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Jours tranquilles à Paris
19 janvier 2018

Emmanuel Macron, fragile homme fort d’une UE convalescente

Par Cécile Ducourtieux, Bruxelles, bureau européen, Philippe Ricard, Jean-Pierre Stroobants, Bruxelles, bureau européen - Le Monde

Le président français est devenu un interlocuteur incontournable sur la scène européenne, mais sa capacité à convaincre sur de grandes réformes reste à démonter.

« France is back » : c’est indéniable sur la scène internationale, cela l’est aussi au niveau européen, surtout depuis qu’Angela Merkel tente de sauver son poste. Après un sommet avec Theresa May, la veille au sud de Londres, le président de la République Emmanuel Macron devait accueillir la chancelière à l’Elysée vendredi 19 janvier, pour parler de « l’avenir de l’Union européenne ». Quand il s’agissait d’adopter des décisions importantes, en pleine crise grecque ou au plus fort des tensions sur la migration, tout le monde prenait l’avion pour Berlin…

Autre symbole : c’est depuis l’ambassade du Portugal à Paris, que le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem a passé le témoin à Mario Centeno, nouveau président de l’Eurogroupe, vendredi 12 janvier. « Un hasard de calendrier », assure t-on dans l’entourage du ministre portugais des finances, mais un hasard très significatif. Tout comme la visite de Sebastian Kurz à Paris, le même jour. Le jeune chancelier autrichien, venu réitérer ses engagements proeuropéens alors qu’il a formé une coalition avec l’extrême droite, s’est aussi rendu Berlin. Mais cinq jours plus tard.

L’Europe était au cœur du programme du candidat Macron, et il assume aujourd’hui cette responsabilité de nouvel « homme fort » d’une Union toujours divisée et ébranlée par le Brexit. Il a multiplié les interventions – à d’Athènes sur la démocratie européenne, à la Sorbonne pour formuler des dizaines de propositions de réformes –, ou prôné une intégration plus poussée de la zone euro.

« Regardez notre époque, en face (…). Vous n’avez pas le choix ! », lançait t-il, lyrique, depuis la Sorbonne « à tous les dirigeants d’Europe ». Le chef de l’Etat défendait une Europe « à plusieurs vitesses » permettant d’avancer à quelques-uns sans être paralysée par d’autres, tout en plaidant pour le réveil une Union « trop faible, trop lente, trop inefficace ». « Au début il nous a fait un peu peur, témoigne un diplomate bruxellois. On craignait qu’il accentue les divisions, avec l’Est notamment. Mais il est très important qu’il soit là, on avait vraiment besoin que le moteur franco-allemand redémarre. »

Infléchir l’agenda européen

Au-delà des discours, M. Macron a su infléchir l’agenda européen. Si les premières pages du préaccord de coalition en Allemagne sont consacrées à l’Europe, c’est parce qu’il a donné une impulsion décisive à l’idée de relancer la convergence – en panne – entre les économies de la monnaie unique. Ou de les doter d’instruments de stabilisation budgétaire communs en cas de nouvelle crise. Des idées qu’il reste à négocier dans les détails avec Berlin et les autres capitales.

Fin octobre, après un travail de lobbying intense et avec le soutien de la Commission Juncker, le président a réussi à convaincre des pays de l’Est – sauf quatre, dont la Pologne et la Hongrie – d’adopter au conseil une révision de la directive sur le travail détaché. Un accord doit encore être trouvé avec le Parlement européen mais ce passage en force a constitué un premier succès très symbolique.

Ses appels répétés à la naissance d’un embryon de défense européenne, ont aussi payé. Dans ce domaine, il a pu célébrer il y a quelques semaines le projet de « coopération structurée permanente », qui devrait permettre de lancer des programmes communs d’armement, de combler une série de lacunes d’équipement ou de faciliter le lancement d’opérations extérieures. On est encore loin, cependant, des projets présidentiels – une force d’intervention et une doctrine militaire voire un budget communs.

M. Macron a aussi défendu la création d’une taxe sur les géants de l’Internet et une remise à plat de la politique commerciale de l’Union. Mais, là, les résistances sont fortes : le Luxembourg, l’Irlande ou les Pays-Bas freinent sur la fiscalité, soucieux de préserver leur modèle économique. La Suède et les Pays-Bas s’inquiètent aussi de sa demande d’une surveillance des investissements chinois dans l’UE et redoutent le retour de réflexes « protectionnistes ».

Effacement d’autres leaders européens

Les autres dirigeants ne sont donc pas tous prêts à suivre leur jeune collègue, mais ils l’écoutent avec attention. Même son idée de conventions démocratiques, qui suscitait le scepticisme, fait des émules. La Belgique, le Luxembourg ou l’Irlande évoquent des initiatives au printemps. L’attribution à Paris du siège de l’Agence bancaire européenne, même si elle tient beaucoup du hasard (Dublin a perdu au tirage au sort), a aussi renforcé l’impression que la France et ses réseaux étaient à nouveau incontournables.

Emmanuel Macron profite de l’effacement d’autres leaders européens, à commencer par Mme Merkel, victime de l’usure du pouvoir après douze ans aux responsabilités et son revers électoral de septembre 2017. Son approche très « austéritaire » de la crise des dettes souveraines a été mise en cause dans le Sud de la zone euro. Le choix de M. Centeno pour présider l’Eurogroupe, le gouvernement officieux de l’eurozone, est symptomatique de ce rejet. Les positions en matière migratoire de la chancelière, à l’origine d’une controverse sur le dispositif de répartition des demandeurs d’asile au sein de l’UE, ont braqué la plupart des pays d’Europe centrale.

A Londres, la première ministre Theresa May est marginalisée en raison du Brexit. A Rome, le chef du gouvernement, Paolo Gentiloni est confronté, en vue des législatives du 4 mars, au Mouvement 5 étoiles et au retour de la droite berlusconienne. A Madrid, Mariano Rajoy doit lutter pour préserver l’unité de l’Espagne face aux velléités indépendantistes de la Catalogne. « Macron est devenu influent par défaut ; il remplit le vide, mais cette position ne sera pas facile à maintenir s’il ne se trouve pas des alliés solides, analyse Sébastien Maillard, directeur du laboratoire d’idées Notre Europe-Institut Jacques Delors. Sa capacité à convaincre reste à démontrer, même s’il sait imposer son agenda. »

Ce retour de la France aux avant-postes sera-t-il durable ? M. Macron aura-t-il, entre autres, la capacité de convaincre ses partenaires sur ses réformes de l’eurozone ? Si l’idée d’une capacité budgétaire spécifique fait son chemin, sa proposition d’un ministre des finances pour la zone euro est loin de faire l’unanimité et celle d’un parlement spécifique à l’eurozone paraît enterrée.

Sa « famille » politique européenne

Depuis sa victoire sur la candidate du Front national Marine Le Pen, le chef de l’Etat français surfe sur la menace de l’extrême droite pour mieux promouvoir son slogan d’une « Europe qui protège ». « Si l’extrême droite est là, c’est que nous avons échoué à répondre aux angoisses dont elle se nourrit », lançait-il lors de sa récente rencontre avec M. Kurz. D’où son insistance sur la nécessité d’une politique « humaine mais ferme » dans le domaine de la migration – avec une ambiguïté quant au principe des quotas de réfugiés, défendu par Bruxelles et Berlin.

Un autre test encore de l’influence française sera la capacité de M. Macron à peser sur les futures nominations des dirigeants de la Commission et du Conseil européens, en 2019. Le président n’a toujours pas choisi sa « famille » politique de rattachement au niveau européen, pourtant une nécessité pour avoir son mot à dire.

Rejoindra t-il le groupe des Libéraux et démocrates (ALDE) ou lancera t-il son propre « En Marche » européen, en tentant de siphonner le Parti populaire (PPE, celui de Merkel) et le Parti social-démocrate ? Il pourrait compter sur le soutien des trois premiers ministres libéraux du Benelux mais fera-t-il le poids si l’Italie bascule à droite ? Et saura t-il résister à l’offensive des gouvernements populistes polonais et hongrois qui contestent les valeurs de la démocratie libérale sur lesquelles est fondée l’Union ?

Pour que son président soit totalement crédible, il faudra par ailleurs que la France affiche enfin, et durablement, un déficit public inférieur à 3 % de son PIB (c’est bien parti pour 2017, à confirmer pour 2018). Et si Mme Merkel échoue à former une nouvelle grande coalition avec les sociaux-démocrates, ce qui entraînerait de nouvelles élections, la « fenêtre » pour des réformes d’importance avant les élections européennes de mai 2019 se refermera.

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6 janvier 2018

Face à Erdogan, Macron propose un « partenariat » plutôt que l’intégration de la Turquie à l’UE

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Par Marc Semo - Le Monde

Le président français a rencontré samedi à Paris son homologue turc, avec lequel il a également évoqué la question du respect des droits de l’homme.

Face au président turc Recep Tayyip Erdogan, venu chercher le soutien de Paris pour une relance du processus d’adhésion de son pays à l’Union européenne (UE), Emmanuel Macron a fait le choix du parler vrai. « Il est clair que les évolutions récentes et les choix de la Turquie ne permettent aucune avancée du processus engagé », a déclaré le président français lors de leur conférence de presse commune, vendredi 5 janvier.

Jamais un chef de l’Etat français n’avait aussi clairement appelé, en s’adressant directement à son homologue turc, à en finir « avec l’hypocrisie qui consiste à penser qu’une progression naturelle vers l’ouverture de nouveaux chapitres de négociation est possible ».

Et de suggérer de « repenser cette relation non pas dans le cadre du processus d’intégration mais d’une coopération, d’un partenariat ». « La finalité, c’est de préserver l’ancrage de la Turquie et du peuple turc dans l’Europe et de faire en sorte que son avenir se construise en regardant l’Europe et avec l’Europe », a-t-il insisté, avouant que « l’Europe n’a pas toujours bien fait vis-à-vis de la Turquie, en laissant croire des choses possibles alors qu’elles ne l’étaient pas totalement. »

La plupart des dirigeants de l’UE, surtout depuis la dérive autoritaire qui a suivi le coup d’Etat manqué de juillet 2016, ne croient plus à la possibilité dans un proche avenir d’une adhésion pleine et entière de la Turquie comme le souhaite, au moins en parole, Ankara. En septembre 2017, la chancelière allemande, Angela Merkel, alors en campagne électorale, avait même déclaré lors d’un débat télévisé être favorable à l’arrêt des négociations. Les autorités françaises, si l’on excepte le quinquennat de Nicolas Sarkozy, étaient quant à elles toujours restées plus floues.

Isolement diplomatique d’Ankara

Avec ce pays qu’il juge un partenaire stratégique essentiel, le président français suggère « un dialogue apaisé qui tiendrait compte des réalités d’aujourd’hui ». C’est vague et très loin des attentes de l’homme fort d’Ankara, qui comptait sur celui qu’il appelle son « ami » Emmanuel Macron pour renouer avec l’Europe et sortir de son isolement diplomatique.

Avec son habituel parler cru, Recep Tayyip Erdogan n’a pas caché son irritation. « Les premiers pas du processus d’adhésion datent de 1963 et cela fait donc maintenant cinquante-quatre ans que la Turquie attend dans l’antichambre de l’UE. Aucun autre pays n’a été traité de la sorte », a-t-il martelé, affirmant : « Cela nous a fatigués » et « cela nous pousse à prendre des décisions : on ne peut pas en permanence implorer une entrée dans l’UE ». Le leader de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie depuis 2002, brandit régulièrement depuis deux ans la menace d’un référendum sur l’adhésion à l’UE.

Emmanuel Macron a tenu son engagement d’évoquer lors de leurs entretiens les atteintes aux droits de l’homme et un certain nombre de cas concrets de dirigeants d’ONG, de journalistes, ainsi que celui du mécène et figure de proue de la société civile Osman Kavala. « L’Etat de droit ne se divise pas. (…) Une opinion, si elle n’est pas une invitation au crime ou à des thèses terroristes, c’est une opinion et elle doit pouvoir s’exprimer librement », a expliqué le président français, appelant aussi Ankara à préserver son ancrage dans la Convention européenne des droits de l’homme.

Un pas vers une relance de la coopération militaire

M. Erdogan a rétorqué en évoquant les nécessités de la lutte contre le terrorisme. « Il ne se crée pas tout seul, il y a des jardiniers du terrorisme, hommes de pensée et d’idées qui, dans leurs écrits, apportent de l’eau au moulin du terrorisme », a-t-il lancé avant de s’en prendre, quelques minutes plus tard, à un journaliste de l’émission « Envoyé spécial » qui lui posait une question sur des soupçons de livraisons d’armes à des groupes djihadistes par Ankara en 2014.

Une grande partie des entretiens a porté sur les crises régionales, et notamment sur la question syrienne. Emmanuel Macron a évoqué une « communauté de vues et d’intérêts stratégiques » afin de construire la paix avec la dimension « la plus inclusive possible ».

Très symboliquement, juste avant le début de la conférence de presse, a été aussi signé le contrat pour l’étude d’un système de défense aérienne et de missiles mené en commun par la société franco-italienne Eurosam et les sociétés turques Aselsan et Roketsan. C’est un pas vers une relance de la coopération militaire avec les Occidentaux après qu’Ankara a signé un contrat avec la Russie pour des missiles sol-air S 400 qui suscite l’inquiétude de ses partenaires de l’OTAN.

5 janvier 2018

Erdogan à Paris

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Les Femen manifestent seins nus devant l'Elysée contre la venue d'Erdogan à Paris (photos

Alors que le président turc Erdogan étit attendu à la mi-journée à Paris pour un repas avec Emmanuel Macron, les Femen se sont invitées devant l’Elysée. Elles protestaient contre la venue de l’homme des répressions à Istanbul.

La rencontre entre les deux chefs d’Etat est loin de faire l’unanimité en France. Diverses personnalités ont manifesté leur mécontentement de voir venir à Paris le président Erdogan qui a fait arrêter des milliers de personnes soupçonnées d’avoir, de près ou de loin, soutenu le putsch de 2016.

Les Femen aussi ont protesté. A leur manière ; seins nus avec des slogans à même la peau. On pouvait notamment y lire : Erdogan’s cannibal lunch. Au menu : tartare de femmes. Emincés de Kurdes. Journalistes cuits à l’étouffée.

Les jeunes femmes ont été embarquées manu militari.

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5 janvier 2018

Visite à Paris d’Erdogan, de plus en plus isolé sur la scène internationale

Par Marc Semo - Le Monde

La venue du président turc, vendredi, suscite nombre d’interrogations alors que les atteintes à l’Etat de droit et aux libertés s’aggravent de jour en jour dans son pays.

Toujours plus isolé diplomatiquement, Recep Tayyip Erdogan souhaite désormais réchauffer ses relations avec les pays de l’Union européenne (UE). La visite à Paris, vendredi 5 janvier, pour une demi-journée, du président turc – la première dans une grande capitale européenne depuis le putsch manqué de juillet 2016 –, n’en suscite pas moins nombre d’interrogations alors que les atteintes à l’Etat de droit et aux libertés fondamentales s’aggravent de jour en jour en Turquie.

La question sera ouvertement abordée par le président français lors de leur rencontre. Emmanuel Macron revendique le fait « de parler à tout le monde et de dire clairement les choses », même celles qui fâchent. « Je le ferai dans le respect mais avec le souci de défendre en même temps nos valeurs et nos intérêts », expliquait-il en début de semaine avant d’évoquer, le 3 janvier, lors de ses vœux à la presse, la triste situation des médias en Turquie.

Les autorités françaises rappellent qu’Ankara devra faire « des gestes très concrets » sur les droits de l’homme si elle veut donner un nouvel élan à un processus d’adhésion à l’UE engagé en octobre 2005 et aujourd’hui au point mort. « Ce processus est gelé parce qu’il y a un certain nombre d’attentes des pays européens sur les libertés fondamentales », déclarait à Sud Radio Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat auprès du ministre des affaires étrangères.

Des cas très concrets seront abordés lors des entretiens, dont celui du mécène Osman Kavala, figure de proue de la société civile et de l’intelligentsia istanbuliote, arrêté en novembre 2017 et accusé d’avoir financé le coup d’Etat raté de juillet 2016 et la révolte de Gezi au printemps 2013.

Erdogan, le « nouveau sultan »

Quelque 50 000 personnes sont actuellement détenues en Turquie pour leurs liens supposés avec la confrérie islamiste de Fetullah Gülen, accusée par les autorités d’avoir organisé le putsch raté ou pour complicité avec la rébellion kurde.

Au moins 140 000 fonctionnaires ont été limogés. Quant à la répression contre les ONG de droits de l’homme et la presse, elle a aussi visé des ressortissants européens, notamment allemands, et des binationaux. Les deux journalistes français arrêtés au cours des derniers mois, Mathias Depardon et Loup Bureau, ont certes été libérés. Un geste à l’égard de Paris. Mais le correspondant de Die Welt Deniz Yucel, Turco-Allemand, reste incarcéré depuis bientôt un an sans même que n’aient été rendues publiques les charges pesant contre lui.

« Nous voulons augmenter le nombre de nos amis et réduire celui de nos ennemis », déclarait récemment Recep Tayyip Erdogan. Recoller à l’UE est une nécessité pour le président turc.

Même si l’économie tourne à plein régime, avec une croissance de 7 % en 2017, une bonne partie des classes moyennes urbaines commencent à se détourner de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002, et s’inquiètent des dérives autoritaires de celui que beaucoup surnomment le « nouveau sultan ». Lors du référendum d’avril 2017 visant à élargir encore les pouvoirs du chef de l’Etat, les grandes villes comme Ankara et Istanbul avaient voté pour le non.

Intérêts stratégiques communs

Les relations avec le traditionnel allié américain sont de plus en plus mauvaises. Celles avec l’OTAN sont devenues exécrables. La carte russe et l’alliance avec Vladimir Poutine qui avait permis à Ankara de revenir dans le jeu en Syrie montre toutes ses limites.

D’où ce retour vers l’Europe, et c’est avec Paris que les relations sont les moins mauvaises. Au printemps, les autorités turques n’avaient pas hésité à accuser les dirigeants allemands de « pratiques nazies » pour avoir interdit à des ministres de l’AKP de venir mener campagne outre-Rhin auprès des immigrés turcs.

Recep Tayyip Erdogan et Emmanuel Macron se sont déjà plusieurs fois rencontrés en marge de sommets internationaux. « Les discussions ont été directes et denses », souligne-t-on à Paris. Si les personnalités et les visions du monde des deux chefs d’Etat sont, à bien des égards, opposées, il y a aussi des intérêts stratégiques communs et des convergences sur nombre de dossiers régionaux, à commencer par la Syrie.

Longtemps principal soutien de la rébellion avant de se rapprocher de Moscou et de Téhéran en 2016, Recep Tayyip Erdogan n’en estime pas moins, comme la diplomatie française, que Bachar al Assad ne peut incarner à terme l’avenir de son pays.

Les deux hommes s’entretiendront aussi de la situation dans le Golfe et en Libye et de l’instabilité née de la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale d’Israël. « La Turquie reste un partenaire stratégique à de nombreux égards : en matière de migrations, de lutte contre le terrorisme, de résolution de crises régionales », expliquait le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à Lisbonne, soulignant que ce dialogue « exigeant et constructif » doit être « fondé sur des engagements que la Turquie a elle-même pris en matière de droits de l’homme ».

« Dérive autocratique irréversible »

Cela ne dissipe pas les doutes sur l’opportunité de cette visite alors même que le président turc, depuis le coup d’Etat raté, n’avait été reçu que dans la Pologne des ultranationalistes conservateurs du PIS (droit et justice) et chez le voisin grec.

« La rencontre à l’Elysée représente un succès d’image pour Recep Tayyip Erdogan mais elle ne le fera en rien dévier d’une trajectoire politique toujours plus autoritaire au fur et à mesure qu’il sent son pouvoir menacé », relève Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE à Ankara et aujourd’hui chercheur à la fondation Carnegie à Bruxelles, soulignant qu’en revanche Emmanuel Macron n’a rien à y gagner. « Qu’il s’agisse des accords migratoires ou de la lutte contre le terrorisme, la coopération fonctionne au niveau technique sans qu’il soit besoin de lui donner un tel adoubement politique », s’inquiète l’ex-diplomate européen.

Un point de vue que partagent nombre d’intellectuels turcs. « Si la visite parisienne pouvait freiner la dérive autocratique d’Erdogan, ce serait une bonne chose mais cette dernière est irréversible », analyse Ahmet Insel, auteur notamment de La Nouvelle Turquie d’Erdogan (La découverte). Nul ne croit plus vraiment, y compris à Ankara, à une future adhésion pleine et entière à l’UE. « Les relations de la Turquie avec l’UE se situent désormais dans la logique d’une politique de bon voisinage, ce qui donne à Bruxelles comme à Paris ou Berlin toujours moins de prises sur Ankara », insiste l’universitaire. Recep Tayyip Erdogan le sait et en joue, même s’il assure « vouloir avoir de bonnes relations avec l’UE. »

23 décembre 2017

En Catalogne, le bras de fer continue entre Puigdemont et Rajoy

La constitution d’un gouvernement s’annonce très incertaine, tout comme l’avenir judiciaire des dirigeants indépendantistes

Forts de leur victoire aux élections régionales, les indépendantistes catalans doivent relever le défi de reprendre le pouvoir, avec leurs dirigeants en prison ou en exil et alors que Madrid maintient son intransigeance. Le camp séparatiste a perdu des sièges par rapport à 2015 et ses divisions internes vont compliquer les tractations pour former un cabinet.

Proposition de dialogue

Depuis la Belgique où il a pris la fuite pour éviter l’arrestation, le président destitué de la région Carles Puigdemont a proposé vendredi 22 décembre au chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy de le rencontrer « à Bruxelles ou dans n’importe quel autre lieu de l’Union européenne ».

Le premier ministre conservateur a refusé, estimant que « la personne avec laquelle [il] devrai [t] [s]’asseoir, c’est celle qui a remporté ces élections, Mme Arrimadas », la tête de liste du parti Ciudadanos, qui a remporté le plus de voix et de sièges au Parlement catalan.

Poursuivi pour « rébellion et sédition », M. Puigdemont risque toujours d’être arrêté s’il remet le pied en Espagne. Ce dernier a également demandé à être entendu par les institutions européennes. Dans son bras de fer avec Madrid, le dirigeant indépendantiste cherche systématiquement à se placer sur le même plan que le chef du gouvernement espagnol et à être reconnu par la communauté internationale, sans y parvenir pour l’instant.

A Bruxelles, un porte-parole de la Commission s’est contenté de répondre : « Notre position sur la question de la Catalogne est bien connue (…) Elle ne changera pas. S’agissant d’une élection régionale, nous n’avons pas de commentaire à faire. »

« Soumis à l’empire de la loi »

Mariano Rajoy a, par ailleurs, prévenu que le prochain gouvernement catalan, « quel qu’il soit (…) sera soumis à l’empire de la loi ». Une façon de sous-entendre qu’il n’hésiterait pas à recourir à nouveau à l’article 155 de la Constitution, utilisé pour la première fois le 27 octobre pour destituer l’exécutif régional et dissoudre le Parlement qui venait de déclarer l’indépendance.

Pendant la campagne, M. Puigdemont avait affirmé qu’il rétablirait le gouvernement destitué en cas de victoire. Mais bien que réélu, il ne pourrait exercer ses fonctions ni de député ni de président depuis une cellule. Au total, parmi les nouveaux députés indépendantistes, 17 sont inculpés, dont trois en prison et cinq en exil.

La Cour suprême espagnole a d’ailleurs élargi, vendredi, à six personnalités indépendantistes supplémentaires – en plus des 22 déjà inculpées – les poursuites engagées pour rébellion, sédition et malversations.

Si aucun gouvernement n’est formé à Barcelone avant la fin mars, de nouvelles élections devront être convoquées dans les deux mois.

Bon résultat de Ciudadanos

La victoire des indépendantistes, en sièges mais pas en voix, sera également limitée par le bon résultat du plus résolu des partis opposés à l’indépendance, Ciudadanos, arrivé en tête avec 37 députés.

LE MONDE

Ines Arrimadas a remporté un succès spectaculaire avec 1,1 million de voix. Son parti, formé il y a dix ans pour lutter contre le nationalisme catalan, sera le plus fort au Parlement régional, mais elle ne dispose pas d’alliés pour former une coalition de gouvernement. Les socialistes, opposés comme elle à l’indépendance, n’ont que 17 sièges et le Parti populaire s’est effondré, tombant à trois sièges, contre 11 aux dernières élections en 2015.

« Il est désormais clair qu’ici, en Catalogne, il n’y a jamais eu de majorité en faveur d’une indépendance, a déclaré vendredi la députée de 36 ans. Si ce processus [menant à une sécession unilatérale] n’avait aucun sens hier, il en a encore moins aujourd’hui. »

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18 novembre 2017

Catalogne : emprisonnés ou exilés, les indépendantistes se présentent aux élections

Par Jean-Pierre Stroobants, Bruxelles, bureau européen, Isabelle Piquer, Madrid, correspondance - Le Monde

Carles Puigdemont, qui comparaîtra le 4 décembre devant un juge belge chargé d’examiner le mandat d’arrêt émis contre lui par Madrid, pilotera la campagne depuis la Belgique.

C’est en Belgique que le dirigeant séparatiste Carles Puigdemont commencera à faire campagne pour les élections régionales qui se tiendront en Catalogne le 21 décembre. Ainsi en a décidé la justice belge en reportant au 4 décembre sa décision sur le mandat d’arrêt émis par l’Espagne contre lui et quatre de ses anciens ministres pour avoir organisé, le 1er octobre, un référendum illégal d’autodétermination.

La Chambre du Conseil du tribunal de Bruxelles, une instance d’instruction n’a, comme prévu, pas pris de décision immédiate. Le juge unique a écouté le procureur réclamer l’exécution du mandat et fixé la suite des débats au 4 décembre, un jour avant le début de la campagne électorale catalane. Et c’est donc à ce moment-là que les avocats des cinq anciens responsables catalans plaideront. Ils maintiennent que leurs clients sont la cible d’une accusation à caractère politique et non pénale et qu’ils ne peuvent dès lors être remis à la justice espagnole.

L’audience, qui s’est déroulée à huis clos, n’a duré qu’une heure, permettant seulement au représentant du parquet d’indiquer qu’il avait posé des questions complémentaires aux autorités espagnoles. Celles-ci étaient, selon lui, rendues nécessaires par le contenu du mandat ; elles portaient notamment sur les conditions de détention en Espagne.

Evitant la nuée de journalistes présents, notamment espagnols, les cinq responsables catalans et leurs défenseurs étaient entrés par une porte dérobée. A l’issue de ces premiers débats, des avocats ont indiqué que, comme le veut la pratique, ils répondraient par écrit aux arguments du ministère public et plaideraient ensuite.

Les séparatistes en ordre dispersé

Selon eux, le procureur a indiqué qu’il ne retenait pas le motif de corruption invoqué par Madrid et que la rébellion et la sédition, également évoquées dans le mandat, pouvaient être qualifiées, en droit belge, de coalition de fonctionnaires et de détournements par fonctionnaires ; ces arguments seront combattus par la défense, qui soutient de son côté que de telles incriminations n’existent pas en Belgique. Les avocats invoqueront aussi la question de la proportionnalité entre les faits reprochés et les peines encourues.

En attendant la décision de la justice, M. Puigdemont va donc continuer à télécommander la politique catalane depuis Bruxelles. Les indépendantistes ont présenté, vendredi 18 novembre, leurs listes électorales sur lesquelles figurent douze des quatorze membres du gouvernement déchu par Madrid le 27 octobre lors de la mise sous tutelle de la région.

En effet, malgré les appels à l’unité lancés par le président déchu, les deux principales formations séparatistes, le Parti démocrate de Catalogne (PDeCAT, droite) et la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), s’affronteront dans les urnes. Toutes deux réclament la restauration du « gouvernement légitime » catalan, « l’indépendance, la République et la liberté » et demandent « le retour des prisonniers politiques et des exilés ».

M. Puigdemont est désormais le nouveau chef de file d’une liste « transversale » Junts per Catalunya (Ensemble pour la Catalogne), soutenue par le PDeCAT. Jordi Sanchez, chef de la puissante association indépendantiste Assemblée nationale catalane (ANC), en prison préventive depuis le 16 octobre, sera son numéro deux. Ont aussi été inclus quatre anciens ministres de son gouvernement, dont deux sont exilés avec lui à Bruxelles, quand trois autres sont en détention provisoire à Madrid.

La liste comprend de nombreuses personnalités de la mouvance indépendantiste mais qui ne sont pas du PDeCAT. Ce parti – refonte de Convergence démocratique de Catalogne de l’ancien président Jordi Pujol – se dilue ainsi dans cette formation que M. Puigdemont a voulue plus ample pour lutter contre la « répression brutale de l’Etat espagnol » et disparaît pour ainsi dire de l’échiquier politique catalan qu’il a dominé pendant plus de trente ans.

Messages confus

Le vice-président déchu, Oriol Junqueras, également derrière les barreaux, sera lui tête de liste de l’ERC devant sa numéro deux, Marta Rovira. L’ancienne présidente du Parlement catalan, Carme Forcadell, poursuivie par la justice espagnole, et cinq ministres déchus – dont deux sont exilés à Bruxelles – sont aussi de la partie. Cette liste est « ouverte, généreuse et cherche à rassembler tous ceux qui veulent vaincre l’Etat [espagnol] dans les urnes », a déclaré Sergi Sabria, le porte-parole d’ERC.

Si les anciens responsables séparatistes (éligibles jusqu’à ce que la justice se soit prononcée) ne peuvent finalement ni faire campagne – tout du moins en personne – ni occuper leurs postes, d’autres pourraient assumer leurs fonctions.

Dans une lettre aux militants, diffusée le 15 novembre, M. Junqueras a ainsi laissé entendre que Marta Rovira pourrait devenir présidente de la Catalogne si l’ERC l’emportait. « Il est temps qu’une femme prenne les rennes du pays », a assuré M. Junqueras en ajoutant toutefois que « M. Puigdemont et tous les ministres » étaient « également les candidats » d’ERC. L’une des responsables du PDeCat, Marta Pascual, a même demandé que M. Puigdemont « seul président légitime » soit à nouveau investi quel que soit le résultat des urnes.

Les indépendantistes ont récemment lancé des messages pour le moins confus. Ainsi, le 13 novembre, M. Puigdemont a affirmé au quotidien belge Le Soir qu’il était prêt à accepter « une autre relation » avec l’Espagne. A Madrid, un député de la Gauche républicaine, Joan Tardá, a pour sa part reconnu que la Catalogne n’était « pas encore indépendante » car il n’y avait « pas eu une majorité de Catalans à l’avoir souhaité ».

Quant à l’ancien président de la Catalogne catalan (de 2010 à 2016), Artur Mas, il a affirmé qu’il était peut-être un peu tôt pour penser à une république. « Ne nous fixons pas de délais trop courts », a-t-il déclaré lors d’une conférence à Barcelone le 16 novembre « car ils pourraient nous étouffer et nous faire prendre des décisions qui ne seraient pas les meilleures ».

31 octobre 2017

La lettre politique de Laurent Joffrin - Catalogne : qui veut vraiment l'indépendance ?

Les indépendantistes catalans sont-ils des gens sérieux ou bien la coiffure de Carles Puigdemont, le Ringo Starr de Barcelone, cache-t-elle un esprit encore plus fantasque et primesautier que celui du batteur de Liverpool ? Entre indépendance annoncée puis suspendue, réannoncée et encore remise à plus tard, élections prévues et non proclamées, sinon par le gouvernement de Madrid qui a eu la sagesse de s’en remettre aux urnes, la cause de l’indépendance catalane n’a guère été grandie par la dernière séquence. Il faut dire qu’elle se heurte à de solides réalités. Il apparaît de plus en plus nettement que la moitié au moins des habitants de la région veulent rester d ans le giron espagnol. Le dernier sondage montre même que l’indépendance reste légèrement minoritaire, comme l’ont été les partis indépendantistes dans le dernier scrutin régional. Ils doivent leur succès, non à une victoire numérique mais au jeu des règles de représentation. Victoire légale, bien sûr, mais qui ne traduisait certainement pas une poussée unanime à la séparation. Quant aux promesses indépendantistes – pas de fuite des entreprises, une place naturelle en Europe – elles se sont révélées pour ce qu’elles étaient : du flan. Quelque 1 500 entreprises ont déjà annoncé leur volonté de déplacer leur siège social ; aucun gouvernement européen n’est prêt à reconnaître la Catalogne. Le spectre d’une micronation isolée et appauvrie se profile…

Madrid, quoique très raide dans la crise, cherche à éviter la montée aux extrêmes. Les élections annoncées aident à calmer le jeu. La prudence affichée en matière de répression – Puigdemont pourra se présenter au prochain scrutin malgré la procédure judiciaire contre lui – devrait limiter les risques de violence. Pourtant, l’attitude de certains «unionistes» pose problème. Peut-on vouloir l’unité de l’Espagne et désigner comme des ennemis irréductibles, menteurs, irresponsables et vicieux, des élus qui représentent la moitié de la Catalogne ? Un mari qui refuse le divorce peut-il, dans le même temps, se répandre partout en disant pis que pendre de sa femme ? Pour rester ensemble, il faut sinon s’aimer, du moins se respecter. Certains discours madrilènes, tissés de dénigrement et d’hostilité, obtiennent l’effet inverse de celui qui est recherché. Au moment du référendum sur l’indépendance du Québec en 1995, les partis «unionistes» avaient tenu un grand meeting à Montréal pour proclamer «leur amour du Québec». Ils l’avaient ensuite emporté de justesse. Madrid pourrait s’en inspirer. Si l’on défend l’idée d’une «Espagne pour tous», il faut y inclure les Catalans, seraient-ils indépendantistes… Laurent Joffrin - Libération

28 octobre 2017

Catalogne/Espagne. Fracture ouverte – Le Télégramme

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L'Histoire s'est accélérée, hier. Le Parlement catalan a rompu avec l'Espagne en votant pour l'indépendance.

Madrid a riposté en mettant la région sous tutelle.

Dorénavant, la tâche s'annonce ardue pour le gouvernement espagnol alors qu'une partie de la population de Catalogne est prête à désobéir.

1. L'absence de l'État. C'est un obstacle majeur pour la prise de contrôle réelle de la Catalogne. Seuls 9 % des fonctionnaires de la région - 26.000 personnes - sont issus de l'administration centrale. C'est bien moins qu'en Andalousie (19 %) et dans la région de Madrid (39 %).

Selon le quotidien El Pais, l'État n'y dispose en direct que de 842 juges et 5.900 membres des forces de l'ordre. Ce qui explique qu'il ait dû envoyer en renfort quelque 10.000 gardes civils et policiers, hébergés en partie... dans des bateaux de croisière.

2. Que faire si Carles Puigdemont tient tête ? La mesure de destitution du président séparatiste, basée sur l'article 155 de la Constitution, doit entrer en vigueur, une fois publiée au Journal officiel. Elle risque d'être un casse-tête pour le gouvernement de Mariano Rajoy : que faire, par exemple, si Carles Puigdemont, qui ne reconnaîtra pas les mesures de Madrid, refuse de quitter son bureau ? « S'il se retranche, les délits s'accumuleront pour lui », et « rien de ce qu'il fera n'aura de validité », répond une source gouvernementale à Madrid.

Le parquet général d'Espagne engagera, la semaine prochaine, une procédure judiciaire contre Carles Puigdemont pour « rébellion », a indiqué, hier, un porte-parole du ministère public.

3. Surmonter grèves, désobéissance ou boycotts. Dans cette région de 7,5 millions d'habitants, grande comme la Belgique et très jalouse de son autonomie, les indépendantistes sont habitués à descendre dans la rue pour soutenir leurs dirigeants. Un collectif, « Debout pour la paix », a largement diffusé des consignes d'une « stratégie non violente de libération » : lancer des campagnes de « non coopération » incluant grèves ou boycott, ou de « désobéissance civile » en assumant l'illégalité.

Sur les 304.000 fonctionnaires en Catalogne, dont 167.000 travaillent pour l'administration régionale et 84.000 pour les mairies, certains pourraient traîner les pieds. La vice-présidente du gouvernement espagnol, Soraya Saenz de Santamaria, a prévenu : il pourra y avoir des « limogeages, pour les employés qui continueraient ouvertement à ne pas respecter la Constitution ».

« Nous ne reconnaîtrons pas une administration qui ne provienne pas des urnes du peuple catalan », a averti Ramon Font, porte-parole du syndicat d'enseignants Ustec, majoritaire en Catalogne, assurant cependant qu'on n'avait pas donné de consignes précises.

Une partie des pompiers a aussi brandi des menaces dans le même sens. « Si une route est bloquée (par des manifestants) et qu'on nous demande de la débloquer, il est probable que nous ne répondions pas », a expliqué l'un d'entre eux.

4. Contrôler la police régionale. Autre obstacle majeur : la prise de contrôle de la police catalane, les Mossos d'Esquadra. « Bien sûr que ce ne serait ni facile ni agréable ! Ce ne serait pas bien vu qu'un policier ou quelqu'un de l'extérieur vienne prendre le contrôle des Mossos », affirme Ramon Cosio, porte-parole du syndicat de policiers SUP, majoritaire.

Les relations entre les Mossos et les corps de police nationaux ont été mises à rude épreuve depuis le référendum d'autodétermination interdit du 1 eroctobre, émaillé de violences policières qui n'ont pas empêché la tenue du vote dans la plupart des bureaux.

« Rajoy nous a dit qu'il avait tout bien préparé pour le référendum, et, ensuite, il s'est avéré que non », commente Josep Borrell, socialiste critique à la fois des indépendantistes et de Mariano Rajoy.

5. Maîtriser les finances. Un des seuls points positifs pour l'État espagnol : il tient les cordons de la bourse. Les finances du gouvernement catalan sont déjà sous tutelle depuis septembre, et, dès fin octobre, il sera incapable de payer ses fonctionnaires et d'honorer ses dettes. L'administration fiscale reste entre les mains de l'État central et de ses fonctionnaires.

28 octobre 2017

L’ultime bravade de la Catalogne

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Par François-Xavier Gomez - Libération

Le Parlement de la région autonome a voté vendredi en faveur de la sécession, portant à son paroxysme le bras de fer avec Madrid, qui a activé dans la foulée le processus de mise sous tutelle des institutions catalanes.

 L’ultime bravade de la Catalogne

A 15 h 41 vendredi, le Parlement de Catalogne a voté une résolution ouvrant la voie à l’instauration d’une «République catalane, en tant qu’Etat indépendant et souverain, de droit, démocratique et social». A 16 h 10 à Madrid, le Sénat espagnol votait l’application de l’article 155 de la Constitution, qui suspend de facto le statut d’autonomie de la région et met ses principales institutions sous la tutelle du pouvoir central. Les deux décisions concomitantes sont des premières : elles instaurent des situations qui ne se sont jamais produites en Espagne depuis le retour à la démocratie, en 1978. Elles ouvrent une période d’instabilité, et pire sans doute : un saut dans le vide dont nul ne peut prévoir les conséquences en Espagne, et dont l’onde de choc ne devrait pas épargner l’UE, qui bien sûr ne reconnaît pas l’Etat unilatéralement créé. La maire de Barcelone, Ada Colau, opposée à l’indépendance, a parlé d’une «collision entre deux trains».

Séparation

Au Parlement catalan, le vote a été acquis par 70 voix pour, 10 contre et 2 abstentions, sur un total de 135 sièges. Le bloc indépendantiste, formé d’une coalition pilotée par le parti de centre droit de Carles Puigdemont et du mouvement anticapitaliste CUP, a quasiment fait le plein, puisqu’il dispose de 71 sièges. Les élus du Parti populaire (PP, conservateur), du Parti socialiste catalan (PSC) et de Ciudadanos avaient quitté l’hémicycle en signe de protestation. A l’annonce du résultat, les restants, accompagnés par 200 maires favorables à la sécession, ont entonné Els Segadors, l’hymne catalan, un chant de la fin du XIXe siècle qui incite les «défenseurs de la terre» à porter un «bon coup de faux» à leurs ennemis, «ces gens orgueilleux et méprisants» ; l’Espagne, donc. Un coup de faux : c’est ce qu’ont donné les représentants élus au lien qui unit la région avec le royaume d’Espagne.

La résolution votée prévoit un chemin rapide vers la séparation (lire ci-contre). Et d’abord la formation, en deux semaines, d’une commission chargée d’organiser l’élection d’une Assemblée constituante. La proclamation correspond au scénario proposé par Puigdemont le 10 octobre, lors de son discours devant le Parlement. Il avait annoncé que le résultat du référendum (interdit par le pouvoir central), lui donnait le mandat pour proposer la transformation de la région en république. Une proclamation qu’il suspendait «quelques semaines», le temps d’ouvrir une phase de dialogue avec Madrid. Trois semaines se sont écoulées, le dialogue ne s’est pas produit, l’indépendance est donc proclamée.

Des milliers de partisans de l’indépendance se sont réunis à proximité du Parlement catalan, dans le parc de la Ciutadella à Barcelone, agitant la bannière estelada («étoilée», celle de l’Etat désiré) et sabrant le cava, le mousseux de la région. En début de soirée, la foule affluait autour de l’arc de triomphe de brique rouge situé sur la promenade Lluis-Companys, qui honore le président de la région dans les années 30, fusillé par Franco après que le régime de Vichy l’eut extradé.

A Madrid, le vote de l’article 155 a été suivi par l’adoption d’autres dispositions : la destitution de Carles Puigdemont, effective depuis vendredi soir, de ses consellers (ministres régionaux) et du bureau du Parlement de Barcelone, qui a validé la mise à l’ordre du jour de la résolution sécessionniste. Mais les sénateurs espagnols ont aussi accepté un amendement du Parti socialiste espagnol rejetant, au nom de la liberté d’expression, la prise de contrôle des médias publics de la région, TV3, la station Catalunya Radio et l’agence de presse ACN. Mariano Rajoy avait pourtant défini cet objectif comme prioritaire, jugeant que l’exécutif catalan avait transformé son service public audiovisuel en machine de propagande indépendantiste.

Les principaux dirigeants européens (Macron, Merkel), ainsi que les Etats-Unis, ont réaffirmé leur soutien à l’Etat espagnol et leur refus de reconnaître cet éventuel nouvel Etat, le premier à exiger son indépendance dans un pays de l’Union européenne. Donald Tusk, le président du Conseil européen, a souligné que l’Espagne restait «la seule interlocutrice» de l’UE. Il a cependant appelé le gouvernement espagnol à choisir «la force de l’argument plutôt que l’argument de la force», alors que beaucoup craignent que la remise au pas de la région rebelle ne s’accompagne d’une spirale d’agitation et de répression, comme les violences policières contre le référendum du 1er octobre.

Avenir flou

Pendant toute la semaine, les épisodes de la crise catalane se sont accumulés, de façon imprévisible. Et l’avenir s’annonce encore plus flou. Le Tribunal constitutionnel et les juges espagnols vont poursuivre leur offensive contre les dirigeants indépendantistes. Deux responsables d’associations séparatistes sont d’ailleurs en prison depuis la mi-octobre pour «sédition». Le chef d’inculpation de «rébellion» sera retenu dès lundi contre Carles Puigdemont et probablement aussi contre son gouvernement. Mais Mariano Rajoy ne souhaite sûrement pas, en emprisonnant des hommes et femmes politiques, fournir de nouveaux martyrs à la cause séparatiste.

De son côté, Puigdemont a appelé ses partisans à «maintenir le pays sur le terrain de la paix, du civisme et de la dignité». Quant à la partie de la société catalane opposée à la sécession, elle ne devrait pas tarder à faire entendre sa voix. En attendant des élections régionales anticipées, annoncées pour le 21 décembre, une indépendance pleine et entière de la Catalogne n’a que d’infimes chances de devenir une réalité.

François-Xavier Gomez

27 octobre 2017

Indépendance de la Catalogne : Mariano Rajoy destitue le président catalan Carles Puigdemont et dissout le Parlement de Barcelon

Mariano Rajoy a annoncé la destitution de Carles Puigdemont, le président catalan, vendredi 27 octobre, lors d'une prise de parole. Il a aussi annoncé la dissolution du parlement de Barcelone qui, quelques heures plus tôt, avait proclamé l'indépendance de la région. Le chef de l'Etat espagnol a annoncé la tenue d'élections en Catalogne le 21 décembre.

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