Par Gilles Paris, Washington, correspondant - Le Monde
La Constitution prévoit de longue date un dispositif pour remplacer le président. Mais les conséquences d’une impossibilité durable pour Donald Trump de faire campagne sont plus complexes.
Les Etats-Unis s’avançaient déjà au-devant de l’incertitude, l’hospitalisation de Donald Trump, vendredi 2 octobre, n’a fait que la décupler.
A la veille de ce transfert spectaculaire, la stratégie du candidat républicain visait à jeter le doute sur la sincérité du scrutin du 3 novembre que son adversaire Joe Biden, affirmait-il, ne pourrait remporter « qu’en trichant ». A cet effet, le président n’a cessé d’attaquer le vote par correspondance, auquel il recourt pourtant lui-même. Il a affirmé, contre l’avis de sa propre administration, à commencer par le directeur de la police fédérale (FBI), Chris Wray, qu’une fraude massive se mettrait en place à l’instigation du Parti démocrate en profitant de la volonté de nombreux électeurs d’éviter de patienter parfois de longues heures dans des files d’attente, le jour du scrutin, pour voter.
Le test positif annoncé par le président dans la nuit de jeudi à vendredi et son transfert dans le prestigieux hôpital militaire Walter-Reed, dans la banlieue de Washington, alimente brutalement d’autres interrogations, sur la continuité de l’Etat comme sur celle de la campagne électorale, à moins de cinq semaines, désormais, du jour de l’élection.
Un transfert de pouvoir prévu par la Constitution
La première a été envisagée de longue date par la Constitution, qui dispose que le vice-président prend la tête du pouvoir exécutif lorsque le locataire de la Maison Blanche n’est pas en état d’exercer ses fonctions. L’amendement 25, adopté en 1967, encadre ce transfert du pouvoir. Il peut être volontaire (section 3) ou imposé par le vice-président et une majorité du cabinet, autrement dit du gouvernement fédéral (section 4). Une option dramatique qui n’a jamais été expérimentée. Le président recouvre automatiquement ses fonctions dès qu’il est en mesure de les exercer, à moins d’un vote contraire de ses subordonnés.
Ce transfert temporaire du pouvoir peut se faire sans même que soit invoqué le 25e amendement, comme ce fut le cas pour le président républicain Ronald Reagan. Non pas après la tentative d’assassinat qui l’avait laissé grièvement blessé en 1981, et qui n’avait curieusement pas été accompagnée d’une telle passation, mais pour une intervention chirurgicale subie en 1985. George W. Bush a très brièvement transféré ses pouvoirs à son vice-président, Dick Cheney, pour des actes médicaux similaires en 2002 et en 2007.
OFFICIELLEMENT, TRUMP POURSUIT EN PARALLÈLE SES ACTIVITÉS DE PRÉSIDENT ET SA CONVALESCENCE
Dans le cas où le vice-président est également dans l’incapacité d’exercer ses responsabilités, une hypothèse à retenir compte tenu du grand nombre d’infections recensées ces dernières heures dans l’entourage immédiat de Donald Trump, le pouvoir exécutif est transféré au speaker de la Chambre des représentants, un poste occupé aujourd’hui par la démocrate Nancy Pelosi (Californie), 80 ans, qui a subi avec succès un test au Covid-19, vendredi, puis au doyen du Sénat, actuellement le sénateur républicain Chuck Grassley (Iowa), âgé de 87 ans, puis aux membres du cabinet selon l’ordre protocolaire.
Alors que le vice-président Mike Pence a été testé négatif, vendredi, cette option a été écartée par la Maison Blanche. Officiellement, Donald Trump va donc poursuivre en parallèle ses activités de président et sa convalescence.
Des conséquences complexes sur la campagne
L’hospitalisation à Walter-Reed n’empêche a priori pas Donald Tump de rester présent dans la campagne en cours, fragilisée vendredi par l’annonce de la contamination de celui qui la dirige depuis juillet, Bill Stepien.
Après avoir moqué des mois durant son adversaire démocrate Joe Biden, qui s’est protégé du risque en restant chez lui de longues semaines à Wilmington (Delaware), le président sortant pourrait l’imiter, notamment grâce aux réseaux sociaux, en faisant le deuil des meetings qui ont mis en évidence un goût et un talent pour battre les estrades.
Comme l’ont noté des juristes interrogés par le Washington Post ou le New York Times, les conséquences d’une impossibilité durable, voire définitive, pour Donald Trump de faire campagne sont en revanche beaucoup plus complexes, en bonne partie compte tenu de la proximité de l’élection du 3 novembre. Fixée par la loi, la date de cette élection ne peut être modifiée sans un accord du Congrès, peu probable compte tenu de l’actuelle polarisation politique. L’entrée en fonction du président élu, le 20 janvier suivant, est en outre gravée dans la Constitution.
Les remplacements de candidats en cours de campagne ne relèvent pas de la loi fondamentale américaine mais des statuts des partis. Ceux du Parti républicain indiquent que la responsabilité en revient au Comité national républicain, la plus haute instance du Grand Old Party, présidée par Ronna McDaniel, testée positive au Covid-19 vendredi. C’est elle et les 168 membres de ce comité (trois par Etat et territoire associé) qui sont chargés en théorie de désigner un remplaçant.
LES BULLETINS DE VOTE ONT DÉJÀ ÉTÉ IMPRIMÉS
Le problème majeur qui complique une telle opération réside dans le fait que le Parti républicain n’a plus le temps matériel d’organiser formellement une convention d’investiture qui couronnerait un nouveau candidat. De plus, les bulletins de vote ont été déjà imprimés pour le 3 novembre avec le nom de Donald Trump. Enfin, le vote anticipé lui-même a déjà débuté (soit plus de 2,5 millions de votes). Dans l’écrasante majorité des cas, puisque l’organisation des élections nationales n’est pas une compétence fédérale mais revient aux Etats eux-mêmes, les électeurs qui se sont déjà exprimés seraient dans l’incapacité légale d’actualiser leur vote.
L’élection présidentielle, indirecte, étant formellement tranchée par les grands électeurs, en décembre, ceux des Etats remportés par l’actuel « ticket » républicain pourraient en théorie voter pour un autre candidat que celui figurant sur les bulletins de vote et qui aurait été sélectionné par le Comité national républicain. L’obligation faite aux grands électeurs dans de nombreux Etats, rappelée en juin par la Cour suprême, de s’en tenir strictement au mandat confié par les électeurs, ouvrirait cependant certainement la voie à des contestations devant les tribunaux qui pourraient transformer ce rendez-vous majeur en pandémonium.