Par Gérard Courtois, éditorialiste - Le Monde
On vote souvent contre ou par défaut. Et cette mécanique menace d’être plus puissante que jamais cette année, estime notre éditorialiste Gérard Courtois, dans sa chronique hebdomadaire.
Sans doute faudra-t-il se faire une raison. Constater qu’aucun des candidats ne parvient jusqu’à présent à présenter un projet assez mobilisateur ni à imposer un thème assez saillant pour cristalliser le débat national. Et admettre, par conséquent, que l’élection présidentielle risque de se jouer sur un coup de dés, ou plus exactement sur des millions de coups de dés, lancés par des électeurs déboussolés au terme d’une campagne aussi nébuleuse qu’indigente.
Cette part d’indécision et de hasard n’abolit pas, pour autant, toute logique électorale. Comme toujours, il entrera dans le choix des Français une bonne dose de rejet. L’on vote bien souvent contre ou par défaut plutôt que pour et par conviction. Au train où l’on va, cette mécanique menace d’être plus puissante que jamais.
A gauche, les uns voteront en priorité pour faire barrage à Marine Le Pen et à son projet nationaliste et dangereusement protectionniste, tandis que les autres voudront d’abord écarter François Fillon et sanctionner son comportement personnel plus encore que la médecine de cheval qu’il propose au pays. A droite, peu se soucient du socialiste Benoît Hamon de plus en plus évanescent et de l’insoumis Jean-Luc Mélenchon de plus en plus entreprenant ; cette bagarre-là, à leurs yeux, est l’affaire de la gauche. En revanche, beaucoup voudront tenter de stopper l’OPA tous azimuts lancée par Emmanuel Macron, en qui ils voient un trop habile suppôt du hollandisme honni.
Quatre personnalités rivalisent
Comme toujours, également, la personnalité des candidats pèsera dans le choix final. L’ancien premier ministre Edouard Balladur nous faisait remarquer récemment qu’il serait temps de renoncer à l’adage selon lequel la présidentielle est « la rencontre entre un homme et un peuple », puisqu’aucun des successeurs du général de Gaulle ne parvint réellement à incarner cette dimension de la fonction. Il n’empêche, il s’agit bien de choisir un homme ou une femme pour ses mérites supposés.
Quoi qu’on pense de leur projet, ils sont quatre, sur ce terrain, à pouvoir rivaliser. En posant au « combattant balafré » et en faisant feu de tout bois pour tenter d’occulter les affaires qui l’accablent, François Fillon veut croire que les Français lui reconnaîtront une exceptionnelle capacité de résistance à l’épreuve. Pugnace jusqu’à la brutalité, sûre d’elle-même jusqu’à l’arrogance, Marine Le Pen n’en dégage pas moins une indéniable force de conviction capable d’entraîner ceux que la politique a fini par écœurer ou révulser. Jean-Luc Mélenchon a su ajouter la truculence à l’imprécation, les bons mots aux grandes envolées et c’est un atout que de mettre les rieurs de son côté. Par son audace transgressive, son optimisme assumé, sa jeunesse même, Emmanuel Macron démontre depuis des mois sa capacité de séduction. Pardon enfin pour Benoît Hamon, mais en dépit de sa bonne foi, il paraît un peu perdu sur ce ring.
Une élection, pourtant, ne saurait se réduire à des choix négatifs ou épidermiques, à un concours de rejet ou de beauté. Même en l’absence de controverse majeure, elle se solde toujours par un arbitrage des Français entre leurs inquiétudes et leurs attentes. Le scrutin de 2002 est, à cet égard, très instructif. Comme aujourd’hui, la campagne avait été, cette année-là, médiocre et confuse. Le président sortant de l’époque, Jacques Chirac, et le premier ministre sortant, Lionel Jospin, enfermés dans leur détestation réciproque après cinq ans de cohabitation, n’avaient pas su élever le débat.
Probité, sécurité, nouveauté
Les électeurs n’en avaient pas moins tranché, au bout du compte, en fonction de trois préoccupations qui résonnent singulièrement quinze ans plus tard. D’abord la probité. Jacques Chirac était alors harcelé par des affaires de financement politique et d’abus de biens sociaux plus encore que ne l’est François Fillon : les caisses de la Mairie de Paris alimentaient allègrement celles de son parti, le RPR, ses frais de voyages personnels ou ses frais de bouche défrayaient méchamment la chronique. C’est au point que l’austère Jospin crut possible de le disqualifier sur ce seul slogan vertueux : « Présider autrement ». L’on sait que cela ne suffit point. Voilà qui peut laisser quelque espoir à l’actuel candidat des Républicains.
Ensuite la sécurité. Car Chirac avait trouvé la parade. Sans relâche ni vergogne, pendant des mois, il avait dénoncé le supposé laxisme du gouvernement socialiste face à la délinquance et attisé toutes les peurs du moment. Or on sait que les questions liées à l’insécurité restent une inquiétude multiforme qui taraude les Français : pour plus de 80 % d’entre eux (à égalité avec le chômage, le pouvoir d’achat ou l’avenir de la protection sociale), le terrorisme et la criminalité sont aujourd’hui des sujets de préoccupation majeurs – et des thèmes de prédilection de la candidate du Front national.
Enfin la nouveauté. Déjà lassés de la succession au pouvoir des mêmes hommes et des mêmes partis, les électeurs avaient cherché fortune ailleurs, du côté de Jean-Pierre Chevènement, puis des trotskistes Arlette Laguiller et Olivier Besancenot ou encore de l’écologiste Noël Mamère et la radicale Christiane Taubira, avant de qualifier, le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen pour le second tour. Au total, les deux candidats du PS et du RPR n’avaient totalisé que 35 % des voix. Leurs héritiers actuels (Fillon et Hamon) sont crédités de moins de 30 % des intentions de vote et menacés d’être tous deux écartés du second tour par un coup de balai sans précédent.
Ajoutons que, perplexes et désabusés, bon nombre de Français ne firent leur choix – et la différence – que dans les dernières semaines et même les tout derniers jours avant le premier tour de 2002. C’est, à l’évidence, ce qui nous attend cette année. Et comme chacun sait, quand l’histoire se répète, il arrive que ce soit en ricanant.