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Jours tranquilles à Paris
27 octobre 2017

Référendum en Catalogne

Catalogne : Puigdemont renvoie la responsabilité de l’indépendance sur le Parlement

Par Isabelle Piquer, Barcelone, Espagne, envoyée spéciale

Sommé par Madrid de se prononcer sur la tenue d’élections, le chef de l’exécutif n’a pas tranché, jeudi. Le Parlement devra décider, vendredi, alors que la menace de la mise sous tutelle par Madrid se rapproche.

Suspense, rebondissements, crises, le feuilleton catalan a vécu une nouvelle journée de grande confusion, jeudi 26 octobre. Des scènes maintes fois jouées par les gouvernements de Madrid et de Barcelone qui, malgré leurs ultimatums à répétition, ne semblent vouloir s’engager ni l’un ni l’autre dans la voie de non-retour que supposerait la mise sous tutelle de la Catalogne.

Le dénouement final devrait avoir lieu vendredi 27 octobre. A Madrid, dès 10 heures, le Sénat a prévu de débattre l’article 155 de la Constitution espagnole – il donne au gouvernement du premier ministre Mariano Rajoy le pouvoir de destituer l’exécutif catalan et de contrôler, entre autres, la police et les médias publics. Au même moment à Barcelone, le Parlement régional doit se réunir pour décider s’il va voter en faveur de l’indépendance. Les débats, et la tension, devraient durer tout l’après-midi.

C’est le président catalan, Carles Puigdemont, qui a décidé de prolonger son bras de fer avec Madrid jusqu’au dernier moment. Au cours d’une journée particulièrement chaotique, et après avoir retardé puis annulé deux allocutions solennelles, il est finalement apparu devant la presse, peu après 17 heures, au siège de la Généralité (exécutif catalan) pour annoncer sa décision de ne pas convoquer des élections anticipées, car le gouvernement de M. Rajoy ne lui offrait pas « de garanties suffisantes ».

Et ce malgré la médiation de « diverses personnes », a reconnu le responsable nationaliste, notamment celles du premier secrétaire des socialistes catalans, Miquel Iceta, et, d’après la presse espagnole, du chef du gouvernement basque, Inigo Urkullu. Ils voyaient dans un scrutin régional la meilleure issue pour éviter un choc frontal avec Madrid.

Une crise aux conséquences imprévisibles

Carles Puigdemont a finalement annoncé qu’il laissait le Parlement régional se prononcer sur « les conséquences de l’application contre la Catalogne de l’article 155 » et continuer sur la voie du mandat en faveur de l’indépendance donné par les électeurs lors du référendum du 1er octobre.

C’était une manière de se délester de la responsabilité d’une rupture, même symbolique, avec l’Espagne et surtout d’éviter que sa formation, le Parti démocrate européen de Catalogne (PdeCAT), n’assume seule l’usure d’une crise aux conséquences imprévisibles. « Si nous devons tomber, toute la coalition tombera », déclare un proche du président Puigdemont.

Une stratégie qui comporte des risques d’implosion pour la coalition Junts pel si (« Ensemble pour le oui »). Au sein de la majorité indépendantiste (72 députés sur 135), les sensibilités sont très diverses. Les tensions de ces derniers jours n’ont fait qu’aviver les différends entre le PdeCAT, la Gauche républicaine (ERC) du vice-président Oriol Junqueras et la Candidature d’unité populaire (CUP, extrême gauche).

Il suffit de cinq défections pour faire couler une éventuelle déclaration d’indépendance. Et certains membres de la coalition ne sont pas sûrs de vouloir aller jusqu’au bout. Plusieurs auraient fait part de leur crainte face à de possibles poursuites judiciaires.

Retournements de situation

Jeudi soir, c’est l’un des proches de M. Puigdemont, le ministre catalan chargé des entreprises, Santi Vila, qui a annoncé sa démission sur Twitter après avoir constaté que ses efforts pour le dialogue avaient « échoué ». Peu après le référendum, M. Vila avait demandé un « cessez-le-feu » et appelé à « réfléchir à l’utilité et aux conséquences » d’une déclaration d’indépendance.

A Madrid, le Parti populaire (PP) au pouvoir et les socialistes du PSOE ont essayé tant bien que mal d’opposer un front uni face aux indépendantistes. Au Sénat, la vice-présidente du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, a poursuivi la procédure préalable au vote de l’application de l’article 155 en déclarant que l’objectif était de « rétablir la légalité et le vivre ensemble », des arguments répétés par les conservateurs.

Les socialistes, quant à eux, essayent de laisser la porte ouverte à un recul de dernière minute des indépendantistes en proposant un amendement qui permettrait de tout arrêter si Barcelone se décidait finalement à convoquer des élections. « Nous sommes toujours à temps », a martelé son secrétaire d’organisation, José Luis Abalos, qui a également dénoncé « l’irresponsabilité du sécessionnisme ».

Pour les militants indépendantistes les retournements de situation de la journée de jeudi ont été particulièrement déroutants. Dans les rues de Barcelone, dès que les rumeurs de possibles élections anticipées ont commencé à circuler, des milliers d’étudiants qui avaient convoqué une grève puis une manifestation place de l’Université, sont allés jusqu’au siège de la Généralité pour crier contre le « traître » Puigdemont. Puis, un peu désorientés par la non-déclaration du président mais pleins d’énergie revendicatrice, ils sont partis jusqu’aux grilles du parc du Parlement, fermées par un important barrage policier, pour demander l’instauration de la République.

« Nous allons vivre un moment historique »

« Ce serait une lâcheté que de faire marche arrière, explique Gerard, un étudiant en physique qui sèche ses cours depuis un mois pour soutenir la sécession, « si le PdeCat n’est pas à la hauteur, il le paiera aux urnes. »

Le noyau dur de l’indépendantisme, lui, s’est déchaîné sur les réseaux sociaux. Le porte-parole de l’Assemblée nationale catalane (ANC) a parlé de « fraude » ; la CUP, quant à elle, a répété, une fois de plus, qu’elle « ne soutiendrait pas des élections ».

Toutes les organisations indépendantistes, l’ANC et Omnium, ainsi que l’Association des municipalités en faveur de l’indépendance et d’autres collectifs de la mouvance, ont appelé leurs sympathisants à se mobiliser, vendredi, dans les jardins proches du Parlement dès 10 h 30. L’ANC leur a même conseillé d’amener de l’eau et des sandwiches en prévision d’une journée qui s’annonce longue.

« Nous allons vivre un moment historique », a déclaré le porte-parole de l’ANC, Agusti Alcoberro, celui que les militants n’ont pas pu vivre, le 10 octobre, sur cette même place, lorsque M. Puigdemont a annoncé puis suspendu la déclaration d’indépendance. Venus célébrer la République, ils étaient repartis chez eux déçus et découragés.

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24 octobre 2017

La lettre politique de Laurent Joffrin : Un point pour le Président

Rien ne sert de toujours chipoter : Macron a gagné. Il n’a pas tout gagné, il n’a pas complètement gagné. Mais il a gagné. Il avait fait de la directive sur les travailleurs détachés un symbole, un marqueur de sa posture en Europe. Au terme d’une négociation de douze heures, la France et ses partenaires ont abouti à un compromis honorable. La discussion s’est focalisée sur un point sensible : la durée pendant laquelle on peut faire courir un contrat de détachement. La Commission proposait vingt-quatre mois. Pendant sa tournée des pays de l’Est, le Macron-voyageur avait plaidé avec flamme pour douze mois au maximum. Finalement, ce sera douze mois avec une rallonge possible de six mois.

A Bruxelles, cette capitale des cotes mal taillées, l’Union a de nouveau joué sa carte maîtresse : le sens du compromis. En France on dira : c’est douze mois sauf exception. Dans les pays hostiles à la réglementation nouvelle, on dira : c’est dix-huit mois sauf exception. Demi-vérité en deçà du Danube. Demi-mensonge au-delà. Les souverainistes ne manqueront pas de moquer cette politique du verre à moitié vide ou plein, selon la longitude.

Pourtant, l’harmonisation sociale du continent est à ce prix. Le problème s’éteindra de lui-même quand les pays moins développés de l’Union auront rattrapé les autres. Ce qu’ils ont commencé à faire grâce au grand marché. Derrière une frontière hermétique, ils peineraient plus. Quant à la France, on oublie toujours de dire qu’elle détache elle aussi de nombreux travailleurs à l’étranger. Au bout du compte, tout le monde y gagne. Rappelons aussi que, même s’ils sont souvent concentrés sur certains secteurs, les travailleurs détachés représentent nettement moins de 1% de la main-d’œuvre totale en Europe. Plus de 99% des travailleurs ne sont pas concernés. L’affaire est donc statistiquement symbolique. Mais en politique, les symboles comptent souvent autant que les faits.

10 octobre 2017

Carles Puigdemont entérine "le droit" à l'indépendance de la Catalogne, mais souhaite négocier avec Madrid

Le président séparatiste Carles Puigdemont entérine, mardi 10 octobre, "le droit" de la Catalogne à devenir indépendante, mais se donne le temps de négocier avec Madrid. "Après le référendum du 1er octobre dernier, la Catalogne a gagné le droit de devenir un Etat indépendant, affirme-t-il lors d'une allocution devant le parlement catalan. [Elle] sera un Etat indépendant sous la forme d'une République." Il demande toutefois à l'Assemblée de "suspendre la déclaration d'indépendance durant les prochaines semaines", le temps de négocier une sortie de crise avec le gouvernement central.

3 octobre 2017

Les dirigeants catalans se sont mis "en marge du droit et de la démocratie", estime le roi d'Espagne.

roi espagne

Felipe VI ne joue pas la carte de l'apaisement. Dans une allocution diffusée mardi 3 octobre, le roi d'Espagne a dénoncé l'attitude des séparatistes catalans. Deux jours après l'organisation du référendum sur l'indépendance interdit par Madrid, il a accusé les dirigeants de la région autonome de se mettre "en marge du droit et de la démocratie".

Quelque 300 000 personnes ont participé à un rassemblement, à Barcelone, selon la police municipale pour "dénoncer" les violences policières en marge du référendum interdit. Lors du scrutin, la police et la garde civile sont intervenues dans une centaine de bureaux de vote pour saisir urnes et matériel électoral, et des heurts ont éclaté.

3 octobre 2017

Référendum en Catalogne

L’Espagne et la Catalogne plongent dans l’inconnu

Par Sandrine Morel, Madrid, correspondance

Carles Puigdemont, le président catalan, veut enclencher le processus d’indépendance de la région après la victoire du oui au référendum.

Et maintenant ? Le scénario des événements de dimanche 1er octobre était écrit d’avance. Le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, avait prévenu qu’il ne laisserait pas s’organiser, au mépris de la loi et de l’autorité de l’Etat, le référendum sur l’indépendance de la Catalogne, interdit par la Cour constitutionnelle espagnole. Le président catalan, Carles Puigdemont, l’a maintenu envers et contre tout, au nom de la « légitimité populaire » et de l’« engagement » pris envers ceux qui ont porté au pouvoir la coalition indépendantiste en Catalogne, en septembre 2015.

L’escalade verbale entre les deux hommes, incapables d’engager un quelconque dialogue, annonçait ainsi depuis des mois un choc inévitable. Ce dernier a finalement eu lieu le 1er octobre lorsque la police nationale a chargé sur des Catalans qui voulaient ­voter. Ses conséquences sont à présent ­imprévisibles.

Le président de la Catalogne a laissé peu de place au doute quant à son intention de proclamer l’indépendance de la région espagnole dans le courant de la semaine. « En ce jour d’espoir et de souffrances, les citoyens catalans ont gagné le droit d’avoir un Etat indépendant sous la forme d’une république », a-t-il déclaré lors une allocution télévisée, avant même la publication des résultats, insistant sur les « atteintes aux droits et libertés » qui se sont produites dans la journée.

A maintes reprises, dans son discours, il a mentionné l’Europe, demandant une médiation internationale. Mais il a aussi laissé entendre qu’il n’attendra pas celle-ci pour agir et qu’il « transmettra dans les prochains jours les résultats du scrutin au Parlement catalan, afin qu’il puisse agir conformément à la loi référendaire ».

« Processus long et laborieux »

D’après cette loi polémique, sorte de mini-Constitution liquidant à la fois la Loi fondamentale espagnole et le statut d’autonomie catalan, approuvée sans débat le 7 septembre au Parlement régional par une majorité simple et suspendue par le Tribunal constitutionnel, la sécession doit être proclamée dans les 48 heures suivant la publication des résultats, si le oui l’emporte.

Sauf surprise majeure, la coalition indépendantiste Junts pel si (« Ensemble pour le oui ») et la Candidature d’unité populaire (CUP, extrême gauche) devraient proclamer l’indépendance de la Catalogne mercredi 4 octobre. Selon leur programme s’ensuivrait ensuite un « processus constituant » de négociation entre les différents partis et avec l’Etat.

Après plusieurs mois, le projet de Constitution qui en émanerait serait soumis à une nouvelle assemblée, dite constituante, formée après de nouvelles élections. Selon un dirigeant de Ciudadanos, le principal parti d’opposition, « le gouvernement catalan pourrait en quelque sorte essayer d’appliquer dès mercredi l’équivalent de l’article 50 pour le Brexit : l’ouverture d’un processus de négociation long et laborieux qui lui permettrait en fait de gagner du temps pour chercher des soutiens dans la communauté internationale et essayer de renforcer encore le bloc indépendantiste, en marge de la CUP, qui est un allié gênant pour son image… »

Quelle sera la réponse de Madrid ? Il semble improbable que Mariano Rajoy laisse passer une déclaration d’indépendance sans réagir. En cas de sédition, la loi lui permet de suspendre l’autonomie de la Catalogne et de prendre le contrôle de la police régionale, les Mossos d’Esquadra.

La déclaration d’indépendance pourrait aussi conduire les juges à procéder à l’arrestation de Carles Puigdemont et des membres du gouvernement, déjà mis en examen pour détournement de fonds publics pour l’organisation du référendum. « Si cela se produit, l’Etat de droit aura vaincu mais le système politique de l’Espagne, celui des régions autonomes, aura perdu, affirme le journaliste Xavier Vidal-Folch, auteur de plusieurs ouvrages sur la question catalane. Et il faudra de nombreuses années pour le recoudre et réparer les fractures de la société. »

Fuite en avant et manque de vision

Les principaux syndicats ont appelé à une grève générale en Catalogne, mardi 3 octobre, pour protester contre les violences policières.

Et les puissantes associations indépendantistes ont envoyé un avertissement à M. Puigdemont. « Nous attendons tout de votre engagement : Président, ne nous faites pas défaut », a déclaré dimanche soir devant une foule enthousiaste, place de la Catalogne, à Barcelone, Jordi Sanchez, le président de l’Assemblée nationale catalane (ANC), à l’origine des manifestations monstres qui ont lieu chaque année pour la Diada (la fête nationale catalane).

La fuite en avant des indépendantistes et le manque de vision du chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, cadenassé derrière une lecture uniquement juridique de la crise la plus grave qu’ait connue son pays en quarante ans de démocratie, font craindre le pire. Persuadé que la reprise économique ramènerait les Catalans « à la raison », et que les divisions internes au sein du bloc indépendantiste feraient exploser leur fragile unité, M. Rajoy a attendu que le temps règle les choses.

La seule proposition que sont prêts à accepter les indépendantistes est l’organisation d’un véritable référendum d’autodétermination légal. Le temps des négociations sur le système de financement et l’amélioration du statut d’autonomie est passé, disent-ils. « Celui qui renonce à l’indépendance meurt immédiatement politiquement », affirme un dirigeant de la Gauche indépendantiste catalane (ERC).

« Une simple mise en scène »

Or, un référendum d’autodétermination n’a jamais été envisagé par le chef du gouvernement espagnol : la Constitution ne le permet pas et le Parti populaire ne la réformera pas pour qu’elle le permette. Dimanche soir, M. Rajoy, lors d’un discours froid, a répété « qu’il n’y a pas eu de référendum en Catalogne, mais une simple mise en scène », se félicitant d’avoir appliqué « la loi, rien que la loi », comme s’il avait remporté une victoire.

C’est une erreur. Ni Madrid ni Barcelone ne sortent vainqueurs ce 1er octobre. Le chef du gouvernement catalan, Carles Puigdemont, est certes parvenu à faire descendre dans la rue des milliers de Catalans pour voter à son référendum d’autodétermination unilatéral. Mais il s’est agi d’un simulacre dépourvu des garanties démocratiques minimales, avec des urnes opaques et un programme informatique défaillant qui a permis à ceux le souhaitant de voter à plusieurs reprises. Ce scrutin illégal s’est soldé par un résultat digne d’une république bananière : 90 % de oui à l’indépendance, avec un taux de participation de 42,3 % (2,26 millions de personnes).

Quant à Mariano Rajoy, sa défaite est double. Non seulement il n’est pas parvenu à empêcher le vote, comme il s’y était engagé, mais il a perdu la bataille morale. Les images des charges policières ont fait le tour du monde et donné aux indépendantistes de nouveaux arguments.

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20 avril 2017

Les Européens embarrassés par la victoire de l’hyper-président Erdogan

Par Cécile Ducourtieux, Bruxelles, bureau européen

Partenaire de la Turquie dans la lutte contre l’organisation Etat islamique ou dans la gestion de la crise migratoire, l’UE a réagi avec prudence aux résultats du référendum de dimanche.

Très serré et déjà contesté, le résultat du référendum turc de dimanche 16 avril, à l’issue duquel le président Recep Tayyip Erdogan a revendiqué la victoire avec 51,4 % des voix, embarrasse au plus haut point les Européens.

Ils ne peuvent pas faire comme si la réforme institutionnelle qui renforce considérablement les pouvoirs du « reis », ainsi que l’appellent ses partisans, ne posait pas problème. En mars, évoquant ce référendum, le Conseil de l’Europe avait pointé un risque de dérive vers un régime « autocratique ».

Ils ne peuvent pas non plus ignorer les accusations d’irrégularités lors du scrutin, alors que mardi, le principal parti d’opposition turc (le CHP), a réclamé l’annulation du référendum après que les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont provisoirement considéré qu’il s’était déroulé « en deçà des normes internationales démocratiques ».

Partenaire essentiel

Mais les Européens – et spécialement les Allemands (qui comptent 3 millions de citoyens d’origine turque) –, redoutent de casser un lien déjà très dégradé avec un partenaire jugé essentiel : la Turquie est géographiquement à leurs portes, membre de l’OTAN et de la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique (EI). Ils lui ont en outre sous-traité une partie de la résolution de leur crise migratoire, grâce à l’accord de mars 2016 de renvoi des migrants de la Grèce vers la Turquie.

La Commission européenne a donc réagi avec la plus grande prudence, mardi. Le chef de ses porte-parole, Margaritis Schinas a invité « les autorités turques à mener une enquête transparente sur les soupçons d’irrégularités ». « Une telle déclaration spéculative de la part d’un porte-parole ne peut être acceptée », a dénoncé en retour Omer Celik, ministre turc des affaires européennes.

La Commission devrait se garder d’intervenir davantage avant la publication du rapport final de l’OSCE, attendu pour dans huit semaines.

Les responsables politiques européens ne devraient pas débattre de la Turquie avant le prochain conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne (UE), le 28 avril.

Processus d’adhésion gelé

Le ministre autrichien, Sebastian Kurz, a certes estimé, lundi, que le référendum turc devait conduire l’UE à faire preuve de « franchise » et à stopper les négociations d’adhésion du pays. Une position que Vienne défend avec constance depuis l’été 2016.

Mais l’Autriche reste minoritaire sur cette ligne dure. La plupart des Européens prônent un prudent statu quo. A en croire l’agence de presse turque Anadolu (qui cite des sources diplomatiques) le ministre hongrois des affaires étrangères est même allé jusqu’à féliciter son homologue turc pour la courte victoire d’Erdogan…

La seule question que se posaient les diplomates, mardi, était de savoir si le ministre turc ferait le déplacement, le 28 avril. « En plus, la réunion est informelle » précise l’un d’eux, « on va être attentifs aux premières décisions d’Erdogan suite au référendum, mais l’essentiel des mesures institutionnelles ne devrait pas intervenir avant 2019. »

La majorité des pays de l’UE persistent à refuser de dénoncer eux-mêmes le processus d’adhésion, ouvert officiellement en 2005 même s’il est complètement gelé depuis près d’un an. Ils ne veulent pas donner raison à M. Erdogan qui dénonce régulièrement l’hypocrisie supposée de l’UE, estimant que cette dernière n’aurait jamais vraiment souhaité que son pays devienne un jour membre.

La question de la peine de mort

Surtout, ils craignent une remise en cause de l’accord de mars 2016. Contesté par les ONG, il s’est révélé efficace. Selon les derniers chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations, il n’y a eu qu’un peu plus de 4 000 arrivées en Grèce depuis début 2017, contre plus de 150 000 sur la même période en 2016.

Ankara multiple depuis des mois les menaces de suspension de l’accord, sans passer à l’acte. A Bruxelles et à Berlin, on est convaincu que M. Erdogan n’a pas intérêt à renoncer à cet accord qui lui rapporte de l’argent pour les réfugiés (l’UE dit avoir versé déjà 2,2 milliards d’euros). Mais les Européens restent inquiets : ils dépendent d’un coup de tête d’Ankara.

« L’UE devrait passer moins de temps à vérifier si la Turquie remplit les critères pour une libéralisation des visas vers l’Europe [une de ses promesses dans le cadre de l’accord migration], et davantage à sécuriser elle-même ses frontières pour diminuer sa dépendance d’avec Ankara », déplore Amanda Paul, spécialiste de la Turquie au sein du think-tank bruxellois EPC.

A court terme, seule la réintroduction de la peine de mort en Turquie, qu’Erdogan promet régulièrement à ses partisans, obligerait les Européens à sortir de l’ambiguïté, probablement aux dépens de toutes les parties.

« [L’abolition de la peine de mort] est un des acquis fondamentaux de l’UE. Passer de la rhétorique à l’action serait un signe clair que la Turquie ne veut pas accéder à l’UE », a précisé M. Schinas, mardi. Et d’ajouter : « [le président de la Commission européenne Jean-Claude] Juncker souhaite que la Turquie se rapproche à nouveau de l’Europe et cesse de s’en éloigner. »

turquie

29 mars 2017

Theresa May enclenche le divorce du Royaume-Uni et de l’UE

Par Philippe Bernard, Londres, correspondant

La première ministre britannique est peu contestée au Royaume-Uni dans la mise en œuvre du Brexit, mais elle ouvre une période à hauts risques pour le continent.

« Dominante », « inexpugnable », « invulnérable ». Les commentateurs britanniques épuisent le registre de la puissance pour qualifier Theresa May tandis que, moins de neuf mois après son installation à Downing Street, la première ministre britannique s’apprête à passer à l’acte. Mercredi 29 mars, elle enclenchera la procédure de divorce d’avec l’Union européenne, respectant l’échéance qu’elle s’était fixée. Historique, la démarche, voulue par 51,9 % des Britanniques lors du référendum de juin 2016, est destinée à rompre avec quarante-quatre ans d’une relation cahoteuse et à donner au Royaume-Uni « un nouveau rôle dans le monde ».

Plus prosaïquement, l’article 50 du traité de Lisbonne, dont va se prévaloir Mme May, prévoit deux années de négociation au terme desquelles, faute d’accord avec les Vingt-Sept, Londres perdrait sa place dans le club, à commencer par le libre accès au marché unique européen. C’est dire les enjeux de la partie de poker qui s’engagera mercredi à la mi-journée lorsque l’ambassadeur du Royaume-Uni à Bruxelles remettra la demande officielle au président du Conseil européen, Donald Tusk. Au même moment, Mme May s’adressera à la Chambre des communes.

Rarement premier ministre britannique aura été dans une telle position de force sur le front de la politique intérieure. Plus de 53 % des Britanniques approuvent sa conduite des affaires, alors que seuls 23 % soutiennent le leader du Labour, Jeremy Corbyn. Rien, dans les conditions d’accession de Mme May au pouvoir, ne la prédisposait à pareille domination : ni son passé de partisane molle du maintien dans l’UE, ni sa nomination comme chef du gouvernement par défaut, sans élection, par un Parti conservateur déchiré sur le Brexit.

« Theresa Maybe », c’est fini

Le tableau est méconnaissable aujourd’hui. La réticente pro-UE s’est muée en implacable brexiter ; la discrète ministre de l’intérieur règne sur un parti où seuls quelques éléphants osent la contrarier et où ses rivaux d’hier filent doux. Après les atermoiements de ses débuts où elle répétait en boucle que « Brexit signifie Brexit », au point de lasser l’opinion et de se faire traiter de « Theresa Maybe » (« Theresa peut-être »), elle a tranché dans le vif le 18 janvier dans un discours alternant flatteries et menaces à l’égard des Européens : le Brexit selon May sera « hard ». Pas question de rester dans le marché unique. Pourtant, l’accès « le plus libre et le plus fluide » y est revendiqué par la chef d’un Royaume-Uni qui magnifie une « Grande-Bretagne mondiale » (« Global Britain ») avec des accents nationalistes, voire impériaux.

Si Theresa May a pu ainsi adopter la version la plus extrême du Brexit, satisfaisant à la fois le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP, extrême droite) et l’aile droite des tories, elle le doit plus à la faiblesse de son opposition qu’à la puissance de ses convictions ou à ses talents de stratège. Après avoir siégé pendant six ans dans le gouvernement de l’anti-Brexit David Cameron, elle a fait dévisser la livre sterling en octobre 2016 en annonçant une rupture brutale avec l’UE. Bluff ou pas, sa menace de transformer le Royaume-Uni en un paradis fiscal déréglementé a énervé les continentaux et renforcé la cohésion des Vingt-Sept. Quant à la fragile majorité parlementaire qui la soutient – cinq sièges –, elle pourrait subir une rébellion, même minime.

Rien de tel ne la menace pourtant en raison du délabrement du Labour, qui prive le pays d’un réel contrepoids au moment d’entrer dans une période à haut risque. « Les travaillistes sont engagés dans une compétition pour savoir ce qu’ils vont perdre le plus vite : des adhérents, des électeurs ou leur dignité », ironise Andrew Rawnsley, chroniqueur dans l’hebdomadaire de gauche The Observer. Le Labour, tiraillé entre son électorat populaire pro-Brexit des zones défavorisées et son public bourgeois pro-européen des grandes métropoles, ne sait plus à quel saint se vouer. Son discours sur l’Europe est inaudible à force de contradictions.

« La vraie bataille commence maintenant », a écrit M. Corbyn sur Twitter, après avoir enjoint les députés Labour d’approuver le lancement du Brexit par Mme May pour ne pas contrarier le vote populaire. Ce tardif appel aux armes souligne sa passivité, tant dans la campagne du référendum que depuis la victoire du Brexit.

Même le débat parlementaire finalement organisé sur le lancement du Brexit ne doit rien au Labour. Gina Miller, une femme d’affaires originaire du Guyana, l’a obtenu en justice, payant son initiative d’une campagne de menaces et d’injures sexistes et racistes. Résultat : les 48 % d’électeurs qui ont voté pour rester dans l’UE n’ont pratiquement pas de porte-voix politique, hormis les élus du minuscule Parti libéral-démocrate. Pas un leader du Labour n’était présent samedi à Londres à l’imposant défilé anti-Brexit.

Machinerie

Pourtant, le boulevard dont profite Theresa May sur le plan intérieur pourrait se rétrécir si elle ne parvenait pas à maîtriser l’énorme complexité des négociations de rupture avec l’UE, avec ses milliers de textes à revoir, ses innombrables intérêts en jeu et ses multiples interlocuteurs. Cette machinerie phagocyte déjà l’administration et assèche tout autre débat. Sans parler de deux écueils intérieurs : l’Ecosse, travaillée par la revendication indépendantiste, et l’Irlande du Nord, dont le Brexit fragilise le processus de paix. Or la première ministre, appréciée pour sa rigueur et sa franchise, n’est connue ni pour sa souplesse, ni pour son empathie, ni pour son expérience de la diplomatie.

Pour l’essentiel, Mme May et les Vingt-Sept devront arbitrer entre les deux exigences britanniques contradictoires : l’accès au marché unique et le contrôle de l’immigration. Sans doute imprudente, Mme May a déjà fixé des lignes rouges : le refus de la compétence des juridictions européennes et de la libre circulation des Européens. Qu’elle reste intransigeante, et elle risque la rupture avec l’UE et le grand saut dans le vide. Qu’elle assouplisse ses positions et la droite des tories se retournera contre elle. Mieux que quiconque, elle sait que l’Europe a fait chuter les trois premiers ministres conservateurs qui l’ont précédée – David Cameron, John Major et Margaret Thatcher.

 

25 novembre 2016

Ankara fait du surplace à la porte de l’Europe

Dans une résolution non contraignante adoptée à une très large majorité à Strasbourg, les eurodéputés ont appelé à « un gel temporaire » du processus d’adhésion entamé en 2005.

Qu’importe les menaces du Président turc Recep Tayyip Erdogan qui avait prévenu qu’un gel des négociations d’adhésion à l’Union européenne n’aurait« aucune valeur » à ses yeux. Jeudi, dans une résolution adoptée à Strasbourg (479 voix pour, 37 contre et 107 abstentions), le Parlement a invité la Commission européenne et les États membres à geler les négociations d’adhésion en cours avec la Turquie.

Ankara serein

Pas de quoi émouvoir les Turcs : la décision est« insignifiante » pour le Premier ministre Binali Yildirim,« nulle et non avenue » selon le ministre des Affaires européennes Omer Celik. En effet, Erdogan sait que ce gel sera, selon les mots même du Parlement européen,« temporaire » . Il sait aussi que les Européens tiennent au« maintien de l ’ancrage de la Turquie à l ’Union européenne » . Rien n’est donc figé ; rien n’est irrémédiable. Pas téméraires mais réalistes, les Européens, qui ont besoin des Turcs sur le dossier« migrants » et qui ne veulent pas voir Ankara flirter avec Moscou, se sont dit prêts à revoir leur position« une fois que les mesures disproportionnées prises dans le cadre de l ’état d ’urgence auront été levées » . Il est vrai que depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet, le régime turc n’a guère adhéré aux plus élémentaires principes démocratiques défendus par l’UE. Arrestations arbitraires, mises à pied massives de fonctionnaires, censure et fermeture de médias, interdictions d’associations et de fondations caritatives. Il ne manque plus que le rétablissement de la peine de mort qui« devrait entraîner une suspension officielle du processus d ’adhésion » ,selon les eurodéputés toujours aussi peu pugnaces. Le processus d’adhésion est donc gelé, mais le redoux risque de se faire attendre. Et le processus de traîner encore un peu plus en longueur. On se souviendra que la Turquie, qui a signé en 1963 un accord d’association avec l’UE, a entamé des négociations formelles d’adhésion en 2005. Mais, en raison de l’opposition de plusieurs États membres, dont Chypre et la France, seuls seize chapitres de négociations sur un total de trente-cinq ont été ouverts à ce jour et un seul a été clôturé. Pour sa part, Erdogan a prévenu qu’il organiserait un référendum sur le processus d’adhésion à l’UE si aucune décision n’était prise par Bruxelles d’ici à« la fin de l ’année » .

15 novembre 2016

Face à Donald Trump, les Européens redoutent « le saut dans l’inconnu »

La réunion mensuelle des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne (UE) devait prendre un tour très inhabituel, lundi 14 novembre, à Bruxelles. Censée initialement « évaluer les relations avec les Etats-Unis à la suite de la présidentielle américaine », elle aurait dû permettre, dans l’esprit de la grande majorité des participants, pour lesquels la victoire de la candidate démocrate Hillary Clinton semblait acquise, de célébrer la continuité : les Etats-Unis, depuis 1945, ont fait de l’alliance avec l’Europe une pierre angulaire de leur politique étrangère. Autant dire que la désillusion est grande pour l’UE après la victoire de Donald Trump.

Seul le premier ministre ultraconservateur hongrois, Viktor Orban, estime que l’arrivée au pouvoir du milliardaire signe le retour à « la vraie démocratie » et aux « discussions honnêtes, loin des contraintes paralysantes du politiquement correct ». L’élection du candidat républicain a sidéré beaucoup d’autres dirigeants, bouleversé les agendas et accru la tension née du vote des électeurs britanniques en faveur du Brexit, le 23 juin. « C’est la première fois que je vis une telle situation et je suis dans l’incapacité totale de vous dire ce que vont être notre politique étrangère et nos relations avec les Etats-Unis », avoue un diplomate.

« Pas de panique »

Dimanche soir, au cours d’un dîner informel, les ministres des affaires étrangères étaient censés procéder à un premier tour d’horizon et, selon la version officielle, « faire remonter » les sujets prioritaires à leurs yeux. A charge pour la haute représentante européenne, Federica Mogherini, de les évoquer lors d’une visite qu’elle compte effectuer à Washington avant la prestation de serment du futur président, en janvier 2017.

Les motifs d’interrogation ne manquent pas et les Européens redoutent un « véritable saut dans l’inconnu », selon la formule d’un dirigeant même si à la sortie du dîner, dimanche soir, plusieurs ministres usaient de la même formule : « Pas de panique. » Certains pays misent sur un retour rapide au réalisme du futur président, d’autres redoutent, eu égard aux nominations que M. Trump envisage, qu’il veuille vraiment appliquer son programme.

A ce stade, ceux-là redoutent surtout la mise à mal de l’accord de Paris sur le climat ou de celui sur le nucléaire iranien – auquel l’UE a activement contribué. Ils s’interrogent, par ailleurs, sur ce que sera précisément l’attitude M. Trump à l’égard de la Russie, et dès lors, du conflit syrien ou de la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI). Le maintien, ou non, des sanctions à l’égard de Moscou à la suite de l’annexion de la Crimée et de son rôle en Ukraine risque, dans les mois à venir, de devenir un casse-tête de plus pour des Européens divisés sur le sujet.

La relance transatlantique elle-même est en question après les propos menaçants de M. Trump à l’égard des partenaires de l’OTAN qui ne respecteraient pas leurs engagements financiers. Les ministres baltes ont répété, dimanche soir, leurs inquiétudes face à la menace russe. La discussion entre les ministres n’a toutefois pas permis de départager le camp des « attentistes », surtout soucieux de calmer le jeu et de sauvegarder la cohésion de l’OTAN, de ceux qui poussent l’UE à agir vite pour relancer les projets de défense commune, quitte peut-être à enfoncer un coin dans l’Alliance atlantique.

Le tout étant de savoir si Paris et Berlin, qui ont formulé des propositions au cours des dernières semaines, pourront entraîner leurs partenaires vers un projet plus ambitieux que celui du « mode veille » qu’ils ont privilégié depuis des années.

D’autres craintes concernent les relations commerciales. La commissaire au commerce, Cecilia Malmström, refuse certes d’enterrer le projet de traité transatlantique, estimant qu’il convient encore de « voir comment sauvegarder les acquis de la négociation actuelle » mais beaucoup, à Bruxelles, estiment que les chances d’aboutir à une signature sont quasiment nulles.

Crise existentielle

La réunion de dimanche soir a été symboliquement boudée par le ministre hongrois et son homologue britannique, Boris Johnson, l’un des principaux artisans du Brexit, qui n’y voyait « pas d’utilité ». Jean-Marc Ayrault avait également décliné l’invitation, officiellement en raison d’un rendez-vous avec Antonio Guterres, le futur secrétaire général des Nations unies.

Paris veut éviter de donner l’impression que l’élection de M. Trump a automatiquement ouvert une crise. « Arrêtons de parler de désarroi », déclarait dimanche M. Ayrault sur Europe 1, évoquant « une occasion pour l’Europe de se ressaisir ». Ce qui laisse entendre que la France et l’Allemagne pourraient tenter de lui redonner rapidement une impulsion. « L’Europe a besoin d’une Union de la sécurité » insiste de son côté le président de la Commission, Jean-Claude Juncker.

Divisée, assaillie par les crises, l’UE sera-t-elle capable de réagir ? Certains sont franchement pessimistes. Le Brexit, qui occupait encore tous les esprits juste avant l’élection américaine, est en train de reculer sur la liste des urgences, la première étant désormais la nature de la relation avec Washington et la deuxième, l’angoisse liée à une éventuelle victoire de la présidente du Front national (FN), Marine Le Pen, lors de l’élection présidentielle française de 2017. En attendant, c’est Nigel Farage, l’un des piliers du vote en faveur du Brexit, qui a été reçu samedi à New York par Donald Trump. Pendant plus d’une heure. Source : Le Monde

5 juillet 2016

L’incompréhension de l’élite londonienne après le Brexit

Il y a du vin, du blanc et du rouge, excellent. Il y a des olives, de la fougasse et autres amuse-gueules de qualité. A deux pas de St James’s Park, l’adresse se prête mal au fish and chips. Le 10-11 Carlton Terrace est l’une de ces splendeurs victoriennes qui font de Londres, en cette fin d’après-midi-là, entre averses estivales et percées du soleil, une ville blanche – et l’une des plus belles cités du monde. Cet hôtel particulier, construit entre 1827 et 1832, abrite la British Academy.

Mais on n’est pas venu ici pour une discussion académique sur les mérites de l’esthétique pallado-victorienne. Quatre jours plus tôt, le Royaume-Uni a choisi de sortir de l’Union européenne (UE). Un mot, une date : Brexit, le jeudi 23 juin. Pour Londres, un mauvais coup, une journée noire. La ville a massivement voté « Remain », pour que le pays reste dans l’UE. Le quotidien The Guardian publie un cahier spécial : « Peut-on sortir de la déprime post-Brexit ? »

L’assemblée réunie à Carlton Terrace cherche à comprendre. Elle regroupe une centaine de personnes, toutes des « remainers » convaincus. Ce sont des élus, conservateurs et travaillistes, des journalistes – du Guardian, du Financial Times, de The Economist –, des juristes, des financiers et autres militants défaits de la cause européenne. Les « brexiters » dénonceraient une assemblée de « sachants », pire encore, un échantillon de « l’élite londonienne », cette classe maudite que les chantres du Brexit – eux-mêmes issus de ladite élite – vouent depuis des semaines aux poubelles de l’Histoire.

« La BBC nous a laissé tomber »

Au menu, une question principale : « Why ? » Pourquoi avons-nous perdu ? « L’élite » s’interroge. Elle le fait à la britannique : on ne se paie pas de mots, on ne se saoule pas de théories, on fuit les « ismes ». En clair, on n’est pas à ­Paris. L’autocritique est sans pitié, radicale, menée par Hugo Dixon, le maître de cérémonie, qui a pris l’initiative de cette réunion.

Ancien du Financial Times, Dixon – élégante barbe blanche, chemise ouverte – dresse l’acte d’accusation de la campagne « Remain ». Elle a été surtout négative. Elle a joué sur la peur. Elle a souligné les risques du Brexit pour un pays dont l’UE absorbe la moitié des exportations. « La campagne n’a pas été articulée sur les aspects positifs de notre appartenance à l’Union, observe Dixon. On a seulement parlé des dangers du Brexit. On a laissé un vide que les partisans du Brexit ont comblé avec leurs mensonges. »

Il déplore l’absence, côté « Remain », d’un leader travailliste d’envergure capable de porter la contradiction aux calembredaines véhiculées par les « brexiters » en chef, les conservateurs Boris Johnson et Michael Gove – comme ces dizaines de millions de Turcs qui s’apprêteraient à prendre d’assaut les falaises de Douvres ; comme les chiffres totalement inventés sur le montant de la contribution britannique au budget de Bruxelles, pour ne citer que deux des énormes bobards qui ­furent au cœur de la campagne. Distant, le chef du Labour, Jeremy Corbyn, membre de l’aile gauche du parti, a soutenu le « Remain » avec autant d’enthousiasme qu’un pilote de rallye qui n’enclencherait ­jamais la seconde.

Tacler les contre-vérités

« Il a fallu se battre avec une presse hostile », constate l’orateur. A l’exception des journaux cités plus haut, les autres, tabloïds et gros tirages, ont été fidèles à l’europhobie active qui les anime depuis trente ans. L’un des plus gros reproches entendus ces jours-ci à Londres et que reprend Hugo Dixon : « La BBC nous a laissé tomber ». Cette bonne vieille « Beeb », parangon du sérieux journalistique, encore plus internationaliste que le Foreign Office, aurait entretenu des faiblesses pour le Brexit ? Non. « Impartiale », elle a donné autant de temps aux « remainers » qu’aux autres. Mais la BBC n’aurait pas, ou pas assez, réfuté ce qui relevait du délire, ici et là (il y en eut aussi, un peu, côté « Remain »).

Ce travail-là est justement celui auquel s’est attaché Hugo Dixon durant toute la campagne. Ancien d’Eton, ancien d’Oxford, fondateur de l’agence de commentaires économiques en ligne BreakingViews (revendue à Reuters-Thomson), ce social-libéral, cérébral ­hyperactif, a lancé le site InFacts lors de la ­bataille du Brexit. Objectif : tacler toutes les contre-vérités avancées par les « brexiters » sur les relations entre le Royaume-Uni et l’UE. Combat nécessaire, ­essentiel – et donquichottesque, en ces temps de prime à l’outrance. L’époque est à l’émotion plus qu’à la ­réflexion et au respect des faits.

Principaux véhicules de l’air du temps, les réseaux sociaux diffusent du complot et du fantasme – et, en ce qui concerne le fonctionnement compliqué de l’UE, une ignorance crasse (qu’on ne reprochera à personne). Romancière, professeure de lettres, Helen Harris a milité avec l’organisation Britain Stronger in Europe (« la Grande-Bretagne plus forte dans l’Union »).

« Savez-vous, dit-elle, quelle question a été parmi les recherches Google sur l’Europe les plus sollicitées dans ce pays, vendredi 24 juin, au lendemain, du vote ? C’est tout simple, les gens ont voulu s’informer : “Qu’est-ce que l’Union européenne ?” »

Le parti tory est devenu eurosceptique. Et une partie des conservateurs a franchi le cap de l’europhobie : ils diabolisent une Europe ­fédérale qui n’existe pas. Le vote du 23 juin a pourtant exprimé quelque chose de plus large que la seule question des relations du pays avec l’UE. Ce vote s’inscrit dans la protestation qui se lève, un peu partout dans le monde occidental, contre les conséquences de la mondialisation économique.

LES « EXPERTS » N’AVAIENT PAS PRÉVU QUE DONALD TRUMP SERAIT LE CANDIDAT RÉPUBLICAIN AU SCRUTIN DE NOVEMBRE. A LONDRES, ILS ÉTAIENT PEU À PARIER SUR LA VICTOIRE DU BREXIT...

Chaque bourrasque a ses particularités ­locales. Mais il y a aussi un point commun : l’incapacité des experts à prendre la mesure de ce qui est en jeu – la force du rejet du statu quo chez les laissés-pour-compte de la mondialisation. Les « experts » n’avaient pas prévu que Donald Trump serait le candidat républicain au scrutin de novembre. A Londres, ils étaient peu à parier sur la victoire du Brexit. A Paris, ils ont du mal à penser que Marine Le Pen puisse remporter l’élection présidentielle du printemps 2017.

Commentaire d’un sénateur américain, John Barrasso (Wyoming), recueilli par le Financial Times au lendemain du 23 juin :

« Si l’élection de novembre se ramène à un duel entre le changement quel qu’il soit et la continuité de la politique telle qu’on la fait aujourd’hui, alors, Donald Trump sera le prochain président américain. »

Un grand coup de colère

Trente ou quarante ans de relative stagnation des revenus et de croissance inégalitaire sont passés par là. A droite de la droite et à gauche de la gauche, on entretient volontiers un fantasme protectionniste : imaginer qu’on peut arrêter l’explosion d’économies émergentes, portée par la révolution technologique. Mais l’illusion néolibérale cultivée dans les années 1990 n’était guère plus réaliste : imaginer qu’on compenserait dans les services l’emploi industriel détruit chez nous par la ­concurrence venue d’Asie.

La mondialisation a ses recalés de la transition postindustrielle. Ils ont voté Brexit. Le très conservateur Daily Telegraph rappelait tout le monde à la réalité, jeudi 30 juin. Il citait la dernière des enquêtes publiques sur l’évolution des représentations sociales au Royaume-Uni. Plus de la moitié des Britanniques se rangent toujours dans la « working class » (« la classe des travailleurs ») – ouvriers et employés. Comme au début des années 1980. A l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher.

Londres est plus rayonnante que jamais, ville-monde, créatrice d’emplois et de près de 40 % de la richesse du pays. Mais elle est aussi une bulle. Il y a le reste. Il y a ce Nord-Est « passé depuis longtemps du vote travailliste à un vote protestataire », comme le souligne l’ancien député et ministre des affaires européennes Denis MacShane. Là, sur les ruines d’industries dévastées, tout se mélange, dans un grand coup de colère contre l’Europe, la mondialisation, les élites, les immigrés. Protestation indistincte et confuse.

« Une mondialisation plus juste »

La région a été mise à mal par la concurrence asiatique, mais on s’en prend à l’UE… La région a, plus que d’autres, souffert des coupes budgétaires nationales, mais on tape sur Bruxelles. On mettrait volontiers sur le dos du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker – « celui qui attaque ses petits déjeuners au cognac », disent les tabloïds – la piètre prestation de l’équipe anglaise de foot à l’Euro 2016.

Propos entendus à la soirée de Carlton Terrace :

« Nous sommes déconnectés, nous ne savons plus comment vivent ceux que la mondialisation a laissés au bord de la route (…). Ceux-là ont l’impression qu’on essaie de les faire taire en les traitant de racistes (…). Nous ne savons pas comment leur parler (…). La gauche a trop longtemps refusé d’aborder la question de l’immigration – serait-ce pour en souligner le bilan positif pour le pays. »

Helen Harris, la romancière : « Qu’est-ce que ça veut dire, pour les oubliés du Nord-Est, les programmes Erasmus, les échanges scientifiques ? »

Personnage sombre, esprit brillant, le travailliste Gordon Brown s’est vaillamment battu contre le Brexit. L’ancien premier ­ministre y a vu un combat-clé, existentiel, pour la social-démocratie ou le social-libéralisme. « Si nous ne trouvons pas le moyen de rendre la mondialisation plus juste et moins déstructurante, écrit-il dans le Guardian, alors, la politique tournera autour de la question de la ­nationalité, de la race ou de l’identité. » On y est. Arrêt thérapeutique au pub obligé, en sortant, ce soir, de la British Academy.

Alain Frachon (Londres, envoyé spécial) - Journaliste au Monde

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