Le projet de Manuel Yanowsky de construction d'une église orthodoxequai Branly, à Paris, a finalement été retoqué par le ministère de la Culture. L'architecte espagnol porte plainte.
Manuel Yanowsky en a assez d'avaler des couleuvres. L'architecte choisi pour construire la grande église orthodoxe russe quai Branly, à Paris, a décidé de contre-attaquer. Estimant avoir été injustement écarté de ce projet prestigieux pour des raisons politiques, alors qu'il avait gagné en mars 2011 un concours officiel réunissant dix architectes de renom, il a décidé de demander des comptes aux responsables présumés de sa brutale éviction.
Première visée, Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture. Selon nos informations, une plainte pour "abus d'autorité publique" a été déposée la semaine dernière devant la Cour de Justice de la République (CJR), juridiction compétente pour juger les ministres en exercice. "Elle a donné des instructions aux Architectes des bâtiments de France (ABF) et à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d'Ile-de-France pour qu'ils rendent des avis négatifs sur la demande de permis de construire", accuse Me Louis Fauquet, l'avocat de l'architecte. Ce dernier rappelle que lors d'une réunion le 27 avril 2012 au Ministère de la culture, Jean-Marc Blanchecotte, le patron des ABF, avait présenté en des termes élogieux le projet lauréat et assuré qu'il signerait le dossier de permis de construire même en cas de changement de majorité présidentielle...
Cinq mois plus tard, les ABF émettaient, contre toute attente, un avis défavorable, tout comme Muriel Genthon, la directrice régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France, obligeant ainsi le Préfet de Paris à refuser la délivrance du permis de construire. Muriel Genthon estime que le projet d'église aux cinq bulbes dorés menace la bonne conservation du Palais de l'Alma voisin et porte atteinte à la perception de ce bâtiment.
"Toutes les précautions ont été prises par des professionnels comme Bouygues, Nexicity et le prestigieux bureau d'études Egis pour assurer la bonne conservation du Palais de l'Alma, réplique Me Fauquet. Ce grief est de pure circonstance". A l'appui de ses accusations contre Aurélie Filippetti, l'avocat a joint à sa plainte l'enregistrement clandestin d'une réunion de travail tenue le 16 octobre 2012 à l'ambassade de Russie. Alexandre Orlov, l'ambassadeur, y déclare notamment :"Nous avons parlé avec les personnes concernées qui nous ont avoué avoir reçu des instructions de faire un avis défavorable". Et de préciser: "Madame Genthon m'a dit elle-même qu'on lui a donné des instructions de donner un avis défavorable. Voilà! Elle a dit qu'elle a eu ces instructions et qu'elle ne pouvait pas passer outre. C'est son ministre qui lui a dit". Contacté par L'Express, le Ministère mis en cause assure qu'"il n'y a eu aucune instruction de la Ministre" et soutient que les avis des ABF et de la DRAC portaient essentiellement sur "un problème de cohérence architecturale dans un site classé".
Selon Me Fauquet, "Aurélie Filippetti a surtout voulu faire plaisir à son ami Bertrand Delanoë, opposé depuis le début au projet de Manuel Yanowsky". Depuis le choix de l'architecte espagnol, désigné par un jury international de sept russes et sept français, le maire socialiste de Paris n'a jamais caché son hostilité à l'encontre de cette église, élément central d'un grand centre spirituel et culturel orthodoxe édifié à la place du siège de Meteo France, vendu 60 millions d'euros à la Fédération de Russie en mars 2010. Un projet de 34 millions d'euros porté par Nicolas Sarkozy, ravi de faire plaisir à Vladimir Poutine, qui le porte dans son coeur.
Un an après la désignation de Manuel Yanowsky, la mairie de Paris publiait, le 27 février 2012, un communiqué au vitriol contre cette "architecture de pastiche qui relève d'une ostentation tout à fait inadaptée au site classé au patrimoine mondial de l'Unesco ou à la perspective de la Tour Eiffel". Estimant que le maire a mené une campagne de déstabilisation contre lui, l'architecte espagnol assigne également Bertrand Delanoë pour "violation des obligations contractuelles découlant du concours auquel la ville de Paris avait participé", et lui réclame 10 millions d'euros. Sollicitée par L'Express, la mairie de Paris n'a pas souhaité s'exprimer.
Le maire n'a qu'un avis consultatif, mais il soutenait le projet de l'architecte Frédéric Borel, arrivé troisième derrière Jean-Michel Wilmotte - qui a finalement remplacé Manuel Yanowsky et a annoncé qu'il reprenait le projet à zéro. Lui aussi est assigné en justice par son rival espagnol, tout comme la Fédération de Russie. Manuel Yanowsky estime que la résiliation unilatérale de son contrat n'est pas valable.
Cette dernière affaire doit être examinée en référé le 17 juin devant le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris.