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Jours tranquilles à Paris
22 septembre 2020

Portrait - Laurent Joffrin part en courant (social-démocrate)

joffrin

Par Laurent Telo - Le Monde

Après quarante ans à commenter la politique, l’ancien directeur de « Libération » lance le mouvement « Engageons-nous ». Soucieux de revitaliser un pôle de centre gauche, et peut-être de préparer un retour de Hollande, l’ex-journaliste publie également « Anti-Macron ».

On aurait adoré lire l’éditorial de Laurent Joffrin dans Libération sur le lancement d’« Engageons-nous », nouvel objet de curiosité politique, embryon de mouvement social-démocrate qui voudrait sauver la gauche à la présidentielle de 2022. Un édito, comme toujours inspiré et raisonnablement sentencieux, qui nous aurait aidés à nous faire une idée sur la nature profonde de ce « club » politique et à mesurer ses chances de prospérité ou d’évaporation dans les limbes d’un paysage déjà bien encombré à gauche. Hélas, les lecteurs de Libé resteront frustrés, car le promoteur et chef de file de ces nouveaux « engagé(e)s », c’est Laurent Joffrin lui-même.

Il est passé de l’autre côté d’un miroir qu’il contemple depuis quarante ans. Le 16 juillet 2020, l’« engagé » Joffrin, 68 ans, a quitté la direction du quotidien pour officialiser, quatre jours plus tard, sa présidence à la tête de ­l’association Les Engagés qui, selon son texte constitutif, « se propose de rassembler toutes les forces, issues de la société civile et des partis politiques, qui désirent créer ensemble une force alternative pour une gauche sociale écologique et républicaine ».

En clair, cette (encore toute petite) PME politique voudrait suturer une gauche fracturée et éviter un second tour Macron-Le Pen. Avec l’ambition de faire mieux que Place publique, mouvement avorté, incarné avant les dernières européennes, par l’essayiste Raphaël Glucksmann, devenu depuis député européen. « Le rêve de l’affaire, intervient Laurent Joffrin, c’est d’élaborer des idées, de les diffuser, puis de recomposer et d’élargir ce que j’appelle la gauche de l’action, apte à gouverner », celle qui se situe, grosso modo, entre le centre et les « insoumis ».

« POUR LUI, C’EST INADMISSIBLE QUE CETTE PENSÉE SOCIALE-DÉMOCRATE AIT DISPARU. SON ENGAGEMENT, C’EST LE REFLET DE LA SOUFFRANCE D’UN INTELLECTUEL DE GAUCHE. » MICHEL SAPIN, ANCIEN MINISTRE SOCIALISTE

Joffrin n’est pas un grand expansif : « Je suis battant et optimiste. » Il est aussi confiant en ses débuts : « On est passé de 140 signataires de l’appel originel – dont Patrick Pelloux, la politologue Géraldine Muhlmann, Agnès Jaoui, Benjamin Biolay… – à 4 600 signatures au bout d’un mois. » Une trame narrative est prévue : quatorze groupes de travail thématiques ont été constitués, une plate-forme programmatique est prévue pour Noël, un congrès constitutif pour janvier 2021.

Mais le flou de l’affaire, c’est d’essayer de comprendre ce que Joffrin, 68 ans, vient fiche dans cette galère et s’il se sent compétent pour incarner un éventuel rassemblement derrière sa bannière. Lui qui ne s’est encore jamais confronté à un responsable politique autrement qu’habillé en journaliste et n’a jamais fait un meeting. « Si ! En 2007, après l’élection de Sarkozy, j’ai participé à un meeting de protestation contre les tests imposés aux migrants pour obtenir le statut de résident. »

En fait, explique-t-il, il enjambe un Rubicon, séparant les rôles de commentateur et d’acteur, dont les rives ne sont pas si éloignées que cela. Michel Sapin, ancien ministre socialiste, n’y voit d’ailleurs aucune incohérence : « Laurent a toujours été engagé en termes de pensée. On en a parlé. Pour lui, c’est inadmissible que cette pensée sociale-démocrate ait disparu. Son engagement, c’est le reflet de la souffrance d’un intellectuel de gauche. » En route pour un « Joffrin, président ! » en 2022 ? « Je ne veux pas me faire élire, assure-t-il, mais il prévient quand même : Si personne ne veut y aller, il faudra bien que quelqu’un se dévoue. » On n’en est évidemment pas là.

L’un de ses meilleurs amis, Christophe Lannelongue, haut fonctionnaire, essaye de nous circonscrire les ambitions d’un nouveau leader politique assez « insaisissable, qui ne s’épanche pas beaucoup par nature mais qui est heureux d’avoir franchi le pas ». Lannelongue est surtout réaliste : « Je le vois comme un passeur, comme un super-secrétaire des débats, comme un super-animateur de cette reconstruction dont il veut être un militant important. »

« ON SE DEMANDE SI LES GENS VONT ADHÉRER, S’ILS NE VONT PAS TROUVER ÇA RIDICULE. » LAURENT JOFFRIN

A l’origine, il y a une discussion informelle avec l’ancien premier ministre Bernard Cazeneuve en début d’année, puis un appel « que j’ai rédigé tout seul, comme une bouteille à la mer et qui semble avoir trouvé un écho… Donc, on se structure ». Ensuite, il y a une nouvelle « aventure » qui se conjugue avec la nostalgie d’un retour « à [ses] premières amours », quand militant aux Jeunesses socialistes, à la fin des années 1970, il gérait la publication Le Crayon entre les dents, avec Denis Olivennes, devenu, ironie de l’histoire, ­directeur général de Libé, depuis quelques semaines. « J’ai senti que j’étais passé de l’autre côté au moment de la conférence de presse du 20 juillet pour le lancement du mouvement, raconte Joffrin. Une trentaine de journalistes, des caméras. C’était agréable. Mais stressant aussi… On se demande si les gens vont adhérer, s’ils ne vont pas trouver ça ridicule. »

Ridicule, c’est le qualificatif qu’a choisi un haut responsable du Parti socialiste – que Joffrin entend « englober et dépasser » – pour qualifier l’initiative « engagé(e) », mais qui ne veut surtout pas commenter publiquement un mouvement « qui ne représente rien et est le fruit d’une petite caste bourgeoise qui s’amuse à faire de la politique le dimanche ».

Aucune personnalité politique

Ils ne sont pas contents au PS. Ils se sont persuadés, ils ne sont pas les seuls, de la duplicité d’un mouvement à double fond qui préparerait le terrain à un retour de François Hollande. Les deux hommes cultivent une proximité politique et humaine depuis plus de trente ans ; les réseaux culturels de Julie Gayet, la compagne de l’ex-président, ont d’ailleurs nourri la liste des premiers signataires.

Officiellement, aucune personnalité politique n’a encore apporté son écot. « Je n’ai pas signé l’appel pour éviter d’alimenter au maximum un procès en récupération qu’on n’évitera pas », précise Michel Sapin. Joffrin assure, lui, que « non, je ne suis pas le faux nez de François Hollande, qui est assez grand pour se présenter tout seul ». Mais il concède : « J’en ai effectivement parlé à plusieurs personnes, dont mon ami Hollande, mais aussi à Cazeneuve, donc, qui m’a fait part de son “scepticisme encourageant”, à Anne Hidalgo ou à Lionel Jospin, qui m’a répondu : “Je pense que vous allez avoir des difficultés avec les appareils.” »

L’un des signataires, le sociologue Michel Wieviorka, fut à l’initiative, avec Daniel Cohn-Bendit, d’un précédent et autre appel avorté pour une grande primaire de la gauche avant la présidentielle de 2017 : « J’ai trouvé son texte très bien. Mais il y aura d’autres initiatives. Donc, je suis un pied dedans, un pied dehors. Je ne suis pas pressé de voir se mettre en place des accords politiques. Il faut d’abord une dynamique idéologique. » Il prévient : « S’il s’avérait qu’il s’agit d’une opération téléguidée par François Hollande, je m’éloignerais, comme d’autres, de ce projet. »

« LAURENT JOFFRIN NE NOUS A JAMAIS PRÉVENUS DE SON INITIATIVE. (…) ON AURAIT AIMÉ AVOIR UN PEU PLUS DE CONSIDÉRATION. MAIS, APPAREMMENT, LE PLUS IMPORTANT, C’ÉTAIT SON PLAN COM’. » WILLY LE DEVIN, JOURNALISTE À « LIBÉRATION »

Reste à savoir comment Joffrin et son club seront traités par Libération, LE grand journal de sa carrière, hormis quelques allers-retours à la tête de L’Obs. Il désirait continuer à écrire des éditos malgré sa nouvelle fonction, mais la rédaction ne lui a pas laissé le choix. « On voulait à tout prix éviter que Libé soit pris dans une zone grise avec une double casquette bizarroïde », martèle Willy Le Devin, journaliste et président de la société des rédacteurs. Contrairement à l’usage, il n’y a eu ni passation de pouvoir ni pot de départ au sein du quotidien.

« Laurent Joffrin ne nous a jamais prévenus de son initiative, poursuit Le Devin. On a appris le lancement par la bande, quatre jours avant… Lunaire. On aurait aimé avoir un peu plus de considération. Mais, apparemment, le plus important, c’était son plan com’. Il a totalement raté sa sortie. » Joffrin se défend : « Si j’avais prévenu longtemps à l’avance, il y aurait eu des fuites. Et si ça se trouve, mon appel n’aurait eu aucun écho. »

Donc, Libé parlera-t-il de Joffrin ? « Il n’est pas blacklisté, assure Le Devin. On en parlera si ça prend. » Le lancement du mouvement « joffrinien » – on dit bien jospinien, non ? – s’accompagne de la parution d’Anti-Macron (Stock) le 23 septembre, une compilation des lettres politiques que l’éditorialiste a publiées quotidiennement dans Libé entre 2017 et 2020. L’ouvrage commence par cette phrase : « Il y a un péché originel dans le macronisme, ou une malédiction, comme on veut : la trahison. » On en revient quand même souvent à Hollande.

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21 septembre 2020

C'est dit !!!

eelv

19 septembre 2020

Les Verts - pas de sapin de Noël à Bordeaux, pas de Tour de France à Lyon....

verts

18 septembre 2020

Emmanuel Macron défend « le tournant de la 5G » face au « retour à la lampe à huile »

lampe huile 5 G

Le président s’exprimait devant un rassemblement de responsables d’entreprises françaises de technologie à l’Elysée, alors qu’une partie de la gauche souhaite un moratoire contre la 5G.

Pour Emmanuel Macron, pas de doute : « Oui, la France va prendre le tournant de la 5G. » Le président de la République a lancé cette phrase lundi 14 septembre devant des entreprises du numérique, en ironisant sur ceux qui préféreraient le « retour à la lampe à huile ».

« La France est le pays des Lumières, c’est le pays de l’innovation. On va tordre le cou à toutes les fausses idées. » Le choix de la 5G, « c’est le tournant de l’innovation », a insisté le chef de l’Etat devant une centaine d’entrepreneurs de la « French Tech » réunis dans la salle des fêtes de l’Elysée.

Il s’exprimait au lendemain de la demande de moratoire sur le déploiement de la 5G de 70 élus de gauche et écologistes, dont le chef de file de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon et le député européen (Europe Ecologie-Les Verts) Yannick Jadot. L’attribution des fréquences de cette technologie mobile doit débuter à la fin du mois en France.

« J’entends beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile ! Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine », s’est moqué Emmanuel Macron, en référence à cette communauté religieuse américaine hostile à certaines technologies.

« On ne doit dépendre d’aucune puissance non européenne »

En costume mais sans cravate, le président s’est dit ravi de retrouver le milieu des start-up, au cours du premier événement de grande ampleur organisé à l’Elysée depuis le confinement. « On est en train de démontrer qu’on peut continuer à faire des événements en période Covid », a-t-il dit, même s’il faudra « vivre avec le virus, sans doute pour des semaines, peut-être des années ».

Il a aussi rappelé que le plan de relance de l’économie consacrerait 7 milliards d’euros au secteur du numérique, notamment pour la transformation digitale de l’Etat. Emmanuel Macron a enfin défendu une Europe numérique souveraine. « Sur la 5G et sur beaucoup d’autres sujets, on ne doit dépendre d’aucune puissance non européenne », a-t-il jugé, en appelant notamment à « rouvrir la bataille du cloud ».

Au cours de la soirée, trois entreprises qui ont affiché des performances particulièrement remarquables cette année devaient présenter leur activité : l’éditeur de jeux vidéo mobiles Voodoo, devenu une « licorne » – il est donc désormais valorisé à plus de 1 milliard de dollars (842 millions d’euros) – en faisant entrer à son capital le groupe chinois Tencent, la start-up Mirakl (création de places de marché) et Innovafeed (protéines d’insectes).

17 septembre 2020

La convention climat amère après la sortie d’Emmanuel Macron

Les 150 citoyens dénoncent un « pied de nez » du chef de l’Etat, alors qu’un moratoire sur la 5G figure parmi leurs propositions C’ est une boutade qu’ont peu goûtée les membres de la convention citoyenne pour le climat. « Oui, la France va prendre le tournant de la 5G », a lancé Emmanuel Macron, lundi 14 septembre, devant des entreprises du numérique, en ironisant sur ceux qui préféreraient « le modèle amish » et le « retour à la lampe à huile », au lendemain de la demande de moratoire de 70 élus de gauche et écologistes. « Cette demande masque mal les arrièrepensées politiques qui la sous­tendent », a renchéri Cédric O, le secrétaire d’Etat chargé de la transition numérique, dans Le Monde, lui opposant une fin de non­recevoir. Mais cette demande de moratoire fait partie des 149 mesures de la convention, cette expérience de démocratie participative mise en place par le président pour apporter des solutions à la crise climatique. Or, fin juin, le chef de l’Etat s’est engagé à toutes les reprendre à l’exception de trois « jokers », dont ne fait pas partie la 5G. « Cela ressemble fort à un quatrième joker, regrette Grégoire Fraty, coprésident de l’association Les 150, qui regroupe les citoyens de la convention. Nous demandons le respect de la parole donnée et de la consultation citoyenne. » « C’est un pied de nez à nos mesures et à la démocratie », abonde Agnès Catoire, gestionnaire de paye, rappelant que 98 % des citoyens de la convention ont voté pour cette proposition de moratoire. Les 150 Français tirés au sort ne sont « pas foncièrement contre la 5G, et certains parmi nous y sont favorables », assure­t­elle, mais ils demandent une étude d’impact sanitaire et environnemental avant d’accorder des licences. Deux organismes devraient s’en charger, l’Agence de la transition écologique, d’ici novembre, et l’Agence nationale de sécurité sanitaire, d’ici mars 2021. Pour l’un des garants de la convention, le réalisateur Cyril Dion, « cela signifie que le gouvernement ne mettra jamais la question climatique au premier plan face aux enjeux de compétitivité, que seules les propositions compatibles avec la “croissance verte” prônée par le premier ministre seront reprises ». « Petites phrases » L’inquiétude et l’incompréhension des citoyens, amplifiée par les accusations de reniement portées par les ONG, ne sont pas passées inaperçues au sommet de l’Etat. Mardi soir, Emmanuel Macron a répondu à la convention citoyenne, sur Twitter, que « la 5G sera déployée en pleine transparence, avec à chaque étape toutes les garanties environnementales et sanitaires », appelant à ne pas créer de « polémique ». Une « exigence » confirmée, dans la foulée, par la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, tandis que Cédric O s’engageait à rencontrer les citoyens de la convention. Cette réponse coordonnée n’a pas suffi à rassurer. « On se demande si ça va être pareil avec les 145 autres propositions, s’interroge Grégoire Fraty. Ces petites phrases usent la patience des citoyens et ancrent des rapports de force qui n’ont pas lieu d’être car nous ne sommes pas des politiques. » Et de citer la dernière attaque en date, celle du ministre délégué aux transports, Jean­Baptiste Djebbari, qui a jugé sur Europe 1, lundi, qu’une écotaxe sur les vols aériens, au programme de la convention, « aurait des impacts tout à fait délétères ». Ce désaveu s’inscrit dans un contexte qui se tend autour de la convention climat, dont les membres sont associés au processus d’élaboration d’un projet de loi qui doit reprendre un tiers de leurs propositions. Samedi 12 septembre, une réunion de concertation sur le trafic aérien, organisée par le ministère de la transitionécologique, a été reportée à mercredi à la demande de citoyens et d’ONG jugeant que « l’équilibre entre les participants » n’était pas assuré, la réunion n’accordant pas suffisamment de place aux représentants de la société civile. Rémi Barroux et Audrey Garric

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12 septembre 2020

Stratégie : quel plan pour le commissaire Bayrou ?

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Par Lilian Alemagna - Libération

Le maire de Pau a été nommé pour mener une mission de prospective sur la politique de l’Etat, avec le «concours de France Stratégie», une structure rattachée à Matignon. Son rôle et ses objectifs demeurent toutefois flous.

De l’art de recycler ce qui existe déjà. François Bayrou a donc enfilé, la semaine dernière, son nouveau costume de «haut-commissaire au plan». Ressuscité dans une fonction créée par De Gaulle, l’ex-ministre et président du Modem devra, non pas s’assurer de la bonne marche du «plan de relance» à 100 milliards d’euros (ça, c’est pour Matignon et Bercy), mais «réfléchir» à la suite : Bayrou est, selon le décret d’attribution signé par le Premier ministre, Jean Castex, «chargé d’animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l’Etat et d’éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels». Un poste (non rémunéré) de réflexion. Pas d’organisation.

On est loin, a priori, d’un Jean Monnet qui, dès 1946, prenant exemple sur les Américains durant la guerre, avait pour rôle de «planifier» les différentes étapes de la reconstruction du pays tout en «modernisant» l’appareil de production français en associant les acteurs des secteurs d’activité concernés, politiques et «experts». «Ce n’est pas une fonction exécutive. Et je n’ai pas voulu que ça le soit, assume Bayrou auprès de Libération. Je ne siège pas au Conseil des ministres. Je suis déterminé à ne jamais entrer en conflit. Car c’est au gouvernement que les décisions appartiennent. Mais ces décisions peuvent être mises en perspective.» Pour cela, ce même décret d’attribution annonce qu’il «dispose du concours de France Stratégie». Comment ? Mystère…

«Instructions»

Le brouillard règne au sein de cet organisme souvent qualifié de «think tank du gouvernement», mais qui tient à son «autonomie». «Les équipes sont assez stressées. Ils n’ont aucune information sur ce qu’il se trame», témoigne un ancien de la maison, logée dans un imposant bâtiment arts déco de l’avenue de Ségur, à Paris. L’immeuble, après d’importants travaux de modernisation, regroupe depuis 2017 plusieurs services rattachés au Premier ministre comme le Conseil d’analyse économique ou encore le Conseil d’orientation des retraites.

«C’est normal que des questions se posent, tempère Bayrou. Je vais donner des instructions, des orientations d’études. Le problème principal de France Stratégie est qu’il y a beaucoup de gens brillants, diplômés, qui produisent beaucoup d’études mais dont l’écho n’est pas proportionnel à leur valeur. Il faut de la cohérence et une capacité à faire connaître ce travail auprès des citoyens.»

«On n’a pas envie d’être vus comme un hochet, alerte un chercheur. On espère que la mission sera prise au sérieux.» Une «mission» de haut-commissaire au plan qui, sur le papier, n’a pas l’air si différente de ce qui se fait déjà à France Stratégie. Créé en 2013, le «Commissariat général à la stratégie et à la prospective» - nom officiel de France Stratégie - était déjà censé redonner vie à l’idée de «plan», disparue sous Chirac et Villepin en 2006, et alimenter en «prospective» un pouvoir accusé d’être le nez dans le guidon politicien. Le décret signé par le Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, donnait pour objectif aux près de 100 collaborateurs de France Stratégie d’aider le gouvernement dans «la détermination des grandes orientations de l’avenir de la nation et des objectifs à moyen et long terme de son développement économique, social, culturel et environnemental ainsi que pour la préparation des réformes décidées par les pouvoirs publics».

Comment ? En conduisant des «travaux de prospective» afin «d’éclairer les pouvoirs publics», en produisant des «études stratégiques permettant d’éclairer l’action du gouvernement et la préparation des réformes», ou encore en «évaluant» certaines politiques publiques. Ses axes de travail actuels : «Soutenir et financer la croissance», «les futurs du travail», «mieux protéger et donner plus de chances aux individus», «climat et territoires». Peu ou prou le nouveau job confié à François Bayrou… Problème : un homme s’occupe déjà d’« organise[r] les travaux» de France stratégie, comme le précise ce même décret de 2013. Il s’agit de Gilles de Margerie, actuel commissaire général de l’institution.

Cet énarque de 65 ans, passé par le secteur bancaire et éphémère directeur de cabinet d’Agnès Buzyn, a été nommé à ce poste en 2018 par Edouard Philippe. Il remplaçait alors l’ex-conseiller social de François Hollande, Michel Yahiel, débarqué après avoir eu l’idée (trop à gauche pour Matignon) de taxer les propriétaires en cas de nouvelle crise économique. Avant lui, le poste avait été taillé sur mesure par François Hollande pour l’économiste Jean Pisani-Ferry, l’un des architectes de ce nouveau Commissariat général puis corédacteur du programme économique d’Emmanuel Macron en 2017. Selon plusieurs sources, Margerie - muet depuis la nomination de Bayrou - n’a pas été associé à la création du nouveau poste de Bayrou. «Ils sont un peu deux sur un fauteuil. Ça va être compliqué», remarque un habitué des lieux qui rappelle notamment que les «recrutements» ou «les axes de travail» restent du domaine de Margerie tant qu’un autre décret n’est pas pris pour confier ces pouvoirs à Bayrou. «On attend avec impatience la lettre de mission signée par Macron», confie un responsable de France Stratégie. A Matignon, on assure qu’il n’existera «pas de relation hiérarchique entre le commissaire général et le haut-commissaire mais un lien fonctionnel qui lui permettra de mener à bien sa mission».

Visibilité

L’ex-ministre de l’Education et de la Justice doit d’ailleurs s’installer avenue de Ségur, de manière «provisoire», précise-t-on dans l’entourage du Premier ministre. Il aura droit, comme Jean-Paul Delevoye en son temps pour préparer la réforme des retraites, à «quelques collaborateurs» à lui et un budget propre toujours «en cours de fixation». En interne, les témoignages récoltés par Libération font état d’un personnel «mitigé» quant à la nomination d’un politique à leur tête. Autant, pointe un universitaire, «cela va donner de la visibilité à une structure qui n’en a plus depuis trois ans», autant, prévient le même, le risque est de voir le patron du principal parti allié à Emmanuel Macron transformer l’institution en «boîte à idées du gouvernement en vue de préparer la campagne présidentielle» du président sortant. «Je ne confonds en rien les domaines», a juré la semaine dernière Bayrou sur France 2.

Mais une partie des équipes de France Stratégie s’inquiète également de son «autonomie» lorsqu’il s’agira de livrer des évaluations sur des sujets économiques à très fort potentiel politique. Exemple : la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et la création d’un prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus du capital. France Stratégie a la charge, via un «comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital» installé fin 2018, de dire si ces réformes fiscales qui ont marqué le début du quinquennat Macron ont rempli leur objectif de «réorientation» de l’argent des plus aisés vers le financement de «l’économie réelle». «Est-ce que cela va être poursuivi, on ne sait pas», s’inquiète un permanent. Bayrou jure qu’il ne bloquera aucun rapport gênant pour Macron. «J’ai toujours voué un culte à l’impartialité», dit-il à Libération. Sur la fiscalité du capital, le premier rapport, en 2019, avait conclu qu’il était trop tôt pour tirer la moindre conclusion. Le rapport 2020 est attendu pour l’automne. Un premier test.

12 septembre 2020

« Singes » et « nègres » : Sarkozy crée la polémique

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« On a peut-être le droit de dire "singe" sans insulter personne », a lancé Nicolas Sarkozy sur le plateau de « Quotidien». Capture d’écran TMC/Quotidien,

L’association d’idées entre « singes » et « nègres » faite par Nicolas Sarkozy, jeudi soir, dans l’émission « Quotidien », a valu à l’ancien président de la République une avalanche de critiques.

« On a le droit de dire singe ? Parce qu’on n’a plus le droit de dire les… On dit quoi maintenant, "Les Dix petits soldats", c’est ça ? » En faisant référence au changement de nom du roman d’Agatha Christie « Les Dix petits nègres » rebaptisé « Ils étaient dix », Nicolas Sarkozy a semé un certain malaise chez nombre de téléspectateurs, jeudi soir, sur la chaîne TMC, lors de l’émission « Quotidien ».

???? pic.twitter.com/bWR0MqvwhV— Julien Paniac (@JulienPaniac) September 10, 2020

L’ancien président de la République revenait, plus généralement, sur l’importance des mots en politique, et notamment sur son fameux « racailles » : « Si on n’emploie pas des mots que les gens entendent et qui leur signifient que nous, qui sommes privilégiés, nous comprenons dans quel enfer ils vivent, à ce moment-là, si vous ne faites pas ça avec des bons mots, vous décrochez toute une partie de la population », estime-t-il.

Nicolas Sarkozy a alors critiqué « cette volonté des élites qui se pincent le nez, qui sont comme les singes, qui n’écoutent personne ». Et de conclure cette séquence d’une trentaine de secondes par un : « On a peut-être le droit de dire "singe" sans insulter personne ».

Sur Twitter, une kyrielle de politiques, d’artistes et d’utilisateurs du réseau social ont fustigé la séquence. C’est le cas de la députée insoumise de Paris, Danièle Obono : « Nicolas "On-Peut-Pu-Rien-Dire" Sarkozy, petit ex-président de la République française, grand inspirateur de la droite/droite extrême/extrême-droite décomplexée », a tancé l’élue, elle-même dessinée en esclave dans le magazine Valeurs Actuelles.

Des réactions outrées à gauche

Le chef du Parti socialiste, Olivier Faure, a vu dans l’association de mots faite par l’ancien chef de l’Etat un «racisme sans masque», l’ex-candidate PS à la présidentielle, Ségolène Royal, estimant que «c’est hélas dans la droite ligne de son lamentable discours de Dakar» de 2007, où il avait affirmé que « l’homme africain » n’était «pas suffisamment entré dans l’Histoire».

6 septembre 2020

Enquête - A la recherche de l’insaisissable macronisme

Par Thomas Wieder - Le Monde

Libéral mais pragmatique avant tout, le chef de l’Etat parvient à cultiver une rhétorique antisystème tout en occupant le centre de l’échiquier politique. Trois ans et demi après l’élection présidentielle, définir sa « doctrine » semble être une gageure.

C’était le 13 avril. Ce soir-là, pour la troisième fois depuis le début de l’épidémie de Covid-19, Emmanuel Macron s’adressait aux Français depuis l’Elysée. Face à 36 millions de téléspectateurs confinés – un record d’audience absolu pour une allocution présidentielle –, le chef de l’Etat déclara notamment ceci : « Nous sommes à un moment de vérité qui impose plus d’ambition et plus d’audace. Un moment de refondation. (…) Ne cherchons pas tout de suite à y trouver la confirmation de ce en quoi nous avions toujours cru. Non. Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier. »

Se « réinventer » ? La formule, teintée d’autocritique, en rappelait d’autres. « J’ai changé, parce que j’ai eu à supporter le poids des affaires pendant sept ans », avait lancé Valéry Giscard d’Estaing, le 5 mai 1981, lors du débat d’avant second tour qui l’opposait à François Mitterrand. « Je serai différent, parce que j’ai déjà été président pendant cinq ans. Et on ne reproduit pas les erreurs qu’on a pu commettre », avait déclaré Nicolas Sarkozy à Paris Match, un mois avant la présidentielle de 2012.

Une nouvelle « révolution »

L’analogie s’arrête là. Contrairement à ses prédécesseurs, qui tinrent ces propos en pleine campagne pour leur réélection, Emmanuel Macron est encore loin de la fin de son mandat. Mais, surtout, les mots qu’il prononça le 13 avril sont bien plus forts que ceux de Valéry Giscard d’Estaing ou de Nicolas Sarkozy. En promettant ni plus ni moins de se « réinventer », l’actuel chef de l’Etat a choisi, ce soir-là, de renouer avec l’imaginaire qu’il convoqua au moment de se lancer à la conquête de l’Elysée, et que résumait le titre du livre qu’il publia à l’époque : Révolution (éditions XO, 2016).

Depuis la crise liée au Covid-19, une nouvelle « révolution » macronienne serait donc en marche. Six mois plus tard, il est sans doute prématuré de vouloir en mesurer la portée. En revanche, il n’est pas trop tôt pour évaluer la nature de la première. Après tout, c’est le président lui-même qui invite à dresser un tel bilan : en prétendant aujourd’hui se « réinventer », il s’expose logiquement à ce que l’on s’interroge sur ce qu’il a « inventé » jusqu’à présent. Telle est la question que Le Monde a posée à une douzaine d’analystes et de chercheurs de différentes disciplines, français et étrangers, et que l’on peut formuler ainsi : le « macronisme » existe-t-il ?

« AU FOND, C’EST UNE SORTE DE SYNTHÈSE ENTRE PIERRE MENDÈS FRANCE ET JACQUES CHABAN-DELMAS », L’HISTORIEN BRITANNIQUE SUDHIR HAZAREESINGH

Trois ans et demi après l’élection présidentielle, certains estiment que ce que le candidat Macron avait promis de nouveau en termes d’offre politique n’a guère résisté à l’épreuve du pouvoir. C’est le regard que porte l’historien britannique Sudhir Hazareesingh. Professeur à l’université d’Oxford, ce spécialiste de la France contemporaine estime que l’actuel chef de l’Etat est avant tout « l’héritier d’une longue tradition technocratique qui est apparue au XIXe siècle avec le saint-simonisme, mais qui ne s’est vraiment consolidée que sous la Ve République ».

Pour Sudhir Hazareesingh, tel est le sens profond du « et droite et gauche » promu par Emmanuel Macron en 2017 et qui, trois ans plus tard, demeurerait la véritable identité politique du président de la République. « Sur le plan idéologique, Macron reste difficile à définir : il y a en lui du libéral et du pragmatique, du modernisateur et du gestionnaire, explique l’universitaire d’Oxford. Au fond, c’est une sorte de synthèse entre Pierre Mendès France et Jacques Chaban-Delmas. Ou, si l’on pense à la génération d’après, entre Michel Rocard, dont il a dit à sa mort [en 2016] qu’il était pour lui un “exemple”, et Alain Juppé, dont il a nommé le plus proche collaborateur, Edouard Philippe, au poste de premier ministre. »

Sans totalement contester la pertinence d’une telle généalogie, la philosophe Blandine Kriegel, professeure émérite de l’université Paris-X-Nanterre, la considère toutefois comme réductrice, et estime qu’elle masque ce qui fait la singularité du macronisme. « Comme Mendès ou Rocard, Macron incarne une gauche modernisée. Mais, contrairement à eux, il n’est pas passé du socialisme au libéralisme », assure cette spécialiste de la République et de l’idée de souveraineté.

Est-ce à dire que le chef de l’Etat n’est pas « libéral » ? « Si, mais le réduire à cela, comme on le fait trop souvent, empêche de voir le reste et notamment l’intérêt qu’Emmanuel Macron – en disciple de Paul Ricœur – accorde au symbolique et au religieux », souligne Blandine Kriegel.

« Le libéralisme est pour lui une évidence »

De ce point de vue, la question générationnelle est sans doute déterminante pour situer le « macronisme » sur le plan doctrinal. Né en 1977, Emmanuel Macron est entré dans l’âge adulte après la fin de la guerre froide, autrement dit, à l’époque où le libéralisme semblait avoir définitivement triomphé du socialisme.

« Pour lui, le libéralisme est une évidence, et c’est peut-être pour cela que ce dernier lui apparaît comme insuffisant. A la différence d’un libéral classique, il pense que les hommes ne vivent pas que de pain, qu’il y a dans la vie humaine des questions qui dépassent notre finitude, et que les débats d’aujourd’hui ne sont pas seulement économiques et sociaux, mais aussi culturels et spirituels », insiste Blandine Kriegel.

Professeure de science politique à l’université Paris-II-Panthéon-Assas, Sylvie Strudel estime, elle aussi, que le qualificatif « libéral » ne convient qu’imparfaitement pour situer le chef de l’Etat sur l’échiquier politique. Plus le temps passe, plus elle en est d’ailleurs convaincue.

« Candidat, Emmanuel Macron pouvait être qualifié de social-libéral, dans sa volonté à la fois de libérer l’économie et de préserver le modèle social. Au début de sa présidence, la dimension libérale l’a très rapidement emporté, avec la suppression de l’impôt sur la fortune ou les réformes du marché du travail et de la SNCF. Mais depuis les “gilets jaunes” et, de façon encore plus spectaculaire, depuis le début de l’épidémie de Covid-19, on est entré dans une politique économique beaucoup plus interventionniste », explique Sylvie Strudel, pour qui une expression résume ce renoncement aux dogmes libéraux : le « quoi qu’il en coûte » martelé à deux reprises par Emmanuel Macron à la télévision, le 12 mars, à propos des moyens prêts à être déployés pour « protéger [les] salariés et [les] entreprises » des conséquences économiques de la crise sanitaire.

« Les références utilisées par le président depuis le début de la pandémie marquent une rupture très nette avec les précédentes », constate également Myriam Revault d’Allonnes, professeure émérite à l’Ecole pratique des hautes études.

Un exemple l’a particulièrement frappée : le choix fait par Emmanuel Macron, dans son allocution du 13 avril, de citer la deuxième phrase de l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (« Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune »). « On est là en contradiction totale avec la métaphore des “premiers de cordée”. Cette absence de cohérence est très troublante », estime la philosophe, qui vient d’achever la rédaction d’un essai intitulé L’Esprit du macronisme (à paraître en janvier 2021 aux éditions du Seuil).

« ALORS QU’HOLLANDE AVAIT LE  “EN MÊME TEMPS” HONTEUX, MACRON L’ASSUME EN LE PARANT D’UN AIR GLORIEUX », LA SÉMIOLOGUE CÉCILE ALDUY

Sous la Ve République, Emmanuel Macron n’aura pas été le premier à devoir radicalement changer, en cours de mandat, de politique économique. En 1983, François Mitterrand avait fait le chemin inverse en se convertissant à la « rigueur ». Fin 2008, le plan de relance présenté par Nicolas Sarkozy pour répondre au choc de la crise des subprimes contraignit le candidat de la « rupture » libérale à se transformer en keynésien classique.

En cela, le « macronisme » s’inscrit dans une longue histoire, et l’épreuve du pouvoir aura montré qu’il est bien davantage un pragmatisme qu’un dogmatisme, en dépit du goût affiché par le chef de l’Etat pour les débats théoriques. « Emmanuel Macron est un amoureux des idées mais c’est tout sauf un idéologue », estime ainsi la sémiologue Cécile Alduy, professeure à l’université Stanford (Etats-Unis).

Pour cette spécialiste de l’analyse des discours politiques, ce paradoxe est précisément l’une des forces du chef de l’Etat. « Macron s’est d’emblée affiché comme celui qui était capable de réconcilier les contraires. C’est ce qui le distingue fondamentalement de François Hollande. Dans le fond, leurs politiques ne sont pas très éloignées l’une de l’autre, mais alors qu’Hollande avait le “en même temps” honteux, Macron l’assume en le parant d’un air glorieux », explique Cécile Alduy.

Sur le plan de l’incarnation, les deux postures sont radicalement différentes. « Hollande donnait le sentiment de ne pas assumer ses contradictions. Macron, à l’inverse, les revendique pour les intégrer à une sorte de performance théâtrale dans laquelle il se voit comme un héros romantique confronté à l’histoire et à ses tournants successifs. » Vu ainsi, le macronisme aurait donc moins à voir avec une doctrine qu’avec une posture.

Correspondant du New York Times à Paris, Adam Nossiter partage lui aussi cet avis. « Macron est fondamentalement un pragmatique capable de s’adapter avec une réactivité impressionnante aux circonstances du moment, le tout sans se laisser impressionner », observe le journaliste. A ses yeux, cette souplesse idéologique ne doit toutefois pas créer l’illusion selon laquelle le macronisme serait dépourvu de tout centre de gravité.

« Pour moi, il y a chez Emmanuel Macron quelque chose de très proche des républicains américains, du moins des républicains classiques, pas des trumpistes. Comme eux, il croit d’abord à l’égalité des opportunités, autrement dit qu’il est plus important de permettre aux individus de réussir que d’aplanir les inégalités sociales existantes », affirme Adam Nossiter. Aujourd’hui encore, il reste marqué par la vidéo postée sur les réseaux sociaux, en juin 2018, où l’on voit le chef de l’Etat fulminer en bras de chemise depuis son bureau contre le « pognon de dingue » que les minima sociaux coûteraient au pays : « Ce n’était pas un accident. Macron pense fondamentalement cela, même s’il a compris, depuis, qu’il vaut mieux éviter de le dire quand on préside la France. »

L’angle de la « logique » populiste

Cette difficulté à cerner le « macronisme » sur le plan de la doctrine a conduit certains chercheurs à analyser celui-ci en recourant à une notion que la plupart des partisans du président français refusent d’associer à celui-ci : celle de populisme.

Telle est l’hypothèse qu’ont récemment défendue Charles Barthold (Open University, Londres) et Martin Fougère (Hanken Schools of Economics, Helsinki) dans un long article de la revue Organization. Les deux chercheurs ont conscience de l’incompréhension que peut susciter leur thèse si l’on envisage le populisme en tant qu’idéologie, à l’image du communisme, du fascisme ou du libéralisme. Si l’on considère en revanche le populisme comme une « logique », dans la lignée des travaux du philosophe argentin Ernesto Laclau (1935-2014), la façon dont Emmanuel Macron a conquis le pouvoir entre parfaitement dans cette catégorie.

« Pour Laclau, le populisme se caractérise par deux traits principaux : la formulation d’un discours articulant des éléments hétérogènes et la définition d’une nouvelle frontière politique, d’un nouveau clivage », rappellent ainsi les deux chercheurs. Or, c’est précisément ce qu’a réussi à faire Macron en 2017, poursuivent-ils : « D’un côté, un programme volontairement vague placé sous le mot d’ordre très général de “progressisme” ; de l’autre, la référence à un nouveau clivage impliquant la désignation d’un ennemi clairement identifié : la vieille classe dirigeante, les partis traditionnels, l’ancien monde. »

Au fond, là réside peut-être la principale singularité de la geste macronienne : une capacité à articuler une rhétorique antisystème généralement prisée par les extrêmes, en occupant un espace politique résolument centriste, à l’image des électeurs qui lui ont donné leur voix au premier tour de la présidentielle de 2017, venus tout à la fois du centre gauche et du centre droit.

« MACRON, COMME OBAMA ET RENZI, INCARNE UN “POPULISME BLANC”, HUMANISTE ET INCLUSIF, DANS LE DROIT-FIL DE LA PHILOSOPHIE DES LUMIÈRES », STEFAN SEIDENDORF, POLITISTE ALLEMAND

Pour l’historien et politiste allemand Stefan Seidendorf, directeur adjoint de l’institut franco-allemand de Ludwigsburg (Bade-Wurtemberg), la démarche en rappelle d’autres. « Barack Obama, aux Etats-Unis, ou Matteo Renzi, en Italie, sont arrivés au pouvoir de façon très comparable. Eux aussi voulaient secouer le vieux système politique, eux aussi sont allés très loin dans la critique de l’establishment », explique-t-il.

De là à parler de populisme ? « Oui, mais à condition de bien faire la différence entre deux types de populisme, précise Stefan Seidendorf. Macron, comme Obama et Renzi, incarne ce qu’on peut appeler un “populisme blanc”, humaniste, inclusif, dans le droit-fil de la philosophie des Lumières et ouvert au reste du monde, ce dont témoigne son engagement européen, sur lequel il a eu l’audace assez forte de faire campagne en 2017. Tout l’inverse de ce qu’on peut qualifier de “populistes noirs”, comme Donald Trump ou Marine Le Pen, qui défendent une société fermée, articulée autour des valeurs traditionnelles, et repliée derrière les frontières nationales. »

Cette promesse de s’attaquer aux scléroses de la vie démocratique a-t-elle été tenue ? Sur ce point aussi, les avis des chercheurs sont partagés. Pour certains, le chef de l’Etat n’est pas resté inactif dans ce domaine. « On ne peut pas juste dire qu’Emmanuel Macron, une fois au pouvoir, a tout oublié. Certes, sa façon de gouverner a été d’emblée très verticale et assez autoritaire, mais il a tenté au moins à deux reprises de répondre au malaise de la démocratie représentative en inventant de nouvelles façons d’associer les citoyens », explique ainsi Stefan Seidendorf, qui cite le « grand débat » consécutif à la révolte des « gilets jaunes » et, plus récemment, la convention citoyenne pour le climat.

D’autres, à l’inverse, sont plus sceptiques. C’est le cas d’Alexandre Viala, professeur de droit public à l’université de Montpellier. « Sur le plan de la pratique du pouvoir, Macron s’inscrit dans la longue tradition du “révisionnisme constitutionnel” des années 1930, incarnée par des personnalités comme Raymond Carré de Malberg, René Capitant ou André Tardieu, pour qui la réponse à la crise du système politique reposait avant tout sur un renforcement du pouvoir exécutif. C’est cette matrice qu’on retrouve en 1958, au moment où Charles de Gaulle fonde la Ve République », explique l’universitaire.

Le Covid-19 et le triomphe de « l’Etat rationnel »

Pour ces raisons, Alexandre Viala estime qu’il ne faut pas surestimer la portée du grand débat ou de la convention citoyenne pour le climat, qu’il voit avant tout comme des « concessions imposées par les circonstances ».

A l’inverse, une évolution lui semble plus notable, et démocratiquement plus problématique : le renforcement de l’épistocratie, autrement dit du pouvoir des experts et des savants. « En 2017, la tendance était déjà là, avec la nomination de nombreux ministres au profil de techniciens, très en phase avec l’idéal saint-simonien d’un pouvoir convaincu d’être guidé par la seule raison, au risque de disqualifier par avance toute alternative », explique l’universitaire. Or, trois ans plus tard, la crise due au Covid-19 ne ferait au fond qu’accélérer ce processus : « Le coronavirus constitue une sorte de divine surprise pour ceux qui défendent un tel système : il donne un pouvoir sans précédent aux scientifiques, et le débat public est réduit à des arbitrages de nature technique. C’est le triomphe de l’Etat rationnel et au fond la négation même de la politique », estime le chercheur.

Auteur d’un essai intitulé Le Moment Macron (Seuil), paru cinq mois après l’élection présidentielle de 2017, l’historien Jean-Noël Jeanneney partage cette analyse jusqu’à un certain point. Oui, estime-t-il, il y a chez l’actuel président une forme de saint-simonisme dans l’idée qu’il faut « libérer les énergies » et donner le pouvoir aux techniciens. Mais, à ses yeux, la filiation s’arrête là. « Saint-Simon voulait certes aider les talents neufs à surgir, en les libérant des entraves de la tradition, mais son école n’a cessé de dire que cela ne devait pas se faire aux dépens des plus fragiles. Macron, lui, a semblé souvent avoir oublié la deuxième partie du programme. »

Avec le recul, l’historien a lui aussi le sentiment que la promesse initiale de dépassement des vieux clivages n’a pas résisté à l’épreuve du pouvoir. En cela, le « moment Macron » apparaît moins comme une innovation que comme une nouvelle tentative de gouverner au centre dans un contexte de grave crise politique. A l’instar de Pierre Waldeck-Rousseau qui, en 1899, en pleine affaire Dreyfus, prit dans son gouvernement à la fois le général de Galliffet, le fusilleur des communards, et le socialiste Alexandre Millerand. Ou du général de Gaulle qui, en 1958, pendant la guerre d’Algérie, nomma ministres le socialiste Guy Mollet et l’homme de droite Antoine Pinay.

« Basculement progressif vers la droite »

Or, pas plus que ces expériences passées, la tentative macronienne n’a tenu dans la durée, estime Jean-Noël Jeanneney. « Cette idée de dépasser le clivage droite-gauche a pu apparaître conjoncturellement féconde, mais elle s’est révélée toujours illusoire dans la durée », estime l’historien, pour qui « le macronisme au pouvoir est l’histoire d’un basculement progressif vers la droite ».

A l’appui de cette thèse, l’historien cite d’abord l’évolution de la composition des gouvernements : « Edouard Philippe était le bras droit d’Alain Juppé, Jean Castex était le secrétaire général adjoint de Sarkozy, à qui on a fait mille grâces. On est passé d’une droite centriste à une droite plus affirmée, ce que soulignent encore davantage les récents appels du pied à Philippe de Villiers. Tandis que l’intérieur vient d’être livré, avec éclat, à la droite dure. »

Pour l’historien, Emmanuel Macron aurait pu choisir une autre stratégie : « Il pouvait décider de tout faire pour garder le soutien du centre gauche, par exemple en veillant à se concilier la CFDT au moment de la réforme des retraites. Or c’est le choix contraire qu’il a fait. »

« LE MACRONISME EST SANS DOUTE LE PHÉNOMÈNE POLITIQUE LE PLUS INTÉRESSANT EN FRANCE, AU COURS DES TRENTE DERNIÈRES ANNÉES, ET EN MÊME TEMPS LE PLUS ÉNIGMATIQUE », NICOLAS ROUSSELLIER, POLITISTE

Ce retour à du « connu » épuise-t-il pour autant la singularité du macronisme ? Bien qu’historien lui aussi, et donc enclin à tisser des généalogies et à ne pas prendre pour argent comptant ce qui se prétend inédit, Nicolas Roussellier met en garde contre une telle tentation. Selon ce maître de conférences à Sciences Po, « le macronisme bouscule les spécialistes de science politique autant que les dirigeants politiques eux-mêmes ».

Contrairement à d’autres mouvements, comme le gaullisme, qui sont apparus sur une scène politique déjà structurée par des partis traditionnels, le « macronisme » est à l’image du champ politique dans son ensemble : « On dit à juste titre qu’il manque de clarté doctrinale et qu’il s’appuie sur un parti – La République en marche – peu organisé et qui ne produit aucune idée nouvelle. C’est sans doute vrai, mais on peut dire à peu près la même chose de toutes les familles politiques, toutes en état de recomposition et de crise existentielle face à l’émergence de nouveaux types de mobilisation leur échappant totalement, à l’image des “gilets jaunes”. »

Auteur d’une étude de référence sur l’histoire du pouvoir exécutif en France (La Force de gouverner, Gallimard, 2015), Nicolas Roussellier n’hésite pas à le dire : « Le macronisme est sans doute le phénomène politique le plus intéressant qui a émergé en France au cours des trente dernières années, et en même temps le plus énigmatique. »

D’où, sans doute, le sens profond de la promesse de « réinvention » faite par Emmanuel Macron, le 13 avril, à la télévision. Une promesse qui correspond à l’essence même du macronisme, fondée sur sa capacité d’adaptation perpétuelle aux circonstances. Ce que Nicolas Roussellier définit comme le pari fondamental du président de la République : « Apparaître comme celui qui est le mieux à même de tenir le gouvernail et de faire avancer le bateau dans la tempête. »

5 septembre 2020

Macron insiste sur le régalien avant de dévoiler les mesures du projet de loi contre les séparatismes

republique

Par Olivier Faye - Le Monde

La présentation du texte annoncé pour la rentrée a été repoussée « à l’automne » par le chef de l’Etat, vendredi, dans son discours célébrant les 150 ans de la proclamation de la République.

Remettre l’ouvrage sur le métier, encore. Vendredi 4 septembre, lors d’une cérémonie au Panthéon célébrant les 150 ans de la proclamation de la République par Léon Gambetta, Emmanuel Macron est de nouveau monté au front sur les sujets régaliens – sécurité et séparatisme en tête. Des thématiques que le chef de l’Etat a abordées à de nombreuses reprises depuis trois ans, mais qui ne cessent de lui revenir tel un boomerang, tant les oppositions de droite et d’extrême droite l’accusent d’inaction en la matière.

Encore récemment, la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, a tancé Emmanuel Macron pour son supposé « laxisme » et sa « culture de l’excuse ». « L’autorité est nulle part aujourd’hui en France », pourfend de son côté Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains du Sénat. Des attaques rejetées par l’Elysée. « Les gens qui disent qu’il n’y a que des mots, ils vont voir qu’il y a des actes », promet-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron.

Alors que son premier ministre, Jean Castex, avait évoqué, mi-juillet, la présentation d’un projet de loi contre les séparatismes « à la rentrée », le chef de l’Etat a repoussé cette perspective « à l’automne », lors de son discours prononcé vendredi. « Il n’y aura jamais de place en France pour ceux qui, souvent au nom d’un dieu, parfois avec l’aide de puissances étrangères, entendent imposer la loi d’un groupe, non. La République, parce qu’elle est indivisible, n’admet aucune aventure séparatiste », a prévenu Emmanuel Macron.

Des déclarations dans la droite ligne de celles qu’il avait déjà tenues, en février, lors d’un déplacement à Mulhouse, sur le « séparatisme islamiste », ou lorsqu’il avait appelé, après l’attentat à la Préfecture de police de Paris, en octobre 2019, à traquer l’« hydre islamiste ». Selon l’entourage du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, ce projet de loi pourrait être présenté en conseil des ministres au mois de novembre, avant un examen au Parlement début 2021.

En attendant, M. Macron entend détailler les principales mesures de ce texte à l’occasion d’un déplacement qui doit intervenir durant la deuxième quinzaine de septembre. Selon une source au sein de l’exécutif, le président de la République a l’intention de se rendre, en compagnie de M. Darmanin et de la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa, « dans un territoire qui a connu beaucoup de départs pour la Syrie, mais qui a mis en place des dispositifs efficaces de reconquête républicaine ».

Pourrait-il contraindre les associations subventionnées à signer une « charte des valeurs républicaines » ou leur couper les vivres en cas de contravention, comme l’affirme Le Parisien ? « Les arbitrages viendront dans les jours à venir », élude un proche du chef de l’Etat, selon qui le texte contiendra « de l’administratif, du judiciaire ».

Crainte d’une « opération de com »

En février, M. Macron avait déjà évoqué son souhait de mettre fin au système des « imams détachés » envoyés de l’étranger, préférant que ces derniers soient formés en France, en particulier grâce à l’appui du Conseil français du culte musulman. Mais le chef de l’Etat, soucieux de ne pas être accusé de stigmatisation, avait insisté en même temps sur sa volonté de « lutter contre les discriminations » et de restaurer « la méritocratie ».

Afin de paraître maintenir cet équilibre, il compte effectuer, la deuxième semaine de septembre, un déplacement sur le thème de l’égalité des chances. Ce qui ne devrait pas empêcher des remous de se créer au sein de la majorité, où les sujets régaliens sont souvent reçus avec fraîcheur. Certains députés, rappelant que des mosquées radicales sont déjà régulièrement fermées, craignent que cette loi ne soit qu’une « opération de com », n’apportant pas vraiment de nouveaux outils. Au sein même du ministère de l’éducation nationale, on reconnaît que des outils existent déjà pour lutter contre ces phénomènes dans le domaine éducatif ; ce nouveau projet de loi aurait simplement vocation à les compléter.

Au Panthéon, Emmanuel Macron a par ailleurs tenté de tourner la page du débat lancinant autour du terme d’« ensauvagement », qui agite son gouvernement depuis la fin du mois de juillet. Gérald Darmanin utilise cette expression empruntée à l’extrême droite pour qualifier le climat d’insécurité, quand le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, déplore le fait qu’elle alimente le « sentiment d’insécurité ». « Force à la loi. Jamais à l’arbitraire », a tonné M. Macron, qui peine à tracer une ligne claire en la matière.

« Beaucoup de choses ont été faites sur le sujet, mais ce n’a pas été mis en haut de la pile d’un coup d’un seul, reconnaît un de ses proches. Peut-être qu’il y a un besoin supplémentaire de pédagogie, dans l’explication de la philosophie et des résultats. » Remettre l’ouvrage sur le métier, toujours.

republi

5 septembre 2020

François Bayrou au Plan...

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