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Jours tranquilles à Paris
25 août 2020

L’Allemagne confirme l’empoisonnement d’Alexeï Navalny

navalny91

Par Benoît Vitkine, Moscou, correspondant, Thomas Wieder, Berlin, correspondant

Le principal opposant au président russe Vladimir Poutine, hospitalisé à Berlin depuis samedi dans un état grave, dispose désormais d’une protection exceptionnelle.

Les médecins allemands ont livré leur diagnostic, et celui-ci confirme la thèse de l’empoisonnement avancée depuis le début par les proches d’Alexeï Navalny : « Les résultats cliniques révèlent une intoxication par une substance du groupe des inhibiteurs de la cholinestérase », a annoncé, lundi 24 août, l’hôpital berlinois de la Charité, deux jours après que le principal opposant au président russe Vladimir Poutine y eut été transféré depuis la ville sibérienne d’Omsk, à bord d’un avion médicalisé affrété par l’ONG allemande Cinema for Peace.

M. Navalny « se trouve dans une unité de soins intensifs et il est toujours dans un coma artificiel », précise le communiqué de l’hôpital, ajoutant que « son état de santé est grave » mais que « sa vie n’est pas en danger ». Pour la suite, les médecins restent toutefois très prudents. Indiquant que la substance précise qui a intoxiqué le malade « n’a pas encore été identifiée », ils reconnaissent que « des séquelles à long terme, en particulier dans le domaine du système nerveux, ne peuvent être exclues à ce stade ». Son coma dure depuis plus de cinq jours.

Le gouvernement allemand n’a pas attendu le verdict des médecins berlinois, rendu public lundi après-midi, pour se prononcer sur la cause de l’état de M. Navalny, victime d’un malaise, jeudi 20 août, à bord d’un vol commercial en Sibérie. « Le soupçon ne porte pas sur le fait que M. Navalny se soit empoisonné lui-même, mais que quelqu’un a empoisonné M. Navalny, et le gouvernement prend ce soupçon très au sérieux », a ainsi déclaré Steffen Seibert, le porte-parole de la chancelière Angela Merkel, lundi matin, face à la presse.

Signe supplémentaire du « sérieux » avec lequel Berlin considère cette affaire : la mise à disposition d’agents de l’Office fédéral de police criminelle (BKA) pour assurer la protection de M. Navalny. « Etant donné qu’il s’agit vraisemblablement d’une attaque au poison, sa protection est nécessaire », a justifié M. Seibert.

Berlin en première ligne

Lundi après-midi, de nouveaux renforts policiers ont ainsi été déployés autour de l’hôpital de la Charité, s’ajoutant à ceux déjà présents depuis samedi matin. Un tel dispositif est exceptionnel : selon une loi de 2017, seuls les membres des « organes constitutionnels » allemands – gouvernement et Parlement – peuvent jouir d’une protection du BKA, ainsi que, « dans des cas très particuliers » des personnalités étrangères « invitées » par l’Etat fédéral.

Sans surprise, la confirmation par les médecins berlinois de l’empoisonnement de M. Navalny a conduit les autorités allemandes à appeler de nouveau Moscou à faire la lumière sur cette tentative d’assassinat et d’en juger les responsables.

« Compte tenu du rôle éminent joué par M. Navalny dans l’opposition politique en Russie, les autorités sur place sont désormais invitées de manière urgente à enquêter sur ce crime dans les moindres détails et ce, en toute transparence », a déclaré Mme Merkel dans une déclaration conjointe avec son ministre des affaires étrangères, Heiko Maas, lundi soir. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a rapidement fait de même.

En recueillant Alexeï Navalny, l’Allemagne se retrouve toutefois en première ligne pour gérer les conséquences de cet empoisonnement. A ce stade, les suites diplomatiques de l’affaire n’en restent pas moins difficiles à mesurer.

« Soutien symbolique aux forces libérales en Russie »

Celle-ci s’ajoute certes à d’autres contentieux très lourds entre Berlin et Moscou, quelques mois seulement après que l’Allemagne eut accusé la Russie d’avoir été à l’origine d’une cyberattaque contre le Bundestag, en 2015, et d’avoir ordonné le meurtre d’un citoyen géorgien d’origine tchétchène dans un parc de Berlin, en août 2019.

« Comme à chaque fois, l’Allemagne réagit en rappelant son attachement aux règles de l’Etat de droit et en apportant un soutien symbolique aux forces libérales en Russie, mais elle se garde de s’immiscer trop directement dans les affaires intérieures russes, car au fond ni Berlin ni Moscou n’ont intérêt à une escalade », tempère Alena Epifanova, chercheuse à la DGAP, un think tank berlinois spécialisé dans l’étude des relations internationales.

Les conclusions de l’hôpital de la Charité sont toutefois un démenti cinglant non seulement aux médecins russes, mais aussi aux manœuvres dilatoires menées par Moscou pour tenter de contenir l’affaire. Un fait significatif : après avoir été saisie dès le matin du 20 août par les proches de M. Navalny, la justice n’a toujours pas ouvert la moindre enquête. Une grande partie de l’énergie déployée par les autorités russes dans les premiers jours suivant l’empoisonnement a consisté à tenir à l’écart la famille et les proches de l’opposant et à diffuser, dans la presse, une multitude de versions alternatives des faits.

« Cela veut dire qu’Alexeï aurait pu être sauvé beaucoup plus vite, a réagi l’une de ses médecins personnels, Anastassia Vassilieva. Nous avions évoqué avec les médecins l’hypothèse des inhibiteurs de la cholinestérase. »

Plusieurs sources, confirmées par le témoignage d’un des médecins envoyés en renfort de Moscou, affirment toutefois que M. Navalny a été traité dès les premières heures avec de l’atropine, soit précisément l’antidote que les médecins allemands ont depuis indiqué utiliser. L’hôpital d’Omsk a toutefois refusé de communiquer à la famille de M. Navalny les traitements utilisés.

Silence du ministère russe des affaires étrangères

Le silence assourdissant gardé par la partie russe est le signe d’un embarras profond, et du caractère inédit des derniers développements. Les députés ou sénateurs qui réagissent d’ordinaire avec célérité aux moindres développements de l’actualité internationale restaient muets, lundi soir. Le silence était aussi de mise du côté du ministère des affaires étrangères.

Les médias, dont certains avaient diffusé ces derniers jours des théories fumeuses sur l’alcoolisme d’Alexeï Navalny ou son régime minceur, jouent désormais les équilibristes. « Navalny s’est finalement empoisonné », titre Vesti, pendant que l’agence RIA fait preuve d’une pudeur singulière en signalant que Berlin demande la lumière « sur la dégradation de l’état de santé d’Alexeï Navalny ».

La réaction la plus ferme est venue des médecins qui se sont occupés de M. Navalny à Omsk. Lundi soir, ils ont assuré avoir cherché sur leur patient « un large éventail de stupéfiants, substances synthétiques, psychodésiques et médicinales, y compris les inhibiteurs de la cholinestérase », et que les résultats avaient été négatifs. Plus tôt dans la journée, ils avaient déjà assuré n’avoir subi « aucune pression » extérieure au cours de leur travail.

Si cette position, qui revient à traiter de manière suspecte les résultats obtenus à Berlin, était reprise au niveau officiel, cela risquerait d’ajouter encore à la tension née de cette affaire dans les relations entre Berlin et Moscou. Lundi soir, la directrice de la chaîne RT, estimait ainsi que « la clinique de la Charité ne pouvait pas dire autre chose que ce qu’on attendait d’elle ».

Un autre article a été très remarqué en Russie, paru celui-là dimanche dans le quotidien Moskvski Komsomolets. Il présente de manière extrêmement détaillée l’emploi du temps d’Alexeï Navalny à Tomsk, où il aurait pu être empoisonné. La divulgation de ces informations, qui n’ont pu être compilées que par les services de sécurité, a été interprétée par les observateurs comme une façon pour ces derniers de clamer leur innocence.

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