Russie : la stratégie risquée de l’opposant Alexeï Navalny
Par Isabelle Mandraud, Moscou, correspondante Le Monde
Arrêté dimanche à Moscou, le principal adversaire du Kremlin appelle au boycottage de l’élection présidentielle du 18 mars, sans parvenir à souder l’opposition autour de lui.
La mêlée a été de courte durée. A peine Alexeï Navalny avait-il posé un pied sur l’avenue Tverskaïa, la principale artère de Moscou, que des policiers l’ont embarqué sans ménagement dans un fourgon. Un retour certain à la case prison pour le principal opposant au Kremlin, qui avait appelé ses partisans, dimanche 28 janvier, à manifester partout en Russie contre la « supercherie » de l’élection présidentielle du 18 mars, pour laquelle il ne peut concourir. Sa candidature a été écartée en raison de condamnations pénales, qu’il réfute.
« On m’a libéré », a fait savoir sur Twitter l’opposant, plus de huit heures après avoir été interpellé. « Aujourd’hui était un jour important (…) Merci à tous ceux qui n’ont pas peur de se battre pour leurs droits. » Il a été inculpé pour « violation des procédures concernant l’organisation d’une manifestation », a indiqué la police moscovite dans un communiqué.
« Impeachment ! » scandé par les manifestants à Moscou
Pour la troisième fois en moins d’un an, les manifestants ont répondu présents à son appel dans plus d’une centaine de villes sur tout le territoire. Quoique moins nombreux que lors des précédents rassemblements des mois de mars et de juin, plusieurs milliers de personnes ont bravé les températures négatives et surmonté leur appréhension. Partout, les forces de police ont été déployées en nombre.
Trois heures avant le début des manifestations, jugées illicites par les autorités, la pression se faisait déjà sentir. A Moscou, la Fondation de lutte contre la corruption créée par Alexeï Navalny a été investie par la police, et le centre commercial dans lequel se trouvent ses locaux était totalement encerclé. Quelques jours plus tôt, la justice avait déjà prononcé la liquidation de cette organisation qui sert à financer l’équipe et les QG de l’opposant.
« Tant pis si je dois me faire arrêter, mais vingt-quatre ans [la longévité au pouvoir de Vladimir Poutine en cas de victoire à sa propre succession], c’est trop ! », martelait à Moscou, Pavel, un étudiant de 21 ans, tandis qu’autour de lui la foule, réunie sur la place Pouchkine, criait en anglais « Impeachment ! » ou, en russe, « ce ne sont pas des élections ! ». A Ekaterinbourg, le maire, Evgueni Roïzman, l’un des rares élus de l’opposition, reprenait ce slogan au micro. « Ce ne sont pas des élections, il ne faut pas y participer ! »
L’appel à boycotter la présidentielle ne fait pas l’unanimité
L’appel d’Alexeï Navalny, 41 ans, à boycotter le scrutin du 18 mars ne fait pourtant pas l’unanimité. L’opposition se divise sur cette stratégie. Elle est convaincue, pour une partie d’entre elle, que l’abstention n’aboutira, in fine, qu’à augmenter mécaniquement le score du chef du Kremlin. Depuis 2006, en effet, le seuil minimum de plus de 50 % de votants a été aboli. « Je suis ici pour montrer que l’opposition existe, mais je ne suis pas sûre que le boycott soit la meilleure solution », confiait timidement Karina, place Pouchkine.
Tout en apportant son soutien aux manifestations de dimanche contre le « spectacle » de l’élection présidentielle, le mouvement Russie ouverte, lancé par l’ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski, en exil en Europe, prône lui aussi un vote « pour tout autre candidat » que Vladimir Poutine, « plutôt qu’un boycott passif qui conférera une victoire incontestée à l’élite dirigeante ». « Il n’y a pas de boycott dans l’histoire qui ait conduit à un changement de pouvoir », souligne Alexandre Soloviev, président du mouvement.
« En dépit d’être le seul politicien véritablement remarquable en Russie aujourd’hui, Navalny ne parvient pas à rassembler tous les électeurs de l’opposition. Malgré tous ses efforts, il n’est pas Boris Eltsine, l’homme qui est devenu une figure unificatrice à la fin des années 1980, quand tout le monde a compris que la Russie devait rompre avec son idéologie communiste », note le politologue Andreï Kolesnikov, de la Fondation Carnegie à Moscou.
Alexeï Navalny doit en outre affronter une nouvelle concurrence avec l’arrivée dans le jeu de Ksenia Sobtchak, 36 ans. Certes, bien moins populaire, voire suscitant la méfiance d’une partie des « anti-Poutine », la fille de l’ancien maire de Saint-Pétersbourg Anatoli Sobtchak se pose elle aussi en opposante. Dimanche, en même temps que se déroulaient les manifestations des partisans de M. Navalny, la candidate s’est plantée seule sous l’œil de caméras avec une pancarte dans la ville de Grozny, en Tchétchénie. Elle réclamait la libération d’Ouioub Titïev, responsable de l’ONG des droits humains Mémorial, qui fait déjà l’objet, sur place, de multiples persécutions.