je n’ai pas d’indication sur la nature de ce qui a motivé ce départ. Le bagad poursuit avec un autre penn-soner. J’espère qu’il sera bien classé lors du concours des bagadoù. »

On insiste. Comment donc, le maire de la ville, bretonnant notoire, lui-même danseur à ses heures, ne serait pas au courant ? Il marque un silence, et baisse d’un ton. « Il y a des bruits qui circulent. » Mais encore ? « Les ‘‘on-dit’’ parlent d’agressions sexuelles », poursuit Joseph Rochelle, qui « tombe de l’armoire » lorsqu’on prononce les mots « mis en examen », « viols aggravés », « détention provisoire ». Le voilà qui remonte vite dans l’armoire et s’y enferme à double tour : « La justice est indépendante, il n’y a aucune raison qu’en tant que maire de la ville je sois directement informé. Quelqu’un qui disparaît du jour au lendemain du poste de penn-soner, sans explication, sans rien, ce n’est pas normal. J’imaginais bien que, s’il y avait un tel silence, c’est que quelque chose n’allait pas. Mais je ne voulais pas en rajouter, je n’ai pas voulu intervenir de quelque manière que ce soit pour obtenir des renseignements. »

Il devait tout de même en savoir suffisamment puisque, nous glissera-t-il en nous raccompagnant vers la sortie, il a lui-même fait couper le clip diffusé lors de ses vœux : « Dans la première version, on voyait des gros plans de Loïc Le Cotillec tout le temps. J’ai dit ‘‘ah non !’’, et j’ai demandé au monteur de supprimer des passages. » Joseph Rochelle s’était ému quelques minutes plus tôt en apprenant que Le Monde s’apprêtait, dans un premier article purement factuel, à évoquer le sort de l’ancien penn-soner. « Pour moi, il est hors de question de médiatiser une affaire comme ça, je vois bien tout le dégât que ça peut faire. Au-delà du bagad, la médiatisation va ruiner des années d’efforts à Auray et entacher toute la culture bretonne. Moi, je défends la culture bretonne à fond. Et je pense qu’avec une affaire comme ça la Bretagne va souffrir. »

Maintenir sous silence ?

Le doute nous a alors saisis. A quel prix faut-il informer nos lecteurs, d’Auray ou d’ailleurs, sur ce qui s’est passé au cœur de cette petite ville ? Révéler cette affaire sera-t-il plus néfaste que de la maintenir sous silence ? Après tout, le bagad a congédié son penn-soner quand il a eu vent des faits ; Loïc Le Cotillec est entre quatre murs et les mains de la justice ; un procès aura lieu dans un an ou deux ; les victimes présumées ont porté plainte, et ne souhaitent manifestement pas s’exprimer.

D’un autre côté, révéler l’affaire en nommant clairement les choses serait peut-être de nature à encourager la parole d’éventuelles victimes qui, jusqu’alors, n’auraient pas osé se manifester de peur d’être celles qui briseront le silence ? « La question est légitime, je me la suis posée, répond Me Ermeneux. C’était pour moi la seule raison qui aurait pu justifier que la Kevrenn s’explique publiquement. Mais il s’avère que les enquêteurs peuvent identifier toutes les personnes concernées par cette affaire sans qu’on ait recours aux médias. »

LES MOTS DES PARENTS S’ENTREMÊLENT QUAND ILS ÉVOQUENT LEUR FILS. « C’EST QUELQU’UN D’INTELLIGENT, ET DE FORT ­GENTIL », DIT LE PÈRE.

La publication d’un premier article sur le site Internet du Monde est prévue mardi 14 janvier. Frédéric Birrien, l’avocat de Loïc Le Cotillec, nous propose de rencontrer ses parents avant, et prévient qu’il assistera à la conversation par l’intermédiaire d’un téléphone sur haut-parleur. En route pour Saint-Philibert. Le couple est évidemment défait. « Le monde est cruel, et vous, en tant que journaliste, vous l’êtes aussi. » Les habitants du pays d’Auray ne le sont pas. « Les gens ne jugent pas, ici », dit la mère. « Ici, les gens sont discrets, dit le maire, et on est très solidaires les uns les autres. Personne n’est venu nous en parler. »

Les mots des parents s’entremêlent quand ils évoquent leur fils. « C’est quelqu’un d’intelligent, et de fort ­gentil, dit le père.

— Il n’est pas méchant, dit-elle.

— Jamais on n’aurait pu penser que…

— Il a été plongé trop jeune dans un monde d’adultes. Il a commencé tôt la musique, très tôt, trop tôt.

— Il était doué, très doué.

— Il était discret, il ne nous disait rien. Si on avait su…

— Il composait tout lui-même. »

Tous deux évoquent la pression « énorme » liée au poste de penn-soner, et le quotidien surchargé de leur fils. « La musique, c’était sa vie. Il n’a pas eu de vacances ni de week-ends depuis sept ans », entre le bagad, les études et l’enseignement. Frédéric Birrien raccroche. Le père nous verse un verre de jus d’orange. « Loïc voulait arrêter la Kevrenn Alré depuis un an. Il avait l’impression de gâcher sa vie de jeune adulte, il avait envie de faire un break. »

Poème mélancolique

Certains proches avaient bien perçu chez lui une forme de mal-être. La suite qu’il avait composée pour son dernier concours de Brest, l’an passé, était ponctuée par le récit d’un poème mélancolique de Xavier Grall, Marais de Yeun Elez, décrivant un homme se laissant aspirer par cette lande que la légende locale désigne comme la porte de l’enfer. « Je partirai sans maudire rien, muet, inutile, sans paupières, dans l’inutilité des tourbes/Plaisirs mauvais qui me crucifient, c’est fini, je m’en vais aux marais, traînant ma plainte et ma légende. »

Après les parents, il reste à rencontrer les confrères de la presse locale, autant pour les prévenir que l’article du Monde va sortir que pour comprendre leur inexplicable mutisme sur l’affaire : moins de 200 mètres séparent leurs deux rédactions du local de la Kevrenn. En tendant l’oreille, on entendrait presque le son des bombardes qui s’échappe de la bâtisse mal isolée.

« Quand Loïc est parti, on a su qu’il y avait des soupçons d’agressions sexuelles, explique le confrère du Télégramme, mais on n’a pas donné l’info parce qu’il n’y avait pas de plaintes. Comme on n’a jamais eu vent de plaintes par la suite, on s’est dit qu’ils avaient réglé ça en interne. » « Une information en chassant une autre, je n’ai pas relancé le truc, confesse la consœur de Ouest-France. De toute façon, dès qu’on touche à une entité locale, c’est difficile d’avoir des infos. »

Titre trompeur

Mardi 14 janvier au soir, Le Monde publie sur son site Internet : « Un virtuose de la musique bretonne mis en examen pour viols ». Une demi-heure plus tard, Le Télé­gramme embraye (sans nous citer) : « L’ancien penn-soner du bagad d’Auray mis en examen pour viol ». Le lendemain, l’info figure sur les affichettes des maisons de la presse alréennes. Le surlendemain, en une du Télé­gramme, ce titre trompeur : « Viols : “Tout le monde était au courant dans le milieu” ».

Ouest-France, fidèle à sa charte des faits divers (« dire sans nuire, montrer sans choquer »), se contente d’un feuillet discret en page 6. Pas de Loïc Le Cotillec dans le titre ni dans le chapeau. Il faut attendre le deuxième paragraphe pour lire le nom du penn-soner. France 3 Bretagne, France Bleu Morbihan et plusieurs médias nationaux ont repris l’info. En ville, les comptoirs s’étonnent, s’offusquent, s’exclament : « Tu te rends compte, le fils du maire de Saint-Philibert ! »

Ligne de défense

La Kevrenn publie enfin un communiqué, retraçant la chronologie – découverte des faits le 22 septembre, démission de Loïc Le Cotillec le 27 – et justifiant son silence : « Nous avons collectivement fait le choix, assumé, de rester discrets pour ne pas exposer les victimes, mais aussi pour permettre à l’enquête et à la justice de faire leur œuvre. » « Il n’y a pas eu d’omerta, c’est juste que les gens étaient hyper gênés, appuie Erwan, avec qui l’on était resté en contact. On était beaucoup à penser qu’il fallait en parler, mais on ne savait pas comment faire. Et puis on avait pris tellement cher en apprenant la nouvelle qu’à un moment ça nous avait fait du bien de ne plus en parler. »

« MAINTENANT QUE C’EST PASSÉ, JE NE DIRAIS PAS QUE VOUS NOUS AVEZ FAIT CHIER, C’EST JUSTE QUE ÇA A ÉTÉ BRUSQUE. » UN MEMBRE DE LA KEVRENN ALRÉ

L’avocat de Loïc Le Cotillec, lui, amorce une ligne de défense en déclarant dans la presse que les présumées victimes étaient des « petites amies ». Sur le quai de la gare d’Auray, la question reste la même que lorsqu’on y a posé le pied dix jours plus tôt : à partir de quand quitte-t-on le domaine du silence embarrassé et maladroit pour entrer dans celui de la rétention d’informations organisée ? Difficile d’affirmer que la Kevrenn Alré n’a rien à se reprocher dans la gestion de toute cette affaire. Difficile d’affirmer le contraire. On ne sait toujours pas comment l’information a fini par remonter à la surface fin septembre, cinq mois après le début des faits. D’ailleurs, on ne peut même pas certifier que toutes les plaignantes évoluent au sein de la Kevrenn.

On peut simplement constater qu’on a passé dix jours à Auray, que tout le monde savait qu’on était là, et qu’aucun proche des victimes n’est venu pointer la responsabilité de la Kevrenn. Avant de quitter la Bretagne, on a appelé une dernière fois Erwan : « Ça va bien aujourd’hui. On s’est réunis pour rédiger le communiqué qu’on a balancé sur Facebook. On était contents de tous se retrouver pour discuter des événements. Moi, ça me fait du bien d’en parler, c’est un soulagement que cette affaire soit sortie, finalement. Maintenant que c’est passé, je ne dirais pas que vous nous avez fait chier, c’est juste que ça a été brusque. Et finalement, le fait que vous ayez été là, c’est aussi une bonne chose pour la suite de l’enquête. Des langues commencent à se délier. Quelqu’un a envoyé un message à l’association disant qu’il connaissait une fille qui n’avait pas osé parler jusqu’à présent et qui allait le faire. »

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24 janvier 2020

États-Unis - Contre Trump, les drag-queens font de la résistance 4 MIN

trump drag queen

THE WASHINGTON POST (WASHINGTON)

De plus en plus visibles et acceptées par le grand public, les drag-queens ne cachent plus leur côté politique et leur préférence pour les démocrates.

Un murmure a parcouru l’assemblée du Lincoln Theater, non parce que la tête d’affiche, Sasha Velour (la gagnante de la saison 9 de l’émission de téléréalité RuPaul’s Drag Race), s’apprêtait à monter sur scène, mais parce qu’une femme à queue-de-cheval était en train de prendre place au balcon, et tous les regards se sont tournés vers elle.

“AOC !”, a crié quelqu’un depuis le parterre. Le public s’est alors levé pour applaudir la députée démocrate de New York, Alexandria Ocasio-Cortez, qui a exprimé ouvertement sur Twitter son intérêt pour la culture drag.

Des émeutes de Stonewall au Congrès

Deux jours plus tard à Washington, les talons des chaussures rouges bien lustrées de la drag-queen Pissi Myles résonnaient dans les couloirs du Longworth Building [l’un des bâtiments de la Chambre des représentants]. Pissi Myles était là en tant que journaliste et commentatrice de Happs (un site d’information en direct) pour suivre la procédure de destitution de Donald Trump, mais c’est elle qui a créé l’événement.

Ce n’est pas souvent, en effet, qu’une drag-queen de 2 mètres de haut (talons compris) et en perruque entre en se pavanant dans un bâtiment officiel du Capitole. Ce jour-là, elle a aimanté à la fois les regards et alimenté l’analyse politique.

En fait, depuis les émeutes de Stonewall, à New York, en 1969, où les drag-queens et les femmes transgenres étaient au premier rang des militants et militantes du mouvement pour les droits des homosexuels, politique et travestissement ont toujours été mêlés. Et alors que la culture drag jouit aujourd’hui d’une popularité croissante, les drag-queens sont en passe de devenir les parfaits repoussoirs au président Donald Trump dans la course à la Maison-Blanche pour 2020.

“Ce que les gens en général ne savent pas, c’est que dans la communauté queer, les drag-queens sont considérées comme des sortes de leaders, comme des porte-parole”, affirme Pissi Myles. Elles “sont les premières à dégainer leur épée”.

Rebellion contre la norme

S’habiller de manière extravagante comme le sexe opposé a pendant longtemps été une manière de s’affirmer politiquement, un acte de rébellion contre les normes sociales, une forme d’art pour faire mieux entendre la voix des communautés privées de droits. Des efforts ont été faits pour rendre ce lien [avec le politique] moins déguisé à la faveur de l’attrait qu’exerce désormais la culture drag sur le grand public (un public qui considère le phénomène comme un simple divertissement).

Ainsi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a fait une apparition dans Drag Race, et l’émission a organisé des défis politiques pour ses candidats qui ont dû participer à un faux débat présidentiel et à une comédie musicale sur le thème de Trump. Par ailleurs, DragCon, le grand Salon organisé pour les fans de l’émission, a accueilli des débats sur “l’art de la résistance” ou “le drag dans l’Amérique de Trump”.

À Los Angeles, en avril dernier, Maebe A. Girl est sans doute devenue la première drag-queen à exercer des fonctions officielles après son élection au conseil de quartier de Silver Lake (en 1962, José Sarria a été la première drag-queen à se présenter à des élections à San Francisco).

L’artiste à l’identité sexuelle floue, connue pour ses imitations satiriques de Melania Trump, notamment, a par ailleurs annoncé son intention de se porter candidate au siège de député du 28e district de Californie au Congrès de Washington. Quant aux Sœurs de la perpétuelle indulgence, un groupe de sœurs drag, elles sont très actives sur le plan politique depuis leur création en 1979.

“Changer les mentalités”

“Personne n’attire autant l’attention qu’une drag-queen. Mais il s’agit de canaliser cette attention vers des causes importantes”, insiste Sasha Velour.

“La communauté queer, en particulier la communauté drag, comprend de nombreuses personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté”, et “beaucoup de Noirs et de Browns [les citoyens ni noirs ni blancs], précise-t-elle. “Je pense et j’espère que la popularité du drag et les histoires et récits de ces gens-là vont changer les mentalités.”

Pissi Myles n’avait jamais couvert d’événements avant de travailler pour le site Happs. Elle a été recrutée par l’un des collaborateurs de la société qui a pensé qu’elle apporterait un plus pour leurs reportages qui ciblent les jeunes. Elle n’aurait pas pensé susciter autant d’attention.

“Quand je suis descendue de voiture, vingt caméras se sont tournées vers moi”, raconte-t-elle, et la police du Capitole l’a fait passer trois fois au détecteur de métaux. Qu’une drag-queen ait été envoyée pour couvrir un événement sans réellement de rapport avec la politique LGBTQ mérite d’être souligné.

“Pour notre public, c’est quelqu’un d’atypique, un personnage théâtral”, observe David Neuman, le cofondateur de Happs, qui est en discussion avec Pissi Myles pour qu’elle assure la couverture d’autres événements en 2020.

Retour de bâton conservateur

Cependant, ce n’est pas sans difficultés que la culture drag affirme sa présence dans le microcosme politique.

Drag-Queen Story Hour, un programme national qui encourage les drag-queens à faire la lecture aux enfants dans les bibliothèques, a suscité des protestations dans tout le pays. Pour ses initiateurs, c’est un moyen d’enseigner aux enfants les valeurs d’empathie et d’inclusion, mais Fox News a affirmé que le programme visait à “endoctriner les enfants et les expose inutilement à la sexualité”. Certains groupes conservateurs ont intenté des poursuites contre les bibliothèques qui ont organisé ce genre d’animations.

Après que Sacha Velour a posté une vidéo prise avec Ocasio-Cortez sur Twitter, le commentateur politique gay conservateur Dave Rubin l’a retweetée, accompagnée de la légende suivante : “Votre futur ticket démocrate pour la présidentielle de 2024, mesdames, messieurs et autres.” Ce à quoi un utilisateur de Twitter a répondu : “Si elle gagne en 2024, ce grand machin rose sera notre juge à la Cour suprême.” Sacha Velour s’est approprié l’expression en changeant son nom sur Twitter en “Pink Tall Person”.

“Ces gens se sentent menacés par un peu de maquillage et par du théâtre… voilà un exemple parfait de personnes qui laissent la peur gouverner leur vie s’insurge-t-elle. Ils doivent être incapables de penser de façon rationnelle s’ils ont si peur de ce magnifique rouge à lèvres et d’un simple corset, enfin, de beaucoup de corsets…”

Maura Judkis

Source : The Washington Post

WASHINGTON http://www.washingtonpost.com

Le grand quotidien de la capitale américaine et l’un des titres les plus influents de la presse mondiale. Traditionnellement au centre droit, The Washington Post doit sa réputation à son légendaire travail d’enquête dans l’affaire du Watergate, qui entraîna la chute du président Nixon au début des années 1970. Il se distingue aussi par sa couverture très pointue de la vie politique américaine, ses analyses etses reportages.

24 janvier 2020

Vu de l’étranger - La France dit non à un “janvier sans alcool”, et c’est bien dommage

janvier alcool

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

Venu du Royaume-Uni, le défi du “Dry january” consiste à cesser de boire de l’alcool au mois de janvier. Une idée qui peine à faire son chemin en France, torpillée par le président Macron en novembre, puis par plusieurs dizaines de personnalités issues de divers domaines. La presse étrangère a bien du mal à comprendre cette attitude.

“Macron ne veut pas d’un mois sans alcool”, titre La Vanguardia le 20 janvier. Le quotidien espagnol revient sur un épisode du mois de novembre 2019, lorsque, au cours d’un déplacement du président français à Épernay, celui-ci avait déclaré : “Vous pouvez faire savoir qu’il n’y aura pas de ‘Janvier Sec’”. L’agence Santé Publique France a tenté d’importer dans l’Hexagone cette idée d’un “dry january” – qui consiste à cesser de boire de l’alcool pendant le mois de janvier et nous vient du Royaume-Uni – mais les lobbys de l’alcool s’y sont fermement opposés et ont obtenu gain de cause.

L’attitude d’Emmanuel Macron à cet égard “n’a pas été bien accueillie par les responsables de la santé publique et les dizaines d’organisations qui luttent contre les addictions et alertent sur les dangers de l’alcool”, commente le journal espagnol. Pourtant, les autorités françaises auraient eu tout intérêt à encourager l’initiative, “au moment où vont tomber les chiffres officiels sur la consommation d’alcool dans l’Hexagone.”

Le président français n’est d’ailleurs pas le seul à avoir entrepris de dénigrer l’idée d’un mois sans alcool, rappelle The Times : “S’abstenir de boire de l’alcool après Noël pourrait entraîner la fin de la civilisation française, à en croire de nombreuses personnalités du monde des arts, des universitaires et des sportifs, qui incitent leurs compatriotes à continuer à s’alcooliser”. Le quotidien britannique fait ici référence à une tribune signée par 42 personnalités françaises et publiée par Le Figaro à la mi-décembre 2019. Lancée par le chef français Cyril Lignac, cette campagne hostile au “dry january” insiste sur la “culture” et le “patrimoine” français, dont le vin fait partie intégrante.

Un problème de santé publique à ne pas négliger

La consommation annuelle d’alcool des Français adultes est en moyenne de 11,7 litres par personne – en Espagne, à titre de comparaison, cette moyenne est de 9,2 litres. Bien que ces chiffres “soient en baisse depuis les années 1970, rapporte La Vanguardia, ils n’en demeurent pas moins préoccupants, car l’alcool est la cause de dizaines de milliers de morts prématurées chaque année.”

Cité par le journal espagnol, Mickaël Naassila, président de la Société française de l’Alcoologie (SFA), explique que les lobbys de l’alcool tentent d’influencer les décisions du gouvernement pour empêcher les campagnes de ce type : “Ils pensent que dénigrer l’alcool va avoir des conséquences négatives sur un secteur économique à la valeur historique et culturelle indéniable”.

Mais en réalité, affirme le spécialiste, “le vrai problème, c’est le risque de mortalité, et il faut en informer la population, comme on l’a fait pour le tabac à l’époque”.

Mélanie Chenouard

23 janvier 2020

Journée mondiale contre la solitude

solitude

En ce jeudi, journée mondiale contre la solitude, Djelloul Belbachir, délégué général de l’association Astrée, dresse un état des lieux en France. Et pointe notamment la situation des 15-30 ans.

«Deux millions de jeunes sont isolés ou risquent de l’être»

La solitude, un bien joli mot quand elle est choisie, le pire, sans doute, quand elle est subie. Dans notre pays de 67 millions d’habitants, 13 % de la population serait touchée par ce qu’il est convenu d’appeler un fléau, selon une étude publiée l’an dernier par l’institut BVA pour l’association Astrée, qui lance ce jeudi la 3e journée mondiale de la solitude, sous le patronage du ministère des Solidarités et de la Santé. Selon l’association, fondée il y a plus de trente ans par Gilbert Cotteau, la solitude est en forte augmentation. Et les plus touchés par cette situation sont sans équivoque les jeunes, qui représentent «60 % des personnes concernées», selon l’étude.

Evidemment, les journées mondiales ne permettent pas de trouver des solutions immédiates, mais elles remettent l’éclairage sur toutes les formes de solitudes, et sur les pistes pour en sortir. Entretien avec Djelloul Belbachir, délégué général d’Astrée.

Pouvez-vous nous parler de l’association ?

Notre volonté est de rompre les solitudes, quel que soit l’âge, grâce à des bénévoles formés à l’accompagnement. Chaque bénévole s’engage à rencontrer physiquement une personne isolée, toujours la même, toutes les semaines et dans la durée. L’association est présente dans 17 villes et agit grâce à un réseau de 550 bénévoles. Les personnes isolées sont de tous âges avec majoritairement des femmes. Cela peut s’expliquer par une plus grande facilité des femmes à demander de l’aide. La solitude est souvent associée à un sentiment de honte, de ne pas avoir de valeur. Il est essentiel de déculpabiliser ceux et celles qui vivent ces situations pour qu’elles osent en parler.

La solitude toucherait toutes les catégories et tous les âges de la population, selon les enquêtes que vous avez menées ?

La moyenne d’âge des gens que nous accompagnons est de 50 ans. Certaines d’entre elles ont 18 ans et d’autres 80. C’est un phénomène qui n’épargne personne et touche 13 % de la population. La Fondation de France, qui nous donne ce chiffre dans le cadre de ses enquêtes régulières, définit comme isolées les personnes ne rencontrant jamais physiquement les membres de tous leurs réseaux de sociabilité, au nombre de cinq : famille, amis, voisins, collègues de travail ou activité associative ou ayant uniquement des contacts très épisodiques avec ces différents réseaux.

Beaucoup de ceux qui viennent à nous ramènent cette solitude à des ruptures : le décès d’un proche, le divorce ou la séparation, la perte d’emploi et des difficultés financières… D’autres nous parlent de maladie et de perte d’autonomie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser avec la multiplication des technologies de communication, la solitude ne baisse pas : elle a augmenté de 3 % en trois ans, selon les chiffres de l’étude annuelle du Credoc pour la Fondation de France. Il semblerait que cette solitude soit structurelle dans nos sociétés modernes.

Comment avez-vous pris la mesure de la solitude des jeunes, qui sont pourtant par définition dans des groupes scolaires, sportifs, ludiques ?

Deux millions de jeunes entre 15 et 30 ans sont isolés ou en risque de l’être en fonction de la fréquence des contacts avec les cinq réseaux de sociabilité. De surcroît, ce sont les jeunes qui sont le plus sensibles au sentiment de solitude, même pour les adolescents de moins de 15 ans. La solitude peut exister même lorsque quelqu’un est entouré. Dans ces situations, ce n’est pas la quantité des relations qui questionne, mais la qualité. C’est la raison pour laquelle nous organisons des interventions dans les collèges, afin de favoriser la bienveillance, l’empathie et le soutien entre les adolescents. Pour les 15-30 ans, quitter le cocon familial, l’éloignement géographique pour les études ou encore l’insertion dans la vie professionnelle peuvent être des facteurs de solitude. Quant aux adolescents, il s’agit de solitude ressentie dont une explication pourrait être l’addiction aux écrans.

Justement, n’y a-t-il pas un paradoxe écrasant avec les portables, Internet, Facebook, Instagram, WhatsApp, etc. qui donnent un sentiment d’appartenance à une communauté ?

Il semble que plus on passe de temps sur les réseaux sociaux et autres moyens de communication numériques passifs et plus le sentiment de solitude s’amplifie. Il ne s’agit pas de dire que les réseaux sociaux sont à l’origine du sentiment de solitude mais il existe un lien entre ce sentiment et l’utilisation accrue de ces outils. Cela semble cohérent dans le sens où ce temps passé dans le virtuel n’est pas consacré aux «vraies» relations. Le virtuel ne remplace pas le réel et par ailleurs, le sentiment de solitude vient quand la qualité des relations n’est pas au rendez-vous. Ces relations par le biais d’écrans ne sont sans doute pas aussi satisfaisantes que les relations réelles. Si ces contacts virtuels sont recherchés, c’est sans doute pour leur facilité, leur instantanéité. Ils permettent de réduire la crainte du rejet de soi par les autres.

Comment ces jeunes décrivent-ils leur solitude ?

Elle est souvent associée à l’exclusion, à un sentiment de non-appartenance au groupe, au rejet et en particulier au rejet de la différence. Cette question de la différence revient souvent : on est trop ceci ou pas assez cela, pas assez dans le système très normatif de cette classe d’âge. Ou alors les ados nous disent qu’ils voient d’autres jeunes manger seuls ou être isolés dans la cour. Naturellement, ce sont des situations qui entraînent du mal-être, touchent à l’image de soi et peuvent conduire au repli. Pour que ces adolescents se sentent sécurisés et en confiance, nous proposons aux collèges un programme de soutien par les pairs. En pratique, des élèves volontaires que nous formons ont comme première mission de faciliter le début de la scolarité des élèves de 6e. Ensuite, ces élèves identifiés comme personnes-ressources interviennent, comme une équipe de soutien auprès de ceux qu’ils identifient en risque d’isolement ou d’exclusion. C’est important de faire confiance aux jeunes, en les appuyant pour qu’ils soient activement solidaires de ceux qui vivent des difficultés.

Emmanuèle Peyret

23 janvier 2020

De nouvelles formes d’action se multiplient contre la réforme des retraites

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Par Nabil Wakim, Bertrand Bissuel, Raphaëlle Besse Desmoulières, Aline Leclerc

Tandis que la grève reconductible qui a porté le mouvement s’éteint à la SNCF et à la RATP, des minorités très actives d’opposants ne désarment pas. Leurs actions sont dénoncées par le gouvernement comme des violences, des notions à manier avec prudence pointent des chercheurs.

Plus un jour sans son action spectaculaire. C’est une coupure de courant affectant une dizaine de communes autour de l’aéroport d’Orly, mardi 21 janvier aux aurores. C’est le procès symbolique de l’incendie de la préfecture du Puy-en-Velay par des « gilets jaunes » renvoyé au terme d’une audience rocambolesque, lundi. C’est encore la fermeture du musée du Louvre au nez de centaines de touristes, ou bien des concerts en plein air offerts par l’Opéra de Paris. Ou l’intrusion, par deux fois, de grévistes au siège de la Confédération française démocratique du travail (CFDT).

Ce sont aussi des députés de la majorité et des ministres chahutés dans leur cérémonie de vœux. Et le président de la République Emmanuel Macron et son épouse qui voient des manifestants perturber leur sortie au théâtre des Bouffes du Nord à Paris.

Des actions coups de poing, des coups d’éclats. La lutte sociale se fait guérilla. C’est qu’après bientôt cinquante jours, les opposants au projet de réforme des retraites savent que la grève reconductible à la SNCF et à la RATP, qui a porté la mobilisation, vit ses derniers instants. Le trafic ne cesse de s’améliorer en région parisienne ; les assemblées générales des cheminots et agents RATP se réduisent ou disparaissent. « Il n’y a plus qu’un noyau dur aux AG. Sans qu’on le veuille, nos discussions ressemblent un peu à des bilans, il y a une phase qui s’arrête », constate malgré lui Rémi, 32 ans, cheminot du comité de grève de la gare Saint-Lazare.

Eric Beynel, l’un des porte-parole de Solidaires, le reconnaît. « On a fait le pari de la grève reconductible et de son élargissement, ça n’a pas eu lieu pour l’instant, admet-il. Mais l’idée de la grève s’est installée et c’est un appui pour la suite. » Ce dernier reste cependant persuadé que « ce n’est pas un conflit qui s’essouffle mais qui reprend son souffle » : « A la SNCF et à la RATP, les taux de grévistes s’annoncent forts pour vendredi. »

« Il y a une colère, une haine, je n’ai jamais vu ça »

Ce jour-là, alors que le projet de loi réformant le système de retraite doit être présenté en conseil des ministres, l’intersyndicale appelle à une nouvelle journée de mobilisation. Dès jeudi soir, des retraites aux flambeaux seront organisées dans plusieurs villes, dont Paris.

« Ce qui se joue dans une part croissante du mouvement, c’est une réflexion sur les moyens. Que faire quand le dialogue est limité à amender des points de détails d’un projet à la fois ficelé à l’avance et plein de choses cachées ? Que faire quand les manifestations, sans être ridicules, stagnent en nombre et n’ont guère d’impact ?, interroge Erik Neveu, sociologue, spécialiste des mouvements sociaux. Une partie des acteurs du mouvement explore donc des formes d’action dont ils pensent qu’elles pourraient être plus efficaces. »

On n’avait jamais vu ainsi en cascade des avocats lancer leur robe aux pieds de leur ministre, des personnels soignants leur blouse blanche, des agents du mobilier national déposer leurs outils, des inspecteurs du travail leur code, des enseignants jeter des manuels scolaires. « Il y a beaucoup de symboles. Jeter son emblème, ça dit l’immensité du mépris ressenti pour notre travail, on casse nos métiers, confie Sabine, professeure des écoles en grève à Montpellier. Et qu’aucun représentant du pouvoir ne puisse plus se déplacer sans se faire houspiller ça dit que plus personne ne croit leur discours. Il y a une colère, une haine, je n’ai jamais vu ça. »

Ces actions émanent souvent de réseaux très locaux : des assemblées interprofessionnelles ou des comités de grève qui ont pris forme dans des entreprises, des quartiers, des villes. On y range son étiquette syndicale « dans sa poche ». Et c’est là, ainsi que sur les centaines de groupes WhatsApp qui ont fleuri depuis le 5 décembre 2019, que s’organise aussi, désormais, la contestation.

« Minorités très actives qui ne désarment pas »

« La base ne s’aligne plus avec la tête des confédérations. Les mecs de la CGT [Confédération générale du travail] qui font les coupures et les actions sont superchauds, mais ils ne le font pas avec l’assentiment de la direction de la CGT, qui est très embêtée, confie ainsi un dirigeant d’un syndicat réformiste chez EDF qui désapprouve ces pratiques. Ces méthodes viennent vraiment du bas et je crains qu’ils n’aient pas fini d’inventer des nouveaux trucs ».

« Il y a des minorités très actives qui ne désarment pas, constate également Rémi, le cheminot de Saint-Lazare. Combien de temps ça peut durer ? Qu’est-ce que ça peut donner ? On verra. »

Les irruptions comme celle au théâtre des Bouffes du Nord ont provoqué l’ire du gouvernement et de ses soutiens qui ont dénoncé des « violences », des attitudes « antidémocratiques ». Pour s’y soustraire, certains ont préféré annuler leur cérémonie de vœux, à l’image du ministre de la culture, Franck Riester.

« C’est dans le débat et la discussion, et jamais dans la violence, qu’une démocratie avance », a pour sa part estimé, lundi, le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire. « Ce qui s’est passé aux Bouffes du Nord est inacceptable. La démocratie n’est pas, et ne sera jamais, la force et la violence qui font loi », a aussi tweeté la députée (La République en marche) des Yvelines Aurore Bergé.

« Radicalisation symbolique »

« Il s’agit d’initiatives extrêmement minoritaires mais que l’on ne voyait pas il y a quelques jours, observe Cyril Chabanier, le président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Il ne faudrait pas que ça se développe. »

Le secrétaire général de Force ouvrière (FO), Yves Veyrier, a un avis balancé sur le sujet. « J’aurais du mal à dire qu’il n’y a pas de violences du tout, indique-t-il. Mais si on dézoome, j’ai l’impression qu’il y a une distorsion de la réalité et du ressenti qu’on en donne si on compare à d’autres épisodes comme Mai-68. » Pour lui, il y a la tentation « de parier sur l’épuisement du mouvement et de mettre en exergue ce qui pourrait être moins compris et accepté pour essayer de réduire la contestation à ce qui est marginal ».

« Il s’agit plus d’une radicalisation symbolique que d’une radicalisation au sens propre : il n’y a pas de violences physiques, on est plus dans de l’action illégale, estime Baptiste Giraud, maître de conférences en science politique à l’université d’Aix-Marseille. Avec toujours le risque de donner une image négative de la mobilisation ou de renvoyer celle d’une minorité plus déterminée mais qui s’isole dans sa manière de contester. »

« La plus grande prudence s’impose sur ces notions de radicalisation ou de violence, renchérit Jean-Michel Denis, professeur de sociologie à l’université Paris Est-Marne-la-Vallée. En réalité, il n’y a rien de bien nouveau dans ces agissements, et les conflits sociaux qui ont éclaté durant les années 1970 dans les bassins miniers ou les entreprises de la sidérurgie, étaient bien plus durs. » Il est cependant certain qu’une mobilisation très longue, sans véritable débouché, risque de se traduire « par une forme de dégradation », complète-t-il. « Le mouvement des “gilets jaunes” est passé par là, en sécrétant l’idée qu’une forme de radicalité permet d’obtenir des avancées et qu’aucune organisation n’a à fédérer un mouvement social. »

« La responsabilité de l’exécutif »

Les opérations comme celles contre la CFDT « amoindrissent le mouvement social et nous les condamnons sans réserve », confie François Hommeril, président de la CFE-CGC : « Mais on ne peut pas oublier la responsabilité de l’exécutif, ajoute-t-il. Il a contribué à créer ce climat-là, en s’abstenant de faire une analyse loyale et sincère de toutes les questions soulevées par son projet. On est manipulés, ça rend les gens dingues. »

A ce type de critiques, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, avait répondu, dimanche sur BFMTV : « Si provoquer de la violence, c’est faire les réformes pour lesquelles vous avez été élu, de ce point de vue là, je peux l’assumer. »

L’intersyndicale, qui réunit la CGT, FO, la CFE-CGC, Solidaires, la FSU et des organisations de jeunesse, devait se retrouver mercredi soir pour décider de la suite, au-delà de vendredi. L’exercice s’annonce compliqué. Si certains comme Solidaires aimeraient programmer une nouvelle date interprofessionnelle le jeudi 30 janvier, d’autres comme FO sont réticents à l’idée de retomber dans des journées « saute-mouton » qui finissent par user.

Mais pour M. Veyrier, « c’est loin d’être fini » : « Après le conseil des ministres, il y a le débat parlementaire et même si le gouvernement finit par faire adopter sa loi, rien ne sera figé avant un moment. »

14 janvier 2020

Chronique - Chez Marc Chauvet, le téléphone sonne toujours cent fois

Par Frédéric Potet

Frédéric Potet sillonne la France pour relater petits et grands événements. A Sèvres-Anxaumont (Vienne), il a rencontré un comptable à la retraite harcelé par le démarchage téléphonique. Non, il n’a pas l’intention d’isoler les combles de sa maison.

Fléau des temps modernes, le démarchage téléphonique recèle d’insondables mystères. A Sèvres-Anxaumont (Vienne), Marc Chauvet en sait quelque chose. Cet aimable retraité de la banque LCL a beau se poser la question à chaque fois que retentit la sonnerie de son téléphone fixe, il ignore pourquoi ses interlocuteurs lui proposent, quasi systématiquement, de souscrire à un seul et même service : l’isolation des combles de sa maison, moyennant un euro. Il y a bien, de temps en temps, un appel pour lui vendre une mutuelle aux prestations miraculeuses ou de l’électricité à un tarif défiant toute concurrence. Mais la très grande majorité des coups de fil intempestifs qu’il reçoit, à toute heure de la journée, ne parlent que de laine de verre soufflée et de polystyrène expansé. « Je ne comprends pas pourquoi, soupire Marc Chauvet. Et je comprends d’autant moins que nous avons refait l’isolation de la maison il y a deux ans et demi. »

Alors l’ancien comptable, âgé de 68 ans, a décidé, il y a neuf mois, de tout noter. Notamment le nom des entreprises qui viennent l’importuner : France Isolation, Bureau d’études Iso, Grenelle Habitat, Pacte énergie solidarité, Agence nationale Euro Iso… Certaines ne déclinent aucune identité, se contentant d’un message préenregistré qui déclame tout de go : « Agence gouvernementale ! », avant de décrire promptement le dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE) que l’Etat a renforcé il y a un an (dans lequel il est effectivement question de travaux de rénovation en échange d’un euro symbolique, mais seulement au bénéfice des ménages très modestes).

« “A con, con et demi”, telle est ma devise »

Quand une voix automatisée lui propose d’appuyer sur la touche 1 de son téléphone s’il est « intéressé », Marc Chauvet appuie sur le 1. « Je veux avoir quelqu’un au bout du fil, tout simplement pour lui dire d’arrêter de m’appeler. “A con, con et demi”, telle est ma devise. Malheureusement, c’est sans effet. » Un même numéro, se terminant par 38, l’appelle toutes les semaines chez lui, quand ce n’est pas tous les jours. Depuis qu’il s’est inscrit sur Bloctel – dispositif d’opposition au démarchage téléphonique mis en pla­ce par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation –, les appels sont moins nombreux. Mais pas moins dérangeants quand ils surviennent, par exemple, au matin du 1er janvier.

« LES PERSONNES AU BOUT DU FIL N’Y PEUVENT RIEN. ELLES SONT MAL PAYÉES, STRESSÉES ET SOUMISES À UNE FORTE PRESSION. JE NE VOUDRAIS PAS ÊTRE À LEUR PLACE »

Ancien conseiller municipal UMP de Sèvres-Anxaumont, Marc Chauvet ne s’est énervé qu’une seule fois. Le reste du temps, il s’efforce de demeurer poli. « Les personnes au bout du fil n’y peuvent rien. Elles sont mal payées, stressées et soumises à une forte pression. Je ne voudrais pas être à leur place. A mon époque, on allait au boulot en sifflotant. Je ne pense pas que ce soit encore beaucoup le cas aujourd’hui. Notre société va bien mal », déplore-t-il. S’inscrire sur liste rouge serait la solution, mais Marc Chauvet ne le veut pas. « Vendeur relais » d’un producteur de champagne, il a besoin de figurer dans l’annuaire pour écouler ses palettes d’extra-brut et de grand cru prestige. L’homme est également médium : il lui arrive de réaliser des consultations « à distance », à partir de son téléphone domestique.

C’est d’ailleurs sur son numéro fixe, après avoir pris connaissance de son ras-le-bol dans La Nouvelle République, que nous avons laissé un message pour le rencontrer. « Vous savez pourquoi je vous ai rappelé ?, demande-t-il. Parce que vous m’avez appelé à 11 h 11. » Las des mystères du démarchage téléphonique, Marc Chauvet préfère largement ceux de la numérologie.

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