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Jours tranquilles à Paris
confinement
12 avril 2020

Visio-boulot-dodo… les hauts et les bas du confinement

Guillaume Fraissard Et Damien Leloup

NOS VIES CONFINÉES

Depuis le début de cette période exceptionnelle, les lecteurs du « Monde.fr » témoignent de leur quotidien. Ils décrivent, après la sidération, une nouvelle forme de normalité, avec ses doutes et ses petits bonheurs

RÉCIT

Croyez-en l’avis d’un professionnel : « Sous-marinier, je ressens le confinement différemment de nos périodes d’isolement en mission. Le secret est de trouver une routine, manger aux mêmes horaires et faire de l’exercice. Il ne faut plus compter en jours, cela donne la sensation du temps s’écoulant encore plus lentement. Soyez forts, il faut sprinter sur la distance d’un marathon ! » Nous sommes au jour 21, pardon, lundi 6 avril, et dans le « live » du Monde.fr consacré à nos vies confinées, cela fait bien longtemps que les questions sur la manière de s’adapter à la « nouvelle normalité » ont remplacé celles des premiers jours, sur les commerces et les moyens de transport qui restent ouverts.

Il y a trois semaines, c’était la sidération qui primait. Avec forces points d’exclamation et quelques jurons, des internautes nous interpellaient, certains étaient paniqués : « Putain les gars c’est chaud ! Je ne sais pas là, avant la déclaration de Macron, j’ai eu un sursaut d’adrénaline !!!! J’ai peur mais je suis tout excité c’est chaud ! Genre on va rentrer en guerre ou quoi !!!!! »

C’était il y a un siècle. Depuis, nous en sommes arrivés, collectivement et somme toute très vite, à l’acceptation. Parmi les plus de cent mille questions reçues dans les différents « live » du Monde ces trois dernières semaines, d’innombrables portaient sur les modalités pratiques de « nos vies confinées ». Révélant au passage nos préoccupations les plus importantes en période de crise, des plus instinctives – la famille, la nourriture, les soins – aux plus intimes – la sexualité, la psychologie, le deuil.

Qu’est-ce qu’on fait avec les enfants ?

Mais, avant tout, ce sont les interrogations sur les enfants qui ont formé le plus gros bataillon des questions. D’abord parce que la France de la garde alternée a pris de plein fouet l’annonce du confinement. Question après question, des centaines, des milliers de lecteurs nous ont demandé si les décrets imposaient des règles en matière de garde alternée, si aller chercher ses enfants chez son ex-conjoint était un motif de déplacement valable, s’il était possible de traverser la France pour que le petit dernier soit confiné avec le parent dont c’était le tour.

Les problématiques de garde ont aussi touché tous les parents qui continuaient de travailler, alors que certaines crèches fermaient ou que les enfants de soignants devenaient prioritaires dans les établissements scolaires, ce que personne ne remettait en question. Une myriade de puzzles logistiques : de « La nounou de mon enfant refuse de la garder pour cause de coronavirus, je ne peux pas faire de télétravail », jusqu’à  « Est-ce que mon employeur peut m’imposer le télétravail alors que je dois garder ma fille de 2 ans ? Je lui ai dit qu’il me mette en arrêt et que je travaillerai comme je peux vendredi, et aujourd’hui, il me l’impose ».

Une fois les problèmes les plus urgents réglés, restait, et reste toujours, l’épineuse question des occupations, surtout avec les plus petits. Dans les premières heures, on avait pris de bonnes résolutions sur le temps d’écran, bien sûr. Elles ont fait long feu. « J’ai mis ma fille devant des dessins animés toute la journée pendant les deux premières semaines de confinement. Pas d’autre choix, car pour rester concentrée dans mon travail, je devais avoir la paix ! », écrit une lectrice, qui a regretté ce choix tactique à la troisième semaine. « Les premiers mots de ma fille au réveil étaient “maman, dessin animé s’il te plaît”, et dès lors que je disais NON, les pleurs commençaient… mais s’arrêtaient assez rapidement après… Je garde donc espoir. »

La délicate gestion du partage du temps consacré aux activités éducatives et aux loisirs occupe l’esprit de tous les parents. « L’après-midi, ni mon mari ni moi n’avons le temps de suivre le travail de notre plus jeune enfant. Il regarde donc des vidéos éducatives ou joue sur l’ordinateur. Je culpabilise et m’énerve alors qu’il n’y est pour rien », s’agace une mère ; on râle, un peu ou beaucoup, contre le diktat du parent parfait, à qui on fait croire qu’il faut « toujours trouver une activité superéducative pour occuper les enfants intelligemment… Remplir le temps long des week-ends… Mais les nouveaux centres d’intérêt ne germent pas soudainement, pour eux comme pour moi ! »

Moins patients ou plus honnêtes, certains parents racontent aussi comment la pression du confinement les amène parfois au bord de la crise de nerf. « Mon fils a 21 mois, me sollicite tout le temps quand je suis seule avec lui, il dit “non” tout le temps, j’ai un sentiment d’oppression… J’en ai marre d’écouter en boucle la chanson du petit Indien, de jouer 20 milliards de fois au même puzzle, de lire le même livre… Je n’ai plus l’énergie ou l’envie d’inventer de nouveaux jeux, de faire des parcours de motricité… Chapeau aux parents qui y arrivent ! » Sans parler des héros incompris du quotidien, de ceux dont le témoignage force l’admiration, comme ces parents de triplés de 21 mois qui expliquent avoir, « après trois semaines de réglages et de remises en question », trouvé « un équilibre qui semble convenir à tout le monde. Le papa arrive à travailler trois à quatre heures par jour, et nous sommes déjà très fiers de ça… Mais voilà que le patron de la maman lui dit : “Tout le monde arrive à travailler avec ses enfants, tu pourrais t’y remettre aussi !”Comment lui faire comprendre en restant constructif que c’est MORT ! »

Plus autonomes, pas toujours plus conciliants, les ados de tous les âges sont aussi une source permanente de remise en question. Dans les huis clos familiaux provoqués par le confinement, on trouve des tantes aux prises avec des neveux « qui vivent leur crise à grands coups de trémolos en critiquant leur mère », des parents à bout, des chocs générationnels. Un peu de mauvaise foi de part et d’autre aussi, comme pour ces adultes qui découvrent que, « pour mes neveux ados, être “végan” ne signifie pas goût pour les légumes ou les fruits, mais seulement féculents sans viande et autres sucreries de toutes sortes ». Et ces situations tendues qu’on devine au détour d’une question à l’apparence innocente, comme celle de cet anonyme qui se demande : « Comment cela se passe-t-il si un enfant seul est arrêté dehors sans attestation ? », et cherche à savoir si l’amende est envoyée aux parents.

Vieux films et Concerts de voisins

Les plus jeunes ne sont pas les seuls à chercher à tromper leur ennui. Jeux vidéo, séries, films, jeux de société, livres : on espère que les films « annoncés au ciné sortiront sur les plates-formes en ligne », on s’échange des recommandations de jeux ou de séries. « Temps gris, devoirs finis et appel du plaid » : pour ce lecteur, le confinement est le moment choisi pour imposer à sa progéniture, avec un degré de consentement mutuel inconnu, un « ciné-club consacré aux films de notre enfance » : au menu, on trouve notamment E. T., Dark Crystal (1982),L’Histoire sans fin (1984),Les Goonies,Retour vers le futur (1985), Willow (1988)…

Côté musique, deux clans s’affrontent : les partisans du concert de voisinage à 20 heures, dont Delphine, qui assure que ses voisins « en redemandent et nous glissent des idées de chansons dans la boîte aux lettres », tandis que la voisine « sort son piano sur la terrasse, à deux maisons d’écart ». Et puis les hostiles, grincheux ou mal entourés, qui rappellent que « certaines personnes ont des voisins du bas addicts à la techno, et des voisines du haut amatrices de karaoké Céline Dion. S’il vous plaît, pendant que vous remplissez votre vide, pensez que vous êtes peut-être aussi en train de ruiner l’espace vital de quelqu’un qui a besoin de se concentrer pour travailler », proteste un habitant d’une grande ville qu’on imagine mal entouré. « Le silence est une denrée précieuse, protectrice et féconde ! »

 « Le télétravil empêche de travailler »

Car, malgré tous les bouleversements de cette période étrange, il faut bien télétravailler, pour celles et ceux qui ont la chance d’avoir un métier qui le permet. En visioconférence, le plus souvent. Zoom, Skype, Teams, Hangouts et Houseparty ont fait une entrée fracassante dans les vies confinées de millions de Français qui n’avaient jamais pensé à utiliser ces logiciels de visioconférence auparavant ; ils sont devenus la ligne de vie des personnes isolées, coincées seules chez elles et qui regretteraient presque de n’avoir personne avec qui s’engueuler.

« Un conseil à ceux qui vivent tout seuls, mais qui vaut aussi pour tout le monde », nous écrit une lectrice qui a passé son anniversaire en confinement à l’étranger et a connu une journée « animée comme jamais » : « Appelez vos amis et votre famille sur WhatsApp/Facetime/Hangouts/Houseparty/etc. et surtout branchez les webcams ! Créez des groupes de conversation pour parler et appeler en groupe, faites passer les blagues pour égayer les journées… Les gens autour de vous veulent des nouvelles de vous, et vous d’eux. »

Dans le monde du travail, les bilans de cette ruée sur la « visio », comme on dit désormais, sont moins positifs. « En télétravail, les visioconfs se suivent les unes après les autres en alternance avec des paquets de mails. Chaque visio induit une tâche à faire, qu’il est impossible de mener dans l’emploi du temps saturé ; ces tâches s’accumulent. Le télétravail empêche de travailler ! », conclut, philosophe, un télétravailleur un peu aigri. La routine visio-boulot-dodo guette, on la brise comme on peut, telle cette lectrice qui recommande, après l’avoir testée, la « tenue inversée, c’est-à-dire le pull enfilé dans mes jambes et mon jogging enfilé sur ma tête. L’effet est garanti, je vous recommande d’essayer pour vos rendez-vous en visioconférence. » Sans aller jusqu’à ces extrémités, on découvre, à distance, des faces cachées de ses collègues, comme ce « client, habituellement en chemise pendant les réunions », qui « vit sa meilleure vie de confinement et fait des visioconférences en sweat à capuche, cigarette électronique à la bouche ! »

Indispensables, les « visios » ne suffisent pas toujours à rompre l’isolement. « Moi, l’effondrement, c’était jeudi dernier, raconte une lectrice. Je suis confinée seule, et au bout de dix jours, malgré d’innombrables Skype, Facetime et autres confrontations numériques, j’ai senti physiquement l’absence d’êtres humains autour de moi… J’ai pleuré toute la journée. Mais du coup, je me suis organisée pour faire des rendez-vous avec des voisins dans le jardin de notre immeuble, avec toutes les précautions nécessaires, bien entendu ! Et je bois le thé avec ma voisine, moi assise dans le couloir, elle dans son entrée, une chaise pour poser le plateau entre nous. Je crois qu’il ne faut pas qu’on oublie qu’on a besoin de chaleur humaine en vrai, et pas seulement numérique… » Palliatif utile aux repas de famille et aux apéros entre copains, les « skypéros » et soirées jeux sur Houseparty ne compensent tout de même pas tous les types de contacts. « 2023, troisième année de confinement », phosphore un internaute qu’on imagine un peu excité. « Google a-t-il créé des orgies virtuelles ? Ouverture des premiers clubs libertins en visioconférence ? Une âme confinée depuis trois ans rêve-t-elle toujours de galipettes en pleine nature ? Allez, titillons nos imaginations respectives. »

L’amour, si loin, si proche

Dans cette vie confinée, il y a les fantasmes et la réalité d’une vie sexuelle chamboulée. Les premiers jours, les communiqués triomphants des sites pornos laissaient à penser que la France repliée sur elle-même s’échauffait sur Pornhub et consorts : le virus pornographique pour conjurer celui du Covid-19. En réalité, juste un petit pic hormonal. La réalité, c’est la promiscuité avec les enfants, la séparation d’avec l’être aimé, la libido plombée par l’angoisse du virus ou le télétravail. Pour d’autres, la promesse d’une relation numérique à distance érotisée à coups de sextos et vidéos chaudes. « J’ai eu la bonne idée de m’inscrire sur Tinder le 18 mars !, nous dit une lectrice. Je tchate donc, j’ai fait de belles rencontres, une en particulier, mais la frustration de ne pouvoir prendre ce premier verre ensemble est très forte. Nous échangeons sans cesse avec ma correspondante et nous rapprochant, sans bouger, partageons depuis quelques jours des séances torrides par clavier interposé, et parfois une photo ou deux. Un lien intime se crée et cette sexualité interactive s’exprime avec intensité et sans tabou. Les messages très libérés le sont-ils grâce à la distance justement ? Ce lien est-il virtuel malgré tout ? »

L’intime s’est invité en force sur la « une » du site du Monde, sans tabou ni gêne. Les témoignages affluent quand notre spécialiste des questions sexuelles, Maïa Mazaurette, vient dialoguer avec les internautes. « J’ai rencontré quelqu’un quelques semaines avant le confinement. Nous n’avons échangé que quelques baisers pieux autour de cafés et nous voilà bien frustrés de ne plus pouvoir nous voir et aller plus loin… Nous ne nous connaissons pas assez et sommes tous les deux un peu timides pour entamer une cybersexualité. Avez-vous d’autres conseils pour pallier cette frustration ? » Plus loin, un témoignage qui en résume tant d’autres : « Notre libido en prend un petit coup durant le confinement. Alors qu’on se serait attendu à ce que l’ennui nous pousse à le faire plus souvent, ce n’est pas le cas ! »

Le courrier du cœur se mue aussi en réflexions personnelles sur notre rapport au corps. « Ce confinement interroge chez moi la relation que j’entretiens avec mon apparence. Autant dire qu’en ce moment je ne me sens pas au summum de mon potentiel érotique, et pourtant j’apprécie de pouvoir laisser libre cours à ma pilosité (je ne m’épile plus les aisselles, ni le sexe – seules les jambes y ont échappé). Pensez-vous que cette période puisse être un terreau fertile pour enfin s’accepter telle qu’on est, sans vouloir répondre aux diktats ? J’espère secrètement pouvoir afficher fièrement mon corps avec ses copains poilus lors de futurs corps-à-corps… » Comme si cette crise ne remettait pas en cause que notre modèle économique, social ou environnemental, mais faisait naître d’autres envies de changement.

Et parce que beaucoup de gens sont confinés seuls, témoignages, questions et demandes de conseils sur la masturbation sont de la partie. « Avez-vous des propositions d’innovation pour pimenter un peu la masturbation, seul plaisir charnel qu’il reste aux confinés solitaires ? » Jusqu’à ce cri du corps… ou du cœur d’un lecteur. « En cette période, je redoute l’excès de masturbation… »

Manger  : une bouée de sauvetage

Avant la ruée sur les masques, la course aux pâtes ! Le confinement n’était pas encore annoncé officiellement que le premier symbole alimentaire de la crise due au coronavirus avait pris la forme d’un paquet de nouilles, objet de toutes les convoitises partout en France avec les rouleaux de papier-toilette. Il a été depuis rejoint par le paquet de farine, denrée rare et raflée par celles et ceux qui suivent les recettes de pain et de gâteaux publiées chaque jour sur la Toile. « Merci de demander à vos lecteurs d’arrêter de stocker dix sachets de farine à la maison et de faire des crêpes et des gâteaux, j’ai besoin de faire mes propres pâtes », nous admoneste-t-on. Certains se sentent « un peu responsables » de la pénurie, parce qu’ils mangent « des crêpes à l’apéro » désormais, mais cette passion retrouvée pour la cuisine leur laisse entrevoir un « nouvel âge d’or de la pâtisserie ».

La vraie angoisse, celle qui noue l’estomac de nombre de lecteurs est celle des repas. Seul ou à deux, à quatre ou à huit, sans l’appui des cantines scolaires, des restaurants d’entreprise ou des déjeuners d’affaires, il faut préparer des plats midi et soir, avec un appétit pas toujours au beau fixe. « La nourriture devient un problème car plus d’appétit, je m’oblige à cuisiner une fois par jour avec mon mari, je prends le temps de cuisiner pour perdre le temps. On fait un seul repas par jour mais qui s’éternise, on refait le monde… avec un bon verre de vin rouge. »

Parfois, le casse-tête culinaire vire au psychodrame familial. « Après trois semaines ensemble, parents et trois enfants de 3 à 8 ans, les enfants ne supportent plus le temps du repas avec leurs parents, en particulier notre fille de 8 ans. Faut-il limiter ce moment familial à une ou deux fois par semaine pour éviter que les enfants vivent le repas comme un cauchemar, et organiser en majorité des repas entre enfants d’une part et entre parents d’autre part ? » Certains de nos lecteurs n’ont pas de recettes à partager, mais des bons plans pour varier les plaisirs gustatifs et déconfiner les papilles. « Histoire de rompre le quotidien, je propose de se faire un resto confiné. Je m’explique. Marre de manger toujours la même chose ou plus d’idées de repas. Faites un échange avec vos voisins. Ils vous cuisinent un repas surprise et vous faites de même pour eux. Chacun mange chez soi, et il faut respecter les gestes barrières lors des livraisons des repas. »

Recettes, bons plans, idées de menus… dans l’actualité déprimante du moment, la nourriture est devenue une bouée de sauvetage – et parfois une bouée tout court – pour garder la tête hors de l’eau. De quoi interpeller ce lecteur, manifestement rassasié. « Pourquoi les Français sont-ils obsédés par la bouffe, et y a t-il d’autres pays aussi obsédés que nous ? » On ne sait pas, mais tout le monde ne s’est pas rué sur le frigo et les gâteaux. A l’image d’Alex, qui « s’attendait à dévorer pendant le confinement », et qui, perplexe, se demande si c’est « la peur de grossir, de manquer ou le changement de perspective par rapport à la nourriture » qui lui coupent finalement l’appétit.

Seuls face à nous-mêmes

D’autres produits sont en rupture de stock, faute de canaux d’approvisionnement, tels les stupéfiants divers et variés. « Avec la fermeture des frontières, peut-on craindre une pénurie de cannabis, ainsi qu’une explosion des prix ? » ou – plus direct – « Y’a moyen de se faire livrer du cannabis à domicile ? J’pète un plomb, là », les questions sur la drogue reviennent régulièrement. Des consommateurs optimistes voient dans la crise actuelle un espoir que soit adoptée « une législation plus souple sur le cannabis », considérant la crise économique qui s’annonce et « les recettes fiscales que cela peut engendrer ».

Une autre drogue, bien légale, elle, et toujours accessible dans les magasins, préoccupe beaucoup nos lecteurs. « J’accuse une légère augmentation de ma consommation d’alcool depuis le confinement », constate pudiquement un internaute, loin d’être isolé. Côté verre à moitié plein, on se félicite de ne pas être « au Groenland, qui a interdit la vente d’alcool : je suis bien contente de vivre dans un pays qui considère les cavistes comme des commerces essentiels ! ». Côté verre à moitié vide, toute addiction entraîne des problèmes, comme le constate ce lecteur aux prises avec « un stock assez important de canettes de bières vides ». « Puis-je sortir pour aller les jeter dans le conteneur ou suis-je condamné à les voir envahir mon appartement jusqu’à la fin du confinement ? », demande-t-il.

Derrière les blagues, récurrentes dans les questions qui nous parviennent, nombreux sont les témoignages de personnes souffrant de troubles psychologiques et isolées par le confinement. « Il y a plein de gens autour de moi qui ne veulent que mon bien, constate un lecteur, mais je sens la déprime me gagner, chaque petit geste hors de mes habitudes me contrarie et je vis ça comme une agression violente. Que faire avant que je ne commette l’irréparable ? » Un lecteur souffrant d’autisme constate qu’il a « de plus en plus de mal a [se] gérer dans la vie quotidienne pendant le confinement. Les personnes qui m’aident dans le cadre de mon autisme sont elles aussi confinées et je suis tout seul du coup ». Une lectrice, « patiente dans un hôpital de jour psychiatrique, fermé jusqu’à nouvel ordre », s’inquiète des conséquences du confinement sur les patients qu’elle y croisait ; un lecteur s’interroge sur le nombre de « morts indirectes de type suicide, dépression liée à une perte de travail, de logement, de séparation » provoquée par le confinement, et le ratio entre « les “vies sauvées à l’hôpital” et les “vies détruites par le confinement” ».

Tout n’est pas noir pour autant, y compris pour certains qui étaient en souffrance psychologique avant. « Personnellement, j’adore ce confinement, je prends le temps de vivre, je diminue progressivement mes antidépresseurs tellement je me sens bien », constate, un peu surprise, une lectrice qui semble décidée à voir le bon côté de la situation. « Plus de stress du tout », elle fait aussi « des économies forcées » et va « pouvoir rembourser en deux mois la totalité de [ses] petits prêts à la consommation ». Et, ajoute-t-elle, « on n’est plus emmerdés sans arrêt par les appels téléphoniques pour l’isolation à un euro ». De façon surprenante, ils sont nombreux, ces « confinés heureux » malgré les galères du quotidien et l’angoisse de « l’après ». La plupart d’entre eux semblent obéir à la même philosophie, résumée par un internaute sous forme de liste de points à retenir, tel un mantra. « Premièrement, en l’absence de fatigue, on n’est pas la même personne. Deuxièmement, le temps est précieux. Et, troisièmement, j’aime des gens et des gens m’aiment. Restez chez vous. »

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11 avril 2020

Confinement

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10 avril 2020

Un effet du confinement. Quel jour sommes-nous ?

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9 avril 2020

Confinement le 9 avril 2020

confinement 9 avril

8 avril 2020

Confinement le 8 avril 2020

confinement 8 avril

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8 avril 2020

Confinement le 8 avril 2020

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7 avril 2020

Confinement le 7 avril 2020

confinement 7 avril bis

6 avril 2020

Canards dans les rues de Paris, coyotes à San Francisco : « On remarque des espèces que l’on ne voyait pas »

canards21

Par Perrine Mouterde

Le confinement, lié au coronavirus, et l’arrêt des activités humaines dans les villes devraient avoir un impact limité sur la biodiversité.

Des canards se dandinant près de la Comédie-Française dans le centre de Paris ; des groupes de dauphins, des fous de Bassan ou des hérons cendrés observés avec une fréquence et une densité « inédite » par les agents du Parc national des calanques ; des coyotes dans les rues de San Francisco aux Etats-Unis… Les images, souvent vraies mais parfois fausses – il n’y a pas eu de dauphins dans les canaux de Venise, en Italie, ni d’éléphants saouls dans un village de Yunnan, en Chine –, d’animaux visibles dans des lieux inattendus, d’ordinaire fréquentés par des humains, ont largement circulé depuis le début de la pandémie de Covid-19. Si ces scènes ont pu procurer un certain réconfort à voir la nature « profiter » de cette période, les effets du confinement sur la biodiversité restent à mesurer et devraient, selon toute vraisemblance, n’être que marginaux.

« Il y a des canards toute l’année à Paris, des sangliers dans les forêts juste à côté de Barcelone, décrit Benoît Fontaine, biologiste de la conservation au Centre d’écologie et des sciences de la conservation du Muséum national d’histoire naturelle. Les animaux sont simplement plus visibles dans des espaces libérés par l’homme, mais tout cela est assez anecdotique par rapport aux dégradations subies par la nature depuis des dizaines d’années. »

« Cette plasticité de la nature, cette capacité de certains poissons ou oiseaux à fréquenter rapidement des espaces quand ils sont délaissés, c’est un phénomène que l’on connaît, ajoute Jean-David Abel, le vice-président de France Nature Environnement. Mais la nature ne reprend pas sa place. On regarde juste mieux : on remarque des espèces qui étaient à côté de nous mais que l’on ne voyait pas. »

L’utilisation de pesticides se poursuit

Pour les spécialistes, il faudrait que le confinement se prolonge pendant des mois pour induire des changements de cycle ou de comportements de certaines espèces et avoir un impact structurel sur l’état de la faune. En ville, Benoît Fontaine estime toutefois que les insectes sont les plus à mêmes de bénéficier de cette parenthèse. « Comme les parcs et les espaces verts vont être moins entretenus, il y aura peut-être un peu plus de fleurs et donc d’insectes, dit-il. Les insectes ont un cycle de vie court donc les changements peuvent être plus rapides. Pour les oiseaux en revanche, leur reproduction en ce printemps dépend des populations qui sont déjà présentes, donc on devrait être dans la continuité. »

Une baisse de la pollution lumineuse nocturne pourrait également avoir des effets bénéfiques pour certains insectes et pour les chauves-souris. L’impact de la diminution du bruit sur la faune est, lui, difficile à mesurer. Les oiseaux, par exemple, sont souvent davantage sensibles à la présence humaine qu’au niveau sonore. L’aéroport de Montpellier, bruyant mais peu fréquenté, est ainsi connu pour héberger l’outarde canepetière, un oiseau au cou noir rayé d’une étroite bande blanche et menacé d’extinction.

Par ailleurs, si le silence peut indiquer aux animaux l’absence de prédateur, il marque aussi l’absence de congénères et de contacts sociaux, notamment celle de parents pouvant offrir protection et ressources. « Les rats perçoivent ainsi l’immobilité d’un groupe et l’absence de sons due aux mouvements comme l’expression d’un danger », ont précisé des chercheurs de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité du Muséum au site The Conversation.

En dehors des villes, les activités agricoles, et avec elles l’utilisation de pesticides et d’autres substances chimiques polluant les sols et les eaux, n’ont pas été mises à l’arrêt par la crise sanitaire. Selon le rapport de 2018 de la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui alertait sur le risque d’extinction d’un million d’espèces, les changements d’usage des terres et les pollutions sont deux des cinq principaux facteurs de dégradation de la nature.

« Si on pouvait arrêter immédiatement l’agriculture intensive, dont les corollaires sont l’uniformisation des milieux et l’usage déraisonné des pesticides, ça aurait un impact très rapide sur les plantes, les oiseaux et les insectes, assure Benoît Fontaine. Par exemple, selon les derniers chiffres, depuis la fin des années 1980, près de 40 % des oiseaux communs spécialistes des milieux agricoles ont disparu en France. C’est une hécatombe qui est avant tout liée à ce type d’agriculture. »

Un enjeu pour la recherche scientifique

Si ce confinement ne va pas inverser la tendance concernant la perte de biodiversité, il constitue néanmoins une situation unique et inédite, et donc un enjeu pour la recherche. « Pour tous les programmes de long terme de suivi de la biodiversité, c’est particulièrement intéressant. Que vont nous dire les résultats de cette année ? », s’interroge Benoît Fontaine. Le programme collaboratif Silent Cities, qui vient d’être lancé par des chercheurs du CNRS et de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) vise, lui, à mesurer l’effet de la diminution du bruit dans les villes sur la présence ou l’absence de certaines espèces, et sur leur activité. « On sait par exemple que des oiseaux ont modifié leurs chants pour s’adapter à l’environnement sonore en ville, précise Amandine Gasc, chargée de recherche à l’IRD. Vont-ils de nouveau modifier l’heure ou la fréquence à laquelle ils chantent ? »

D’autres programmes scientifiques participatifs et adaptés au confinement ont également démarré. La Ligue de protection des oiseaux (LPO) et le Muséum d’histoire naturelle appellent à contribuer à un comptage des espèces d’oiseaux depuis sa fenêtre, son balcon ou son jardin. Une façon de récolter des données, de pallier le manque d’observateurs sur le terrain mais aussi de sensibiliser la population à la protection de la nature.

« On sait que ceux qui participent à ce type de programmes changent ensuite leur façon d’entretenir leurs jardins, en utilisant moins de pesticides et en laissant plus de fleurs, explique Benoît Fontaine. Peut-être va-t-il y avoir, lors de ce confinement, une prise de conscience de l’importance d’avoir un peu de nature autour de nous pour aller bien. » Jean-David Abel pense aussi que cette situation peut amener des urbains à s’interroger sur la place qu’ils laissent d’ordinaire aux animaux, dans le bruit et l’agitation. « Certains auront peut-être touché du doigt le fait que l’on peut vivre un peu autrement, en profitant davantage du silence, du calme et de cette faune qui est juste autour de nous », dit-il.

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5 avril 2020

Jeux de rôles érotiques : échappée belle pour soirées confinées

Par Maïa Mazaurette

Les fantasmes échappent au rétrécissement de nos existences, c’est donc le moment ou jamais d’oser s’amuser à changer de peau ou de décor, conseille la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette, mode d’emploi à l’appui. Vous hésitez encore ? Dites-vous qu’au pire cela se terminera en fou rire.

LE SEXE SELON MAÏA

Partenaires confinés, sexualité réduite à peau de chagrin ? Pas forcément. Les fantasmes échappent au rétrécissement de nos existences, et peuvent même générer une jouissive distance entre des partenaires cohabitants. Par quel miracle ? Celui du jeu de rôles, qui réinjecte du mystère dans le couple - et qui permet, pendant une soirée, de changer de peau, de personnalité… et peut-être même de pratiques.

Que vous préfériez les soubrettes ou les pilotes de ligne, les gladiatrices ou les cruels esclavagistes, les possibilités sont illimitées. Ce n’est pas compliqué, et au pire, l’expérience terminera en fou rire. On essaie ?

1. Le choix de scénario

Quelle histoire raconter ? Je vous rassure : sauf programme ambitieux, vous n’avez pas besoin d’un arc narratif en cinq actes et quatorze rebondissements (« surprise, cette baguette magique était un pénis ! »). Le scénario érotique se limite le plus souvent à un contexte, sur lequel vous broderez quelques phrases avant de vous lancer.

Mais comment choisir ? Adressons la question à une professionnelle, Flore Cherry, autrice et patronne de MySweetFantasy, une entreprise spécialisée dans la réalisation de fantasmes (oui, ça existe). Pour elle, « un bon scénario est ponctuel (on ne pratique pas tous les soirs), il fait envie aux deux partenaires, et surtout, il respecte les limites de chacun ». « Si vous n’avez pas d’idée, choisissez un jeu de rôles qui demande une compétence maîtrisée par votre partenaire. C’est plus rassurant », recommande-t-elle. Quelques exemples ? « Votre conjoint peut vous enseigner quelque chose, et éventuellement vous punir si vous apprenez mal. S’il maîtrise la comédie, il prendra le rôle actif, et vous pouvez vous laisser porter. Ou encore, un adepte de bondage peut jouer aux Indiens et aux cow-boys : inutile de discuter (on ne parle pas la même langue), je te ligote autour d’un poteau – et on finit par faire l’amour, évidemment. ».

Notons au passage que si les archétypes viennent spontanément à l’esprit, rien ne vous oblige à piller la liste des fantasmes « prêts à consommer » habituels (est-ce réellement le bon moment pour jouer un examen médical qui dérape ?). En même temps, certains scénarios archi-classiques se retrouvent adaptés à notre nouveau quotidien : pour un effet cathartique maximal, imaginez que vous êtes codétenus, dans un sous-marin ou sur une île déserte, ou qu’un contrôle policier tourne mal (« votre attestation est dans votre slip ? Au poste, jeune homme »).

Pour d’autres propositions, inspirez-vous de films, de livres, de clips, d’expériences de votre passé… ou d’Internet (hop, voici une liste bien fournie de fantasmes).

2. La négociation

Sans surprise, le nerf de la guerre consiste à trouver un scénario-prétexte motivant pour les deux partenaires… or nous ne sommes pas toujours à l’aise en termes de divulgation de nos préférences (« attache-moi au radiateur et fouette-moi avec un hareng »). Pour contourner ce problème, pourquoi ne pas commencer la partie par un scénario de confession ? Si cette idée perturbe votre sensibilité en ce jour du Seigneur, vous pouvez utiliser des applications mobiles fonctionnant sur le même principe que Tinder : seuls les fantasmes communs « matchent » (si vous avez des envies de cuir, d’urine ou de couches-culottes, votre partenaire n’aura accès à ces informations que s’il ou elle les partage). Sur smartphone : FantasyMatch, UnderCovers, Kindu. Sur ordinateur : Mojo.

boule

Bien sûr, tomber d’accord sur la nature du fantasme ne suffit pas : encore faut-il l’être sur sa réalisation. Pour éviter les dérapages, Flore Cherry fait valider (ou refuser) une liste de pratiques sexuelles. Ce procédé rassure ses clients. Ensuite, si vous optez pour des fantasmes BDSM ou techniquement complexes, deux options :

1) le consentement continu : vous vous assurez du confort physique et psychologique de l’autre, plusieurs fois, verbalement et clairement, tout au long de la séance : « Ça te plaît ? Ça ne te fait pas mal ? »).

2) le consentement enthousiaste : vous observez que votre partenaire participe activement à l’action, par ses gestes et/ou ses paroles (si Alice au pays des merveilles continue de caresser le chat du Cheshire, a priori, sa motivation est intacte).

Cependant, attention : certains fantasmes, comme le viol ou le bondage, ne permettent ni verbalisation ni participation. Il vous faudra alors un safe-word (un mot-limite qui siffle la fin de la récréation). Donc si vous testez des choses nouvelles, n’utilisez pas de bâillon !

3. Les costumes et accessoires

Je vous entends déjà protester : « Mais Maïa, je n’ai rien à me mettre ». Ah bon ? Pas de costume banal pour ressembler au héros de Fifty Shades of Grey ? Pas de foulard léopard pour incarner Tarzan ? Aucune vieille cravate à transformer en bandeau, aucune chemise démodée pour faire de vous un D’Artagnan ? Je ne vous crois pas une seule seconde.

Le costume peut aussi préexister au fantasme : un boa vous emmène dans l’univers du burlesque, une salopette vous métamorphose en plombier – l’occasion fait le larron. De toute manière, c’est symbolique.

Pour Flore Cherry, ces éléments fonctionnent comme une « autorisation à entrer dans un jeu imaginaire. Peu importe que les vêtements soient bon marché ou les accessoires improvisés : ce sont eux qui nous identifient comme personnage. Et ça marche aussi dans l’autre sens : quand on n’a plus envie de jouer, on retire son masque ou on lâche son accessoire ».

Au royaume de l’imaginaire, tout est permis ? En théorie, absolument. Dans les faits, attention aux limites du fait maison : on ne s’attache pas avec des câbles (ça peut couper la circulation), on ne pénètre pas avec le premier objet venu (figurez-vous qu’on peut se blesser avec une banane). Les urgences ont déjà suffisamment de pain sur la planche ! Maintenez votre effort citoyen, et n’allez pas vous déchirer une muqueuse.

4. Le décor

Créer un environnement stimulant avec des bouts de ficelle, mission impossible ? Ce n’est pas l’avis de Clémence Gueidan, médiatrice ludique et conceptrice d’escape games : « Sans réorganiser votre intérieur, vous pouvez tendre vos draps pour créer des alcôves. Un vidéoprojecteur peut permettre de construire un environnement riche. Enfin, celles et ceux qui n’ont vraiment rien sous le coude peuvent miser sur la dimension sonore, quitte à trouver la bande-son de film qui correspond : le son peut faire toute la différence. » Pour les abonnés à Spotify, voici une playlist spécialement dédiée aux jeux de rôles érotiques.

5. Les dialogues

Si vous parvenez à improviser, fantastique. Si vous arrivez à tenir un vocabulaire et un niveau de langage spécifiques, merveilleux. Cependant, personne ne vous demande une performance digne de comédiens professionnels : essayez seulement de suivre le scénario ! Si votre performance dérape en rigolade, vous n’aurez pas perdu votre soirée (« Tu te rappelles la pandémie de Covid-19, quand tu as voulu imiter un panda ? »). Nous touchons là un énorme avantage du jeu de rôles : vous gagnez quand ça marche ET quand ça ne marche pas.

Pour Flore Cherry, « rire montre que la situation est en décalage, qu’on brise nos habitudes. C’est très bien de pouvoir l’exprimer. Mais avec l’expérience du jeu de rôle, ce passage devient naturel. On sait que rentrer à deux dans ce monde-là nous fait du bien, on en connaît les bénéfices. On sait où on va, ce qu’on vient chercher. Et on en rigole beaucoup moins. »

Conseil bonus : les adeptes de « vrais » jeux de rôles (comme le fameux Donjons & Dragons) peuvent jeter un œil à leurs versions X. Vous en trouverez une liste ici (malheureusement en anglais). En temps normal, les francophones pourraient se tourner vers l’offre pléthorique de dés, jeux de plateau, jeux de cartes érotiques, disponibles dans les commerces non-essentiels que sont les sex-shops. Mais en temps de pandémie, il va falloir utiliser votre imagination. Vous ne perdez rien au change.

5 avril 2020

Enquête : « Je suis comme un lion en cage » : confiné seul dans des petites surfaces, l’épreuve du feu

Par Jessica Gourdon

Chambre de bonnes, studettes, résidences étudiantes… Si beaucoup de jeunes sont rentrés chez leurs parents, ceux qui sont restés dans leur logement expérimentent une forme de solitude inédite.

Quand Valentin a appris qu’il allait devoir se confiner dans sa chambre de 15 m2, il en était presque amusé. « J’étais content de sortir du confinement, et voilà que je replonge dedans… » Ironie du calendrier, cet étudiant à Supaéro [Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace] était revenu la veille dans sa résidence toulousaine, après avoir été enfermé… pendant deux semaines dans une fausse base martienne, plantée au milieu d’un désert de l’Utah.

Cette expérimentation est proposée par la Mars Society à des groupes d’étudiants du monde entier, dans le cadre de recherches sur la vie sur la planète rouge. A sept dans 40 m2, avec une seule sortie par jour (« en combinaison »), un accès à Internet limité et des fenêtres fermées : pour la vie confinée, Valentin était rodé.

« Du coup, là, je le vis plutôt bien », commente le jeune homme de 21 ans, qui rêve d’être astronaute. Et ne pensait pas devoir appliquer si vite dans son quotidien les leçons de son expérience dans l’Utah : se fixer un planning, transcrire par écrit ses émotions, garder une activité physique quotidienne et des moments de détente, faire de la relaxation…

Alors que beaucoup d’étudiants sont revenus chez leurs parents pour le confinement, certains, pour des raisons variées – peur de les contaminer, relations difficiles, contraintes liées à un job ou à l’exiguïté du logement familial – sont amenés à vivre cette période dans de très petites surfaces, en solitaire. Dans les résidences d’étudiants par exemple, 40 % des jeunes sont restés, selon le Centre national des œuvres universitaires. Et contrairement à Valentin, beaucoup de ces jeunes adultes ne sont pas préparés à une telle épreuve.

Des logements conçus pour vivre à l’extérieur

Tout d’abord car les logements de petite taille sont avant tout conçus pour vivre à l’extérieur. Dans les résidences, les espaces collectifs (cuisines, cantines, salles de sport, foyers…) ont fermé ou sont en accès restreint, obligeant les locataires à se confiner dans des espaces non prévus pour y passer tout son temps.

« Dans les usages, les petits logements sont faits pour dormir, pour s’y réfugier après avoir passé la journée dehors. Ils sont un peu comme des cocons, des cabanes. Le salon, c’est le reste de la ville, ce sont les salles de cours, les cafés, les parcs », raconte Anja Hess, auteure du livre-enquête Les Habitants des chambres de bonnes à Paris (L’Harmattan, 2016).

Maximilien, qui vit dans un 18 m2 « pas lumineux » à Châtillon (Hauts-de-Seine), à côté de Paris, raconte qu’il avait l’habitude, après ses cours à l’école du Louvre, de voir des amis ou de travailler à la bibliothèque de Beaubourg jusqu’à 22 heures. Il passait rarement des soirées dans son studio, et le week-end, il était toujours dehors. « C’est franchement compliqué à vivre. Il y a des jours où je me sens comme un lion en cage. »

« A PART PASSER DE MA CHAISE AU LIT, JE NE PEUX PAS TELLEMENT FAIRE PLUS », RACONTE NADIA, LOCATAIRE D’UN 14 M2 À PARIS

Tous ceux que nous avons interrogés le disent : le plus difficile, dans ces petits espaces, est de séparer le travail des moments de détente. Quand Nadia, qui loue un 14 m2 à Paris, termine sa journée de stage derrière son ordinateur, elle reste au même endroit. « A part passer de ma chaise au lit, je ne peux pas tellement faire plus », raconte cette étudiante au Celsa.

« Le plus dur, c’est de rester concentré sur son travail quand on est en permanence dans le même espace », remarque Auxence, 22 ans, en master de cinéma à l’université de Lille, qui vit dans une chambre du Crous de 9 m2 à Villeneuve-d’Ascq. Il avait l’habitude de réviser en groupe à la bibliothèque. « Et là, franchement, j’ai du mal à travailler. Au quotidien, c’est assez horrible », commente l’étudiant, qui essaie tant bien que mal de boucler son mémoire sur les idoles yé-yé.

Cette restriction de l’espace peut avoir un effet anxiogène. « Elle atteint l’élan vital. Quand on vit dans un espace confiné, quand le corps est contraint, c’est comme si le champ des possibles de l’existence était refermé », estime Jeanine Chamond, professeure émérite en psychologie, qui a notamment travaillé sur le corps des prisonniers.

« ÇA ME FAIT PENSER À UNE CELLULE DE PRISON. J’AI L’IMPRESSION DE DEVENIR UN PEU FOU. C’EST UNE ÉPREUVE », CONFIE JULIEN, ÉTUDIANT À PARIS

Un sentiment partagé par Julien, 24 ans, étudiant en master de lettres. A Paris, il loue une chambre de bonne de 9 m2 sur le boulevard Saint-Germain – 600 euros de loyer par mois, avec toilettes sur le palier. Au sixième étage de son immeuble haussmannien, il est le seul locataire à ne pas avoir plié bagage. Il ne quitte son perchoir que le dimanche, pour remplir les rayons du Monoprix Saint-Michel, où il travaille une demi-journée par semaine.

« Ce qui est difficile, c’est d’être contraint à l’immobilité. Je me sens enfermé, empêché de bouger, j’ai du mal à me concentrer… Ça me fait penser à une cellule de prison. J’ai l’impression de devenir un peu fou. C’est une épreuve, je me dis que j’attends la libération. » Une consolation pour ce Toulousain d’origine, il a découvert A La Recherche du temps perdu : sur son lit simple, Proust le transporte du côté de chez Swann, un œil sur le ciel de Paris.

« Ça n’allait pas, j’écoutais du Barbara »

Au-delà de l’espace restreint, le plus grand défi, pour ces jeunes, est d’affronter la solitude. Dans l’immeuble parisien où réside Nadia, il y a dix studios. Avec ses voisins, ce n’étaient parfois que de simples « bonjour », mais c’était une présence. Depuis le confinement, l’étudiante de 22 ans ne croise plus personne. « J’ai l’impression d’être la seule qui n’a pas réussi à fuir. »

Son appartement, un rez-de-chaussée dans le 15e arrondissement de Paris, donne sur une cour et sur l’entrée d’un parking. « Je vois un peu le ciel, mais je dois me pencher. » Au loin, les cloches d’une église ou le bruit des oiseaux l’apaisent, et donnent à son quotidien un air de normalité. « D’habitude je suis une personne enjouée. Mais là, je vois qu’au fil des jours je deviens irritable. Evidemment, cette situation joue sur le moral », dit-elle.

« C’est dur de se sentir seule et enfermée », reconnaît aussi Léa, 22 ans, depuis son studio de 18 m2 à Maurepas (Yvelines), qui donne sur une route nationale presque déserte. Cette étudiante en master de ressources humaines admet que son moral « fait des montagnes russes », mais tient bon. Tout comme Maximilien, qui a eu fin mars un « gros coup de blues » de deux jours : « Ça n’allait pas, j’écoutais du Barbara. » Les contacts par visio avec ses amis l’aident à retrouver le moral. « Mais plus les jours passent, plus on se rend compte que ça ne remplace pas les contacts humains », note-t-il.

Plus ou moins difficile selon chacun

Tous ne vivent pas mal cette situation. Certains s’en accommodent, comme Sophie, 20 ans, étudiante en webdesign. Dans sa résidence Campuséa de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), elle a réorganisé sa vie avec efficacité. Après sa journée de stage en télétravail, elle fait de la broderie, suit des cours d’orthographe, joue à des jeux de société virtuels avec ses voisins qui n’ont pas déserté – une vingtaine parmi la centaine d’étudiants. « Je fais plus de sport que d’habitude, j’ai plus de temps pour moi, je fais des masques, j’ai la peau toute lisse. » Elle voit aussi son copain, locataire au septième étage. « Du coup, je le vis plutôt bien. »

En réalité, pour ces étudiants, la façon de vivre ce confinement dépend de leur ancrage dans leur vie et dans leur habitat, estime le sociologue Christophe Moreau, spécialiste des jeunes adultes. Il distingue plusieurs profils : ceux qui sont rentrés pour le confinement chez leurs parents, souvent les plus jeunes ; ceux qui ont investi leur nouvelle vie indépendante et leur logement, qui réussissent à entretenir des relations à distance et à s’organiser ; et enfin, ceux qui sont restés dans leur appartement mais manquent de ressources pour gérer leur emploi du temps, se préparer des repas équilibrés, ou pour qui la solitude est très déstabilisante.

C’est pour ces derniers que cette épreuve est la plus dure, selon Christophe Moreau :

« A cet âge, le groupe de pairs, c’est une bouée de sauvetage, c’est une façon de dépasser les traumatismes de l’adolescence, c’est plus qu’une source d’amusement. Le collectif joue un rôle de pacificateur d’émotions et de sécurisation identitaire. Quand il n’est pas là, cela peut être dramatique pour certains. »

Sans aller jusqu’à cette situation, ce confinement reste, dans tous les cas, une « épreuve de soi », résume Christine Bouvier-Müh, enseignante-chercheuse en philosophie à l’université catholique de Lyon. Une expérience inédite pour tout le monde, qui se vit mieux dans un espace plus grand mais laisse chacun affronter sa « solitude de sujet ». « L’essentiel est de garder le contact avec l’extérieur, de continuer à bouger, et de ne pas se laisser submerger par les nouvelles alarmantes ou par le travail », conseille-t-elle.

Après une demi-heure au téléphone où il nous a parlé de sa vie confinée, Maximilien est formel : dès que tout cela sera terminé, il ira passer une nuit ailleurs, pour voir « un autre ciel ». Et puis, il va résilier le bail de son 18 m2. Il cherchera un appartement plus grand, en colocation, pour la rentrée.

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