Astronomie - Nécrologie : Le physicien Stephen Hawking, auteur d’« Une brève histoire du temps », est mort à 76 ans
Par Pierre Le Hir, avec Pierre Barthélémy - Le Monde
Paralysé par une maladie dégénérative depuis les années 1960, le scientifique britannique, spécialiste des trous noirs, était le plus connu du grand public.
Il a quitté le fauteuil roulant où était cloué son corps souffreteux pour rejoindre, peut-être, une dimension de l’espace-temps où son esprit vagabondait avec une absolue liberté. Le physicien et cosmologiste britannique Stephen Hawking, le plus célèbre scientifique contemporain, est mort à 76 ans, a annoncé sa famille mardi 13 mars.
« Nous sommes profondément attristés par la mort aujourd’hui de notre père adoré. (…) C’était un grand scientifique et un homme extraordinaire dont le travail vivra encore de nombreuses années », ont écrit ses enfants Lucy, Robert et Tim dans ce texte publié par l’agence britannique Press Association.
Stephen Hawking était un paradoxe. Son nom est mondialement connu du grand public, alors même que ses incursions dans les méandres de la cosmologie – entre Big Bang, trous noirs et singularités astrophysiques – ne pouvaient être suivies que par une poignée de théoriciens de haut vol. Cette renommée, il la doit d’abord à un best-seller planétaire, Une brève histoire du temps, paru en 1988 et vendu à plusieurs millions d’exemplaires.
Une icone
Il la doit aussi au contraste, qui pouvait provoquer le malaise autant que la fascination, entre une terrible infirmité physique, qui l’avait réduit à ne plus pouvoir s’exprimer qu’à l’aide d’un unique doigt valide – puis d’une contraction de la joue – actionnant un synthétiseur vocal, et une exceptionnelle puissance intellectuelle, doublée d’un robuste sens de l’humour. Cette dualité, portée chez lui à son paroxysme, en a fait une icône. Le symbole de la victoire de la pensée sur la chair, à l’image de l’éclat d’un visage d’éternel étudiant que n’arrivait pas à flétrir le rictus de lèvres muettes.
Né le 8 janvier 1942 à Oxford, le jeune Stephen Hawking ne montre guère de prédispositions pour l’école, exerçant plus volontiers son imagination à inventer des jeux de société aux règles subtiles. Ce qui ne l’empêche pas de prendre goût aux sciences physiques, qu’il étudie à partir de 1959 à l’université d’Oxford.
Il y révèle une intelligence, mais aussi une curiosité et une ténacité hors du commun. « A la fin des trois années que nous avons passées ensemble, nous étions tous d’accord pour dire qu’il était la personne la plus brillante que nous ayons jamais connue, relate l’un de ses condisciples, Gordon Berry, professeur de physique atomique à l’université de Notre-Dame (Indiana). Un jour, nous nous aperçûmes à quel point nous étions ignorants en matière d’art. Une à deux semaines plus tard, il était devenu un expert. Sa chambre était remplie de livres empruntés à la bibliothèque. »
De Oxford à Cambridge
Pour le reste, « Steve » ne se distingue en rien des autres étudiants. Il consacre volontiers ses nuits au bridge et, dans l’équipe d’aviron universitaire, tient la place de barreur, sa constitution chétive l’empêchant de manier les rames.
En 1962, il part étudier la cosmologie à l’université de Cambridge, où il commence une thèse sur la relativité générale. C’est là que sa maladie, annoncée par des troubles moteurs croissants, est diagnostiquée : sclérose latérale amyotrophique, encore appelée maladie de Charcot. Une dégénérescence des neurones conduisant à la paralysie. Les médecins ne lui donnent pas plus de deux ou trois années à vivre.
Le jeune homme surmontera le choc et déjouera les pronostics. « Il me semblait un peu absurde de faire mon travail de recherche parce que je ne comptais pas vivre assez longtemps pour finir mon doctorat. Cependant, à mesure que le temps passait, la maladie semblait ralentir. (…) Je me suis fiancé à une jeune femme nommée Jane Wilde. Cela me donnait une raison de vivre, mais cela voulait aussi dire qu’il fallait que je trouve du travail si nous voulions nous marier », raconte-t-il dans son autobiographie, Qui êtes-vous Mister Hawking ?
Etude des trous noirs
Suivent des années d’une très grande fécondité. Avec son collègue Roger Penrose, il établit, dans un théorème qui porte leurs noms, que la relativité générale d’Albert Einstein implique que l’espace et le temps ont comme origine le Big Bang, et comme fin les trous noirs. Ce que les cosmologistes nomment des « singularités » : des points de densité et de courbure de l’espace-temps infinis.
Il concentre alors ses travaux sur les trous noirs, ces objets galactiques massifs dont le champ gravitationnel est si intense que, selon la mécanique classique, aucune matière ni aucune lumière, happées comme par un aspirateur géant, ne devraient pouvoir s’en échapper. En appliquant les lois de la mécanique quantique, il montre qu’en réalité, ces sombres béances peuvent émettre une radiation. Ce phénomène, baptisé « rayonnement de Hawking », ou encore « évaporation des trous noirs », sera l’une de ses percées théoriques les plus importantes.
La question de l’information portée par ce rayonnement reste l’une des grandes énigmes de la physique moderne. En 1997, Hawking prendra le pari, contre le physicien John Preskill de l’université Caltech (Californie), que l’information sur la matière avalée par un trou noir est irrémédiablement perdue. Sept ans plus tard, il reconnaîtra son erreur – si l’on attendait que le trou noir disparaisse, l’information sur la matière engloutie serait restituée – et il remettra à Preskill son prix : une encyclopédie du base-ball.
« Théorie du tout »
Entre-temps, il prend, en 1979 – trois siècles après Isaac Newton –, la chaire de mathématiques de Cambridge, qu’il quittera fin 2009. Et il travaille à une « théorie du tout », unifiant les grandes forces fondamentales et livrant la clé ultime de l’Univers. Tout en s’interrogeant sur la possibilité de voyager dans le temps et sur l’existence d’univers multiples.
Près de vingt ans après le foudroyant succès de sa Brève histoire du temps, sa fille Lucy le convainc, en 2007, de se mettre à la portée des enfants, en rédigeant, avec l’aide d’un de ses anciens thésards, un ouvrage d’initiation, Georges et les secrets de l’Univers, premier volet d’une trilogie.
Les distinctions pleuvent. Nommé Commandeur de l’Empire britannique en 1982, il reçoit, en 2006, la Médaille Copley, la plus prestigieuse distinction scientifique décernée par la Royal Society de Londres.
Au faîte de sa notoriété, Hawking affichait une distance lucide vis-à-vis du « battage » dont il était l’objet de la part des médias. « Je suis certain que mon handicap a un rapport avec ma célébrité, confiait-il sur son site Internet. Ils ont besoin d’un personnage à la Einstein auquel se référer. Mais, pour les journalistes, me comparer à Einstein est ridicule. Ils ne comprennent ni le travail d’Einstein, ni le mien. »
Une partie de poker avec Newton et Einstein
Et, à ces journalistes, il disait de sa voix métallique : « Partout dans le monde, les gens me reconnaissent et veulent être photographiés à mes côtés. Ils veulent un héros de la science, comme l’était Einstein. Je corresponds au stéréotype du génie handicapé dans le fait que je suis clairement handicapé. Mais je ne suis pas un génie comme Einstein l’était. »
C’est pourtant lui qui, dans un recueil de grands textes de physique et d’astronomie publié en 2003, Sur les épaules des géants, se posait implicitement en héritier de Copernic, Galilée, Kepler, Newton et Einstein. Lui aussi qui, dans un épisode de la série Star Trek, disputait une partie de poker avec Newton et Einstein. Peu avare de son image, il est également apparu dans plusieurs épisodes des Simpson. Et il a prêté sa voix, digitalisée, à la chanson Keep talking des Pink Floyd.
Célébrité trop envahissante ? Handicap trop lourd à supporter pour ses proches ? Son ménage n’y a pas résisté : en 1990, il s’est séparé de son épouse Jane et s’est remarié, en 1995, avec l’une de ses infirmières.
Quatre brèves minutes, Stephen Hawking avait pu, en 2007, s’évader de son fauteuil. Le temps de huit vols paraboliques en apesanteur, dans un avion spécialement aménagé. Il conservait des photos de cette échappée dans son bureau de Cambridge, en bonne place aux côtés d’un poster de Marilyn Monroe.
La même année, il s’était porté candidat à un vol spatial. « Il se peut que nous n’atteignions jamais la fin de notre quête, une compréhension complète de l’Univers », avait-il dit un jour. Ajoutant : « Dans un sens, je m’en réjouis. Une fois la théorie ultime découverte, la science ressemblerait à l’alpinisme après la conquête de l’Everest. L’espèce humaine a besoin d’un pari intellectuel. Cela serait ennuyeux d’être Dieu et de n’avoir rien à découvrir. »