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Jours tranquilles à Paris
13 mai 2019

Le sultan de Brunei poussé à un compromis sur la charia

Par Bruno Philip, Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est

Face aux critiques de l’Occident et aux menaces de boycott, le monarque de ce petit Etat à majorité musulmane a décrété un moratoire sur la lapidation des personnes homosexuelles.

LETTRE DE BANGKOK

Le sultan a entendu le message. Il aurait d’ailleurs fallu être sourd pour ne pas l’entendre, même pour ce roi qui vit à l’abri de son palais aux 1 800 pièces érigé au bord de la rivière qui coule le long de Bandar Seri Begawan, capitale de l’émirat de Brunei. Après le tollé mondial provoqué par l’annonce, en mars, de l’imposition de châtiments islamiques particulièrement sévères, – lapidations pour rapports sexuels adultérins et entre personnes du même sexe, amputations des membres pour les voleurs –, sa majesté Hassanal Bolkiah a fait, dimanche 6 mai, ce qui ressemble fort à une concession aux contempteurs de sa politique.

S’exprimant à l’occasion du début du mois de ramadan, le sultan a tenu à clarifier les choses, reconnaissant en un joli euphémisme que « de nombreuses questions viennent de se poser, donnant lieu à des interprétations erronées des lois ».

En l’occurrence, il s’agit des lois relevant de l’imposition de la charia – loi islamique – et tout particulièrement des hudud, l’arsenal juridique prévoyant les peines à infliger pour les crimes de fornication, d’adultère, de rapports homosexuels, de consommation d’alcools et autres substances pas vraiment halal.

Moratoire

« Depuis deux décennies, nous avons appliqué un moratoire de facto au sujet de la peine de mort prévue par la common law [héritée des Britanniques], a déclaré le sultan avant de promettre que ­[ce moratoire] va s’appliquer aussi aux jugements relevant du code pénal de la charia ».

Le message est clair : si la loi islamique prévoit bien, en théorie, que ces châtiments soient infligés, ces derniers ne seront pas appliqués. Certes le sultan n’a pas mangé sa songkok, – la toque portée par les musulmans dans le monde malais –, car il ne remet pas en question le principe d’une application particulièrement répressive de la charia ; mais il prend en considération la colère suscitée par l’annonce de l’imposition de ces châtiments exemplaires dans le minuscule sultanat de Bornéo.

Outre George Clooney et Elton John, qui ont appelé au boycott des hôtels new-yorkais, londoniens et parisiens possédés par le sultan, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, avaient récemment publié un communiqué de protestation. Face à la montée de l’indignation européano-américaine – l’Asie est restée muette, pour ne pas parler du Proche-Orient –, le sultanat vient de se lancer dans une opération de relations publiques inédite pour ce royaume sans liberté de la presse ni d’expression, sans démocratie, et où le sultan décide de tout.

Outre cette rare prise de parole d’un souverain qui n’a pas hésité, pour une fois, à réagir directement aux critiques, cette communication de crise a pris la forme de l’invitation d’une journaliste du quotidien The Straits Times de Singapour, pays ami du sultanat. Un fait sans précédent : Brunei ne délivre jamais de visa de presse, à part, peut-être, pour fêter le « jubilé d’or » de son roi, le deuxième plus vieux monarque en exercice après la reine Elisabeth d’Angleterre, comme cela s’est produit en 2017.

A Brunei, la journaliste a pu s’entretenir non seulement avec le ministre des affaires étrangères, de la justice et des affaires religieuses, mais aussi avec un citoyen présenté comme « gay ». Nommé Dean, cet homme de 36 ans, cité par le quotidien singapourien, a affirmé ne pas avoir le sentiment d’« être victime de discrimination » de la part de son gouvernement et de ses concitoyens. « Si les gens me demandent si je suis homosexuel, je leur dis la vérité, mais souvent, ils préfèrent ne pas savoir. » Les minorités sexuelles peuvent être rassurées : au Brunei, où l’on a failli pouvoir mourir sous un jet de pierre après avoir forniqué avec une personne du même sexe, être gay ne pose donc aucun problème : à condition d’être discret et de ne pas avouer ce que l’on ne vous a pas demandé.

Rédemption

Cela dit, les concessions, ou disons les « explications » de sa majesté viennent souligner un paradoxe typiquement brunéien : pour être en mesure de condamner à des peines de lapidation homosexuels et fornicateurs, il faut quatre témoins. La difficulté de réunir un tel quorum pour ce genre de « crimes », qui se produit rarement en place publique, fait dire aux spécialistes de Brunei que les châtiments n’auraient de toute façon pas été appliqués.

Mais que veut le sultan ? C’est bien là tout le débat. Autour du palais des murmures, on dit que sa majesté, 72 ans, après une vie bien remplie et quelque peu dissolue, songe à l’au-delà et a dû trouver qu’il était temps de penser à sa rédemption. Quoi de mieux que de faire appliquer une bonne loi islamique qui, sur le fond, ne change rien à la vie quotidienne des Brunéiens ? Et ne choque pas les quelque 79 % des disciples du prophète qui en composent la population.

Quant aux chrétiens et autres bouddhistes, qui jouissent d’une certaine liberté religieuse, à la différence de l’Arabie Saoudite, ils ne sont pas inquiets. La même journaliste du Straits Times qui tient le scoop du siècle, a pu en rencontrer les têtes d’affiche. D’abord en la personne de l’évêque catholique Cornélius Sim qui a prudemment tenu à faire savoir que « les lois islamiques existaient auparavant, même si elles n’étaient pas codifiées. Nous [les Chrétiens] vivons de longue date en harmonie avec tout le monde. » Elle s’est ensuite entretenue avec Tiah Eng Bengle, vice-président de l’association qui gère le temple chinois de la capitale : « au nouvel an chinois, on pratique encore la danse du lion. Pour nous, rien n’a changé », a expliqué le fils du ciel.

Reste maintenant à savoir si cette communication de crise sera suffisante à faire dégonfler en Occident un mouvement qui a pris une certaine ampleur et qui avait fini par donner au Brunei mauvaise réputation. Les adversaires du sultanat craignent déjà que, après avoir fait un pas en arrière, il pourrait en faire un autre. Mais dans l’autre sens.

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4 mai 2019

Thaïlande : Vajiralongkorn monarque imprévisible et politique

Par Bruno Philip, Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est

Le roi Vajiralongkorn, monté sur le trône à la mort de son père en 2016, doit être officiellement couronné du 4 au 6 mai à Bangkok.

L’événement qui aura lieu du 4 au 6 mai à Bangkok ne s’était pas produit en Thaïlande depuis 1950 : le couronnement d’un roi. Sa Majesté Maha Vajiralongkorn, 66 ans, aura dû attendre longtemps avant d’accéder au trône, son père Bhumipol Adulyadej, mort en 2016 à l’âge de 88 ans, ayant régné sept décennies sur l’ancien royaume de Siam.

Bien que roi depuis plus de deux ans, Rama X – son nom dynastique – n’avait toujours pas été couronné. Il va donc l’être, samedi, lors de cérémonies élaborées qui se prolongeront durant deux jours et où vont se mêler des rites bouddhiques et brahmaniques, hérités de l’Inde classique. Ce couronnement a cependant lieu dans le contexte d’une Thaïlande politiquement divisée, dirigée depuis cinq ans par la junte militaire, et dont l’actuel souverain incarne pour beaucoup une stabilité mise à mal depuis le début du siècle, une période marquée par deux coups d’Etat.

Il n’est rien de dire que la personnalité de Sa Majesté Maha Vajiralongkorn Bodinthrathepphayawarangkun – son nom complet –, contraste fortement avec celle de son père, connu comme « le roi qui ne sourit jamais » en raison de la sobriété de son comportement et adulé par son peuple durant tout son règne.

Loin de connaître la même ferveur, Rama X est un personnage fantasque et imprévisible, dont la vie personnelle a été agitée. Il vient d’ailleurs d’annoncer, à la surprise générale, qu’il s’était marié pour la quatrième fois, mercredi 1er mai : l’heureuse élue, Suthida Tidjai, une ancienne hôtesse de l’air de Thai Airways âgée de 40 ans, est sa compagne depuis plusieurs années. En 2016, son futur époux l’avait nommée au grade de général au sein de l’armée et chef adjointe de l’Unité de ses gardes du corps.

Institution vénérée et puissante

On ne sait cependant que peu de choses sur ce souverain pilote de chasse, formé au Royaume-Uni et en Australie, et qui éleva naguère à la dignité de maréchal d’aviation son chien Fufu, décédé quatre ans après sa prise de fonction.

Depuis qu’il a accédé au trône de cette monarchie constitutionnelle, où l’institution royale est aussi vénérée que puissante, les décisions prises par Rama X ont laissé perplexe plus d’un observateur. Si la Constitution bride les pouvoirs exécutifs du souverain, le père de l’actuel roi, Rama IX, s’impliqua directement dans les affaires du royaume.

De même, son fils ne semble pas disposé à ne faire que de la figuration, rôle auquel le limite, en théorie, cette même Constitution.

Le roi s’est distingué ces deux dernières années par ses desiderata et ses réactions, créant des précédents : à la mort de son père, le 13 octobre 2016, Vajiralongkorn annonce qu’il ne va pas devenir roi dans l’immédiat, demandant « un délai » pour « porter le deuil ». Même s’il est de tradition, depuis le début de la dynastie Chakri, fondée en 1782, que le nouveau monarque monte sur le trône dès la mort du souverain défunt. Vajiralongkorn sera proclamé roi un peu plus tard, le 16 décembre.

En janvier 2017, nouvelle surprise : le souverain exige que soient amendés plusieurs articles du projet d’une nouvelle Constitution concoctée par les militaires au pouvoir – et approuvée l’été précédent par référendum. D’abord, il rejette l’obligation de se faire remplacer par un régent lorsqu’il est absent du pays. Une raison simple explique sa royale exigence : depuis des années, le roi passe une bonne partie de son temps dans sa somptueuse résidence des environs de Munich, près du lac de Starnberg.

Contrôle du Bureau des avoirs de la couronne

Le roi exige ensuite l’amendement de deux autres articles. Un premier qui permet à la Cour constitutionnelle d’être l’arbitre ultime en cas de crise majeure ainsi qu’un deuxième stipulant que toute proclamation royale soit contresignée par un ministre ou par le président du Parlement. Ces articles restreignaient ses pouvoirs de monarque constitutionnel.

Vajiralongkorn ne s’est pas arrêté en si bon chemin : en 2017, il a pris le contrôle direct du Bureau des avoirs de la couronne, dont les actifs sont estimés à 40 milliards de dollars (35,7 milliards d’euros). Magnanime, il a cependant accepté de payer des impôts sur les revenus générés par cet organisme qui s’occupe de la gestion des terres royales et de différents investissements, notamment dans le domaine bancaire…

« JE DÉFENDRAI VOTRE HÉRITAGE COMME S’IL EN ALLAIT DE MA PROPRE VIE », LE GÉNÉRAL APIRAT, LORS D’UNE CÉRÉMONIE

Le roi a aussi fait le ménage au palais, en révoquant des grands chambellans et en répudiant son avant-dernière épouse, dont l’oncle croupit désormais en prison pour corruption et « lèse-majesté ». Il a enfin étendu son contrôle au domaine militaire : en nommant, fin 2018, le général Apirat Kongsompong chef de l’armée, il a renforcé, à l’intérieur de cette dernière, la faction de la « garde du roi », affaiblissant ainsi la position du chef de la junte et premier ministre, Prayuth Chan-o-cha, qui n’était pas spécialement un soutien acharné du nouveau roi, par le passé.

Le 7 mars, à l’occasion d’une cérémonie sans précédent, ce même général Apirat a prêté serment à la monarchie en compagnie de plusieurs centaines de ses officiers devant une statue du roi Rama V, un souverain particulièrement révéré, mort en 1910. « Je défendrai votre héritage comme s’il en allait de ma propre vie », s’est exclamé l’officier, à genoux et mains jointes haut sur le crâne en signe de respect absolu.

SELON UN DIPLOMATE ASITIQUE, « LE FAIT QUE LE ROI AIT LUI-MÊME UNE EXPÉRIENCE DE MILITAIRE CONDUIT À CE QU’IL GARDE UN ŒIL ATTENTIF SUR LES FORCES ARMÉES ET LES PROMOTIONS EN SON SEIN »

Une telle cérémonie a été perçue par différents observateurs comme l’expression « d’une offensive tous azimuts contre les opposants de la junte militaire », écrit le site indépendant Khaosod. L’armée, en dépit de ses divisions interne, perçoit son avenir comme intrinsèquement lié à celui de la royauté. Et réciproquement : il est loin le temps où, à la suite du coup d’Etat de 1932, qui mit fin à la monarchie absolue, cette dernière fut marginalisée par les militaires.

Même si la Thaïlande redevient une démocratie et quel que soit le gouvernement issu des élections législatives du 24 mars, la nouvelle Constitution contribue à limiter les pouvoirs du premier ministre et de son cabinet. Elle renforce l’alliance entre le palais royal et l’armée. « Le fait que le roi ait lui-même une expérience de militaire conduit à ce qu’il garde un œil attentif sur les forces armées et les promotions en son sein », juge un diplomate asiatique cité par la revue japonaise Nikkei Asian review.

1 mai 2019

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30 avril 2019

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30 avril 2019

Au Japon, un changement d’ère et d’empereur mais la même volonté de moderniser la dynastie

Par Philippe Pons, Tokyo, correspondant, Philippe Mesmer, Tokyo, correspondance

Le prince héritier Naruhito doit monter sur le trône, le 1er mai, à l’issue de deux journées de cérémonies. A 59 ans, il défend comme son père le pacifisme et le devoir de mémoire.

Acte symbolique plus que politique, la montée, mercredi 1er mai, sur le trône impérial japonais du prince héritier Naruhito doit conclure deux journées de cérémonies, ponctuées de rituels shintos au Palais impérial de Tokyo.

Les premières accompagneront l’abdication d’Akihito (photo ci-dessous) , le père de Naruhito, officialisée dans l’après-midi du 30 avril lors d’une courte cérémonie d’une dizaine de minutes en présence de 300 personnes, dont le premier ministre Shinzo Abe.

akihito

A minuit, le 1er mai, le Japon entrera dans « Reiwa », nom donné à l’ère correspondant au règne du nouvel empereur, le 126e de la plus ancienne dynastie du monde. Naruhito doit assister à la remise des symboles et des sceaux impériaux puis à un événement entourant sa montée sur le trône.

Né en février 1960, Naruhito est l’aîné des trois enfants d’Akihito et de l’impératrice Michiko. Il fut le premier de la dynastie à être élevé par ses parents. Selon la tradition, son père avait été séparé dès ses 3 ans de ses parents pour être confié à des chambellans et à des précepteurs. Il en avait souffert. En rupture avec les pratiques passées, il avait choisi de s’investir dans l’éducation de Naruhito, qui a dès lors bénéficié des soins de parents presque « normaux ». Sa mère, Michiko, lui préparait des bentos quand il allait à l’école.

Joueur d’alto, Naruhito est amateur de tennis, de jogging et de randonnée. Très intéressé par la navigation maritime, il consacre ses études d’histoire au début des années 1980 à l’université Gakushuin, à Tokyo, aux réseaux de transports dans la mer Intérieure (à l’ouest du Japon) au Moyen-Age.

Un nouveau couple impérial ouvert au monde

De 1983 à 1985, au Merton College de l’université britannique d’Oxford, il rédige une thèse sur le commerce sur la Tamise au XVIIIe siècle. « Comme ma vie ne me laisse que peu de chances de sortir librement, a-t-il déclaré, les routes sont pour moi un lien précieux vers des mondes inconnus. » Son intérêt s’est ensuite porté sur le rapport entre l’humain et l’eau, de l’accès à l’eau potable aux catastrophes provoquées par l’eau. Naruhito intervient régulièrement dans les conférences internationales sur ces sujets.

Son séjour britannique reste pour lui un excellent souvenir, qu’il a relaté dans un mémoire, Temuzu to tomoni : Eikoku no ninenkan (« Auprès de la Tamise : mes deux années en Angleterre », ed. Université Gakushuin, 1993). Ce séjour lui a permis de découvrir la sociabilité des pubs et de s’étonner des manières relativement détendues de la famille royale britannique : « La reine Elizabeth II se verse le thé et sert les sandwiches. »

Il a également pu apprécier la liberté de ton dont jouissaient les étudiantes, ce qui l’aurait incité à se chercher une épouse « ayant des idées bien à elle ». Son dévolu s’est rapidement porté sur Masako Owada, une roturière rencontrée lors d’un thé donné en novembre 1986 en l’honneur de l’infante Elena d’Espagne. Fille du diplomate et ancien président de la Cour internationale de justice Hisahi Owada, diplômée d’Harvard et d’Oxford et sur le point de faire carrière au sein de la diplomatie nippone, Masako a fini, après deux refus, par accepter la demande en mariage du prince.

Le couple a une fille, Aiko, née en 2001, mais pas de fils. La pression subie par Masako pour donner au Japon un héritier mâle a largement contribué à la dépression dont elle souffre depuis 2003. Sa santé se serait améliorée et elle reprend peu à peu depuis 2012 ses activités officielles. De quoi faire espérer voir le nouveau couple impérial, multilingue et ouvert au monde, répondre aux attentes d’Akihito. Le retrait de l’empereur au profit de son fils aîné est significatif de sa tentative de mettre en harmonie avec son temps la fonction des descendants de la dynastie.

« Regarder le passé avec humilité »

Premier souverain du Japon à avoir été intronisé sous la Constitution de 1947, qui fait du monarque le « symbole de l’Etat et de l’unité du peuple » sans autres fonctions que protocolaires, Akihito est aussi le premier à abdiquer depuis l’empereur Kokaku (1771-1840).

L’abdication d’un empereur, pratiquée avant la Restauration de Meiji (1868), avait été écartée dans les lois fondamentales de 1889 et de 1947. Il fallut une loi, de juin 2017, pour autoriser celle d’Akihito.

Ce renouvellement ne devrait pas modifier le rôle qu’Akihito s’était assigné, en conformité avec la Constitution mais en donnant à son statut de « symbole » toute sa portée. L’image de son père, l’empereur Showa (nom posthume d’Hirohito, les empereurs prenant à leur mort le nom de l’ère de leur règne) fut entachée par un expansionnisme commencé par l’invasion de la Chine en 1931 puis la guerre de Pacifique dans laquelle il eut une part de responsabilité. Akihito s’est attaché au cours des trente années de son règne à rappeler les valeurs démocratiques et pacifistes sur lesquelles le Japon s’est reconstruit après la défaite de 1945.

Respectant la retenue que lui impose sa charge, il a toujours posé discrètement, au fil de ses discours, des balises à ne pas franchir pour maintenir la démocratie japonaise sur la voie tracée. Assumant le fardeau de l’ère Showa (1926-1989), il a sans cesse rappelé le Japon au devoir de mémoire pour les guerres qu’il mena, exprimant ses profonds remords pour les souffrances infligées par l’armée japonaise lors de ses visites à l’étranger et sur les champs de bataille de la guerre du Pacifique. C’est sur la voie de la continuité que se situe le nouveau monarque.

Naruhito porte un regard similaire à celui de son père sur le passé. A plusieurs reprises, il a appelé lui aussi « à regarder avec humilité » ce passé. Il avait appelé, en 2015, les générations qui ont vécu la guerre à « transmettre correctement à celles qui ne l’ont pas connue les expériences de l’histoire tragique du Japon ».

L’utilisation du terme « correctement » l’année du 70e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale avait une signification particulière : elle marquait une discrète prise de distance des tendances révisionnistes, frôlant le négationnisme, de Shinzo Abe dont le grand objectif est une révision de la Constitution pacifique de 1947.

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28 avril 2019

Analyse En froid avec Trump, la Corée du Nord se tourne vers la Russie, l’ancien « pays frère »

Par Nicolas Ruisseau, Moscou, correspondance, Philippe Pons, Tokyo, correspondant

A Vladivostok, dans l’Extrême-Orient russe, Kim Jong-un devait retrouver, jeudi, Vladimir Poutine pour leur première rencontre officielle.

La première rencontre entre le président Vladimir Poutine et Kim Jong-un, qui devait avoir lieu à Vladivostok (Russie), jeudi 25 avril, a une signification particulière alors que les négociations entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC) sont dans l’impasse à la suite de l’échec du sommet d’Hanoï, en février, entre le dirigeant nord-coréen et Donald Trump.

Quels que soient ses résultats, cette rencontre pourrait donner à Kim Jong-un une nouvelle marge de manœuvre : « Il envoie le signal à Washington qu’il a d’autres interlocuteurs puissants et qu’il peut compter sur la Russie », estime Artiom Loukine, professeur de relations internationales à l’université d’Extrême-Orient de Vladivostok.

La Russie, de son côté, « entend montrer qu’elle a les moyens économiques et politiques pour peser sur les équilibres régionaux », analyse, pour sa part, Andreï Lankov, spécialiste de la RPDC à l’université Kookmin à Séoul.

Le sommet fait suite à plusieurs invitations du président Poutine, adressées au dirigeant nord-coréen. Sa tenue fut différée par les pourparlers entre Pyongyang et Washington. Le dernier sommet entre Moscou et Pyongyang remonte à 2011, lorsque Kim Jong-il, père du dirigeant actuel, a rencontré le président Dmitri Medvedev. En revanche, depuis 2018, Kim Jong-un a rencontré quatre fois le président chinois, Xi Jinping.

Travailleurs corvéables à merci

Les entretiens porteront sur une priorité pour la RPDC : la coopération économique. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU), la Russie a voté, en 2017, comme la Chine, les sanctions internationales qui frappent Pyongyang. Depuis la suspension des essais nucléaires et balistiques nord-coréens, en 2018, Moscou demande que ces sanctions soient atténuées. Et, comme dans le cas de la Chine, leur application par la Russie est sujette à caution : le pétrole russe, transbordé d’un tanker à un autre en pleine mer, transite aussi apparemment par voie ferrée à travers la Chine du Nord-Est jusqu’aux provinces septentrionales nord-coréennes.

Un autre dossier épineux porte sur les travailleurs nord-coréens en Sibérie, également frappés par les sanctions onusiennes. Les Etats membres ont jusqu’à décembre pour s’y conformer. En Russie, ces Nord-Coréens sont au nombre de 10 000, travaillant dans des conditions « contraires aux normes internationales », selon l’ONG Human Rights Watch, dans les mines, les forêts et la construction. Corvéables à merci, ils représentent une source importante de devises pour Pyongyang, qui a expressément demandé à Moscou de continuer à les accueillir.

Les échanges entre les deux pays sont faibles, comparés à ceux que la RPDC entretient avec la Chine : les exportations nord-coréennes vers la Russie se chiffrent à moins de 2 millions de dollars (1,8 million d’euros) et les importations russes à 32 millions de dollars. Ce à quoi il faut ajouter les trafics divers qui passent par la courte frontière qui les sépare (une vingtaine de kilomètres) ou qui transitent en mer pour arriver au grand port nord-coréen de Chongjin.

Les grands projets de coopération passant par la Corée du Nord – un oléoduc reliant la Sibérie à la Corée du Sud, ou le rétablissement d’une voie ferrée le long de la côte orientale de la péninsule, afin de la connecter au Transsibérien – doivent attendre des jours meilleurs.

« Méfiance réciproque »

Autrefois « pays frères », la RPDC et la Russie soviétique ont eu des relations parfois orageuses, sous une cordialité de façade. Les troupes soviétiques ont libéré la partie nord de la péninsule coréenne en 1945, et ils ont mis au pouvoir un jeune Kim Il-sung, qui s’est vite révélé moins malléable que ne le pensait Moscou.

Jusqu’à l’effondrement de l’URSS, Pyongyang sut habilement se tailler une marge d’indépendance en jouant de la rivalité sino-soviétique. La chute du régime soviétique l’a non seulement privé de cette carte, mais elle s’est surtout traduite par une aide réduite et une flambée des prix des exportations russes fixées en fonction du marché et non plus selon des tarifs privilégiés : pris à la gorge, le pays, déjà mal en point, victime de catastrophes naturelles, devait connaître une période de famine lors de la seconde partie des années 1990. « Un passé qui a nourri une méfiance réciproque tenace des deux côtés », estime Andreï Lankov.

Il fallut attendre l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine pour que les relations commencent à se réchauffer. Entre-temps, Pékin avait profité du refroidissement et du désengagement russes pour accroître son influence sur Pyongyang et apparaître comme son principal allié.

Aujourd’hui, Kim Jong-un pourrait chercher à rééquilibrer les liens avec Pékin en se rapprochant de Moscou, et Vladimir Poutine à revenir en force dans le jeu géopolitique de l’Asie du Nord-Est. « L’impasse des négociations entre les Etats-Unis et la RPDC constitue une chance pour Poutine de passer du rôle d’observateur à celui d’acteur dans la crise coréenne et montrer que l’on peut aborder le dossier nord-coréen en dehors de la feuille de route américaine », explique Andreï Kortounov, directeur du groupe de réflexion Russian International Affairs Council, à Moscou.

Plutôt qu’à se livrer au jeu de bascule entre Moscou et Pékin comme ses aïeux, Pyongyang veut surtout montrer à Washington qu’il ne dépend pas du seul allié chinois.

23 avril 2019

A Londres, l’incendie de Notre-Dame ravive les craintes sur l’état de délabrement de Westminster

Par Philippe Bernard, Londres, correspondant - Le Monde

Fuites d’eau, rats, départs de feu : le siège du Parlement britannique souffre. Une gigantesque rénovation doit débuter cet automne… si le Brexit ne la repousse pas à nouveau.

LETTRE DE LONDRES

A Westminster, une sourde inquiétude s’est mêlée à la tristesse et à la consternation devant le spectacle de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Pas besoin de mauvais esprit pour dresser un parallèle : bâtiment emblématique de la démocratie britannique, centre de la vie politique et lieu éminemment touristique, le palais est dans un état de délabrement si avancé, le risque d’incendie si élevé, qu’une escouade de pompiers patrouille 24 heures sur 24 à la recherche de départs de feu. Rien qu’entre 2008 et 2012, quarante débuts d’incendie ont été enregistrés.

« C’est un peu comme conduire une voiture dont les freins n’auraient pas été révisés depuis quarante ans. Vous ne pouvez pas dire quand ils vont lâcher. Mais le risque est vraiment élevé », a déclaré Tom Healer, le responsable de la restauration.

L’état des canalisations, dont certaines datent de la construction – achevée en 1870 –, est à l’avenant. En plein débat sur le Brexit, début avril, une trombe d’eau a jailli du plafond de la Chambre des communes, arrosant les députés. « Il ne s’agit pas d’eaux usées », ont cru bon de rassurer les communicants du palais. Comme en France, personne ne peut s’empêcher de dresser un parallèle entre l’état d’un bâtiment icône et celui du pays.

Depuis le sinistre qui a partiellement détruit la cathédrale parisienne, le 15 avril, tous les yeux sont tournés vers le palais néogothique des bords de la Tamise dont les énormes travaux de réhabilitation, reportés depuis des décennies, doivent être précédés, à partir de l’automne, par le déménagement progressif des députés. Une gigantesque opération qui doit s’achever dans les années 2030 mais que ses répercussions multiples – politiques, financières, architecturales, touristiques – rendent hautement aléatoire en ces temps d’instabilité liés au Brexit.

Un bâtiment largement construit en bois

L’écho britannique du drame de Notre-Dame n’a pas échappé au chef de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn. Le drame parisien « devrait servir d’avertissement au gouvernement, a-t-il déclaré. Si l’un des magnifiques bâtiments que nous possédons était détruit par le feu, que ressentirions-nous ? L’état de Westminster est très mauvais et le risque d’incendie dans ce bâtiment largement construit en bois est à l’évidence élevé. »

Les images des Parisiens terrifiés devant le brasier renvoient au Londres de 1834, lorsque le précédent palais de Westminster, datant partiellement du Moyen Age, était parti en fumée sous les yeux des Londoniens impuissants.

Il suffit d’avoir circulé de nos jours dans le dédale de couloirs, de galeries et de passages non couverts du labyrinthique palais de Westminster pour se faire une idée du degré de décrépitude des lieux qui n’ont pas été rénovés depuis 1945-1950 et les destructions par les bombes nazies. Morceaux de pierre détachés, vapeur s’échappant de tuyaux, filets de protection, rats. Un rapport parlementaire de 2016 y ajoute l’amiante, un antique réseau de vapeur, l’enchevêtrement de tuyaux d’eau plus ou moins étanches et de 250 miles (400 km) de câbles électriques, des installations encastrées totalement inaccessibles.

Le document assure que, faute d’une « intervention rapide » pour une rénovation d’ampleur, on assistera, « soit à un accident brutal et catastrophique, soit à une dégradation progressive qui finira par rendre le bâtiment inhabitable ». En attendant, insistaient les députés, maintenir le palais néogothique en état de recevoir du public, « c’est comme tenter de remplir une baignoire avec un dé à coudre pendant que l’eau en sort par la vidange ».

Un complexe jeu de dominos

Cette réalité a longtemps été niée. Les touristes n’ont généralement d’yeux que pour la tour Elizabeth coiffée de la célèbre horloge Big Ben (actuellement en rénovation et recouverte d’échafaudages). Les visiteurs du palais n’accèdent souvent qu’à des lieux prestigieux apparemment en bon état : l’impressionnant Westminster hall et sa charpente en bois du XIVe siècle – qui a échappé à l’incendie de 1834 – et le lobby central où convergent les couloirs et galeries menant aux 1 100 salles du palais.

Le coût d’une réhabilitation totale, les implications pour la vie politique et surtout l’inertie, ont fait le reste. Longtemps reporté pour cause de Brexit, le vote sur le mode et le calendrier de la rénovation a eu lieu début février 2018. Les fuites d’eau et les plafonds qui s’écroulent « ne sont rien en comparaison de l’opprobre qui s’abattrait sur nos responsables politiques s’ils laissaient détruire le bâtiment le plus important du pays. Il est probable que Mme May ne souhaite pas ajouter la destruction du Parlement à son héritage déjà enviable », ironise Matt Chorley, plume politique du Times.

Les députés avaient le choix entre un maintien dans les lieux pendant les travaux, qui auraient alors duré quarante ans et coûté 5,7 milliards de livres (6,6 milliards d’euros), et un déménagement général mais temporaire, réduisant la facture à 3,5 milliards de livres, plus acceptables pour les contribuables. Ils ont opté pour cette seconde formule, sachant que chaque année de retard alourdit la facture de 100 millions de livres.

Les travaux de toiture ont démarré, mais la suite suppose de résoudre un complexe jeu de dominos. Les 650 députés doivent être relogés à Richmond House, un bâtiment des années 1980 ayant abrité le ministère de la santé, situé sur Whitehall, la grande avenue sur laquelle donne Downing Street. Quant aux 780 lords, ils s’installeront au Queen Elizabeth Centre, le palais des congrès qui fait face à l’abbaye de Westminster.

Pour loger tout ce monde, d’autres bâtiments historiques doivent être au préalable vidés et rénovés. Le déménagement, qui concerne aussi les 6 000 employés du Parlement, ne devrait se terminer qu’en 2025 et l’installation provisoire durer ensuite six années. Une nouvelle salle de débat devrait être aménagée dans une cour intérieure de Richmond House, mais le permis de construire n’a pas encore été accordé.

Des dorures aux préfabriqués

D’autres dilemmes restent à trancher. Le principal, comme pour Notre-Dame, porte sur le type de restauration : à l’identique ou adapté au temps présent ? Dans le cas de Westminster, le casse-tête est autant politique que patrimonial. Des députés s’inquiètent des conséquences de leur abandon d’un lieu si cher aux Britanniques, véritable cœur de la démocratie, et de leur dispersion dans des bâtiments sans âme au moment où le Parlement, incapable de ratifier l’accord sur le Brexit, est la cible de l’ire populaire.

Certains se demandent si quitter les dorures pour des préfabriqués ne risque pas d’affaiblir leur capacité d’impressionner les lobbyistes et les visiteurs étrangers à un moment où, Brexit oblige, le pays est censé négocier des accords commerciaux avec le monde entier. Et puis, à quoi ressemblera, sous des néons, l’ouverture en grande pompe de la session par la reine ?

Pourtant, le grand déménagement n’offre-t-il pas une occasion de dépoussiérer, voire de réformer la démocratie parlementaire ? Bronwen Maddox, directrice de l’Institute for Government, un cercle de réflexion sur l’efficacité du gouvernement, estime que les députés, privés de mètres carrés à Westminster, pourraient passer davantage de temps dans leurs circonscriptions et voter électroniquement. Elle ose même imaginer la transformation de la salle rectangulaire des Communes, conçue pour le bipartisme – le gouvernement et l’opposition s’y font face –, en un hémicycle, plus adapté à la diversité des partis.

Cette transformation architecturale traduirait une révolution institutionnelle, avec l’abandon du scrutin à un tour (qui lamine les petits partis), déjà bousculé par la tornade du Brexit. D’ailleurs, argue la politologue, le temps que s’achève cette réhabilitation complexe du palais de Westminster – probablement une décennie –, qui sait où en sera le système politique britannique ? Lorsque les députés regagneront leurs pénates néogothiques, la « citadelle de la liberté britannique », selon le mot de Winston Churchill, ne sera plus la même.

22 avril 2019

Ukraine : Volodymyr Zelensky remporte la présidentielle, le pays fait un saut dans l’inconnu

zelensky

Par Benoît Vitkine, Kiev, envoyé spécial - Le Monde

Elu à 73% des voix selon les premières estimations, l’ancien humoriste incarne un changement profond, mais son arrivée au pouvoir est assortie de multiples incertitudes.

Cinq ans après avoir mené la révolution dans la rue, les Ukrainiens ont à nouveau renversé la table, dimanche 21 avril, sans violence ni fracas, en portant au pouvoir un néophyte complet, Volodymyr Zelensky.

Cet humoriste et producteur à succès dénué de la moindre expérience politique, réalise un hold-up électoral, en récoltant, selon les premiers sondages de sortie des urnes, un score raz-de-marée de 73 % des voix, loin devant le sortant Petro Porochenko. Jamais président ukrainien n’avait obtenu un soutien aussi massif, et ce n’est là que l’un des records engrangés par M. Zelensky, qui devient, à 41 ans, le plus jeune président qu’ait connu le pays.

« Reality show » politique

Ce que l’histoire retiendra, surtout, c’est que les Ukrainiens ont préféré, en élisant un parfait inconnu, réaliser un saut dans le vide plutôt que de poursuivre leur route avec une classe politique décrédibilisée par des années de prévarication.

Inconnu, Volodymyr Zelensky ne l’est pas tout à fait : ce natif d’une famille juive de Kryvyi Rih, dans le centre russophone et industrieux de l’Ukraine, est même le compagnon de nombre de foyers depuis ses premiers pas d’humoriste sur scène et à la télévision, il y a vingt ans. Inconnu, Volodymyr Zelensky l’est surtout par son absence, jusqu’à sa déclaration de candidature fin 2018, du moindre engagement politique.

Il est assez facile de comprendre contre quoi les Ukrainiens ont voté : corruption, guerre, pauvreté, ces maux associés à l’ère Porochenko. Ce pour quoi ils ont voté est moins évident, et le flou entretenu par le vainqueur durant sa campagne – elle fut menée quasi exclusivement sur les réseaux sociaux et à coup de formules chocs mais très générales –, n’a pas contribué à lever le voile.

« NOUS VOYONS LA NAISSANCE D’UN PROJET POLITIQUE RÉELLEMENT UNIQUE. UN “REALITY SHOW” DANS LEQUEL CHACUN PEUT PARTICIPER »

En écrivant et en incarnant le rôle principal dans la série à succès Serviteur du peuple, dans laquelle un professeur d’histoire, Vasyl Holoborodko, est propulsé président pour nettoyer le pays de la corruption, M. Zelensky a simplement donné à des millions d’Ukrainiens le sentiment que la politique pouvait être autre chose. « Nous voyons la naissance d’un projet politique réellement unique, écrivait, avant le vote, le politologue Balazs Jarabik du centre Carnegie. Un reality show dans lequel chacun peut participer. »

Populisme « sympa »

Le flou que M. Zelensky a entretenu sur nombre de dossiers permet aussi à chacun de s’identifier à un élément de son programme en oubliant les autres.

Preuve en est, les accusations faisant de lui une marionnette de l’oligarque Ihor Kolomoïski, l’un des plus redoutables joueurs de la scène ukrainienne, lui ont glissé dessus, malgré des enquêtes sérieuses sur l’influence prêtée au milliardaire. Volodymyr Zelensky a aussi décomplexé les Ukrainiens en reprenant à son compte leur ras-le-bol de la guerre qui dure depuis cinq ans dans le Donbass… mais sans leur proposer de solution.

Ce populisme est d’un type nouveau : un populisme « sympa », pro-européen, qui ne cherche pas le clivage mais le rassemblement d’une Ukraine aux indentités morcelées.

C’est d’ailleurs dans ce domaine que Volodymyr Zelensky s’est montré le plus précis, en disant sa volonté de cesser l’« ukrainisation » linguistique et culturelle menée par M. Porochenko et à laquelle n’adhère pas une partie de la population, de « réintégrer » les populations du Donbass, par exemple en versant leurs pensions aux retraités des territoires de l’Est sous le contrôle des séparatistes prorusses… « Il est le seul parmi les candidats à ne pas avoir fait campagne sur la peur », résume le politologue Vladimir Fessenko.

Dimanche soir, le président élu a paru endosser, lentement, le costume présidentiel. Dans son quartier général à la décoration gentiment régressive, il a accueilli les résultats en plaisantant avec les journalistes sur sa femme, qui aurait « pu partir il y a longtemps ». Puis il a remercié « ceux qui l’ont soutenu et ceux qui n’ont pas voté pour lui » et promis de ne « pas laisser tomber » les Ukrainiens, avant d’insister sur la portée historique de son élection : « Je ne suis pas encore président, je peux m’adresser comme citoyen à tous les pays de l’ex-URSS et je peux leur dire : tout est possible ! » Il a aussi dit son intention de « relancer » le processus de paix avec la Russie, dans le cadre des accords de Minsk, qui impliquent la France et l’Allemagne. « Le plus important est de cesser le feu », a-t-il fait valoir.

Changement générationnel

Malgré des zones d’ombre, la rupture que constitue l’arrivée au pouvoir de Volodymyr Zelensky est considérable. Le changement est d’abord générationnel : en envoyant au tapis Petro Porochenko, il clôt – peut-être momentanément seulement – une période, celle de la domination des hommes politiques formés dans les années 1990, dans un mélange de pratiques soviétiques mourantes et de capitalisme brutal.

Dimanche soir, le vaincu a reconnu sa défaite et il a appelé l’Occident à soutenir son pays face à la Russie, précisant toutefois qu’il « n’abandonn[ait] pas » le combat politique.

Ce changement est aussi un pari. En 2014, les Ukrainiens ont estimé que nul n’était mieux placé pour démanteler le système politico-mafieux ukrainien que l’un de ses enfants, l’oligarque Petro Porochenko ; cinq ans plus tard, alors que leur pays est déchiré, ils misent sur un outsider investi d’une mission de salubrité publique. Il y a là une part d’irrationnel : si la campagne a provoqué autant de tensions dans le pays, c’est qu’une partie de sa population n’attend rien de moins qu’un miracle, pendant que l’autre ne peut imaginer autre chose qu’une catastrophe.

De fait, la tâche qui attend Volodymyr Zelensky est gigantesque. « Casser le système », comme l’a promis le candidat, sous la pression constante d’une Russie agressive et déterminée à faire échouer son voisin, sera bien plus difficile que de remporter la confiance des électeurs. Car ce système se nourrit précisément de la faiblesse de l’Etat et des institutions, les seules armes aux mains du nouveau président.

Déception inévitable

Dérégulations, privatisations, amnistie fiscale, renforcement du pouvoir des agences anticorruption… Le candidat a, certes, esquissé un programme d’orientation libérale, mais il faudra aussi compter sur l’opposition de ceux qui ont à perdre d’un changement.

« Face à lui, s’il se décide vraiment à agir, Zelensky va se retrouver face à l’Etat profond ukrainien, qui est bien plus puissant que l’Etat profond américain qui lutte face à Trump », prévient Iouri Romanenko, de l’Institut du futur, une structure qui a conseillé le candidat.

« Il y aura des résistances énormes, admet également Oleksandr Danyliouk, un ancien ministre des finances et le plus expérimenté des réformateurs à avoir rejoint le jeune candidat. Nous devrons être immédiatement agressifs, nous concentrer sur les institutions clés. » Autrement dit, des arrestations de cadres de l’ancien régime pourraient intervenir, une façon de donner des gages à l’électorat alors même que la déception paraît inévitable dans d’autres domaines, comme celui des tarifs gaziers, qui sont amenés à augmenter malgré les promesses du candidat.

Partenaires de scène et d’affaires

La question des hommes sera elle aussi déterminante, à commencer par le président lui-même. L’acteur Volodymyr Zelensky est-il prêt à être mal aimé de son peuple ? Sa volonté d’agir tiendra-t-elle durant les cinq années de son mandat ? Et pourra-il s’imposer autrement que par des coups d’éclat permanents et des propositions hors norme, à la manière d’un Trump ukrainien ?

« CE SONT DES GENS DONT LE MÉTIER EST D’ÉCRIRE DES SÉRIES. ON ÉCRIT UN ÉPISODE OU UNE SAISON SANS CONNAÎTRE LA SUITE… »

Mais plus encore la question de son entourage interroge. A ses côtés, des réformateurs bon teint comme M. Danyliouk cohabitent avec d’autres cercles moins recommandables issus notamment des équipes de l’oligarque Kolomoïski, à qui le candidat a rendu visite à plusieurs reprises durant la campagne.

La lutte pour l’accès au président promet d’être rude, et elle est pour l’instant remportée par les partenaires de scène et d’affaires de M. Zelensky, dont on ignore à peu près tout. « Ce sont des gens dont le métier est d’écrire des séries, note malicieusement le politologue Fessenko. Or, le principe d’une série est que l’on écrit un épisode ou une saison sans connaître la suite… »

Dernière dose d’espoir

La dernière incertitude concerne l’étendue des pouvoirs dont disposera l’équipe Zelensky, et notamment d’une éventuelle majorité parlementaire. Plutôt que d’attendre les élections législatives prévues en octobre, le nouveau président aurait tout intérêt à dissoudre le Parlement, mais il n’est pas certain qu’il en aura le temps. Et il trouvera dans tous les cas sur son chemin les forces qu’il a affrontées durant la campagne : celles de M. Porochenko, celles de l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko, sans compter les représentants des différents oligarques, qui tous disposent de relais solides sur le terrain.

La simple question des nominations relevant de la compétence présidentielle – ministres de la défense et des affaires étrangères, procureur général, chef des services de sécurité… – s’annonce délicate.

Autrement dit, dès lundi matin, l’heure ne sera plus à la plaisanterie pour le sixième président de l’Ukraine indépendante. Au-delà du bel exercice de démocratie auquel s’est livré le pays, son échec aurait des conséquences lourdes pour une nation qui s’offre, en lui donnant sa confiance, une toute dernière dose d’espoir.

17 avril 2019

Algérie

11 avril 2019

Julian Assange

julian22

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