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Jours tranquilles à Paris
societe
12 janvier 2020

Portrait - Alexandre Hezez, celui par qui les scandales pédophiles au sein de l’Eglise ont été révélés

Par Richard Schittly, Lyon, correspondant

Victime du père Preynat, Alexandre Hezez a brisé l’omerta sur les actes de pédophilie de l’ex-prêtre du diocèse de Lyon, qui doit être jugé à partir du 13 janvier.

C’est par lui que tout a commencé. Alexandre Hezez, 45 ans, est à l’origine de l’affaire qui a secoué le diocèse de Lyon. C’est lui qui a déclenché l’instruction judiciaire visant le père Bernard Preynat, en déposant plainte le 5 juin 2015, contre l’ex-prélat de Sainte-Foy-lès-Lyon. Lorsqu’il a su par hasard que le vieux curé exerçait encore, son passé est remonté. Une enfance chez les scouts, dans les années 1980, les déviances du curé sous les tentes ou dans le labo photo. Les attouchements, la sidération, l’isolement, la culpabilité. Il a choisi de le dénoncer, après un quart de siècle de silence plombé. « Quand j’ai découvert qu’il était encore en vie, ça m’est devenu insupportable. Pendant des mois, j’entendais des enfants crier la nuit dans mes cauchemars, il fallait que j’en parle », témoigne Alexandre Hezez, la voix posée, au débit clair et rapide.

Après cinq ans de procédure, les victimes du curé pédophile seront sur les bancs de la partie civile, au procès qui s’ouvre lundi 13 janvier au tribunal correctionnel de Lyon. Mais pas lui. Paradoxa­lement, le tout premier plaignant ne sera pas dans la procédure. Les faits qu’il a subis entre l’âge de 7 ans et 12 ans sont prescrits depuis juin 1989, juste avant la loi du 10 juillet 1989 qui a rallongé les délais de prescription pour les infractions sexuelles. Sur trente-cinq victimes entendues par les enquêteurs, dix seront parties civiles au procès, les autres sont « prescrites ».

« Ce sera le temps des victimes, enfin, elles pourront s’exprimer pleinement, et j’espère de tout cœur qu’on pourra encore apprendre des choses, comment tout cela a pu arriver », confie Alexandre Hezez. Il sera présent dans la salle d’audience, le premier jour. Symboliquement au moins, pour voir l’aboutissement d’un engagement personnel dont il ignorait l’ampleur au départ. Puis il retournera à ses activités de cadre supérieur dans la banque, à Paris.

La chute du cardinal Barbarin

Avant sa plainte, il a voulu alerter l’Eglise. Catholique fervent, il avait « une confiance aveugle dans l’institution ». Il a échangé des e-mails, rencontré le cardinal Barbarin, organisé une rencontre avec le père Preynat dont il est ressorti anéanti. La scène est saisissante dans Grâce à Dieu, le film de François Ozon, fidèlement inspiré des personnages de l’affaire Preynat. Sous les traits de Melvil Poupaud, le personnage d’Alexandre traverse doutes et colère pour mener un combat solitaire, avec le soutien essentiel de son épouse, enseignante dans un lycée catholique, et l’appui de ses enfants.

Sur les écrans en 2018, en plein procès Barbarin, le film produit un troublant jeu de miroirs avec l’affaire en cours, entre écran et salle d’audience. Alexandre Hezez garde de l’expérience un effet cathartique : « Mettre de l’art dans cette histoire, cela nous a permis d’ancrer ce que nous avions vécu de manière très forte. J’ai vu la puissance du cinéma dans les débats qui suivaient les projections, les personnages parlaient à l’intimité des spectateurs, mais pour moi c’était l’effet inverse, je laissais la lourdeur du passé au personnage, j’ai vécu le film comme une libération. »

Au bout d’un an de vains échanges avec le diocèse, il a choisi la voie judiciaire. Au moment où les déviances sexuelles au sein de l’Eglise se découvraient dans le monde entier. « J’ai eu l’impression de croiser un courant généralisé de prises de conscience, comme si toute une génération se levait. » Par secousses successives, le scandale a provoqué le retrait du cardinal Philippe Barbarin, et son procès pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs ». La décision finale est attendue le 30 janvier à la cour d’appel. A l’audience, l’accusé a affirmé qu’il avait conseillé à Alexandre de rechercher d’autres victimes pour activer une enquête. Et ses avocats ont mis en exergue les e-mails et la carte postale où Alexandre remercie le cardinal pour son aide. « C’est toujours difficile de penser qu’un évêque ment », a-t-il rétorqué à la barre.

Les victimes ont fini par se retrouver, puis par se fédérer au sein de l’association La Parole libérée. « C’était très troublant, j’étais soulagé de voir que je n’étais pas seul, et en même temps tellement triste de voir toute la souffrance qui s’était répandue », se souvient Alexandre Hezez. Une génération d’enfants maltraités, dans une véritable complicité ambiante : Alexandre Hezez voit une similitude évidente avec ce que dénonce aujourd’hui Vanessa Springora, sur les agissements de l’écrivain Gabriel Matzneff. Pour lui, c’était les scouts et l’Eglise, pour elle, le milieu littéraire.

« Dire que “tout le monde savait”, c’est la défense classique de ceux qui se sont accommodés de tout ça, c’est une façon de déresponsabiliser l’individu de ce qu’il doit faire », estime-t-il. La page ne va pas se tourner avec le procès Preynat. Alexandre Hezez compte poursuivre débats et actions auprès d’associations et d’institutions. « Il y a tellement de souffrance, de maltraitance d’enfants, qu’il y a un devoir de continuité. »

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12 janvier 2020

Retraites : le gouvernement prêt à renoncer à l’idée d’un âge pivot de 64 ans en 2027

Par Raphaëlle Besse Desmoulières

Dans une lettre aux partenaires sociaux, Edouard Philippe propose de retirer cette mesure controversée du projet de loi. Syndicats et patronat ont jusqu’à fin avril pour identifier une solution alternative afin d’équilibrer les comptes d’ici à 2027.

Le gouvernement fait un geste envers les syndicats dits réformistes. Dans un courrier adressé, samedi 11 janvier, aux partenaires sociaux, le premier ministre, Edouard Philippe, se dit « disposé à retirer » l’âge pivot fixé à 64 ans en 2027 du projet de loi sur la réforme des retraites. L’objectif d’une telle mesure est de faire travailler les actifs plus longtemps afin de remettre les comptes dans le vert. Le texte envoyé au Conseil d’Etat permet de régler ce paramètre pour qu’il entre en vigueur dès 2022 à 62 ans et quatre mois et atteigne progressivement 64 ans en 2027. Une disposition rejetée par l’ensemble des syndicats et dont la CFDT a fait sa ligne rouge.

L’ex-maire du Havre propose désormais que soit mise en place une « conférence sur l’équilibre et le financement du système de retraite », à laquelle les partenaires sociaux sont invités à participer. Elle aura pour mission d’arrêter les « mesures permettant d’atteindre l’équilibre financier en 2027, en s’inscrivant dans le cadre des projections du Conseil d’orientations des retraites ». En novembre 2019, cette instance avait évalué que le déficit du système se situerait entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros en 2025.

Un « âge d’équilibre » sera bien créé dans le futur système

La conférence, précise M. Philippe dans sa lettre, devra remettre « ses conclusions d’ici la fin du mois d’avril 2020 », c’est-à-dire « avant le vote du projet de loi en seconde lecture ». Si les participants à cette conférence parviennent à s’entendre d’ici là, comme l’« espère » le premier ministre, « le Parlement pourra en tenir compte lors de la seconde lecture et le gouvernement prendra une ordonnance transcrivant cet accord dans la loi ». Dans l’hypothèse où ce ne serait pas le cas, l’exécutif, « éclairé par les travaux de la conférence », « prendra par ordonnance les mesures nécessaires pour atteindre l’équilibre en 2027 et financer les nouvelles mesures de progrès social ». « Je veux être parfaitement clair sur ce point : je prendrai mes responsabilités », insiste M. Philippe.

Ce dernier trace également la feuille de route qu’il donne à la conférence. « Les mesures destinées à rétablir l’équilibre ne devront entraîner ni baisse des pensions pour préserver le pouvoir d’achat des retraités ni hausse du coût du travail pour garantir la compétitivité de notre économie », insiste-t-il. Si la conférence rassemble « un nombre suffisant de partenaires sociaux », M. Philippe procédera « dès mardi à une saisine rectificative du projet de loi actuellement soumis au Conseil d’Etat » et recommandera qu’elle se réunisse d’ici « la fin du mois de janvier ».

Le premier ministre réaffirme par ailleurs que le futur système comportera un « âge d’équilibre ». Ce dispositif « constituera un des leviers de pilotage collectif du système dans la durée ». Concrètement, les départs avant l’âge pivot donneront droit à une pension frappée d’un malus, et ceux après cette borne donneront à l’inverse droit à une retraite majorée.

La CFDT et l’UNSA saluent l’annonce

La CFDT a « salué » dans un communiqué « le retrait de l’âge pivot du projet de loi sur les retraites » qu’elle dit avoir « obtenu ». La centrale de Laurent Berger, favorable à la retraite par points mais fermement opposée à un âge pivot à 64 ans assorti de bonus-malus, salue un « retrait qui marque la volonté de compromis ». « Le gouvernement a fait un geste, et nul ne peut le contester », a réagi Laurent Berger dans les colonnes du Journal du dimanche. « Mais ce retrait n’est pas un chèque en blanc. Pour la CFDT, le retrait de l’âge pivot est une victoire, mais c’est aussi une part de risque. Maintenant, le travail commence et il va falloir poursuivre notre action pour faire valoir nos propositions et revendications. On a perdu un temps précieux depuis un mois », regrette-t-il.

L’UNSA approuve également cette « avancée majeure » et assure que « les échanges peuvent enfin démarrer ». Le syndicat assure qu’il « apportera ses solutions » pour obtenir « l’équilibre financier, dès 2027 et à long terme, de notre régime de retraites ».

La CGT constate pour sa part « le maintien du projet de loi en l’état » et se dit « plus que jamais déterminée à obtenir le retrait de ce texte et à améliorer le système actuel », soulignant les « propositions concrètes faites depuis plusieurs mois ».

Enfin, le Medef a de son côté rappelé que l’impératif d’équilibre financier d’ici à 2027, défendu par M. Philippe, est un point que le syndicat patronal « a appelé de ses vœux », et s’est satisfait de la méthode employée par le premier ministre dans laquelle l’organisation dit vouloir « s’engager pleinement ».

Philippe défend un « compromis solide »

Dans un courrier adressé aux parlementaires de la majorité, Edouard Philippe a estimé qu’« il s’agit d’un vrai compromis, transparent et solide », et a précisé que « les partenaires sociaux acceptent que le futur système comporte un âge d’équilibre ».

M. Philippe, critiqué depuis le début du quinquennat pour sa rigidité, a justifié la suppression d’un âge pivot fixé à 64 ans en 2027 pour « donner toute sa chance au dialogue social » et « démontrer sa confiance dans les partenaires sociaux ». Le premier ministre a conclu en appelant les parlementaires à construire avec lui « sur la base de ce compromis (…) une belle réforme au Parlement », finissant sa lettre par « Haut les cœurs ! ».

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Réforme des retraites en France - Abandon de l’âge pivot : “reculade majeure” ou “ruse” d’Édouard Philippe ?

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

Au 38e jour de grève contre le projet de réforme des retraites, Édouard Philippe a annoncé samedi le retrait de sa proposition visant à instaurer un âge pivot à 64 ans. Pour une partie de la presse internationale, c’est une “reculade majeure” de l’exécutif. Pour d’autres, ce pourrait être une “ruse” pour diviser et affaiblir les syndicats.

“Le gouvernement français a opéré une reculade majeure dans sa bataille contre les syndicats sur la réforme du complexe système de retraites du pays, qui a entraîné des grèves nationales et le chaos dans les transports depuis plus d’un mois”, écrit The Guardian.

Plus modéré, Le Soir qualifie la lettre d’Édouard Philippe aux syndicats, dans laquelle il se déclare “disposé à retirer” l’âge pivot, de simple “geste” envers ses opposants, soulignant que “le gouvernement ne renoncera pas pour autant au principe d’un âge d’équilibre pour le futur système universel”.

C’est sur ce point qu’insiste également le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Car si le Premier ministre français est prêt à renoncer provisoirement au fameux âge pivot, il demande en échange aux syndicats de s’asseoir à la table du gouvernement pour trouver avant avril la manière “d’ajuster le déficit du système de retraites d’ici 2027” – espérant les convaincre que le principe de l’âge d’équilibre est bel et bien la seule solution.

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, premier syndicat de France, avait fait du retrait de l’âge pivot le préalable à toute négociation et la lettre d’Édouard Philippe “lui offre l’opportunité de crier victoire et de cesser de soutenir les grèves du secteur public”, observe le Financial Times. Mais elle “force le syndicat à faire le choix difficile d’une augmentation des cotisations pour les travailleurs et les entreprises, s’il ne souscrit pas à la nécessité d’augmenter l’âge de la retraite”.

“Main tendue”

El País s’interroge sur les conséquences de la volte-face du Premier ministre. “En reculant, M. Philippe pourrait renforcer l’aile dure des grévistes et des manifestants”, estime le quotidien. Mais son annonce “accentue également la division des syndicats à un moment où les grèves et les manifestations montrent des signes d’essoufflement. Elle pourrait aussi servir à persuader l’opinion publique, où les grévistes bénéficient de nombreux soutiens, de la bonne volonté du gouvernement”.

Le Corriere della Sera penche pour cette dernière hypothèse, assurant que “la main tendue” d’Édouard Philippe “a été saluée par la plupart comme une ruse du Premier ministre pour se montrer disposé à dialoguer”.

Pour le titre transalpin, la division des syndicats est désormais inévitable. “Laurent Berger, le chef du syndicat majoritaire et modéré de la CFDT, est le seul à exulter”, écrit le quotidien. “Et c’est pour cela qu’il est traité de traître par les autres (syndicats), les vrais architectes de la contestation”.

De l’autre côté de l’Atlantique, le New York Times estime “peu probable que les concessions du gouvernement mettent fin à la grève et aux manifestations” et semble considérer que la réforme est déjà un échec.

“Confronté à des semaines de grèves et de manifestations massives qui ont saigné l’économie, le gouvernement de M. Macron a été obligé d’offrir une série de concessions à plusieurs professions ces derniers jours – la police, les danseurs de l’Opéra de Paris, les infirmières, les hôtesses de l’air et les pilotes –, revenant précisément aux mêmes retraites sur mesure auxquelles la réforme voulait mettre fin”, observe le quotidien.

11 janvier 2020

Vu des États-Unis - Réforme des retraites : un vieux conflit français opposant nantis et démunis

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THE NEW YORK TIMES (NEW YORK)

Les riches contre les pauvres, les protégés contre les vulnérables… La grogne actuelle contre la réforme des retraites illustre un antagonisme bien français et très ancien, écrit The New York Times dans un reportage à la gare de Lyon.

Une tapisserie rouge pétard à l’effigie de Che Guevara et frappée de l’inscription “En route vers la victoire !” exhorte les grévistes à ne rien lâcher, dans les locaux défraîchis de la permanence du syndicat. À l’extérieur, le responsable de l’antenne s’époumone dans un mégaphone, gare de Lyon, à Paris : “Les riches ne doivent jamais l’oublier : il y aura toujours la sueur des pauvres sur leur argent !”

La grève des transports contre le projet de réforme des retraites porté par le gouvernement est d’ores et déjà la plus longue de l’histoire du pays. Le jeudi [9 janvier], alors que le mouvement entrait dans sa sixième semaine, des milliers de manifestants sont redescendus dans la rue aux quatre coins de France.

Chaque jour, on débat pour savoir qui sortira gagnant ou perdant de la réforme défendue par Emmanuel Macron. Et personne ne s’accorde sur les détails.

Mais, au-delà des détails, c’est un conflit bien plus profond qui se joue, qui touche aux classes sociales, aux privilèges, à l’argent, nourri par deux cents ans d’histoire. Ces pommes de discorde sous-jacentes alimentent un mouvement-marathon qui met à l’épreuve la patience des Français, plombe l’économie et expose une nouvelle fois les lignes de faille d’une présidence macronienne qui se voulait réformatrice.

Les deux camps figés

Les slogans amers très marqués “lutte des classes” entendus gare de Lyon ne tombent pas du ciel. Le bras de fer en cours a des racines, réelles ou perçues, dans d’autres affrontements bien plus anciens – d’abord la suppression de privilèges séculaires lors de la Révolution française, puis les décennies de lutte acharnée entre le capital et les classes laborieuses au XIXe siècle, d’où est né le régime des retraites que Macron veut aujourd’hui mettre au rebut.

On retrouve dans le combat en cours une bonne partie du vocabulaire employé dans ceux d’hier, figeant les positions des deux camps, surtout celui des syndicats.

Les Français commencent à trouver le temps long. Il faut dire que rares sont les pays où le train occupe une place aussi centrale. La suppression des trains a coupé la province de Paris, où la quasi-absence de métros a coûté des millions et où la grève des professionnels de la culture a obligé les théâtres et les opéras à annuler des dizaines de représentations.

Les régimes spéciaux, pomme de la discorde

Le soutien aux grévistes, qui était substantiel au départ, de la part de Français inquiets pour leur retraite, commence à fléchir. Macron escompte un nouveau recul en lâchant un peu de lest – en faveur de la police, des danseurs de l’opéra, de l’armée – face à l’agitation de la rue et au malaise que provoque son projet chez une bonne partie de l’opinion.

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Le président veut remplacer le système en place, composé de 42 régimes de retraites distincts (dont la plupart sont taillés sur mesure pour la profession concernée), par un système de retraite par points qui serait le même pour tout le monde.

Ce sont ces régimes individuels – conquis de haute lutte au fil des ans par les différentes corporations et jalousement défendus comme des droits, et non comme des privilèges – qui sont ici la pomme de discorde. Macron voudrait s’en débarrasser ; les travailleurs voudraient qu’il enterre l’ensemble du projet.

Un antagonisme bien français

Cette grève au long cours des trains et des métros illustre un antagonisme bien français qui date d’avant même la révolution de 1789 : les nantis contre les démunis, les riches contre les pauvres, les protégés contre les vulnérables.

C’est un antagonisme qui existe tout autant dans l’esprit des grévistes que dans les faits, mais qui n’en est pas moins réel. Le ressenti devient réalité, avec un coup de pouce de l’histoire et des discours des dirigeants syndicaux.

“Ce sont deux conceptions de la protection sociale, deux notions différentes du projet social, qui s’affrontent”, expliquait, avant Noël, Philippe Martinez, le chef de file de la CGT, à la sortie d’une énième réunion infructueuse à Matignon, et il a répété cette semaine à la télévision :

C’est un choix de société qui est au cœur de cette réforme.”

Jugé excessif par certains analystes, ce langage n’en a pas moins infusé dans l’esprit de milliers de grévistes, notamment de la CGT, le syndicat farouchement anti-macronien au cœur de la grève.

Macron et le profit

Pendant des décennies, le syndicat était proche du Parti communiste français. Martinez y était d’ailleurs encarté ; le secrétaire général du syndicat, qui chapeaute aussi la CGT Cheminots, possède un buste de Lénine dans son bureau.

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“On a beaucoup de mal à trouver un terrain d’entente avec ce gouvernement”, confirme Bérenger Cernon, secrétaire général de la CGT Paris à la gare de Lyon.

De leur côté, ils disent : ‘Vous vous débrouillez.’ Nous, on parle de solidarité : liberté, égalité, fraternité. Eux, ils répondent : ‘Si on a réussi, tout le monde peut.’ Mais la réussite individuelle n’a jamais permis à une société d’avancer. Elle n’a jamais profité au collectif.”

Un point de vue largement partagé dans les rangs du syndicat, et qui galvanise les troupes.

La police lors d’une manifestation à Paris le 7 janvier 2019. Photo / Dmitry Kostyukov / The New York TimesLa police lors d’une manifestation à Paris le 7 janvier 2019. Photo / Dmitry Kostyukov / The New York Times

“La vision de Macron, c’est ça : il parle toujours de faire du profit”, dénonce Sébastien Préaudat, contrôleur et militant CGT à la gare de Lyon.

Mais, nous, on n’est pas là pour faire de l’argent. On est là pour apporter un service au public. Et ces gens-là – le gouvernement de Macron – ils viennent du monde de la finance. On se bat juste pour dire : ‘On a trimé toute notre vie, aujourd’hui on a le droit de se reposer.’”

Une société de classes

Les cheminots sont moqués par la droite française, beaucoup d’entre eux ayant la possibilité de partir à 52 ans avec une retraite confortable, parfois bien supérieure à la moyenne. Les cheminots n’y voient pas un privilège, mais une confirmation nécessaire de leur statut à part dans la société française. Comme le souligne Philippe d’Iribarne, sociologue au CNRS à Paris :

Pour un réformateur comme Macron, ce genre de filet de protection corporatiste est un archaïsme, La France reste une société de classes, constamment menacée par l’arrogance des puissants et le ressentiment des sans-grade. En France, l’égalité dont rêvent les gens ressemble à ça : tout le monde a droit aux mêmes lettres de noblesse.”

Autant dire que la réforme rationaliste de Macron ne trouve pas grâce aux yeux d’un mouvement syndical indifférent à cette conception de l’égalité. Macron propose de compenser le déficit probable du système et la baisse du ratio actifs-retraités. Il veut mettre tout le monde sur un pied d’égalité au moyen d’un système par points.

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Deux projets de société

“Macron, c’est un financier qui voit tout sous l’angle de la compétition. Nous, on a une vision collective, analyse Arnaud Bourge, un conducteur de trains rencontré parmi les centaines de cheminots qui écoutent, gare de Lyon, les harangues appelant à poursuivre la grève. Ce sont deux visions diamétralement opposées.”

Macron voit le problème des retraites avec l’œil d’un gestionnaire, et cette approche trouve le soutien de ses sympathisants de la classe moyenne supérieure, de certains intellectuels, de certains analystes, mais pas des travailleurs, qui entendent conserver leurs acquis.

“À vrai dire, on n’a pas affaire à deux ‘projets de société’, observe Dominique Andolfatto, sociologue du syndicalisme à l’université de Bourgogne, invalidant la vision de Martinez. Il y en a un qui tient compte de certaines réalités sociales et économiques, et en face on en a un autre qui dit : ‘On ne touche à rien, le navire garde le même cap, on ne s’occupe pas de l’iceberg.’”

Les macronistes nerveux

Mais, à mesure que la grève traîne en longueur, les députés de la Macronie montrent des signes de nervosité.

“On assiste au retour de l’opposition entre employeurs et travailleurs”, déplore Jean-François Cesarini, député macronien. Ce qui gêne surtout les députés, c’est de voir l’inflexibilité de l’exécutif sur un point particulièrement sensible : le report de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

Plus modérée, la CFDT a bien proposé un compromis, mais sans succès à ce jour.

“Quand un pays est aussi divisé, c’est extrêmement dangereux de ne pas saisir la main tendue”, s’inquiète Aurélien Taché, un autre député de la Macronie.

Dans le hall de la gare de Lyon, les dizaines de grévistes réunis se voient demander de se prononcer à main levée sur la poursuite du mouvement. Toutes les mains se lèvent dans un brouhaha approbateur.

“Aujourd’hui, ils nous proposent de tout nous prendre, tonne Sébastien Préaudat, le contrôleur. Et je ne vais pas accepter.”

Adam Nossiter

Cet article a été publié dans sa version originale le 09/01/2020.

8 janvier 2020

La boîte aux lettres se vide, on l’ouvre quand même

98 % des Français disposent d’une boîte aux lettres qu’ils ouvrent quasiment tous les jours.

Thomas Brégardis, Ouest-France

Qu’elle est loin l’époque où le préposé de La Poste transportait, dans sa lourde sacoche, des milliers de missives ! Factures, courrier administratif, publicités, cartes d’anniversaire, lettres d’amour, il y en avait pour tous les goûts. En dix ans, l’activité courrier de La Poste est passée de 41 à 28 %, le nombre de facteurs de 100 000 à 72 000 et celui de plis distribués de 18 à 10 milliards, selon les chiffres de l’entreprise.

Cœur de métier historique du groupe, le courrier fut naguère mis en place par Louis XI pour le service royal et à des fins militaires. Des relais de chevaux se trouvaient sur les routes stratégiques du royaume. « L’acheminement et la distribution des correspondances demeurent le privilège des messageries universitaires et royales jusqu’à la fin du XVIe siècle, date à laquelle un service public d’État est mis en place », explique, sur le site de La Poste, Pascal Roman, conseiller historique. À la Révolution, il y a 1 426 bureaux de messagerie. Et, à Paris, le courrier est déjà distribué à domicile.

Les secrets du courrier

À la campagne, il faut attendre 1830 et la création du service rural. Le prix d’une lettre correspond alors à une demi-journée de travail d’un ouvrier. Sur les routes de France, 5 000 facteurs. Ils seront 19 000 en 1876, bientôt à bicyclette. Inventé par les Anglais, le timbre-poste s’impose en France et démocratise le courrier en uniformisant les tarifs.

Train et Aéropostale vont métamorphoser l’activité. Mais, dès les années 1990, le volume de courrier commence à baisser tandis que Bruxelles ouvre le marché à la concurrence.

Pourtant, « après six siècles, le média courrier n’a pas encore révélé tous ses secrets », a assuré, lors d’un débat de L’Express, Yves Xémard, directeur de la business unit courrier à La Poste. « Sa longue histoire passera peut-être, à l’avenir, par des solutions « phygitales », mêlant physique et digital, comme celles que propose La Poste : lettre recommandée à distance, remise commentée, courrier augmenté. »

Papier et numérique

Et si 20 % des Français n’ont pas accès aux solutions numériques, 98 % d’entre eux disposent d’une boîte aux lettres qu’ils ouvrent quasiment tous les jours. Même lorsqu’elle est vide. Derrière ce geste simple, il y a comme un rituel : sortir de l’appartement ou de la maison, regarder dans la boîte, rentrer, ouvrir la lettre, la lire. Recevoir du courrier, c’est exister. « Quand on lit une notification sur son smartphone, le niveau d’attention n’est pas le même », constate Anthony Mahé, du cabinet Eranos.

Ce sociologue a réalisé, pour La Poste, une étude sur notre rapport au courrier papier et au numérique. « Envoyer une lettre papier ou un e-mail n’a pas le même impact, explique-t-il. On ne pense pas le numérique avec les bons cadres, on le croit immatériel – algorithmes, data, calculs. Or, ce sont également des objets – ordinateurs, smartphones – des gestes, des émotions. »

Pour lui, il y a continuité entre communication classique et communication numérique. Entre courrier papier et courrier électronique. Et plutôt que de « dématérialisation », Anthony Mahé préfère parler de « nouvelle matérialité », montrant ainsi que numérique et papier ne sont pas opposés, mais plutôt complémentaires. Vous y penserez en ouvrant, demain, votre boîte à lettres.

7 janvier 2020

Enquête - « Aujourd’hui, bien dormir, c’est être en haut de la pyramide sociale »

Par Vincent Cocquebert

Longtemps envisagé dans notre société de la performance comme une activité improductive, le sommeil est devenu le nouveau totem du développement personnel.

A l’instar d’un Français sur deux, Lila entretient avec ses nuits une relation un brin tourmentée. « C’est les montagnes russes au niveau de mon sommeil », résume cette trentenaire free-lance dans la communication digitale. « Autant je peux extrêmement bien dormir, autant je peux avoir des périodes où je vais me réveiller entre quatre et huit fois par nuit. » Résultat, lorsqu’elle n’a pas pu faire sa nuit idéale, soit sept heures réglementaires, « c’est une catastrophe et je ne suis pas bien pendant toute la journée ».

Heureusement, Lila peut compter sur Namatata, une application de méditation qu’elle dégaine sur son téléphone dès que les soucis de la journée viennent l’assaillir dans son lit. Elle peut aussi se reposer sur sa montre connectée qu’elle consulte une ou deux fois par semaine pour s’informer de la durée et de la nature (léger ou profond) de son sommeil, ainsi que de ses phases de réveil.

Un impératif de bien-être

Cette quête quotidienne et appliquée d’un repos rédempteur, Lila est loin d’être la seule à la poursuivre. C’est aussi le cas de l’héroïne du dernier roman d’Ottessa Moshfegh, Mon année de repos et de détente (Fayard, 2019), qui décide, elle, d’hiberner durant une année entière. « Le sommeil me semblait productif. (…) En mon for intérieur je savais (…) qu’une fois que j’aurais assez dormi, j’irais bien. Je serais renouvelée, ressuscitée. » Jusqu’alors relégué au rang d’activité passive qui, pensait-on, nous faisait perdre du temps, et de l’argent, le sommeil a récemment intégré le spectre du développement personnel. Au point de devenir un nouvel impératif de bien-être.

Un bon sommeil serait en effet le secret pour optimiser ses séances à la salle de sport (afin que l’organisme soit au top de ses capacités physiologiques) ou perdre du poids (en aidant à bien réguler les différentes hormones, notamment la ghréline, qui stimule l’appétit). Pour d’autres, c’est même devenu une routine beauté (le fameux beauty sleep, avec massage du visage, méditation, huile essentielle sur l’oreiller et suppression du sucre au dîner) permettant d’éviter les couches de cosmétiques. Différentes études ont en effet démontré que les personnes présentant des signes de fatigue étaient jugées nettement moins attirantes.

D’APRÈS UN SONDAGE IPSOS DE 2018, DORMIR SERAIT POUR 88 % DES FRANÇAIS UN MOMENT DE PLAISIR ET POUR 78 %, UN MOMENT DE LIBERTÉ.

« L’image culturelle négative du sommeil relié à la paresse, héritée de Thomas Edison (l’inventeur de l’ampoule électrique pour qui “le sommeil [était] une absurdité”), est largement remise en question. Aujourd’hui, bien dormir, c’est être en haut de la pyramide sociale », explique Hugo Mercier, entrepreneur de 26 ans et auteur de l’ouvrage A la conquête du sommeil (Stock, 2019). Après l’amour, c’est donc désormais le sommeil qu’il faudrait trouver à tout prix, au point d’en faire une sorte de nouveau personal branding (« marketing de soi-même »).

D’après un sondage Ipsos de 2018, dormir serait pour 88 % des Français un moment de plaisir et pour 78 %, un moment de liberté. Surtout, 92 % se disent intimement persuadés que leur sommeil est « unique et différent » de celui des autres. Je dors, donc je suis, en somme. « Alors qu’il était un espace-temps non questionnable qui allait de soi, le bon sommeil est devenu un objectif de la sagesse contemporaine », confirme le sociologue Jean-Claude Kaufmann.

Une ardoise de 371 milliards d’euros

Les apôtres du dicton « L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt », à l’instar de l’écrivain Hal Elrod (Miracle Morning, First, 2016) ou de l’entrepreneur Filipe Castro Matos qui martèle dans ses conférences TedX que le secret de la réussite serait de se réveiller quotidiennement à 4 h 30, subiraient-ils un violent retour de bâton ? On le dirait bien. On se souvient qu’en août 2018, au bord du burn-out, l’ex-président de Tesla, Elon Musk, avait confié au New York Times carburer à l’Ambien, un puissant somnifère, afin de réussir à dormir quelques heures. Censées témoigner de son investissement sans limite, ses déclarations avaient produit l’effet inverse, inquiétant les investisseurs sur sa capacité à mener à bien les affaires du groupe.

Derrière le cas Elon Musk, toute une mystique des nuits trop courtes semble s’écrouler. De fait, si l’on en croit une étude réalisée en 2016 par le think tank Rand Corporation, le manque de sommeil serait moins synonyme de travail acharné que de baisse de productivité. Soit, dans le détail, pas moins de 411 milliards de dollars (371 milliards d’euros) de perte annuelle pour les seuls Etats-Unis.

Des salariés rémunérés pour dormir

Mais le message a beau avoir changé, la logique de rentabilité sous-jacente, elle, reste la même. Et si les dangers liés aux nuits trop courtes sont désormais largement médiatisés (obésité, maladies cardiovasculaires, accidents, cancers, troubles du comportement, etc.), ces effets délétères sont bien souvent envisagés d’un simple point de vue productiviste. Des entreprises comme Casper, aux Etats-Unis, ou Crazy Inc., au Japon, vont jusqu’à rémunérer leurs salariés qui acceptent de comptabiliser leurs heures de sommeil et dorment au moins six heures par nuit. Car le paradoxe de cette nouvelle injonction de valorisation sociale du dodo, c’est qu’elle survient précisément alors même que nous n’avons jamais si peu dormi. En mars 2019, l’agence Santé publique France révélait dans son baromètre que nous avions perdu, en cinquante ans, une heure trente de sommeil.

Pire : cette injonction au bien-dormir générerait ironiquement son lot d’insomnies. A force de vouloir à tout prix optimiser leur sommeil pour briller à la machine à café, certains développeraient un syndrome dit « d’orthosomnie ». « J’ai désormais régulièrement des patients qui n’avaient à l’origine aucun problème d’insomnie et qui viennent me voir en me disant : “Ma montre me dit que je dors mal, qu’est-ce que je peux faire ?” Le problème, c’est que, plus on veut maîtriser son sommeil, moins on dort, car pour ça il faut savoir lâcher prise », confirme le docteur José Haba-Rubio, auteur de Je rêve de dormir (Favre, 2016). D’un côté, un besoin de rentabilisation existentielle et, de l’autre, une obsession sanitaire permanente tiraillent le potentiel dormeur.

Valorisation des nuits blanches

Conscients de cette insoluble contradiction, certains préfèrent jouer le contre-pied, et optent pour une valorisation intime et poétique de leurs nuits blanches. « Je me trouve des occupations diverses et variées : découper le bas d’un jean pour en faire un short, découper les manches d’une vieille chemise, laver les carreaux, écrire, toute activité impliquant un processus de métamorphose, traduisant sans doute un rapport assez païen à la nuit », confie Carmen, une jeune conceptrice-rédactrice de 24 ans dont les heures de sommeil se comptent généralement sur les doigts d’une main.

Après avoir sans succès tenté de s’assoupir avec des infusions de valériane et une application de méditation, Margaux a elle aussi conclu que le credo « qui dort, win » n’était pas pour elle et en a profité pour lancer « 4 h12 », un podcast où des insomniaques viennent raconter leur quotidien nocturne parallèle. « Comme la plupart des gens que j’interroge, je vis une dualité, admet la jeune femme. Ne pas dormir est un moment à la fois terrible et précieux mais où je ne suis connectée qu’à moi-même, où le temps m’appartient, où je peux en faire absolument ce que je veux. » Et si Margaux ne peut toujours pas vraiment se vanter de ses heures de sommeil, au moins elle vit sa vie rêvée. La nuit.

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6 janvier 2020

La lettre politique de Laurent Joffrin

Conflit : tout, rien ou quelque chose ?

Le compromis est dans l’air. Fâché mais conciliant, conciliant mais fâché, Laurent Berger a proposé hier soir une conférence consacrée à «l’équilibre du système» qui se tiendrait avant l’été. Ce matin, Bruno Le Maire a dit «banco», un porte-parole du gouvernement a déclaré qu’on «regarderait» et le Medef lui-même a précisé qu’il n’était pas «arc-bouté» sur la mesure d’âge. Dans ce scénario – hypothétique pour l’instant –, la pomme de discorde de l’âge pivot serait sortie du panier, tandis que la CFDT accepterait une cote mal taillée pour assurer le financement des retraites. Comme nous le disions dans une lettre précédente, le gouvernement voit là une porte de sortie. Le Premier ministre aime à rappeler qu’il s’est opposé à une augmentation «forte» des cotisations. Ce qui implique qu’une augmentation «faible» ou «plus faible» n’est pas écartée, mesure qui rendrait moins pressante la question de l’âge pivot.

Il est vrai qu’au fil des hésitations et des concessions, la réforme finissait par perdre sa cohérence. Emmanuel Macron avait écarté dans un premier temps les mesures d’âge. Elles sont sorties du chapeau de Matignon avant Noël. Il avait mis en garde contre les exceptions concédées à telle ou telle profession, qui aboutiraient de proche en proche à un jeu de dominos. Le gouvernement a néanmoins fait droit aux demandes des policiers, des militaires, des pilotes d’Air France, des danseurs et danseuses de l’Opéra. Il a même esquissé une solution à la SNCF, où une combinazione à l’italienne maintiendrait dans le nouveau système les avantages de l’ancien. Si bien que cette réforme «cathédrale», destinée à supprimer les régimes spéciaux et à laisser à chacun la liberté de partir quand il le souhaite, aboutissait à proroger les intérêts particuliers, tout en instaurant pour les autres un couperet uniforme à 64 ans. C’est-à-dire l’exact opposé des intentions initiales. On passait de la cathédrale à la bicoque.

Le mouvement ne s’arrêtera pas pour autant. Les syndicats plus fermes, ou plus radicaux, comptent sur la mobilisation de cette semaine pour faire plier le gouvernement. Sera-t-elle forte ? Mystère. Le taux de grévistes est tombé à environ 6% à la SNCF mais il reste élevé chez les conducteurs de la RATP et il peut remonter à la faveur des deux journées d’action prévues.

Comme souvent dans ces conflits, le sort hésite entre deux conceptions du syndicalisme. Si le retrait s’impose, comme le demandent la CGT, SUD et FO, avec les partis de gauche, on dira que la radicalité paie. Mais si la grève s’effiloche, tandis qu’un arrangement se conclut avec les centrales plus modérées, la CFDT verra sa stratégie validée. Dans ce cas, les uns auront tout exigé pour ne rien avoir. Les autres auront récusé le tout et le rien, pour obtenir quelque chose.

LAURENT JOFFRIN

5 janvier 2020

Il faut parler de pédophilie (mais sans clichés)

pedo25

Par Maïa Mazaurette

Parce qu’on ne protégera pas les enfants avec des épouvantails et des idées reçues, la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette a décidé de faire cette semaine une mise au point.

LE SEXE SELON MAÏA

Commençons cette année par une détox informative : cette chronique parlera de pédophilie, d’inceste, de pédocriminalité... parce que le sujet est important et que nous sommes toutes et tous concernés. Mais elle n’évoquera ni monstres littéraires ni monstres tout court, elle n’appellera ni au pardon ni au lynchage, et on n’y mentionnera aucune star du milieu artistique parisien.

Ces problèmes existent dans tous les milieux. Les épouvantails, clichés et caricatures également – autant de discours parfaitement contre-productifs. Pour réellement protéger les mineurs, voici une mise au point – éclairée par l’équipe Ile-de-France des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS).

1. Les pédophiles ne sont pas forcément des agresseurs d’enfants

La pédophilie est d’abord un fantasme (pour des prépubères ou de jeunes pubères), et ce fantasme n’est pas illégal, contrairement au passage à l’acte. Pour une attirance envers des adolescents, on parlera d’hébéphilie. On peut avoir des fantasmes pédophiles sans jamais toucher un enfant : on parle alors de pédophiles abstinents. Nous manquons malheureusement de chiffres, car peu de personnes osent parler, mais les professionnels estiment que la grande majorité des personnes attirées par les enfants ne passeront jamais à l’acte.

Si vous êtes concerné par ce genre de fantasmes, demandez de l’aide : le site PedoHelp vous fournira des ressources. Certains agresseurs ont des trous noirs : si vous vous sentez déraper, si vous ne vous rappelez plus de la nuit dernière, si cet article vous remue, vous serez informés et orientés. La Fédération française des CRIAVS a créé le mois dernier un numéro d’évaluation et d’orientation (0 806 23 10 63), actuellement en phase de test et bientôt étendu à toute la France, justement pour aider les personnes attirées par les enfants à ne jamais faire de victimes.

2. La majorité des agresseurs d’enfants ne sont pas pédophiles

Ils sont pédocriminels, et pratiquent une sexualité adulte parfaitement banale. Les agressions se produisent quand ces personnes subissent une « contagion affective » : ils cessent de voir l’enfant comme un enfant, ils oublient qu’un mineur n’a ni la maturité physique ni la maturité émotionnelle permettant de s’opposer à un adulte (surtout

quand cet adulte les loge, les nourrit et les soutient au quotidien). Ils confondent le besoin d’affection et le silence de l’enfant (sa honte, son incompréhension, sa soumission) avec du consentement. Parfois, le passage à l’acte n’est même pas lié à une attirance sexuelle : seule une minorité des auteurs de violences sexuelles sur mineurs répondent aux critères d’un diagnostic de pédophilie.

3. Il faut arrêter de parler de « prédateurs sexuels »

Il s’agit d’auteurs de violences sexuelles. Cette métaphore de la prédation propage l’idée que nous serions entourés de bêtes sauvages déguisées en êtres humains, qui auraient des « stratégies ». Sauf que les agressions sont, le plus souvent, opportunistes, et perpétrées par des proches (un quart des violences ont lieu dans le cadre familial).

L’expression « prédateur sexuel » empêche de régler le problème : les auteurs de violences sexuelles ne peuvent pas se reconnaître dans un tableau aussi caricatural. Idem pour les proches : comment croire votre enfant, quand il désigne votre propre frère ou votre propre sœur ? Cela vaut aussi pour les femmes, qui formeraient entre 11 % et 22 % des agresseurs, selon les chiffres rassemblés par l’association française Stop aux violences sexuelles.

4. Il faut arrêter d’enfermer les victimes dans une identité définitive de victime

Des remarques incestuelles au viol aggravé, les dommages faits aux mineurs prennent de multiples formes, qui entraînent de multiples conséquences, parfois invalidantes, parfois mortelles (l’association Mémoire traumatique et victimologie est incollable sur la question). Et pourtant ! La majorité des victimes, y compris d’inceste, s’en sortent. Le taux de résilience des victimes (qui vont bien) est de 65 % (étude de l’université de Toronto, 2019). Deux écueils à éviter : figer les personnes dans un statut de victime, les condamner à reproduire leur traumatisme. Ces prophéties sont statistiquement fausses.

5. Oui, c’est grave de regarder de la pédopornographie

Vous n’êtes pas responsable de vos fantasmes, mais vous êtes responsable de les entretenir. Chercher des images pédopornographiques est illégal (y compris des dessins, comme les hentaï japonais). Même si vous ne touchez jamais un enfant, vous créez une demande qui victimise des enfants. Par ailleurs, le principe des neurones miroirs rend très similaires (à l’échelle de votre cerveau) le fait de regarder quelque chose, et le fait de performer cette même action. Si cette mécanique s’est enclenchée, vous n’êtes pas démuni (et vous n’êtes pas fichu). Demandez de l’aide et essayez de chercher votre plaisir d’une autre manière, pour ne pas créer de fantasmes exclusifs.

6. Non, les pédophiles d’un jour ne seront pas toujours pédophiles

Les pédophiles ne sautent pas sur tous les enfants, de même que les lesbiennes et les hommes hétéro ne sautent pas sur toutes les femmes. Le passage à l’acte résulte d’une rencontre entre deux personnes bien spécifiques. Les mineurs les plus fragiles, qui ne savent pas dire non, sont en première ligne... surtout quand ils grandissent persuadés que le danger vient de pervers offrant des bonbons.

En France, les garçons sont les plus exposés entre 4 et 12 ans, avec un pic à 6 ans. Pour les filles, deux fois plus souvent agressées que les garçons pendant la prime enfance, la période de tous les dangers s’étend de 12 à 24 ans, avec une très impressionnante augmentation des violences autour de la 16e année (enquête Virage, citée par le ministère de l’intérieur).

Pour les pédophiles comme pour les autres, par ailleurs, rien n’est immuable. Les fantasmes peuvent bouger, que ça se fasse naturellement, au cours de la vie, ou à la suite d’une psychothérapie (sans lien avec les thérapies de conversion à la Orange mécanique). Pour ça comme pour le reste : quand on souffre, on demande de l’aide.

7. On ne naît pas pédophile. On ne le devient pas non plus. C’est compliqué

Certains pédophiles essaient actuellement de faire reconnaître leur préférence comme une orientation (ils seraient alors des MAP, « minor attracted persons », soutenus par le hashtag #mappositivity). Malgré l’intérêt soulevé début 2019 par une étude publiée dans la revue de référence Nature (mettant en avant une altération du système androgénique des futurs pédophiles dès le stade prénatal), cette explication tout-biologique ne convainc pas les experts. La pédophilie serait le produit de la nature et de la culture, de prédispositions, d’expériences vécues et d’influences sociétales.

8. Il n’y a pas de gentils et de méchants

Expliquez à vos enfants que des personnes gentilles peuvent faire des choses méchantes. N’oubliez pas qu’on peut être un enfant, victime, et participer aux actes. On peut aussi y prendre du « plaisir », malgré soi (le corps répond parfois mécaniquement aux stimulations). On peut être une femme agresseuse, et évidemment, un garçon victime (car non seulement les mineurs ont tendance à se taire, mais chez les garçons, dont l’identité masculine n’est pas compatible avec la victimisation, le silence est encore plus intériorisé).

9. Presque la moitié des auteurs d’agressions sur mineurs sont eux-mêmes mineurs

Selon les chiffres 2018 du ministère de la justice, 45 % des auteurs de viol sur les mineurs de moins de 15 ans sont eux-mêmes mineurs ; 10 % des personnes mises en cause pour des infractions sexuelles ont moins de 13 ans (chiffres 2017).

Difficile à admettre, mais si vos charmants bambins risquent d’être victimes, ils peuvent aussi être auteurs de violences sexuelles. L’adolescence notamment est un terrain d’extraordinaire fragilité : si vous avez des ados à la maison (garçons et filles), envoyez-les sur consentement.info. Ils trouveront des vidéos explicatives (et même une vidéo musicale pas piquée des hannetons).

Pour prévenir les violences, développez les compétences psychosociales des mineurs autour de vous (apprenez-leur à verbaliser leurs émotions, à demander la permission, à affirmer sans timidité leur non-consentement, à poser leurs limites physiques et à respecter celles des autres). Certaines violences sont le fait de maladresses et de méconnaissances sexuelles, dues à la pauvreté de nos perspectives éducatives en la manière. En trois mots comme en cent : parlez de sexe. Avec tact. En vous adaptant à leur âge et leur niveau de connaissances. Mais parlez (je vous avais expliqué comment entamer la conversation).

10. La répression n’est pas la seule réponse

Chaque année, une faible proportion de ces victimes (13 %) porte plainte, même en cas de viols ou de tentatives de viols (21 %). Selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) et l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), près des deux tiers ont déclaré ne pas porter plainte, de peur que cela ne serve à rien.

Outre les problèmes spécifiques liés à la formation des policiers, la lenteur des procédures ou la périlleuse question de la preuve, le recours à l’engrenage judiciaire n’est pas pour tous la solution idéale. Envoyer en prison sa tante, son grand frère, briser sa propre famille ostracise souvent celle ou celui qui a osé parler. Il est cependant envisageable de creuser la voie de la justice restaurative (fondée sur le dialogue et la recherche de solutions communes), qui donne un taux plus élevé de satisfaction. Et qui répare le rapport humain, sans ajouter du traumatisme aux traumatismes déjà existants.

Enfin, pour terminer sur une note d’espoir : il n’y a pas de fatalité concernant les violences sexuelles – qu’elles touchent des mineurs ou des majeurs, des hommes ou des femmes.

En 2017, j’avais publié un article récapitulant quarante années de polémiques pédophiles en France. Il a suffi de quelques décennies pour briser l’omerta, et pour que l’opinion publique se modifie en profondeur. La logique du « méchant prédateur » nous empêche encore de passer à la vitesse supérieure. Mais il n’empêche. Non seulement nous pouvons mettre fin aux violences, mais nous avons déjà commencé.

pedo26

5 janvier 2020

La justice demande le réaffichage d’une campagne de pub anti-IVG dans les gares

anti21

La régie Mediatransports, interpellée par la maire de Paris, avait décidé de retirer les visuels jeudi estimant qu’il s’agissait de « messages militants ».

C’est une décision de justice qui passe mal à la mairie de Paris. Un tribunal a demandé que soit réaffichée dans les gares franciliennes une campagne controversée de l’association Alliance Vita qui milite notamment contre l’avortement.

Cette dernière a fait part, samedi 4 janvier, de la décision du tribunal saisi en référé, qui enjoint « à la régie Mediatransports de replacer les deux affiches [de soutien à la paternité et à la maternité] qu’elle avait retirées jeudi 2 janvier sans préavis, et sans même alerter l’association ».

« Très grand étonnement face à cette décision de référé ordonnant la poursuite de la campagne anti-PMA et anti-IVG. J’encourage #Mediatransports à user de toutes les voies de droit possibles pour qu’il soit mis définitivement fin à cette campagne », a réagi la maire de Paris Anne Hidalgo sur Twitter, tandis que Mediatransports a annoncé son intention de faire appel. Filiale du groupe publicitaire Publicis, Mediatransports est une régie spécialisée dans l’affichage dans les gares ferroviaires, stations de métros et arrêts de bus.

« Des messages militants excédant le principe de neutralité »

Association qui milite notamment contre le droit à l’avortement et la procréation médicalement assistée, Alliance Vita a mené une campagne autour de plusieurs visuels avec un slogan, « la société progressera », y ajoutant, selon les cas, « à condition de respecter la paternité » ou « la maternité » ainsi que « la différence ».

Mediatransports, interpellée par la maire de Paris notamment, avait décidé de retirer les visuels jeudi, « avec l’accord de la SNCF Gares & Connexions », avait-elle précisé. « Deux visuels relatifs à la protection de la maternité et à la protection de la paternité peuvent être entendus comme des messages militants excédant le principe de neutralité qui s’impose dans les transports publics », avait expliqué la régie.

Alliance Vita a par ailleurs annoncé avoir demandé à un autre réseau d’affichage, Exterion Media, de « réinstaller immédiatement » dans les rues de Paris « la totalité des trois visuels de la campagne », retirés vendredi dernier, « faute de quoi l’association lancera une seconde action en référé ».

anti ivg

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anti22

5 janvier 2020

Deux avocates médiatiques s’affronteront au procès Weinstein

Par Stéphanie Le Bars, Washington, correspondance

Le procès pénal du producteur s’ouvrira le 6 janvier, à New York. Du côté de la défense, Donna Rotunno, contemptrice du mouvement #metoo. Face à elle, Gloria Allred, figure de la lutte contre les prédateurs sexuels.

Au centre se tiendra un homme. Autour, des femmes, nombreuses : victimes, accusatrices, et avocates. Le procès au pénal, pour agressions sexuelles, de l’ancien producteur hollywoodien Harvey Weinstein, qui doit s’ouvrir lundi 6 janvier à New York, est hors normes à plus d’un titre. Deux affaires seulement seront au cœur des débats : la plainte d’une de ses anciennes maîtresses, l’accusant de l’avoir violée en 2013, et celle d’une assistante de production assurant avoir subi ses assauts en 2006. De quoi faire risquer à l’accusé la prison à perpétuité.

Mais d’autres ombres planeront sur le tribunal, celles de plusieurs dizaines de femmes, 87 selon un décompte de USA Today, qui, ces deux dernières années, ont accusé le sexagénaire d’agressions sexuelles. Des témoignages qui ont contribué à enclencher le mouvement #metoo.

Un sous-texte sociétal

Cette situation pénale au sous-texte évidemment sociétal ne semble pas déplaire à Donna Rotunno. À 43 ans, l’avocate vedette d’Harvey Weinstein en est convaincue : son client, qui a réfuté toutes les charges, en sortira blanchi. Cheveux longs, visage taillé au couteau, la jeune femme a pris en juillet, avec son collaborateur Damon Cheronis, la relève de l’équipe d’avocats remerciée par le producteur. Un pari audacieux à quelques semaines seulement du début du procès alors prévu en septembre. Mais la confiance en soi n’est visiblement pas ce qui manque à Donna Rotunno.

« BEAUCOUP DE CES SUPPOSÉES PLAINTES VIENNENT DE PERSONNES QUI ONT DÉNONCÉ DES ÉCHANGES EMBARRASSANTS MAIS PAS ILLÉGAUX. » DONNA ROTUNNO

La juriste assume une forme d’esprit critique face à la vague #metoo et à cette armée de femmes qui a dénoncé gestes déplacés et agressions traumatisantes de la part de son client. « Beaucoup de ces supposées plaintes viennent de personnes qui ont dénoncé des échanges embarrassants mais pas illégaux », expliquait-elle en juillet dans une tribune publiée par Newsweek.

Forte de cette logique, l’avocate de Chicago entend faire passer son client pour un être à la moralité certes discutable, mais en aucun cas pour un criminel. Harvey Weinstein a commis des « péchés » mais « il n’est pas un violeur », a-t-elle répété sur CBS News en septembre. Sans craindre le mélange des genres, la juriste, élevée dans la religion catholique, a cru bon de préciser : « Il y a une différence entre un péché et un crime. »

Déterminée à jeter un doute sur l’absence de consentement des femmes harcelées par Harvey Weinstein, elle s’en tient à un credo, pourtant régulièrement démenti par les psychologues : à ses yeux, une femme a « toujours le choix ». « Lorsqu’on parle de relations sexuelles entre un homme et une femme, on doit prendre en compte le fait qu’il y a toujours une zone grise, où se brouillent les lignes. » Un territoire flou dans lequel auraient navigué « 60 % des hommes » qu’elle a défendus, avec succès.

« La bouledogue des salles d’audience »

Cette critique assumée de #metoo est cohérente avec la carrière de cette ex-procureure spécialisée dans la défense des hommes accusés d’agressions sexuelles, très attachée au principe de présomption d’innocence. En quinze ans, « la bouledogue des salles d’audience », comme l’a surnommée un de ses clients, a sauvé l’honneur d’une quarantaine d’hommes, célèbres ou anonymes.

« DANS LE DROIT ACTUEL, LE SEUL CRIME POUR LEQUEL UNE PERSONNE PEUT ÊTRE POURSUIVIE SANS LA MOINDRE PREUVE EST L’AGRESSION SEXUELLE. » DONNA ROTUNNO

De manière décomplexée, Donna Rotunno assume une stratégie de défense agressive. Son statut de femme lui autoriserait une liberté de ton à l’égard des accusatrices qu’aucun homme ne pourrait se permettre. « Si un avocat homme interroge un témoin femme avec la même acrimonie que moi, il passe pour une brute. Quand je le fais, personne ne lève un sourcil. »

Cette méthode éprouvée s’ajoute à la conviction que, « dans le droit actuel, le seul crime pour lequel une personne peut être poursuivie sans la moindre preuve est l’agression sexuelle ». Un de ses rares procès perdus la « hante » encore : celui d’un jeune footballeur noir de 17 ans, condamné à une peine de seize ans de prison malgré l’absence de toute trace physique sur le corps de la victime.

Quitte à tordre la réalité et les chiffres, Donna Rotunno juge que la police, la justice et les médias ont tendance à croire les femmes sur parole, transformant l’opinion publique en tribunal expéditif. « Or, tout le monde a droit à une défense », explique-t-elle aussi. Même les violeurs. Sa seule limite éthique : elle refuse de défendre les personnes accusées de violences envers des enfants.

Une ardente défenseuse de #metoo

Face à cette montagne de certitudes et de brutalité assumée, Gloria Allred, une autre vedette des prétoires américains, se prépare à la confrontation, par médias interposés. L’avocate californienne des victimes de Weinstein, 78 ans, dont plus de quatre décennies d’engagement auprès des femmes et des minorités, connue pour avoir assuré la défense des victimes de l’acteur Bill Cosby, de la famille de l’épouse assassinée du footballeur O.J. Simpson, a déjà un avis sur son adversaire professionnelle. « Une brute est une brute, quel que soit son sexe. »

« AUCUNE FEMME NE DEVRAIT ÊTRE AMENÉE À PENSER QU’UNE AGRESSION SEXUELLE RELÈVE DE SA FAUTE OU DE SON CHOIX. » GLORIA ALLRED

Ardente défenseuse de #metoo, Gloria Allred est convaincue qu’« aucune femme ne devrait être amenée à penser qu’une agression sexuelle relève de sa faute ou de son choix ». Une approche, aux antipodes des convictions de Donna Rotunno, qui promet des échanges au couteau entre les deux ténors. Car les deux avocates se rejoignent sur un seul point. Le procès Weinstein sera aussi une bataille médiatique.

Jouer avec l’opinion publique

En mission pour « faire peur aux hommes qui font du mal aux femmes », Gloria Allred ne dédaigne pas de jouer avec l’opinion publique pour parvenir à ses fins. L’exposition médiatique – forcément poignante – de ses clientes lui vaut d’ailleurs des critiques, tout comme sa stratégie de défense, en partie fondée sur des arrangements à l’amiable.

Dans le livre She Said : Breaking the Sexual Harassment Story That Helped Ignite a Movement, publié en septembre dernier sur l’affaire Weinstein (Random House, non traduit), Jodi Kantor et Megan Twohey, les deux journalistes du New York Times qui ont publié la première enquête sur le producteur, remettent en cause ses pratiques. En incitant ses clientes à accepter des compensations financières contre leur silence, Allred contribuerait à protéger les prédateurs. Dès 2004, son cabinet avait négocié le paiement de 125 000 dollars à une actrice qui accusait Harvey Weinstein.

Celle qui se targue d’avoir fait gagner des millions de dollars en dommages et intérêts à ses clientes a rétorqué à ces accusations dans le Los Angeles Times, expliquant en substance que les victimes n’ayant pas choisi d’être violées ou agressées, la moindre des choses était de leur laisser le choix de régler leur affaire comme elles l’entendent : dans les bureaux discrets d’un cabinet d’avocat ou devant un tribunal. Dans l’affaire Weinstein, seules deux femmes ont choisi la seconde option. Une trentaine d’autres, représentées par plusieurs avocats et avocates, ont trouvé un accord à hauteur de 25 millions de dollars.

5 janvier 2020

Des milliers de personnes ont manifesté contre la réforme des retraites

A Paris, plusieurs milliers ont défilé, samedi, de la gare de Lyon à la gare de l’Est. Des mobilisations ont également eu lieu à Marseille, Toulouse ou Caen.

Après un mois de grève contre la réforme des retraites, et à la veille d’une semaine décisive, de nouvelles manifestations ont eu lieu samedi 4 janvier à Paris et dans plusieurs villes de France.

Dans la capitale, plusieurs milliers de personnes ont manifesté, certaines arborant un gilet jaune, pour demander le retrait de la réforme, à l’appel des unions départementales CGT, FO, Solidaires et FSU. Derrière une banderole réclamant « Macron, retire ton projet, sauvegardons et améliorons nos retraites », le cortège est parti peu après 13 heures de la gare de Lyon et a atteint sa destination, la gare de l’Est, vers 16 heures.

Place de la Bastille, les manifestants, parmi lesquels aussi quelques blouses blanches et des enseignants, ont salué l’Opéra en scandant « la clause du grand-père, on n’en veut pas ! », en référence à la proposition qui a été faite aux danseurs de l’Opéra que seuls les nouveaux entrants ne bénéficient plus d’un départ à la retraite à 42 ans, proposition qu’ils ont rejetée.

« Il faut que les gens réfléchissent un peu à ce qu’ils veulent en termes de modèle de société », a déclaré Jean-Gabriel Mahéo, un technicien industriel se qualifiant de « gilet jaune ». « Si jamais le système qui est proposé passe, (…) ce sera une catastrophe sociale. »

Beaucoup d’opposants portaient pancartes et boîtes en carton tentant de collecter de l’argent pour aider les grévistes. « RER B, aidez-nous », disait l’une d’elles. La grève dans les transports est entrée samedi dans son deuxième mois, une durée inégalée qui a dépassé le précédent record établi en 1986-1987. Le trafic SNCF restait globalement perturbé pour les retours de vacances scolaires du week-end, tout comme à la RATP.

Des défilés à Marseille, Toulouse ou Caen

De son côté, la préfecture de police de Paris a interdit « tout rassemblement de personnes se revendiquant des “gilets jaunes” dans plusieurs secteurs de la capitale », notamment sur les Champs-Elysées, près de l’Elysée, dans le secteur de l’Assemblée nationale, de la cathédrale Notre-Dame et du Forum des Halles.

A Marseille également, quelques centaines de personnes ont manifesté au départ du Vieux-Port. Des « gilets jaunes » ont pris la tête du cortège sous un grand soleil, suivis par des militants CGT et Solidaires principalement.

Jean Bergue, 72 ans, retraité de France Télécom, ne compte plus ses manifestations contre la réforme des retraites : « J’en suis à la trentième peut-être », assure-t-il. Ce septuagénaire dénonce « un président qui veut monter les travailleurs les uns contre les autres » et « répond par le mépris » à la contestation sociale. A la rentrée, espère-t-il, « le mouvement va encore s’amplifier et se durcir, jusqu’au retrait total du texte ».

A Toulouse, plusieurs dizaines de « gilets jaunes » sont entrés dans la gare Matabiau et certains ont bloqué des rails en soutien aux cheminots grévistes. « Au départ, notre mouvement [des “gilets jaunes”] s’était dit apolitique, “asyndical”, mais on a besoin d’eux et ils ont besoin de nous, car on se bat pour la même chose », a soutenu Carole, 54 ans, mégaphone à la main. Pour Olivier, un professeur de 53 ans, « les “gilets jaunes” et les syndicats ont tout intérêt à ne rien lâcher et à mettre ensemble en route une utopie, dont le peuple a viscéralement besoin ».

Le cortège a ensuite rejoint des centaines de manifestants dans les rues du centre-ville de Toulouse. Ils ont traversé sans heurts la place du Capitole, qui leur avait été interdite pendant des mois. « Si la police nous suit, c’est qu’elle n’a pas d’amis », ont scandé les manifestants à l’attention des CRS qui s’étaient positionnés dans les rues attenantes.

Selon France Bleu, plusieurs centaines de personnes ont manifesté au Mans ainsi qu’à Caen. Des opérations « péages gratuits » ont eu lieu samedi matin dans plusieurs villes : Vinci Autoroutes a fait état de manifestations au péage de Saint-Arnoult-en-Yvelines, mais aussi à Perpignan, Nîmes, Béziers et Carcassonne.

Reprise de discussions

Cette journée d’action précède une semaine décisive, ponctuée par la reprise de discussions difficiles avec les syndicats et deux journées de manifestations : celle de jeudi 9 janvier, avec un appel de l’intersyndicale (CGT, FO, CFE-CGC, Solidaires, FSU) à une journée interprofessionnelle de manifestations et de grèves. Puis celle de samedi 11, avec un appel à manifester dans tout le pays, lancé par l’intersyndicale rejointe par les syndicats de lycéens et d’étudiants UNEF et UNL.

Dès lundi, de nouveaux appels à la grève ont été déposés, notamment par les avocats, le 2e syndicat de pilote d’Air France et des fédérations d’infirmiers et de kinésithérapeutes. La CGT a promis un durcissement des blocages de raffineries, de terminaux pétroliers et de dépôts.

Mardi, les discussions reprendront après une pause de dix-sept jours où rien n’a évolué. La réunion avec les partenaires sociaux est prévue au ministère du travail, sous l’égide de Muriel Pénicaud, absente jusqu’à présent des négociations. Elle doit aborder la pénibilité, seule piste de tractation évoquée par Emmanuel Macron le 3 décembre, ainsi que l’emploi des seniors.

Le chef de l’Etat s’est redit déterminé à « mener à terme » la réforme et n’a rien lâché, notamment sur l’âge pivot de départ en retraite à 64 ans, qui a mis en colère les syndicats « réformistes » CFDT, CFTC et UNSA. Mais, à moins d’apparaître comme partisans d’un passage en force, M. Macron et son premier ministre n’ont plus que deux semaines pour trouver une solution avant la présentation de la réforme en conseil des ministres, la semaine du 20 janvier.

A gauche, union pour demander le retrait de la réforme. Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure, Fabien Roussel, Julien Bayou ou encore Philippe Martinez ont cosigné, parmi 65 personnalités de gauche, une tribune appelant au retrait de la réforme des retraites et à l’ouverture de « vraies négociations », publiée dans le Journal du dimanche du 5 janvier. Outre les dirigeants de La France insoumise, du Parti socialiste, du Parti communiste, d’Europe Ecologie-Les Verts ou de la CGT, figurent également les porte-parole du NPA Olivier Besancenot et Philippe Poutou et le coordinateur de Générations Guillaume Balas. A leurs côtés, des députés (Clémentine Autain…), députés européens (Raphaël Glucksmann…), sénateurs (Esther Benbassa…) mais aussi des acteurs (Josiane Balasko, Corinne Masiero), journalistes (Audrey Pulvar), sociologues, chercheurs…

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