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Jours tranquilles à Paris
16 mars 2020

Heidi Romanova

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16 mars 2020

Affaire de Karachi : plus de vingt-cinq après les faits, Balladur sera jugé devant la Cour de justice de la République

Par Simon Piel

L’ancien premier ministre est soupçonné d’avoir financé sa campagne à l’élection présidentielle de 1995 avec des fonds occultes issus de ventes d’armements.

Dix ans après l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet de Paris pour « abus de biens sociaux, complicité et recel » et vingt-cinq ans après les faits, Edouard Balladur, 90 ans, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 1995, sera bien jugé devant la Cour de justice de la République (CJR), seule juridiction habilitée à juger des ministres pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Les derniers recours déposés par ses conseils ayant été rejetés par la Cour de cassation, il devra répondre des soupçons de financements occultes qui pèsent sur sa campagne présidentielle de 1995. François Léotard, 77 ans, qui fut son ministre de la défense entre 1993 et 1995, sera lui aussi jugé pour « complicité d’abus de biens sociaux ». Le procureur général près la Cour de cassation François Molins avait réclamé dans un réquisitoire définitif du 12 juillet 2019 le renvoi devant la CJR d’Edouard Balladur et de François Léotard.

L’affaire financière qui vaut aujourd’hui à l’ancien premier ministre de François Mitterrand de comparaître aurait pu ne jamais voir le jour si les familles de victimes d’un attentat commis à Karachi en mai 2002 et qui avait fait quatorze morts dont onze employés de la Direction des constructions navales (DCN) n’avait déposé plainte pour savoir si des malversations financières pouvaient être à l’origine de l’attentat.

Sur la base d’une note baptisée « Nautilus » rédigée par un ancien policier du renseignement intérieur et retrouvée en perquisition dans les locaux de DCN, les magistrats ont longuement étudié l’hypothèse selon laquelle des rétrocommissions qui n’ont pas été versées par la France à des dignitaires pakistanais auraient été la cause de l’attentat.

Flux financiers opaques

Si l’enquête judiciaire n’a pas permis de confirmer cette hypothèse, elle a en revanche permis de mettre à jour de nombreux flux financiers opaques entourant les conditions de vente par la France de trois sous-marins Agosta au Pakistan et plusieurs marchés saoudiens dont la vente de deux frégates militaires (Sawari II).

Plusieurs intermédiaires dont l’utilité dans la signature des contrats est loin d’être établie ont pourtant été copieusement rémunérés. S’agissait-il de reverser ensuite une partie de l’argent touché aux responsables politiques qui les avait placés là ?

Les deux principaux intermédiaires, Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir, avaient été imposés in extremis dans ces contrats par Matignon et la défense, et ce alors que les marchés semblaient déjà conclus. Une partie des commissions perçues par le duo – plusieurs dizaines de millions d’euros – auraient en fait servi à financer de manière illicite, sous forme de « rétrocommissions », la campagne présidentielle de M. Balladur, en 1995, ainsi qu’à renflouer les caisses du Parti républicain (PR) de M. Léotard. Des accusations que les intéressés ont toujours contestées. Je n’étais « informé de rien sur l’existence de commissions, de rétrocommissions ». « Je n’avais pas les moyens de tout contrôler », avait affirmé M. Balladur au cours de l’instruction.

Plusieurs protagonistes, dont Thierry Gaubert (ex-membre du cabinet du ministre du budget de l’époque, Nicolas Sarkozy) et Nicolas Bazire, alors directeur de la campagne balladurienne, ainsi que Ziad Takieddine, ont été jugés devant le tribunal correctionnel de Paris en octobre 2019 pour ces mêmes faits. Des peines de dix-huit mois à sept ans de prison ferme y ont été requises. Le jugement doit être rendu le 22 avril.

Décision « extrêmement importante »

Interrogé par l’Agence France-presse (AFP), l’un des avocats de M. Balladur, Me Félix du Belloy a affirmé que « la Cour de cassation s’est prononcée sur des questions procédurales, et on démontrera le mal fondé de ces accusations devant la CJR » lors du procès.

Olivier Morice, avocat des familles de victimes de l’attentat de Karachi, a pour sa part qualifié cette décision d’« extrêmement importante ». « Nous nous en félicitons car nous avons toujours soutenu que les délits reprochés aux différents protagonistes du volet financier de l’affaire de Karachi n’étaient pas prescrits », a-t-il ajouté, confiant en ce que cet arrêt « aura une incidence dans la décision qui sera rendue prochainement par le tribunal correctionnel de Paris à l’encontre de MM. Bazire, Donnedieu de Vabres et Takieddine ».

16 mars 2020

Glamour - vu sur internet

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15 mars 2020

Portrait - Betty Catroux, muse éternelle d’Yves Saint Laurent

m le monde

Par Pascale Nivelle

Entre Betty Catroux et Yves Saint Laurent, l’amitié aura duré quarante ans, jusqu’à la mort du couturier, en 2008. Quatre décennies de fêtes, de voyages, de drogues et, surtout, de mode. Au Musée YSL, à Paris, une exposition célèbre cette amitié et la garde-robe de celle qui aura été l’égérie d’un génie.

Le problème des muses, ou des égéries, c’est qu’elles disparaissent souvent avec leur grand homme. Et, d’un coup, passent du piédestal aux oubliettes.

Betty Catroux, quarante ans comme muse, fait exception. Depuis la disparition de son ami Yves Saint Laurent, en 2008, sa cote ne cesse de grimper. En témoigne l’exposition qui lui est consacrée au Musée Yves Saint Laurent, avec pour commissaire Anthony Vaccarello, 37 ans, actuel directeur artistique de la maison, dans les anciens ateliers du couturier, « Betty Catroux, Yves Saint Laurent, féminin singulier » (jusqu’au 11 octobre).

Encore plus singulier dans une carrière de muse, ce grand saut dans la célébrité, qui la met à l’honneur jusque sur des affiches dans le métro (qu’elle ne prend jamais), a lieu sans qu’elle ait « levé le petit doigt ». Bien que ce soit une suite logique de son existence, « une vie incroyable, basée sur rien, aucun talent, aucun travail », Betty Catroux n’en revient pas de sa « chance inouïe ». Tous les samedis, à la messe, elle remercie son dieu d’exaucer son vœu d’enfance : « Ne jamais travailler et ne pas avoir une vie normale. »

Raccord avec l’époque

Il y a eu le hasard, sûrement, et peut-être ce dieu auquel elle croit. Mais surtout son physique unique. Ce mètre quatre-vingt-trois, ces cheveux platine, ces lunettes noires… Betty Catroux est dessinable d’un coup de crayon, Saint Laurent l’avait bien remarqué dans les années 1960. Le temps passant, n’ayant pas changé depuis, elle est devenue un concept, comme Andy Warhol et sa perruque blanche ou Karl Lagerfeld, qui avait fait de son catogan un outil de marketing efficace.

Chaque jour, « comme un curé qui enfile sa soutane », elle lisse son carré blond, chausse ses lunettes fumées et passe sa panoplie noire, jeans slim, pull à col roulé et bottillons de combat. « Ni vraiment garçon ni tout à fait fille », entre deux.

En 2012, elle avait flashé sur la collection homme d’Hedi Slimane pour Saint Laurent. « Quand j’ai vu défiler ces mâles blancs verdâtres, tout maigres et désespérés, je me suis dit que c’était moi ! » Aujourd’hui, elle croise ses clones dans la rue. Exceptionnelle et fantasque il y a cinquante ans, Betty Catroux est devenue raccord avec l’époque.

Dans les années 1970, quand Saint Laurent la suppliait d’enfiler une robe en soie ou une djellaba chamarrée, juste le temps d’une photo, elle protestait. « Je déteste les froufrous. » Elle fondait sur les vestes de costume et les combinaisons de pompiste qui tombaient parfaitement sur son torse de garçon. « Loulou de la Falaise m’inspirait de la fantaisie et Betty la rigueur du corps, disait le couturier, elle a inventé la modernité et démodé toutes les femmes. » Des deux femmes qui ont compté pour lui, l’aristocrate britannique piquante, précurseuse du hippie chic, et l’androgyne déprimée en bure noire, c’est la seconde que notre époque aime le plus.

Peroxydée et inoxydable

Depuis quelques années, le style Saint Laurent, ce répertoire infini et génial dans lequel les directeurs artistiques continuent de puiser leurs idées, est moins baroque, moins ethnique qu’il ne le fut. Aujourd’hui sous la direction d’Anthony Vaccarello, les défilés Saint Laurent sont sombres, louches, vénéneux, androgynes. De plus en plus Betty et de moins en moins Loulou. Et ça marche : la marque, entité du groupe Kering, vient d’annoncer un chiffre d’affaires record de 2 milliards d’euros pour l’année 2019. Chiffre qui passe loin au-dessus de la frange blonde de Betty Catroux. Tout ce qui importe pour elle, c’est que sa vie continue d’être hors norme. Elle énumère tout ce qu’elle déteste dans la vie des femmes lambda : « Les intérieurs, les boutiques, la popote, les maisons, les bijoux, les jardins, les vêtements… »

En 2018, Anthony Vaccarello l’a appelée pour une séance photo avec David Sims, pour sa campagne de publicité automne-hiver. Le photographe britannique, l’un des faiseurs d’images les plus courus du milieu, l’a photographiée en noir et blanc. Il n’a rien retouché. A 73 ans, Betty Catroux est réapparue telle qu’à 30, peroxydée et inoxydable, nue sous le smoking Saint Laurent de l’année. Se voir en produit d’appel, répété comme une boîte de Campbell’s Soup au dos des kiosques, des Abribus, des magazines lui a fait un choc, « C’était grisant, mais extrêmement bizarre ». Elle, qui n’aime que la nuit et les chats birmans, a eu « l’impression d’être devenue une pièce de musée ».

« ELLE EST SAINT LAURENT COMME ELLE RESPIRE. SON ALLURE, SON MYSTÈRE, SON CÔTÉ SULFUREUX… » ANTHONY VACCARELLO, DIRECTEUR ARTISTIQUE DE SAINT LAURENT

Ce printemps, c’est plus qu’une impression. Le Musée Yves Saint Laurent l’a non seulement déifiée mais naturalisée, avenue Marceau. Dans une ambiance seventies, genre lumière noire et revue du Crazy Horse habillée, il y a des Betty partout, quarante-cinq mannequins en perruque platine et lunettes de soleil, vêtus des smokings, tailleurs-pantalons et jumpsuits dessinés pour elle. Sur les murs, en vitrine, il n’y en a que pour elle. Pierre Bergé (actionnaire du groupe Le Monde de 2010 à sa disparition, en 2017), qu’elle a accompagné jusqu’au dernier jour, son mari adoré, le décorateur François Catroux, et même Yves Saint Laurent, vrai saint en ce lieu, font de la figuration.

Sur une photo de 1969, le couturier est en retrait, faire-valoir de la grande blonde en cuissardes noires. Encore plus étrange, il lui ressemble : même saharienne, mêmes mèches blondes. Dans le livre édité pour l’occasion par Gallimard, Anthony Vaccarello, également commissaire de l’exposition, pousse le bouchon de champagne loin dans l’identification : « Elle est Saint Laurent comme elle respire. Son allure, son mystère, son côté sulfureux… tout ce qui fait l’aura de cette maison, on en comprend l’ampleur quand on rencontre Betty. »

Pour Olivier Gabet, directeur du Musée des arts décoratifs de Paris, Yves Saint Laurent et Betty Catroux formaient un tout, à eux deux. « Elle était son double féminin, son fantasme de l’éternelle adolescence et de la féminité androgyne absolue. » Photos et lettres racontent leur romance, avenue Marceau. Tels ces mots doux envoyés du Jardin Majorelle, à Marrakech : « Tu représentes pour moi non seulement l’amour, mais l’élégance infinie. Belle comme le croissant de l’islam. » Yves Saint Laurent prenait le kitsch au sérieux, sa muse délurée devait s’amuser en recevant ses cartes constellées d’étoiles.

« JE N’AI QUE PEU DE SOUVENIRS, JE N’AIME PAS LA NOURRITURE ET JE ME FICHE DE VIEILLIR. ETRE UN PEU DÉFRAÎCHIE, CE N’EST PAS TRÈS GRAVE. » BETTY CATROUX

Le 28 février, au vernissage de l’exposition, elle a revu l’ancien monde Saint Laurent, les proches, comme le décorateur Jacques Grange, adouber le nouveau monde, l’actrice Charlotte Gainsbourg, le mannequin Paul Hameline, les tops Anja Rubik et Amber Valletta, tous ces gens qui ne s’habillent qu’en noir, qui ont le goût de l’underground des années 1970, venus saluer la rebelle originelle, la survivante du cercle intime de l’avenue Marceau.

Saint Laurent est mort, Loulou de la Falaise et Pierre Bergé aussi, elle leur aura été fidèle jusqu’au bout, et maintenant, c’est elle, papillon fatigué plus que reine des abeilles, qui attire la lumière. Avec, au fond du cœur, un sentiment d’imposture : « Je n’ai rien fait de ma vie, c’est injuste ! » Betty Catroux dit avoir travaillé trois fois dans sa vie, entre 16 ans, et 16 ans et demi. Sa mère, au carnet d’adresses en or massif, l’avait poussée chez Chanel. « Elle m’a fait défiler dans son studio avec un numéro à la main, comme une vache au Salon de l’agriculture. J’ai détesté. »

L’idée de l’exposition est venue lors d’un dîner avec Madison Cox (actionnaire du groupe Le Monde), dernier compagnon de Pierre Bergé et double président de la Fondation Yves Saint Laurent et de la Fondation Majorelle. Tout à sa peur de devenir « pièce de musée » après la campagne de pub, Betty Catroux lui a confié vouloir léguer sa garde-robe à la maison. « Pierre Bergé et Saint Laurent m’ont tout donné, je n’ai même pas tout porté. Faites-en ce que vous voulez. »

Au sous-sol de l’appartement des Catroux, Madison Cox a découvert un trésor, trois cent trente pièces dans un état irréprochable, toutes noires, masculines et dans toutes les matières : cuir, soie, crêpe, mousseline. « Elle avait tout gardé depuis le premier jour dans de parfaites conditions. » Surprenant, Betty pouvait encore porter les pantalons sur mesure d’il y a cinquante ans. « Elle n’a jamais changé de taille ni de proportions », poursuit Madison Cox, stupéfait de la voir traverser le temps et les modes. « Je suis une anomalie venue d’ailleurs, explique Betty Catroux sérieusement, je n’ai que peu de souvenirs, je n’aime pas la nourriture et je me fiche de vieillir. Etre un peu défraîchie, ce n’est pas très grave. »

« ELLE M’A FAIT L’EFFET D’UN ÊTRE VENU D’UNE AUTRE PLANÈTE, AVEC CE CORPS TELLEMENT LONG, TELLEMENT FIN. » ANNE FONTAINE, RÉALISATRICE

Avec ses visiteurs, elle ne s’embarrasse pas de faux-semblants. « Le livre qui m’a marquée ? Ça ne me vient pas… Ce serait facile de citer un livre, comme tout le monde. Mais je ne vais pas le faire. » Pareil pour les films, le théâtre, la musique, les créateurs de mode : « Ma pauvre, si vous saviez ce que je suis ignorante. » La politique, quand elle part en toupie, peut l’amuser, « Griveaux, c’est extraordinaire, non ? Et pourtant, vous me mettriez avec lui dans un dîner, je m’ennuierais à mourir. J’aime le spectacle, quand les gens sortent de la norme. Ils me font rire. »

Sa seule passion est la danse. William Forsythe, qu’elle suit depuis trente ans, est son héros, et elle pratique le modern jazz deux heures par jour dans un studio secret. « Si j’avais eu du talent, glisse-t-elle avec un regret sincère, j’aurais tout donné pour la danse. » C’est là qu’elle a rencontré la réalisatrice Anne Fontaine. « Elle m’a fait l’effet d’un être venu d’une autre planète, avec ce corps tellement long, tellement fin, raconte celle-ci, Je ne me suis pas demandé si elle était belle, elle dégageait une intense liberté. »

Betty était farouche, la cinéaste l’a approchée avec des ruses de Sioux, finissant par l’apprivoiser. « Elle est ma seule amie aujourd’hui et c’est pour la vie, confie Betty Catroux. Moi, c’est tout ou rien. » Elle refuse de tourner dans ses films, « trop fatigant ». Anne Fontaine la verrait bien, pourtant, dans le rôle de « quelqu’un d’un peu voyou, qui a l’air lisse et ne l’est pas. Quelqu’un de profond, qui n’est pas anesthésié par le temps. »

Une même attirance pour la « décadence »

Dommage pour l’exposition, mais Betty Catroux insiste sur un point. Elle déteste la nostalgie, poison qui repeint la vie en rose. Tout le contraire de Saint Laurent, qui ressassait le passé. « Il avait mal vieilli… Moi, souvent, toute seule dans mon coin avec mon verre de vin blanc, je me moque de moi, la muse. »

Mais pour la maison et tous les « garçons adorables », Madison Cox, Anthony Vaccarello, la petite cour empressée de l’avenue Marceau, elle veut bien faire un effort. Raconter encore l’histoire de la fille qui n’aimait pas la mode et les mondanités, et cette soirée où tout a commencé, en 1967, au New Jimmy’s, le club de Régine à Montparnasse.

La découvrant, si blonde, si longue dans le brouillard tabagique, Saint Laurent avait cru à une vision. Elle était « la femme Yves Saint Laurent », celle qu’il cherchait pour porter ses smokings et ses cabans masculins. Il l’avait fait appeler, elle avait navigué jusqu’à sa table sur un air de Jim Morrison, un verre de vodka tonic à la main. « Voulez-vous défiler pour moi ? » Elle avait ri et répondu comme dans la chanson. « Je ne veux pas travailler. » Elle avait 22 ans, s’appelait encore Betty Saint et portait une mini-jupe de Skaï noir Prisunic taille 34.

Yves Saint Laurent, déjà célèbre, était en cuir noir. Ils faisaient la même taille, avaient les mêmes cheveux platine, la même silhouette androgyne. Et, malgré leurs patronymes d’enfants de chœur, la même attirance pour la « décadence », l’alcool, les drogues. « Il est devenu mon frère de loucherie, nous étions identiques, up and down en permanence, tous les deux viscéralement antibourgeois, conclut Betty Catroux. On se téléphonait tous les jours en disant qu’on voulait mourir et en même temps on se demandait où on allait faire la fête le soir… » Morale de l’histoire : « Dire non, c’est le mot-clé de la femme fatale. » Le secret de l’amour qui dure quarante ans.

Des sales gosses mal élevés

On a déjà lu tout ça au mot près dans des magazines. Mais, comme un bon vinyle qui craque, on ne se lasse pas d’écouter la gardienne du temple Saint Laurent, transgressive et chic. Ni de contempler ce visage blanc, ces longues pattes d’oiseau, ces épaules osseuses. Rencontrer Betty Catroux chez elle, un immense rez-de-chaussée surdécoré, c’est surtout découvrir l’univers de son mari adoré.

Copain de collège de Saint Laurent à Oran, François Catroux l’a épousée en 1968 à Saint-Jean-Cap-Ferrat, loin des barricades. Décorateur des super-riches, il a toujours aimé bouger les meubles, changer les ambiances. « Je ne m’en aperçois même pas », remarque Betty Catroux. Quai de Béthune, sur l’île Saint-Louis, ils habitaient un vaisseau spatial inspiré des films de Kubrick des années 1970. Rue de Lille, où ont grandi leurs enfants, on se croirait dans un Visconti, avec des lumières tamisées, des jeux de miroirs. Ambiance décadente twistée par d’immenses portraits de Betty, des meubles de Ron Arad, des tableaux pop art.

« JE SUIS ALCOOLIQUE, JE FAIS TOUS MES RENDEZ-VOUS QUAND ON PEUT BOIRE UN COUP. SANS MON BLANC LE SOIR, JE VOIS TOUT EN NOIR. » BETTY CATROUX

Betty Catroux reçoit à l’heure où tombe le jour. Amour du mystère ? « Je suis alcoolique, je fais tous mes rendez-vous quand on peut boire un coup. Sans mon blanc le soir, je vois tout en noir. » Elle saisit la bouteille de gewurztraminer qui attend dans un seau à glace, remplit les verres. Et recommence à se vanter de n’avoir jamais travaillé, jamais réfléchi plus loin que le bout de sa cigarette de haschisch… « J’étais là, c’est tout, et je n’ai jamais rien fait d’autre que d’être moi-même. » A l’écouter – on n’est pas obligé de la croire –, tout l’a toujours ennuyée.

Née au Brésil, elle a suivi sa mère, grande mondaine habillée en Jacques Fath et Givenchy, quand celle-ci a épousé un industriel parisien. Ils vivaient dans le 16e arrondissement, Carmen Saint traînait sa fille dans des défilés de mode et des soirées d’« un ennui mortel ». Deux fois par an, un bel homme, diplomate américain au physique de Peter O’Toole dans Lawrence d’Arabie, l’invitait à déjeuner chez Maxim’s et au Fouquet’s.

« Il était très gentil, il avait connu ma mère au Brésil… J’ai fini par me douter de quelque chose et j’ai fait cracher le morceau à ma mère, non sans mal. Elle était très conventionnelle. Après, j’ai trouvé très romantique d’être une enfant illégitime. » Chargé d’affaires en Hongrie, Elim O’Shaughnessy est mort à Budapest d’une cirrhose quand Betty avait 15 ans. A l’époque, elle boudait, se rebellait, s’ennuyait partout. Elle ne savait pas quoi faire, comme Anna Karina dans Pierrot le Fou.

Heureusement, dit-elle, cet univers « pourri de chic » n’est plus, même dans ses rêves. Le passé l’encombre, elle a presque oublié le New Jimmy’s et Le Sept, la boîte disco de la rue Sainte-Anne. Elle et Saint Laurent y ont grillé leurs nuits dans les années 1970. Le patron, Fabrice Emaer, accueillait ses clients, « bonsoir les bébés de rêve », parfois déguisé en Betty, avec une perruque blonde. Sous les néons, mannequins et minets approchaient des célébrités – désormais toutes disparues, David Bowie, Francis Bacon, Andy Warhol, Karl Lagerfeld, Robert Mapplethorpe. Il y avait un restaurant à l’étage et une piste de danse au sous-sol où l’on se draguait et se droguait.

Pierre Bergé, qui redoutait Betty, la femme fatale, surveillait les enfants terribles, il les faisait suivre. Certains petits matins glauques, avec François Catroux, il les conduisait à l’Hôpital américain, au bord de l’overdose. « On était des sales gosses mal élevés et on adorait ça, dit-elle. Ils nous mettaient dans deux chambres voisines, on s’envoyait des petits mots idiots et on n’avait qu’une envie, sortir pour recommencer. » Dans l’exposition de l’avenue Marceau, un dessin de Saint Laurent rappelle ces séances de rehab. Betty Catroux est allongée sur un lit, la belle au bois dormant avec une perfusion dans le bras, sous la légende : « Pulu chérie, Sois sage et lave-toi les cheveux pour que je puisse aller te voir. »

Sans leurs anges gardiens, François Catroux et Pierre Bergé, ils seraient morts dans les années 1980, elle en est sûre. « On ne prenait rien au sérieux, contents d’être anti-tout, ravis d’avoir les mêmes névroses. » Un jour, ils sont partis ensemble au Japon. « On atterrit, le Japon ne nous revient pas, on est repartis aussitôt. » En 2014, Bertrand Bonello (Saint Laurent), et Jalil Lespert (Yves Saint Laurent) ont voulu reconstituer cette époque folle. Leurs films sont des bloody mary sans alcool pour Betty Catroux : « Je me suis tordue de rire ! Personne ne peut comprendre. » Et elle ajoute : « J’ai un peu honte de qui on était. »

Extrait de « Saint Laurent », avec les acteurs Gaspard Ulliel et Aymeline Valade

Ces années-là, elle se levait quand le soleil se couchait, ses enfants n’y ont rien changé. « S’il n’y avait eu que moi, mes filles ne seraient jamais allées l’école, je leur disais que j’étais nulle, et on riait. » Elles ont passé des diplômes dont leur mère n’avait « jamais entendu parler ». Maxime Catroux, filleule de Saint Laurent, est éditrice (et membre du conseil de surveillance de la Société éditrice du Monde). Daphné a étudié l’histoire de l’art et travaille chez Dior.

Derrière le décor, il y a la vraie vie, des petits-enfants dont on ne parle pas, un mari qu’on ne voit pas, la propriété de Provence mise en vente chez Sotheby’s. L’argent, l’âge, la grand-parentalité, la maladie, le grand écart un peu moins grand chaque année… tout ça est hors sujet Saint Laurent. Quand on lui demande une date dans le tourbillon de sa vie, Betty Catroux sourit sous sa frange parfaite, éternelle femme fatale : « Dites que c’était il y a cent ans. » La promo, c’est du boulot.

« Betty Catroux, Yves Saint Laurent. Féminin singulier », Musée YSL Paris, 5 avenue Marceau, Paris 16e. Jusqu’au 11 octobre.

15 mars 2020

Coronavirus

corona maison 10

Les mesures d'interdiction visant les commerces sont instaurées jusqu'au 15 avril 2020, la livraison autorisée

Les annonces faites par Edouard Philippe samedi soir ont été précisées par un arrêté publié dimanche 15 mars au Journal officiel.

Cet "arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19" précise que les établissements suivant ne puissent plus accueillir de public jusqu'au 15 avril :

Salles d'auditions, de conférences, de réunions, de spectacles ou à usage multiple ;

Centres commerciaux ;

Restaurants et débits de boissons ;

Salles de danse et salles de jeux ;

Bibliothèques, centres de documentation ;

Salles d'expositions ;

Etablissements sportifs couverts ;

Musées

L'arrêté précise que "les restaurants et bars d'hôtels, à l'exception du « room service », sont regardés comme relevant de la catégorie Restaurants et débits de boissons". Les restaurants et débits de boisson sont en outre autorisés à maintenir "leurs activités de vente à emporter et de livraison".

Par ailleurs, l'arrêté interdit "aux navires de croisière et aux navires à passagers transportant plus de 100 passagers de faire escale en Corse, et de faire escale ou de mouiller dans les eaux intérieures et les eaux territoriales des départements et régions d'outre-mer, ainsi que de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, et Wallis-et-Futuna, sauf dérogation accordée par le représentant de l'Etat compétent pour ces mêmes collectivités".

corona on ferme

corona phase 3

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15 mars 2020

Coronavirus : après l'Italie, l'Espagne et la France prennent à leur tour des mesures drastiques

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

L’Espagne a décidé samedi d’une mise à l’isolement quasi-totale. En France, le Premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé dans la soirée la fermeture de tous les “lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays” : restaurants, bars, discothèques, cinémas. Mais a décidé de maintenir le premier tour des élections municipales ce dimanche.

L’Espagne et la France, “deux des plus grands États de l’Union européenne”, “ont suivi l’Italie”, samedi 14 mars, en annonçant de “vastes” restrictions d’urgence pour lutter contre la propagation du coronavirus, écrit la BBC. Des mesures “drastiques”, analyse de la même façon le Financial Times, décidées “alors que l’Europe est la région du monde qui connaît la plus forte progression” de Covid-19.

Le continent est désormais à l’”épicentre” de la pandémie du nouveau coronavirus, a averti l’OMS vendredi, appelant les pays à “détecter, isoler, tester et traiter chaque cas”.

En France, boutiques fermées et municipales maintenues

En France, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé samedi soir que tous les établissements “non non indispensables” seraient fermés. La mesure touche “les cafés, les restaurants, les cinémas et la plupart des magasins”, explique la BBC. La fermeture est entrée en vigueur à minuit. Les commerces “essentiels”, comme les magasins d’alimentation, les pharmacies, les banques, les bureaux de tabac et les stations-service, ne sont pas concernés.

Le correspondant de la chaîne britannique à Paris décrypte :

Ces mesures représentent un renforcement spectaculaire de la réponse française, reflétant l’inquiétude croissante face à la propagation rapide du virus.”

“La France est officiellement passée en stade 3”, note pour sa part Le Soir.

Le premier tour des élections municipales, prévu dimanche, est en revanche maintenu. “Mais rien n’est sûr pour le second tour, qui doit avoir lieu dimanche prochain 22 mars”, ajoute le quotidien belge.

Ces mesures interviennent alors que “les cas français ont doublé au cours des dernières 72 heures, pour atteindre environ 4 500”, relève le New York Times. “Il y a eu 91 décès, et 300 patients atteints de coronavirus sont dans un état critique – la moitié d’entre eux ont moins de 50 ans.”

46 millions d’Espagnols “enfermés”

En Espagne, deuxième pays le plus touché en Europe après l’Italie avec 191 décès, 46 millions de personnes sont désormais “enfermées” pour contenir la vague de coronavirus, écrit le Financial Times.

“Il est interdit de quitter son domicile, sauf pour acheter des produits de première nécessité et des médicaments, ou pour travailler”, indique la BBC.

“Ce n’est plus seulement Madrid, mais toute l’Espagne qui est en quarantaine pour arrêter le coronavirus”, commente El País.

Les autorités espagnoles venaient de signaler 1 500 nouveaux cas, “soit la plus forte augmentation quotidienne du pays à ce jour, portant le total à 5 753”, souligne le New York Times.

coronavirus stades

15 mars 2020

Vu sur internet

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15 mars 2020

L’art discret de la vélotypie mis en lumière par le sous-titrage hasardeux du discours de Macron

velotypie11

Au-delà de l’allocution du chef de l’Etat – qui a eu lieu jeudi soir en direct –, ce sont les sous-titres hésitants apparaissant en bas de l’écran qui ont fait réagir de nombreux Français.

Publié hier à 19h57, mis à jour hier à 20h37   Temps deLecture 3 min.

Les imperfections dans les sous-titres du discours d’Emmanuel Macron, jeudi 12 mars, ont décontenancé et fait réagir réagir de nombreux téléspectateurs.

Il y avait comme un grand écart jeudi soir à partir de 20 heures. D’un côté, la solennité du ton d’Emmanuel Macron annonçant de nouvelles mesures importantes pour lutter contre la propagation de l’épidémie due au coronavirus, qualifiée de « plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle ». De l’autre, la légèreté des blagues sur le Web, moquant les « fautes de frappe » dans les sous-titres qui accompagnaient ce discours.

« Frangnaise, Français », « viris », ou encore « joe sces quiéyeière ér ér ér »… Ces coquilles et maladresses affichées momentanément en bas de l’écran ont décontenancé certains téléspectateurs, au point qu’ils n’arrivaient plus à se concentrer sur ce qu’ils entendaient. Il y a aussi ceux qui en ont profité pour taper sur l’habituel « stagiaire » imaginaire, souvent raillé en pareilles circonstances.

Des memes (images détournées de leurs significations premières) ont rapidement fait leur apparition sur le réseau social Twitter. Des utilisateurs de la plate-forme ont imaginé le coup de chaud sûrement vécu par la personne qui avait du mal à retranscrire le long discours de vingt-sept minutes prononcé par le président de la République.

Initialement prévue pour être enregistrée avant 20 heures, la prise de parole a finalement eu lieu en direct. Contrairement à ce qu’à visiblement cru l’élu Les Républicains Julien Aubert, il ne s’agissait pas d’un « amateur au prompteur », ni d’une intelligence artificielle pas encore au point, mais probablement l’œuvre d’un vélotypiste. Ce métier méconnu est exercé par une dizaine de personnes seulement en France. Il consiste à retranscrire un discours rapidement, tout cela sur un drôle de clavier syllabique : le vélotype.

velotypie

Sur ce clavier imaginé aux Pays-Bas dans les années 1940, mais conçu cinq décennies plus tard, on se sert simultanément de ses dix doigts, et la barre d’espace n’existe pas. Il y a au contraire une touche « no space » (pas d’espace) qui permet de coller deux syllabes et ainsi de gagner en rapidité. Aussi, toujours dans une volonté de gain de temps, les voyelles sont concentrées au centre du clavier, tandis que les consonnes sont situées aux extrémités. Alors que les claviers Azerty et Qwerty permettent de scripter environ cinquante mots par minute, le vélotype permet d’en saisir le double.

« Cela demande beaucoup d’entraînement »

Interrogée par Le Parisien, l’experte en vélotypie Evelyne Hamon précise en outre que « les touches sont en forme de papillon afin d’appuyer sur plusieurs lettres en même temps. La machine se charge ensuite de les mettre dans le bon ordre ». Si elle convient que « c’était un peu raté hier », elle salue tout de même la performance malgré le poids du stress :

« Cela demande beaucoup d’entraînement, comme la musique, mais ce n’est pas une question de dextérité, plutôt d’automatisme. Comme pour les interprètes en langue étrangère : c’est du direct avec tous les risques qui y sont liés. »

Surnommée « Mylor » sur Twitter, cette utilisatrice qui dit apprendre la vélotypie a raconté à travers une suite de Tweet partagée plus de 8 000 fois en moins de vingt-quatre heures les intérêts et difficultés de cet outil. « Quand on fait une faute, il faut courir après pour la corriger, tout en continuant d’enregistrer l’information. C’est très difficile », justifie-t-elle.

Le président n’aurait-il pas pu donner son texte à l’avance afin d’obtenir des sous-titrages sans fautes ? Celui-ci voulait se laisser la possibilité de sortir de son texte, a raconté à Europe 1 une personne qui a participé à l’organisation de l’allocution.

Près de 25 millions de téléspectateurs ont regardé le discours sans filet d’Emmanuel Macron et les sous-titres qui l’accompagnait : un record absolu pour une allocution télévisée d’un chef de l’Etat en France, et digne d’une finale de Coupe du monde de football. On imagine facilement que cet exercice de haute voltige n’a pas été aisé pour le ou la vélotypiste, qui restera, comme son métier l’y invite, dans l’ombre de sa prestation.

15 mars 2020

Coronavirus

corona moi

15 mars 2020

Ce que le coronavirus dit de nous

THE NEW YORK TIMES (NEW YORK)

L’épidémie de Covid-19 vient nous rappeler que nous vivons, que nous le voulions ou non, dans un monde interconnecté. Nos frontières sont poreuses, plus proches de la membrane vivante que du mur en dur, écrit le professeur de philosophie Michael Marder.

L’épidémie de Covid-19 due au nouveau coronavirus, qui menace de se muer en pandémie, a déjà mis la planète sens dessus dessous : plusieurs pays sont gagnés par l’inquiétude, voire la panique, les marchés financiers sont en proie à la fièvre, et des morts sont hélas à déplorer. Jusqu’à présent, nous n’avons eu guère de temps pour la réflexion, et peu d’entre nous se sont demandé ce que cette crise pourrait nous apprendre sur nous-mêmes – sur nos corps, nos communautés, nos systèmes politiques, et les implications de notre interdépendance transfrontalière. Pour ma part, j’estime que cette crise a quelque chose de très important à nous dire.

Un idéal impossible de pureté

Bien avant l’apparition des premiers cas de Covid-19, une tendance planétaire à construire des murs et à fermer les frontières était à l’œuvre – entre les États-Unis et le Mexique, Israël et la Palestine, la Hongrie et la Serbie ou la Croatie, pour ne citer que ces pays. Le regain de nationalisme à l’origine de cette tendance se nourrit de la peur des migrants et de la contagion sociale, tout en poursuivant un idéal impossible de pureté au sein d’un État emmuré.

Les mesures préventives mises en place pour réagir face au virus, comme la fermeture des frontières, les obstacles au voyage et les quarantaines, revêtent aussi une dimension symbolique : elles répondent à la même logique que la construction de murs pour des raisons politiques. Il s’agit dans les deux cas de rassurer les citoyens et de leur donner un faux sentiment de sécurité. Mais, ce faisant, on passe à côté du principal problème : l’insuffisance des prises de décisions transnationales, si importantes pour lutter contre le réchauffement climatique et régler la crise des migrants, les pandémies, et des délits économiques comme l’évasion fiscale.

Les frontières sont par définition poreuses

Le “survivalisme” a toujours suivi une trajectoire parallèle à celle du nationalisme virulent. Il se fonde sur cette fiction d’un individu “robinsonnesque”, totalement autonome, assez fort et intelligent pour se sauver lui-même, et peut-être sa famille dans la foulée. Cette attitude revient à soustraire les individus de leurs contextes environnementaux, communautaires ou économiques, dans le droit fil de la doctrine théologique du salut réservé aux élus.

À mesure que la panique s’installe ici ou là, la fermeture des frontières individuelles s’inspire des politiques les plus primaires : on stocke des denrées alimentaires et des médicaments, et les plus riches préparent même leurs bunkers de luxe en prévision de l’apocalypse. Mais contrairement aux fictions survivalistes, cette nouvelle épidémie vient nous rappeler que les frontières, par définition, sont poreuses. On aura beau les fortifier, elles seront davantage des membranes vivantes que des murs inorganiques. Un individu ou un État qui parviendrait à se couper entièrement de l’extérieur se condamnerait à une mort certaine.

La mondiale souveraineté du virus

Les virus ne sont pas seulement des menaces occasionnelles dans le ciel serein de la mondialisation, ils symbolisent le monde sociopolitique moderne. (On pourrait dire, ironiquement : le microbe n’est pas un microbe, c’est une caractéristique.) Et en l’occurrence, un symbole plus subtil que celui du mur apparaît, celui de la couronne.

Le Covid-19 appartient à la famille des virus à ARN qui se transmettent de l’animal à l’homme. Comme cette caractéristique l’indique, ce virus ne respecte pas la classification des êtres vivants ni la barrière de l’espèce. Les pointes en forme de trèfle sur la surface sphérique du virus lui ont valu d’être baptisé “coronavirus”, du latin corona qui veut dire “couronne” et qui vient du grec korone, “guirlande”. Attribut de la souveraineté par excellence, cette couronne vient ceindre une entité microscopique qui n’a que faire des distinctions entre les différentes classes d’êtres vivants, mais aussi entre la vie et la mort.

En transgressant les anciennes frontières, le virus incarne une nouvelle souveraineté à l’heure de la dispersion du pouvoir. Et comprendre son fonctionnement permet d’avoir un aperçu des mécanismes du pouvoir aujourd’hui.

Nous sommes tous les hôtes d’éléments étrangers

Un aspect de l’activité virale consiste à infiltrer et à transcrire les contenus des cellules hôtes et des programmes informatiques. Un autre consiste à se répliquer le plus largement possible. Dans l’univers des réseaux sociaux, ces deux aspects sont très recherchés : lorsqu’une photo, une vidéo, une blague ou une histoire est partagée, et qu’elle se répand rapidement sur Internet ou les téléphones portables, on dit qu’elle devient virale. Un taux élevé de réplication du contenu viral n’est pas suffisant, car il doit y avoir une incidence, une transcription, pour ainsi dire, du contenu social infiltré. Le but est d’affirmer son influence par une image ou une histoire largement diffusée et d’exercer ce pouvoir. Et cette viralité introduit un certain degré de complexité dans notre relation affective avec les virus : nous les redoutons, quand nous sommes leurs cibles et leurs hôtes éventuels ; nous les recherchons, lorsqu’ils nous servent pour toucher le maximum de personnes.

Cette comparaison entre un contenu viral sur Internet et une pandémie due à un coronavirus n’est pas exagérée. La dimension mondiale des dernières épidémies est le résultat de la mobilité et de la multiplication des contacts physiques entre de larges pans de la population mondiale par le biais du tourisme de masse, des échanges éducatifs et professionnels, des relations à longue distance, des événements culturels et sportifs internationaux, etc. Le virus se trouvait dans les navires de croisière, comme le Diamond Princess, dans les avions, les trains et les hôtels, bien loin de son point de départ – en d’autres termes, il était là où certains avaient “envoyé” leur personne physiquement, et non plus seulement leur image ou leur message.

Que cela nous plaise ou non, nous sommes tous les hôtes d’éléments qui nous sont étrangers, à tous les niveaux de l’existence. De plus, il y a toujours un risque que les hôtes soient spoliés par ceux qu’ils accueillent. Ce risque est impossible à éliminer. Plutôt que de brandir les spectres des États-nations souverains et des individus autonomes, nous devons apprendre à vivre dans un monde qui n’est plus seulement connecté de manière immatérielle ou idéale, grâce aux technologies de communication, mais dans un monde très concrètement connecté, par un contact direct et charnel. Pour résumer, nous devons apprendre à vivre dans une réalité qui peut, à tout moment, devenir virale.

Michael Marder

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Source

The New York Times

NEW YORK http://www.nytimes.com/

Avec 1 400 journalistes, 35 bureaux à l’étranger, 127 prix Pulitzer et plus d’un million d’abonnés, The New York Times est de loin le premier quotidien du pays, dans lequel on peut lire “all the news that’s fit to print” (“toute l’information digne d’être publiée”).

C’est le journal de référence des États-Unis, dans la mesure où les télévisions ne considèrent qu’un sujet mérite une couverture nationale que si The New York Times l’a traité. Son édition dominicale (1,1 million d’exemplaires) est distribuée dans l’ensemble du pays – on y trouve notamment The New York Times Book Review, un supplément livres qui fait autorité, et l’inégalé New York Times Magazine. La famille Ochs-Sulzberger, qui, en 1896, a pris le contrôle de ce journal créé en 1851, est toujours à la tête du quotidien de centre gauche.

Quant à l’édition web, qui revendique plus de 3,7 millions d’abonnés en octobre 2019, elle propose tout ce que l’on peut attendre d’un service en ligne, avec en plus des dizaines de rubriques spécifiques. Les archives regroupent des articles parus depuis 1851, consultables en ligne à partir de 1981.

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