Affaire Khashoggi : le Sénat américain unanime pour mettre en cause « MBS »
Par Gilles Paris, Washington, correspondant - Le Monde
Les élus ont adopté, jeudi, à l’unanimité une résolution qui juge le prince héritier saoudien « responsable de l’assassinat » du journaliste. Un autre texte mettant fin au soutien de Washington à Riyad dans le conflit au Yémen a aussi été voté.
Le désaveu est à la mesure du capital politique brûlé par Donald Trump pour protéger son allié saoudien, le prince héritier Mohammed Ben Salman – également désigné par ses initiales, « MBS ».
Jeudi 13 décembre, le Sénat a infligé une double gifle au président des Etats-Unis. Sept sénateurs républicains se sont joints aux démocrates pour permettre l’adoption d’une résolution mettant fin au soutien principalement logistique apporté par Washington à l’Arabie saoudite dans la guerre qu’elle livre au Yémen. Le Sénat a ensuite adopté à l’unanimité une résolution dans laquelle il a jugé le prince héritier « responsable de l’assassinat de Jamal Khashoggi », le 2 octobre, dans le consulat du royaume saoudien à Istanbul, en Turquie.
Depuis des mois, l’exaspération montait au Sénat contre la guerre au Yémen déclenchée en 2015, manifestement à l’instigation de « MBS », alors ministre de la défense. Deux sénateurs que tout oppose ordinairement, l’indépendant du Vermont Bernie Sanders et le républicain de l’Utah Mike Lee, avaient joint leurs forces pour stopper l’engagement américain aux côtés de son allié saoudien. En vain.
Leurs collègues Jeanne Shaheen, démocrate du New Hampshire et Todd Young, républicain de l’Indiana, sont bien parvenus à faire adopter une disposition obligeant le département d’Etat à certifier que tout est mis en œuvre pour mettre fin à ce conflit, alléger la crise humanitaire et protéger les civils. Mais la réponse du secrétaire d’Etat Mike Pompeo, en septembre, n’a pas calmé la frustration.
« Un message clair et sans ambiguïté »
Cette dernière est encore montée après l’assassinat de Jamal Khashoggi, un dissident devenu chroniqueur au Washington Post. Ulcérée par les dénégations saoudiennes jugées peu crédibles comme par le soutien apporté par Donald Trump au prince, une majorité de sénateurs (56 voix contre 41) a permis, mercredi, l’adoption d’un texte dont la portée demeure symbolique puisque la Chambre des représentants n’a pas envisagé de s’en saisir et que le président des Etats-Unis a assuré qu’il lui opposerait son veto. Donald Trump justifie sa position par l’importance que revêt selon lui la relation avec Riyad.
La mise en cause, elle aussi symbolique, de la responsabilité du prince héritier dans la mort de Jamal Khashoggi est d’autant plus cuisante pour « MBS » comme pour Donald Trump qu’elle a été adoptée pour sa part à l’unanimité.
« Nous voulons également préserver un partenariat de soixante-dix ans entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite et nous voulons nous assurer qu’il continue de servir les intérêts américains et de stabiliser une région dangereuse », a certes estimé le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell (Kentucky). Mais ce dernier a jugé que cette résolution adresse à Riyad « un message clair et sans ambiguïté sur ce que nous ressentons à propos de ce qui est arrivé à ce journaliste ».
« Une politique étrangère de plus en plus erratique »
Le texte appelle aussi à la libération de dissidents saoudiens emprisonnés : Raif Badawi, Samar Badawi ainsi que des militantes pour les droits des femmes saoudiennes, présentés comme des « prisonniers politiques ». Il invite « le gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite à respecter les droits de ses citoyens et à modérer une politique étrangère de plus en plus erratique ». Il prône également la fin des opérations de ravitaillement en vol des avions de guerre saoudiens par les forces américaines.
Ce double vote constitue enfin un échec cinglant pour les lobbyistes engagés par l’Arabie saoudite pour polir l’image du royaume. Selon Ben Freeman, qui mesure les efforts des gouvernements étrangers aux Etats-Unis au sein du Center for International Policy, un cercle de réflexion de Washington, Riyad a presque triplé en 2017, après l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump, le budget consacré à l’achat d’influence – soit 27 millions de dollars (23,8 millions d’euros) au lieu de 10 millions de dollars un an plus tôt.
Cette offensive ne laisse rien au hasard. Après l’élection de Donald Trump en 2016, selon le Washington Post, ces lobbyistes auraient ainsi réservé 500 nuits dans l’hôtel luxueux que le président possède dans le centre de la capitale fédérale, au profit d’anciens combattants réquisitionnés pour défendre Riyad au Congrès.
Gilles Paris (Washington, correspondant)
Yémen : un cessez-le-feu négocié dans des régions menacées par la famine. Les belligérants au Yémen ont décidé de faire taire les armes provisoirement dans plusieurs régions dévastées, a annoncé le secrétaire général des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, jeudi 13 décembre, à l’issue de consultations de paix en Suède. Quatre ans de guerre ont fait quelque dix mille morts dans le pays et menacent jusqu’à vingt millions de personnes de famine. Les deux camps doivent se revoir fin janvier pour tenter de définir un cadre pour des négociations en vue d’un règlement politique, a précisé M. Guterres, qui ne nourrissait que de maigres espoirs d’obtenir une percée. Ces accords vont « améliorer la vie de millions de Yéménites », s’est félicité le chef de l’ONU. Un « cessez-le-feu » doit entrer en vigueur « dans les prochains jours » à Hodeïda. C’est par ce port de la mer Rouge qu’entre l’essentiel de l’aide dans le pays, où sévit « la pire crise humanitaire du monde » selon l’ONU. Les deux parties – forces gouvernementales, soutenues par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite sunnite, d’une part, combattants houthistes appuyés par l’Iran chiite d’autre part – doivent se retirer de la ville et du port. Contrôlé par les insurgés, celui-ci subit les assauts de la coalition progouvernementale. L’ONU jouera un « rôle-clé » dans le contrôle du port, a précisé M. Guterres ; 30 observateurs de l’ONU pourraient être déployés dans la ville, rapporte l’AFP. Le ministre yéménite des affaires étrangères, Khaled Al-Yémani, et le négociateur en chef des houthistes, Mohammed Abdelsalam, ont échangé une poignée de main à forte portée symbolique à l’issue de la cérémonie. M. Al-Yémani a toutefois prévenu que l’accord sur le retrait d’Hodeïda restait « hypothétique » jusqu’à sa mise en œuvre.