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Jours tranquilles à Paris
1 avril 2017

In memorem : Robert Doisneau

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28 mars 2017

In memorem : Marc Chagall

26 mars 2017

Histoire de Melody Nelson

24 mars 2017

60 ans du Traité de Rome: illuminations au Quai d'Orsay

traite rome

Confrontée à un risque de dislocation, l'Union européenne doit plus que jamais réinventer sa méthode dans les deux années à venir.

Cérémonie au Capitole et dîner au Palais du Quirinal : pour le 60ème anniversaire de leur Union, les Européens ont soigné les symboles. Le retour dans la capitale italienne, où fut signé le traité fondateur, est une manière de montrer que quelque chose, sur ce continent, continue de se construire.  Mais comme il y a 10 ans à Berlin, cette célébration se lit aussi comme la tentative de surmonter, non pas un échec, sinon elle n'aurait pas lieu, mais un revers.

En 2007, il fallait oublier le rejet, par référendum, d'un traité constitutionnel patiemment élaboré pendant 18 mois par les 105 membres de la Convention. A présent, il faut tourner la page du Brexit, la sortie, elle aussi décidée suite à un vote populaire, du Royaume-Uni auquel il avait fallu 12 années d'hésitations et d'efforts diplomatiques pour rejoindre le « club » en 1973. Les manifestants venus participer à la célébration auront beau être nombreux à marcher sur le Capitole, il sera difficile d'oublier à quel point cette tentative de faire exister une communauté d'Etats pacifique et prospère, sans cesse en train d'inventer sa méthode, entretient un rapport compliqué à ses propres peuples.

Une courte déclaration laborieusement négociée

A Rome, les chefs d'Etat et de gouvernement n'auront d'autre message que leur propre volonté d'unité. La courte déclaration en deux pages que leurs aides ont laborieusement négocié, arrondissant tous les angles jusqu'au dernier moment, se conclut comme celle de Berlin par : « L'Europe est notre avenir commun ». A la question : comment peut-elle le rester ?, elle n'apporte pas de réponse. « La déclaration de Rome ne va pas changer le fonctionnement de l'Union européenne. Rome est utile pour rassembler après le traumatisme du Brexit », explique le député social-démocrate allemand Jo Leinen. La fête passée, il faudra revenir au labeur quotidien.

A commencer par la gestion d'un divorce dont la demande sera envoyée le 29 mars par la première ministre britannique Theresa May, absente à Rome. Un mois plus tard, les Vingt-Sept se reverront pour donner un mandat de négociation à leur négociateur en chef, Michel Barnier. Ce mandat sera crucial. Le référendum du 23 juin puis le Brexit crée un précédent. Les conditions faites au Royaume-Uni sont aussi importante pour ses relations futures avec le Continent, que pour l'unité du Continent lui-même. Des « Exit » en chaîne signifieraient la fin de l'Union européenne. Pour l'instant, il  n'y a pas d'autre candidat. Et il n'y en aura sans doute à court terme.

La menace de sortie formulée par le prédécesseur de Theresa May a d'ores et déjà rendu plus légitimes celles des dirigeants qui aimeraient jouir d'une plus grande liberté au sein de la communauté. Il avait été répondu à David Cameron en février 2016 par une offre de nouveau « deal » destiné à l'aider à convaincre ses concitoyens de voter pour « rester ». D'autres pourraient en demander le bénéfice, sous la menace d'un référendum chez eux ou même d'un veto à l'accord final avec le Royaume-Uni, lequel devra être ratifié par chacun des Vingt-Sept. La négociation va donc se dérouler sous une pression sans précédent des gouvernements, des parlements et des opinions nationales, voire régionales (puisque les traités commerciaux doivent désormais être ratifiés par les régions), leur donnant un formidable levier.

Comme l'a bien compris le président de la Commission européenne en mettant sur la table ses « cinq options » pour l'avenir de l'Union début mars, l'enjeu de la négociation qui va commencer va bien au-delà du Brexit. C'est une révision en grand des relations entre tous les autres membres de l'Union  qui se prépare.

L'Europe "à plusieurs vitesses" écartée

L'expression d' « Europe à plusieurs vitesses » a été écartée du texte de la déclaration de Rome, de même qu'elle ne figure pas dans le Livre blanc de la Commission : les pays d'Europe centrale, à commencer par la Pologne y verraient le signe d'une volonté de relégation en seconde zone. Le ministre-président wallon Paul Magnette, se qualifiant lui-même de « fédéraliste meurtri », n'avait-il pas appelé à « un Polxit, un Hongrexit, un Roumaxit, un Bulgxit » pendant sa bataille contre le CETA, au seul motif que les dirigeants de ces pays n'étaient pas alignés sur ses propres choix politiques ?

La Commission européenne elle-même ne veut pas en entendre parler. Il y a une bonne raison à cela. De tous les « cercles » différents que la construction européenne a tracés, la zone euro est sans conteste celui dont le trait s'est le plus épaissi au cours des dernières années. Or le fonds de 500 milliards basé à Luxembourg qui a finalement permis le sauvetage de la monnaie unique a bien été créé en conformité avec les traités mais à l'écart des institutions communes. Sans que cela ne soit jamais dit, une nouvelle union européenne existe déjà, placée uniquement sous le contrôle des gouvernements nationaux (dont les ministres des Finances siègent au conseil d'administration du fonds) et, à travers eux, des parlements nationaux.

Un autre système institutionnel

Berlin ne veut pas pour l'instant entendre parler pour l'instant de son retour dans le giron « communautaire », c'est-à-dire sous un contrôle quelconque de la Commission et du Parlement européen. Et rien ne dit que l'arrivée du social-démocrate Martin Schulz à la chancellerie y change quoique ce soit. C'est donc un autre système institutionnel, associé mais différent de l' « Europe de Bruxelles », qui est déjà en train de se construire. Un système dont la réforme et le renforcement, rendus nécessaires par la faiblesse des économies du Sud et de l'Italie en particulier, passera forcément par  un autre « deal », entre Paris et Berlin cette fois-ci, une fois les élections allemandes de septembre passées.

La déclaration de Berlin annonçait le Traité de Lisbonne. Celle de Rome n'a pour l'instant pas d'issue évidente.

FLORENCE AUTRET

14 mars 2017

Albert Einstein

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11 mars 2017

Six ans après, le Japon se souvient de ses morts

tsunami

 Le 11 mars 2011, sur la côte nord est du Japon, un tsunami a fait plus de 18 000 morts. Une catastrophe naturelle suivie d’un accident nucléaire. Hier, là-bas, l’heure était au recueillement.

Reportage

« En un instant, le monde est devenu un cauchemar ! » Hier, en milieu d’après-midi, dans la grande salle du centre culturel de Minamisoma, la cérémonie commémorative pour le 6e anniversaire de la catastrophe du grand séisme touche à sa fin. M. Tanaka vient de prendre la parole au nom des familles des victimes. Minamisoma, à une vingtaine de kilomètres de la centrale de Fukushima, a été profondément marquée par le tsunami puis la catastrophe nucléaire.« Le 11 mars 2011, le jour du grand séisme et du tsunami, 636 personnes ont été tuées, rappelle le maire, Kastunobu Sakurai.Et le lendemain, plus de 60 000 habitants ont été évacués après l’explosion d’un des réacteurs de la centrale nucléaire. » Le jour de la catastrophe, M. Tanaka a perdu sa femme. Il raconte le drame vécu par sa communauté :« Dans notre quartier, sur 37 foyers, 36 ont eu à déplorer une ou plusieurs victimes. Sur 140 habitants, 45 ont péri. » Le drame est encore très présent dans les esprits. L’intensité de la minute de silence respecté à 14 h 46, l’heure du séisme, le prouve.« Nous avançons petit à petit pour reconstruire, poursuit M. Tanaka.Mais la tristesse est encore profonde et souvent inexprimable. Notre rôle, à nous survivants, est de tenter de vivre heureux pour faire plaisir aux morts. » Sur la scène du centre culturel de Minamisoma, un totem dédié aux esprits a été élevé sur un parterre de fleurs. Même décor au théâtre national de Tokyo pour la cérémonie nationale retransmise en direct. Symbole, parmi d’autres, les fleurs viennent de la« terre sinistrée » de la préfecture de Fukushima. Devant le prince Fumihito d’Askishino, le deuxième fils de l’empereur du Japon, le Premier ministre, Shinzo Abe, s’est directement adressé aux esprits, tournant le dos à la salle.« La reconstruction avance bien. Les infrastructures commencent à se rétablir », a-t-il lancé dans une intervention volontairement optimiste. Pas sûr que son enthousiasme soit partagé par tous les habitants des zones sinistrées où la vie demeure encore très compliquée. Avec notamment des milliers de personnes toujours installées dans des logements provisoires. Mais hier, l’heure était au recueillement plus qu’aux polémiques. Dans le centre culturel, la cérémonie se conclut. Tous les participants défilent devant la grande scène et déposent une fleur blanche devant le totem. Parmi eux, une délégation de Normandie. Élus, syndicalistes ou membres d’association de protection de l’environnement, ils font partie des Commissions locales d’information qui travaillent sur les installations nucléaires du Cotentin. Six ans après, ils sont venus se rendre compte, sur le terrain, des effets de la catastrophe nucléaire.

Jean-Christophe LALAY.

11 mars 2017

In memorem : Claude François

10 mars 2017

Décès de Pierre Bouteiller

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Bouteiller

Pierre Bouteiller, grande voix de la radio, est mort

Passé par Europe 1, France Inter et France Musique, le journaliste et animateur a marqué la radio par son ton persifleur et sans complaisance.

Par Renaud Machart

Il avait une manière à nulle autre pareille de souhaiter la bienvenue à ses auditeurs par un « bonjour » aussi enjôleur que cajoleur, lancé avec la détente swinguée de ce jazz qu’il aimait tant. Ce logo sonore restera comme la signature de l’homme de radio légendaire que fut Pierre Bouteiller, qui vient de mourir dans la nuit du jeudi 9 au vendredi 10 mars à Paris à l’âge de 82 ans.

Né le 22 décembre 1934 à Angers, Pierre Bouteiller aura eu une enfance « sonorisée » par la radio, à une époque où « l’“audiovisuel” se limitait à l’“audio” », ainsi qu’il le rapporte dans son plaisant et insolent livre de souvenirs Radioactif (Robert Laffont, 2006). Sa jeunesse est itinérante : la famille déménage tous les trois ans au gré des nominations du père (« catho ma non troppo »), directeur de différentes succursales régionales de la Banque de France.

Son frère travaille assidûment son piano sur le demi-queue Erard du salon. Mais Pierre Bouteiller à d’autres dons : « Je préférais me fier à ma mémoire, et surtout à mon oreille, qui n’était pas extraordinaire mais tout de même assez fiable pour que je pusse entendre un thème et le reproduire assez fidèlement. » Sans avoir appris le solfège, Bouteiller deviendra un remarquable pianiste, pouvant jouer de mémoire tous les « standards » de la musique populaire et de jazz.

« Coupe des reporters »

Il entre à la Sorbonne en 1955 où il poursuit « mollement de vagues études de psychologie ». Car il préfère se produire au sein d’un petit groupe de jazz dans les clubs du Quartier latin. Il se passionne pour une émission de jazz animée par Frank Ténot et Daniel Filipacchi, diffusée chaque soir sur une radio « périphérique » fraîchement ouverte, Europe 1, alors appelée Europe n° 1. Leur ton tranche avec celui des « speakers compassés » de Paris Inter, la radio nationale. « Europe 1 avait, d’un seul coup, ringardisé toutes les autres radios, écrit Bouteiller. Comme Paris Match l’a fait en son temps parmi les news magazines. Comme Canal le fera, plus tard, pour la télévision. »

Europe 1 organise en 1958 une « Coupe des reporters ». Bouteiller s’y présente avec « plusieurs dizaines de postulants. (…) Au fil des éliminatoires, nous nous sommes retrouvés trois en finale : Philippe Labro, Michel Anfrol et moi. » Labro obtient neuf voix, Bouteiller huit, Anfrol zéro. « Dans sa grande magnanimité le jury a décidé que Philippe et moi étions ex æquo. Et nous avons tous deux été engagés au “Journal parlé”. »

A partir de 1959, Il y apprend son métier en tant que « soutier » tout terrain mais se rend vite compte que, même sur une radio privée, tout ne peut pas être dit. Un reportage sur le général de Gaulle lui fait connaître la censure pratiquée au montage. Il préfère la compagnie des artistes et devient le « Monsieur je-sors-pour-vous », de la chaîne. Mais son ton déjà persifleur et sans complaisance lui vaut encore des ennuis.

En 1969, l’heure du départ d’Europe 1 (que certains surnommaient « Radio Barricades ») a sonné : « Je n’ai pas été surpris de cette rupture. Depuis longtemps je savais que j’agaçais. Mai-68 a été le prétexte pour mettre un nom – “gauchisme” – sur un mauvais esprit que l’on me reprochait depuis longtemps. »

Le trio « A. B. C. »

Dix ans après son arrivée, Pierre Bouteiller quitte Europe n° 1 avec de solides indemnités, négociées par l’avocat Georges Kiejman. Alors qu’il s’apprête à partir en vacances, il reçoit un appel de Roland Dhordain, directeur de France Inter, qui lui demande de refaire, à l’ORTF, ce qu’il faisait à Europe 1. C’est le magazine « Embouteillages », dont la « formule est de ne pas en avoir », selon son animateur, qui traite de tout, de l’art de vivre à Paris comme en province. Car, ainsi que l’annonce son premier billet introductif, le 6 octobre 1969, « le parisianisme se décentralise. »

Bouteiller devient vite l’un des membres du trio surnommé « A.B.C. », complété par José Artur et Jacques Chancel, deux autres grandes voix de la chaîne, promis eux aussi à une carrière retentissante et longue sur le service public. A partir d’octobre 1969 il y animera de nombreuses et fameuses émissions, « Au bénéfice du doute », « Comme de bien entendu », « Le Magazine de Pierre Bouteiller », « Qu’il est doux de ne rien faire quand tout s’agite autour de vous », « Quoi qu’il en soit »…

En 1981, il devient le directeur des variétés de TF1, pas encore privatisée. Son court passage sera marqué par la suppression de la diffusion du Concours de l’Eurovision et la mise à l’antenne de l’émission « Droit de réponse » de Michel Polac. En marge de son activité radiophonique, Pierre Bouteiller signera, dès 1971, de nombreux reportages et entretiens pour la télévision, où il animera diverses émissions. Il sera également le producteur, via sa société de production, de documentaires consacrés à la musique (des crooners aux sœurs Labèque en passant par Pierre Boulez).

Retour à Radio France

Il revient en 1982 à France Inter, mais, peu apprécié du président de Radio France, Jean-Noël Jeanneney, et de Jean Garetto, directeur des programmes de la chaîne, Pierre Bouteiller est mis « au placard », avec en cadeau de consolation, la présentation hebdomadaire, jusqu’en 1989, du « Masque et la plume », où il succède à François-Régis Bastide. De 1984 à 1988, il anime parallèlement différents magazines hebdomadaires sur France Musique.

En 1988, à la nomination de Jean Maheu, à la présidence de Radio France, et d’Eve Ruggieri, aux programmes de France Inter, il se « réinstalle à 18 heures avec un magazine intitulé “Au bénéfice du doute”. » L’année suivante, Eve Ruggieri est nommée directrice des programmes de France 2 et laisse la place. Bouteiller lui succède.

En 1995, au départ à la retraite de Jean Maheu, Pierre Bouteiller présente sa candidature à sa succession à la présidence de Radio France. Mais le CSA lui préfère Michel Boyon. Il est « débarqué de la direction des programmes de France Inter » mais, à la demande de son successeur, Jacques Santamaria, il reprend le chemin des studios pour un magazine quotidien, « Quoi qu’il en soit », chaque matin de 9 à 10 heures, avec sa bande de chroniqueurs favoris (Gérard Lefort, Philippe Collin, Philippe Couderc, Kathleen Evin, etc.).

Au départ de Michel Boyon (auquel il réglera son compte de manière carnassière dans son livre de souvenirs), Pierre Bouteiller est nommé en 1999 par Jean-Marie Cavada, nouveau président de Radio France, à la direction de France Musique. Il dira, dans un entretien de février 2009 : « A Radio France, j’ai eu de vrais patrons (ex-journalistes) comme Roland Dhordain, Roland Faure et Jean-Marie Cavada. (…) Les autres, je les appelle des touristes, des amateurs. »

« Si bémol et fadaises »

En 2004, atteint par l’âge de la retraite, Pierre Bouteiller doit quitter le service public. Dans Radioactif, il accablera le nouveau président de la Maison ronde, Jean-Paul Cluzel, de noms d’oiseaux, l’accusant d’avoir mis fin à son mandat, ainsi qu’à celui du directeur de France Inter, Jean-Luc Hees, pour des raisons politiques.

Mais il est vite appelé par ses amis Jean-François Bizot, patron du magazine Actuel et fondateur de Radio Nova, et Frank Ténot qui ont repris la radio TSF jazz. Pierre Bouteiller y animera quotidiennement « Si bémol et fadaises » (un titre typique de son goût pour les calembours « limite »).

En septembre 2013, le programme passe à un rythme hebdomadaire. Pierre Bouteiller mettra un point final à ses activités radiophoniques le 28 juin 2015, après une avant-dernière émission qu’il avait annoncée être un « Petit panthéon jazzistique personnel ». Mais, décidément, la fatigue et la difficulté d’élocution de cette voix légendairement tonique et moqueuse se faisaient désormais entendre.

Pour cette dernière de « Si bémol et fadaises », le pianiste et compositeur Michel Legrand, dont il était proche, était présent à son côté au micro – avec pour premier disque, une version au… clavecin des Moulins de mon cœur. Très affaibli, Bouteiller n’animait pas l’émission (il y interviendra d’ailleurs très peu) et avait laissé la main à une jeune consœur qui fit du titulaire du programme l’invité d’honneur de sa dernière.

Renaud Machart - Journaliste au Monde

10 mars 2017

La révolution russe en plan large

Par André Loez, Historien et collaborateur du "Monde des livres"

Le 8 mars 1917 débutait la révolution russe. Cent ans après l’événement, une floraison d’ouvrages le replace dans une temporalité plus large.

Il y a cent ans et un jour débutait la révolution russe. C’était le 8 mars, le 23 février dans le calendrier julien utilisé alors en Russie. Par milliers, des manifestantes venues célébrer la Journée internationale des droits des femmes, mais aussi dénoncer un pouvoir incapable de garantir du pain et de mener à son terme une guerre interminable, convergeaient vers le centre de la capitale, Petrograd. Signe du discrédit frappant le régime tsariste, les escadrons de cosaques qui auraient dû les disperser restaient passifs.

Renouvelés, accrus, accompagnés de grèves, les cortèges des jours suivants précipitaient la chute de Nicolas II. Le renversement saisissant d’une dynastie tricentenaire serait redoublé neuf mois plus tard par la prise du pouvoir des plus radicaux, et initialement les plus isolés des révolutionnaires, les bolcheviks. Février suivi d’octobre changeait la face de la guerre, de l’Europe et du XXe siècle.

Décloisonnements bienvenus

Si l’on doit faire un bilan historiographique de cette séquence stupéfiante, notons qu’elle n’a pas reçu, dans les deux dernières décennies, le même degré d’attention de la part des chercheurs que la période stalinienne, revisitée grâce à des archives nouvellement disponibles. Toutefois, l’étude des révolutions russes a fait l’objet de décloisonnements bienvenus.

Dans l’espace d’abord : quittant la scène centrale de Petrograd et du palais de Tauride, siège agité des institutions révolutionnaires, de nombreux travaux – hélas non traduits – ont interrogé l’événement à l’échelle de l’empire russe et de ses marges, à Moscou, Smolensk ou Bakou ; en Sibérie et le long de la Volga. Décloisonnement dans le temps, ensuite, de plus en plus d’historiens se montrant soucieux de situer « 17 » au cœur d’un cycle de troubles bien plus large, allant de la révolution de 1905 et de la Grande Guerre, longtemps négligée, aux derniers soubresauts de la guerre civile, au début des années 1920.

C’est dans cette temporalité élargie que s’inscrivent trois ouvrages publiés à l’occasion du centenaire, un très riche témoignage contemporain parcourant la Russie et l’Ukraine, et deux travaux de recherche plus classiquement centrés sur Lénine. Celui de l’historienne britannique Catherine Merridale entame son étude du chef bolchevik au temps de son exil à Zurich, en 1916. Il propose un récit détaillé de ses pérégrinations vers la Russie révolutionnaire, non dans un « wagon plombé » comme on l’a souvent dit, mais dans un train spécialement affrété et surveillé par l’Allemagne, convaincue de pouvoir affaiblir son ennemi russe en rapatriant ce pacifiste exalté.

L’auteure souligne l’étrangeté de ces accointances, entre le très autoritaire et aristocratique gouvernement impérial allemand et le militant révolutionnaire. Ses pages les plus riches restituent des aspects concrets et méconnus de la période, la difficulté de voyager dans l’Europe en guerre, le paysage interlope des pays neutres grouillant d’espions, les trafics et stratagèmes des révolutionnaires pour faire passer les frontières à leurs journaux ronéotypés : « Il y avait aussi un cordonnier à Haparanda [à la frontière suédo-finlandaise] qui pouvait coudre les précieux feuillets dans les semelles de ses chaussures de cuir. »

Austère compagnonnage

Documenté, le livre mêle toutefois témoignages d’époque et souvenirs reconstruits ; surtout, son propos, brouillon, cède quelquefois à des raccourcis interprétatifs peu nuancés : « Lénine appelait à un bain de sang », écrit l’historienne en commentant ses positions de 1915-1916. Le contraste est net avec l’étude que Dominique Colas consacre à Lénine politique. Il est en effet difficile de trouver, sur le même sujet, deux livres plus dissemblables : fourre-tout anecdotique dans le premier, épure analytique dans le second ; ici, un trop-plein de couleur locale et de seconds rôles, là, l’austère compagnonnage du verbe de Lénine comme seul protagoniste.

Il s’agit moins d’une biographie, en effet, que d’une exégèse des écrits et de la pensée du chef bolchevik, comme clé d’interprétation de la période qui vit naître le régime soviétique. Le travail vient de loin : professeur émérite à Sciences Po, Dominique Colas avait consacré sa thèse, soutenue en 1980, au léninisme. Il en prolonge les analyses à travers un plan mêlant récit chronologique et chapitres thématiques (sur le culte du chef, l’Internationale communiste ou encore l’antisémitisme). De longs passages sont consacrés aux « ennemis » de Lénine, parmi lesquels les « parasites » trop nantis, et surtout les paysans vus comme obstacles et pris pour cibles : « la répression de masse ne fut pas un accident », démontre l’auteur, soucieux de souligner la cohérence de sa pensée, le caractère performatif de ses innombrables écrits.

Cette focalisation sur l’idéologie – sa construction, son martèlement – a un coût : elle évacue la trajectoire de Lénine, ainsi que sa psychologie. L’auteur ne cherche pas à explorer les contradictions de ce dirigeant « fanatique » qui aimait pourtant les fleurs et la musique. C’est heureux, en un sens : l’homme Lénine est insaisissable autant qu’ascétique, et l’effort biographique vers lui reste souvent artificiel.

Mais, malgré la finesse des analyses, on perd quelque peu en texture à n’envisager que les écrits. Les autres acteurs de la révolution et les débats historiographiques (sur la prise du pouvoir d’octobre et sa nature de « coup d’Etat révolutionnaire », par exemple) ne figurent ici qu’en filigrane.

Chronique d’une désillusion

Pour saisir l’épaisseur du temps révolutionnaire et les effets pratiques des directives répétées de Lénine sur la « terreur de masse », on lira avec profit le beau témoignage de l’anarchiste Alexandre Berkman. D’origine russe, émigré outre-Atlantique, son activisme l’a conduit, la moitié de sa vie durant, dans des geôles américaines. Libéré et expulsé avec d’autres figures de l’anarchisme, comme Emma Goldman, fin 1919, il parvient en Russie, émerveillé à l’idée de « donner [sa] vie un million de fois au service de la révolution sociale », mais sceptique sur la façon bolchevique de construire l’avenir. Venu de l’étranger, il obtient une relative liberté de circulation qui l’amène au contact de Russes de toutes conditions et même de Lénine, qu’il juge lui aussi « fanatique ».

Le captivant Journal, qu’il tient à partir de 1920, est ainsi la chronique précise d’une désillusion, fourmillant de détails sur les souffrances des populations en ces années de famine et de pogroms, sur les exactions de la Tchéka, mais aussi sur les débats passionnés parmi les militants, ou les expérimentations artistiques et éducatives d’un Lounatcharski. Cette part lumineuse du livre permet de ne pas réduire la période à sa violence, l’élan révolutionnaire à sa trahison. Cette dernière conduira Berkman à un nouvel exil, après l’écrasement de l’insurrection de Kronstadt. A la veille de la naissance de l’URSS, « la révolution est morte, son esprit hurle dans le vide ».

Lénine, 1917. Le train de la révolution (Lenin on the Train), de Catherine Merridale, traduit de l’anglais par Françoise Bouillot, Payot, « Histoire », 400 p., 24 €.

Lénine politique, de Dominique Colas, Fayard, 524 p., 25 € (en librairie le 15 mars).

Le Mythe bolchevik. Journal 1920-1922 (The Bolshevik Myth), d’Alexandre Berkman, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pascale Haas, Klincksieck, « Critique de la politique », 450 p., 23,90 €.

4 mars 2017

Jean Christophe Averty

« Les artistes lui faisaient tous confiance  »

Dans les années 1960-1970, Jean-Christophe Averty a révolutionné la façon de faire de la télé.
Disparition Jean-Christophe Averty est mort hier à l’âge de 88 ans. Pendant plus de trente ans, ce réalisateur de télévision inspiré a révolutionné les émissions de variétés.
Par  Benoit Daragon

Jean-Christophe Averty est mort hier dans la région parisienne, un mois après l’hommage que lui a rendu France 3 le 3 février. Dans le documentaire « les Trésors cachés de la variété », Mireille Dumas avait rappelé combien ce réalisateur de télévision né en 1928 a dépoussiéré les émissions de variétés. Dans les années 1960 et 1970, ce « téléaste » a révolutionné la façon de filmer la musique à la télévision. Pour chaque chanson, il fabriquait des clips où les chanteurs se produisaient en studio, en play-back, sans public et jamais en direct. Ce procédé lui permettait de soigner les décors, d’ajouter des trucages vidéo et de déployer des prises de vues graphiques.

Une référence pour les émissions actuelles
En 1963, Jean-Christophe Averty se fait remarquer avec l’émission de chansons et de sketchs « les Raisins verts ». Il a popularisé, dans plus de 500 émissions, ses artistes préférés : Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Yves Montand, Françoise Hardy ou Henri Salvador. « C’était le réalisateur vedette avec qui tout le monde avait envie de travailler », rappelle Françoise Hardy dans le documentaire que France 3 rediffusera la semaine prochaine. « Totalement avant-gardiste », renchérit Jane Birkin, tandis que Sylvie Vartan rend hommage à sa modernité : « Il a fait bouger la télévision qui était un peu ennuyeuse. »

« Ces centaines d’heures de télévision qu’il a réalisées constituent une véritable œuvre où perce une pointe de surréalisme et même de dadaïsme. Tout ça, avec une esthétique soignée. C’était un immense artiste », applaudit Mireille Dumas, fière d’avoir pu rendre hommage, de son vivant, à l’homme qui présenta « les Cinglés du music-hall » de 1978 à 2006 sur les antennes de Radio France.

Aujourd’hui, ces effets spéciaux semblent un peu désuets, mais donnent à ses réalisations un charme fou. « Ses compositions hyper-graphiques restent une référence pour les émissions d’aujourd’hui », assure le réalisateur Tristan Carné (« The Voice », « Danse avec les stars » ou « les Enfoirés »). « Les artistes lui faisaient totalement confiance. Aujourd’hui, les chaînes et les chanteurs prennent moins de risques. Mais quand un chanteur comme Stromae nous laisse jouer avec son univers en le faisant dialoguer avec son double féminin dans le Grand Jour nal, ça paye à l’image, comme le savait parfaitement Averty ! »

jean christophe averty

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