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Jours tranquilles à Paris
etats unis
28 février 2019

Etats-Unis : la charge spectaculaire de Michael Cohen, l’ex-avocat de Trump, devant le Congrès

Par Stéphanie Le Bars, Washington, correspondance

Il a qualifié son ancien client de « menteur », de « raciste » et d’« escroc », mercredi, devant une commission d’enquête de la Chambre des représentants.

Traiter de « menteur », de « raciste » et d’« escroc » la personne pour laquelle on a travaillé durant dix ans ne prédispose pas à donner une bonne image de soi-même. Michael Cohen, l’ancien avocat personnel de Donald Trump, en a fait les frais lors de son audition par la commission d’enquête de la Chambre des représentants, mercredi 27 février.

Après neuf heures passées à huis clos, mardi, devant une commission sénatoriale, M. Cohen a occupé, durant six heures, les télévisions, les radios et les sites des journaux américains, apparaissant tour à tour virulent contre son ancien patron, en quête de rédemption pour ses erreurs passées, fragile sur sa défense personnelle et prudent quant à de nouvelles illégalités susceptibles de gêner le président des Etats-Unis.

« La dernière fois que j’ai témoigné devant le Congrès c’était pour protéger M. Trump. Je ne le protège plus », a-t-il prévenu lors de cette séance exceptionnelle.

Voulue par les représentants démocrates, cette audition visait à « dire la vérité » aux Américains, ainsi que l’a expliqué le président du comité, le démocrate Elijah Cummings. Une gageure pour un témoin précisément condamné à trois ans de prison pour avoir menti au Congrès et au fisc. Mais une personnalité dont la connaissance intime des affaires de Donald Trump ne pouvait qu’éveiller la curiosité.

Une accusation qui pourrait être retenue contre Donald Trump

Dans sa déclaration liminaire, Michael Cohen a donc choisi la contrition, jurant qu’il n’avait plus rien à voir avec l’avocat capable de coups tordus pour protéger son influent patron : « J’ai honte de mes propres erreurs, de mes faiblesses et de ma loyauté mal placée. Je n’aurais jamais pensé qu’il serait candidat, qu’il ferait campagne sur un programme de haine et d’intolérance, qu’il gagnerait. Je regrette d’avoir dit oui à M. Trump. Je suis venu demander pardon à ma famille, au gouvernement et au peuple américain. »

Conscient que sa seule parole ne suffirait pas à lever les doutes sur sa bonne foi, il a produit des documents pour appuyer certaines de ses accusations, précisant des informations déjà en partie connues.

Il a présenté un chèque de 35 000 dollars (30 000 euros) signé de la main du président, prouvant qu’il avait lui-même remboursé des paiements effectués avant l’élection pour acheter le silence de l’actrice de films pornographiques Stormy Daniels au sujet de leur liaison ; et contrairement aux dires du président, son ex-avocat a assuré qu’il était au courant « depuis le début » du montage financier « illégal » imaginé pour contourner les lois sur le financement des élections. Cette accusation pourrait être retenue contre Donald Trump.

M. Cohen a aussi affirmé que son patron était informé des fuites de documents organisées par Wikileaks, supposées salir son adversaire Hillary Clinton. La question demeure de savoir s’il les a lui-même sollicitées.

De même, M. Cohen a reconnu avoir menti sur le calendrier des discussions autour de la construction d’une tour Trump en Russie, qui se sont poursuivies alors que M. Trump était déjà candidat. En revanche, il a refusé de confirmer une « collusion » de M. Trump avec la Russie pour battre son adversaire, ajoutant toutefois avoir des « soupçons ».

Un « système » Trump, marqué par le mensonge

Mais l’ex-avocat, insistant sur sa proximité avec M. Trump durant une décennie, s’est surtout attaché à dépeindre le milliardaire sous les traits d’un opportuniste sans scrupule, prêt à tout et entouré de fidèles « enivrés » par sa personnalité. « M. Trump est une énigme. Il a de bons et de mauvais côtés mais les mauvais surpassent les bons et depuis qu’il est en fonction il est devenu la pire version de lui-même. »

Au fil de ses réponses, il a aussi dévoilé un « système » Trump, marqué par le mensonge. « Le job de tous à la Trump Organization est de protéger Trump, de mentir pour lui chaque jour, et c’est exactement ce qui arrive aujourd’hui avec ce gouvernement. »

Au détour de sa démonstration, il a livré des détails éclairant ces aspects de la personnalité de Donald Trump. Ainsi de l’épisode censé expliquer pourquoi il avait échappé à la guerre au Vietnam : « Tu crois que j’étais stupide ? Je n’allais pas partir au Vietnam. » Faute de certificats médicaux prouvant que le jeune Trump méritait d’être exempté, M. Cohen dut mentir aux médias.

Une même volonté de dissimuler ses faiblesses a amené le président à demander à son avocat de menacer ses établissements scolaires afin qu’ils ne dévoilent pas ses notes. M. Cohen a aussi expliqué avoir acheté le silence de sources pour que des affaires compromettantes ne sortent pas et il a menacé « plus de 500 personnes ou organisations » de poursuites, au nom de son patron. M. Cohen a enfin assuré que M. Trump avait coutume de « gonfler ses revenus pour apparaître sur la liste des personnes les plus riches du magazine Forbes », et de les dégonfler pour diminuer ses impôts.

Fracture partisane

Attaqué tout au long de l’audition par les élus républicains sur ses propres entorses à la loi ou de possibles conflits d’intérêts, M. Cohen s’est parfois montré excédé : « Les Américains se fichent de mes déclarations fiscales ! » Dans un avertissement aux élus du « Grand Old Party » (GOP), il a prédit : « Les gens qui suivent Trump aveuglément, comme je l’ai fait, en paieront les conséquences. »

Sur le plan politique, l’audition a fait la démonstration de la fracture partisane sur cet exercice de « recherche de la vérité ». D’un côté, les élus républicains ont affiché une unité sans faille derrière le président Trump. Chacun à leur tour, ils ont mis en cause la crédibilité de M. Cohen, suggérant qu’il n’était là que pour négocier une réduction de sa peine de trois ans de prison. A contrario, les élus démocrates ont dû se poser en alliés compréhensifs de l’avocat, trumpiste de la première heure.

Michael Cohen sera également entendu jeudi, à huis clos, par la commission du renseignement de la Chambre des représentants.

Cette série d’auditions pourrait bien être le prélude à de nouveaux développements. M. Cohen a affirmé, mercredi, que des enquêtes étaient en cours sur d’autres affaires touchant les finances du président. Le conseiller spécial Robert Mueller est sur le point de rendre les conclusions de son enquête sur une possible interférence de la Russie dans l’élection présidentielle de 2016. Les démocrates ont promis de s’intéresser aux déclarations fiscales de M. Trump et à de possibles conflits d’intérêt avec des puissances étrangères.

Dans ce contexte, M. Cohen n’a pas hésité à dramatiser son propos, mettant en garde l’Amérique contre son président. « J’espère que le pays ne fera pas la même erreur que moi. Je crains qu’en cas de défaite en 2020, il n’y ait pas de transition pacifique. » Une sombre perspective que M. Cohen, vivra, en théorie, du fond de sa prison, à une centaine de kilomètres de New York.

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26 février 2019

Trump et Kim, deux hommes pressés de s’entendre

Par Philippe Pons, Tokyo, correspondant, Gilles Paris, Washington, correspondant

Les dirigeants américain et nord-coréen veulent afficher un succès diplomatique pour leur deuxième rencontre.

Donald Trump et Kim Jong-un, qui vont se retrouver mercredi 27 et jeudi 28 février à Hanoï, ont un point commun : ils sont pressés. Le premier, en butte à ses difficultés internes, veut engranger au plus vite un succès diplomatique en étant le premier président américain à avoir mis fin à l’état de guerre avec la Corée du Nord et délivré les Etats-Unis du risque d’une attaque nucléaire nord-coréenne. Le second espère qu’une retombée de la tension avec les Etats-Unis permettra d’amorcer une sortie de l’ornière de l’économie nord-coréenne.

Depuis le premier sommet à Singapour, en juin 2018, Donald Trump ne perd pas une occasion de vanter la qualité de ses relations avec Kim Jong-un, qu’il présente comme la clef de la détente en cours. Un argument qui lui permet d’opposer ses qualités supposées de négociateur à celles de ses prédécesseurs. Il a assuré, le 15 février, que le dernier d’entre eux, Barack Obama, « était prêt à partir en guerre » contre Pyongyang. « En fait, il m’a dit qu’il était sur le point de commencer une grande guerre avec la Corée du Nord », a ajouté le président avant d’essuyer une salve de démentis de l’administration précédente.

Dénucléarisation mise en doute

La lenteur de ce processus risque rapidement de se heurter au calendrier électoral américain. Dans un an, les primaires d’investiture auront déjà débuté et Donald Trump sera progressivement absorbé par sa campagne de réélection. La fenêtre est donc particulièrement étroite pour avancer vers l’objectif officiel d’une dénucléarisation unilatérale « complète, irréversible et vérifiable ».

Cette dénucléarisation est mise en doute par les propres services de renseignement de Donald Trump. Le rapport annuel sur les menaces qui pèsent sur les Etats-Unis, publié en janvier, estime ainsi « peu probable que la Corée du Nord abandonne toutes ses armes nucléaires » et note la poursuite « d’activités non compatibles avec une dénucléarisation totale ». Un avis qui compte alors que la politique étrangère du président est de plus en plus contestée au Congrès, y compris dans les rangs républicains.

Donald Trump a répliqué à cette estimation peu encourageante par un message publié sur son compte Twitter. « Les relations avec la Corée du Nord sont les meilleures jamais eues pour les Etats-Unis. Aucun test [nucléaire ou balistique], les dépouilles rendues [de soldats américains morts pendant la guerre de Corée], les otages revenus [américains retenus en Corée du Nord]. Bonne chance de dénucléarisation », a écrit le président en énumérant les gains limités engrangés jusqu’à présent. Cet état d’esprit pourrait être propice à des concessions, pour peu que Kim Jong-un s’engage également dans une démarche de petits pas.

Progrès à petits pas de la RPDC

Ce dernier a également ses raisons pour aller vite. D’abord, pour profiter des bonnes dispositions de son interlocuteur – et du pouvoir dont il dispose encore – pour sortir de la situation de blocage avec les Etats-Unis. Cela permet de passer au-dessus du département d’Etat, plus multilatéraliste et moins enclin aux concessions pour obtenir un « deal », et du conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, John Bolton, également réticent.

L’opinion publique n’est assurément pas un facteur prépondérant dans un Etat

totalitaire comme la RPDC. Il reste que, depuis son arrivée au pouvoir en 2011, Kim Jong-un a réitéré à plusieurs reprises son engagement d’améliorer les conditions de vie. La RPDC a plus changé depuis son arrivée au pouvoir en 2011 que pendant les décennies précédentes. Le surgissement des tours dans Pyongyang, dont la physionomie s’est métamorphosée, la circulation automobile, l’apparition d’une embryonnaire couche moyenne urbaine en témoignent.

Les réformes qui ont accordé une plus grande autonomie de gestion aux entreprises d’Etat et aux coopératives agricoles ont permis l’apparition de « capitalistes rouges » (entrepreneurs, négociants, intermédiaires, commerçants de détail) et ouvert des portes à la débrouillardise, notamment au travail parallèle. Ces transformations, conjuguées à une corruption endémique qui met de l’huile dans les rouages, permettent au pays de progresser à petits pas et de faire face aux sanctions. Mais celles-ci n’en ralentissent pas moins les activités. Officiellement, le commerce avec la Chine, premier partenaire de la RPDC, a diminué de moitié. Les trafics frontaliers avec son grand voisin et la Russie pallient cette diminution des importations et les magasins continuent à être fournis et achalandés.

Nationalisme farouche

Ces réformes et le bouillonnement d’activités à la limite de la légalité qui tiennent souvent du bricolage pour contourner les blocages bureaucratiques atteignent un palier. La levée des sanctions devient impérative pour sortir de l’ornière et permettre une relance de la coopération avec la Corée du Sud – dont les projets n’attendent qu’un « feu vert » politique pour être lancés –, la Chine – même s’ils ne veulent pas en dépendre –, la Russie et d’autres pays. La RPDC vit sous un régime de sanctions, depuis la fin de la guerre de Corée en 1953. Elles ont été renforcées au fur et à mesure qu’elle progressait dans ses ambitions nucléaires pour arriver aujourd’hui à une tentative d’étranglement. La population a résisté.

Mais il n’est pas sûr qu’aujourd’hui le régime puisse lui faire subir une « nouvelle marche forcée » comme ce fut le cas au moment de la famine de la fin des années 1990, qui a fait près d’un million de morts sur 24 millions d’habitants. Entretenu par la propagande, un nationalisme farouche constitue le ciment le plus solide du régime. Mais en redonnant espoir à une population qui, à la mort de son père, Kim Jong-il, en 2010, semblait résignée, Kim Jong-un a amorcé une dynamique. Chacun à son niveau cherche à tirer son épingle du jeu, et espère que demain sera meilleur. Il est toujours dangereux pour un pouvoir de mobiliser l’espoir : même une dictature doit paraître répondre aux attentes qu’elle a fait naître.

Kim Jong-un est conscient qu’il doit aller vite et jouer la carte Trump. Depuis un an, en connivence avec le président sud-coréen Moon Jae-in, c’est ce qu’il fait. Un affaiblissement du président des Etats-Unis est la grande préoccupation des deux dirigeants. Moon Jae-in, cheville ouvrière de la dynamique amorcée de reprise en main de leur destin par les Coréens, est lui aussi pressé : il lui reste deux ans avant la fin de son mandat (non renouvelable) pour rendre celle-ci irréversible. Ce qui laisse supposer des concessions de part et d’autre – fussent-elles de façade.

15 février 2019

Donald Trump veut déclarer l’état d’urgence nationale pour obtenir son mur anti-migrants

mur trump

Par Gilles Paris, Washington, correspondant - Le Monde

Le président a abattu sa dernière carte pour obtenir des fonds supplémentaires. Cette décision, véritable contournement du Congrès, devrait déclencher une fronde politique et une guérilla judiciaire.

Donald Trump a ouvert un nouveau front, jeudi 14 février, en tentant une ultime contre-attaque à propos du « mur » qu’il a promis de construire sur la frontière avec le Mexique. Incapable d’obtenir le financement qu’il exigeait du Congrès, faute des voix nécessaires au Sénat et à la Chambre des représentants, il a abattu la dernière carte qu’il avait dans son jeu en annonçant qu’il déclarera rapidement par décret un état d’« urgence nationale ».

Il devait s’exprimer à ce sujet vendredi matin à la Maison Blanche. Cette décision devrait déclencher une guérilla judiciaire tout autant que tester l’équilibre des pouvoirs, ainsi que son emprise sur un parti divisé.

Trois jours plus tôt, lundi, les démocrates et les républicains étaient parvenus à un compromis budgétaire permettant d’éviter un nouveau gel (shutdown) partiel du gouvernement fédéral à partir du 15 février. Ils s’étaient entendus notamment sur la somme de 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) pour financer la construction de 55 miles (88 kilomètres) de nouvelles barrières, loin des 5,7 milliards de dollars exigés préalablement par le président. Le coût politique pour les républicains du dernier « shutdown » de trente-cinq jours, le plus long de l’histoire, dont ils avaient été jugés très majoritairement responsables, avait poussé les élus du « Grand Old Party » (GOP) à cette concession.

Après avoir déjà renoncé à une partie de sa principale promesse de campagne – le financement de ce « mur » par le Mexique qui l’a toujours exclu farouchement –, Donald Trump, acculé, n’a pas caché son mécontentement. Et l’aile droite anti-immigration, qui a dénoncé le compromis dans les termes les plus crus, n’a pas relâché sa pression sur lui.

Désapprobation massive de l’opinion publique

Jeudi matin, la rumeur venue de la Maison Blanche a brièvement laissé entendre, selon les médias américains, que le président ne parapherait pas la loi de finance que le Congrès s’apprêtait à voter. L’inquiétude est à ce point montée qu’en début de séance au Sénat, un cacique républicain, Chuck Grassley (Iowa), a invité ses collègues « à prier pour que le président ait la sagesse de [la] signer ». Le chef de la majorité sénatoriale, Mitch McConnell (Kentucky), a levé ultérieurement le suspense en assurant avoir obtenu l’engagement de Donald Trump, tout en annonçant qu’il recourrait à une déclaration d’état d’urgence nationale pour obtenir des fonds supplémentaires et contourner ainsi le Congrès.

Ce choix est périlleux à plus d’un titre. Il se heurte tout d’abord à la désapprobation massive de l’opinion publique américaine. Les deux tiers des personnes interrogées s’y opposaient selon les résultats convergents de plusieurs instituts de sondage publiés au cours des trois dernières semaines.

Même s’ils soutenaient dans la même proportion le président sur ce point, les sympathisants républicains – généralement unanimes – n’en étaient pas moins divisés. Le fait que le Congrès soit parvenu à un accord qui empêche Donald Trump de justifier sa décision en arguant de l’impuissance du pouvoir législatif ne pourra qu’accentuer le trouble.

D’autant que la nécessité d’un « mur » reste discutée. En dépit d’une légère hausse en 2018, les passages clandestins de sans-papiers sont au plus bas depuis vingt ans si on se fie aux arrestations auxquelles procède la police des frontières. En dépit de la campagne acharnée de Donald Trump, seule une minorité de personnes interrogées estime que son projet de « mur » mettrait fin au trafic de drogue et réduirait la criminalité, comme l’ont montré les nombreux sondages publiés pendant le « shutdown ».

Le président s’aventure ensuite sur un terrain juridique et constitutionnel inconnu, confirmant sa propension à user au maximum de ses prérogatives, quel qu’en soit le prix. En retirant au Congrès « le pouvoir de la bourse », qui figure à l’article 1 de la Constitution américaine, s’il choisit, comme il le laisse entendre, de réaffecter les fonds déjà votés pour d’autres usages par les deux Chambres, Donald Trump s’expose à des accusations d’abus de pouvoir qui devraient alimenter une guérilla judiciaire de longue haleine, sans parler des contentieux que les expropriations pour bâtir son « mur » vont déclencher.

L’inquiétude des Républicains

Le Parti républicain a montré la voie en s’opposant méthodiquement par le passé, non sans succès, aux décrets pris par le prédécesseur démocrate du milliardaire, Barack Obama, dans le domaine de l’immigration ou de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

A l’époque, le sénateur républicain du Texas, Ted Cruz, qui ne jure que par la défense de la Constitution, avait publié sur le site Politico une tribune dénonçant un comportement de « monarque ». Le sénateur y avait insisté sur le nécessaire « compromis » entre les pouvoirs exigé par la loi fondamentale des Etats-Unis, soit la voie opposée à celle sur laquelle Donald Trump s’engage aujourd’hui.

En plus de l’incertitude que fait peser l’absence de toute jurisprudence de la Cour suprême, cette déclaration d’état d’urgence nationale inquiète certains républicains qui mettent en garde contre un précédent. Ces fractures risquent d’apparaître au grand jour si le Congrès est appelé à se prononcer sur cette décision comme le souhaitent les démocrates.

En janvier, l’ancien candidat républicain à la présidentielle de 2012, Mitt Romney, devenu sénateur de l’Utah, a estimé qu’elle devrait être limitée « aux circonstances les plus extrêmes ». Le sénateur républicain Marco Rubio (Floride) avait jugé de son côté que « si aujourd’hui, l’urgence nationale est la sécurité des frontières, demain, l’urgence nationale pourrait être le changement climatique », pour souligner la dangerosité à ses yeux d’une telle échappatoire. Dans un éditorial sévère, jeudi soir, le Wall Street Journal a repris le même argument pour dénoncer ce qu’il considère comme une fuite en avant.

La speaker (présidente) de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (Californie), s’est vite précipitée dans la brèche. « Le précédent que le président établit est quelque chose qui devrait susciter le plus grand malaise et le plus grand désarroi des républicains », a-t-elle estimé. Elle n’a pas manqué d’ajouter en référence à l’anniversaire du massacre de Parkland, en Floride, qu’un président démocrate pourrait à l’avenir procéder de la même manière à propos des armes à feu afin de lutter contre la multiplication des tueries de masse.

13 février 2019

Le Congrès enterre le « mur » de Donald Trump à la frontière avec le Mexique

Par Gilles Paris, Washington, correspondant - Le Monde

Le compromis budgétaire auquel sont parvenus les démocrates et les républicains ne prévoit que 1,3 milliard de dollars pour sécuriser la frontière, loin des 5,7 milliards exigés par le président.

Donald Trump s’est dit « très mécontent », mardi 12 février, du compromis auquel sont parvenus des élus démocrates et républicains pour renforcer la protection de la frontière avec le Mexique. Et pour cause. Finalisé lundi, le projet de budget du ministère concerné, le département de la sécurité intérieure, ne comprend que 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) au lieu des 5,7 milliards de dollars exigés pour le « mur » promis par le président des Etats-Unis. Il ne permettra en fait de construire que 55 miles (88 kilomètres) de barrières supplémentaires qui s’ajouteront à celles déjà installées en Californie, en Arizona, et dans certaines parties du Texas.

Donald Trump avait refusé un premier projet, en décembre 2018, qui prévoyait 65 miles (110 kilomètres) de clôture. Cette décision avait précipité un gel (shutdown) partiel du gouvernement fédéral qui s’était éternisé pendant trente-cinq jours, érodant son taux d’approbation. Il y a un an, il avait déjà repoussé une offre démocrate de 25 milliards de dollars en échange de la régularisation de sans-papiers arrivés enfants aux Etats-Unis.

Les négociateurs du Congrès, choisis dans les deux camps pour leur pragmatisme, avaient jusqu’au 15 février pour éviter une impasse. Donald Trump ne s’était pas montré très encourageant en qualifiant leurs efforts de « perte de temps ».

Le souci d’éviter un nouveau shutdown l’a emporté, et le président a écarté, mardi, l’option consistant à refuser de signer le compromis, une fois adopté par le Congrès. Le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, ne lui a pas laissé le choix. « Il n’y a pas tout ce que le président espérait obtenir, mais c’est un pas dans la bonne direction. J’espère qu’il décidera de le promulguer », a dit le sénateur du Kentucky, manifestement pressé d’en finir.

L’ultra-droite se déchaîne

En dépit de ce manque flagrant de soutien républicain, Donald Trump n’a pourtant pas renoncé. « Quand on additionne ce que je pourrai ajouter, cela va marcher, nous allons construire un beau mur, grand et solide », a-t-il assuré, mardi, sans donner la moindre indication concernant l’origine de ces fonds.

Il pourrait notamment déclarer un état d’urgence nationale qui lui permettrait de contourner le Congrès. Des sondages convergents ont cependant montré qu’une forte majorité d’Américains interrogés y est hostile, sans parler du peu d’enthousiasme des élus républicains. Une telle initiative, en outre, pourrait déclencher une guérilla juridique qui bloquerait sans doute les travaux.

Ce volontarisme a sans doute pour objectif de désarmer les critiques des figures ultra-conservatrices qui l’avaient poussé, en décembre 2018, à renoncer à un compromis plus favorable. Elles se sont déchaînées contre le résultat du Congrès.

L’animateur de Fox News Sean Hannity, pourtant très proche du président, a dénoncé un « compromis pourri ». « Tout républicain qui le votera devra s’expliquer », a-t-il menacé. Sa collègue Laura Ingraham ne s’est pas montrée plus tendre à l’égard d’un résultat « pathétique », « qui ne donne pas un centime pour le mur ». « Sur l’immigration, Trump ne combat pas seulement les démocrates, il combat également les républicains », a-t-elle pesté. Un autre proche de Donald Trump, Lou Dobbs, qui officie également sur un canal appartenant à la chaîne conservatrice a dénoncé « une insulte » au président.

Renoncements

Lancé dès sa déclaration de candidature, en juin 2015, ce projet de « mur » a constitué la principale promesse de campagne de Donald Trump, qui assurait aussi initialement que le Mexique paierait pour son financement.

Mais une fois élu, le milliardaire s’est heurté tout d’abord à l’hostilité des autorités mexicaines, puis à un Congrès où il ne disposait pas des voix nécessaires au Sénat pour parvenir à ses fins. En dépit de messages alarmistes martelés pendant toute la durée du shutdown, il n’est pas parvenu non plus à retourner une opinion publique majoritairement opposée à ce « mur ».

Donald Trump a progressivement revu ses ambitions à la baisse, en écartant tout d’abord une construction sur l’ensemble de la frontière avec le Mexique encore non équipée, puis en renonçant à un édifice en béton au profit d’un dispositif métallique plus proche d’une barrière. Ces renoncements n’ont cependant pas fait fléchir les démocrates qui ont dénoncé un projet « immoral », daté et coûteux. En position de force à la Chambre des représentants après les élections de mi-mandat, en novembre 2018, ces derniers n’ont finalement concédé que la portion de clôture prévue par le compromis.

A moins d’un coup de théâtre, cet accord interdit désormais la moindre construction d’ampleur d’ici à la fin du mandat du président, en janvier 2021. Donald Trump a tenté de contourner la difficulté au cours d’un meeting électoral à El Paso, au Texas, localité qui jouxte la ville mexicaine de Ciudad Juarez. Venu plaider une nouvelle fois pour ce projet, le président a fait face, lundi soir, à une foule qui a scandé le slogan devenu coutumier de ces rassemblements : « Construisez ce mur ! » Le président, qui venait de prendre connaissance de l’accord du Congrès, a rectifié. « Vous voulez dire en fait finissez le mur », a-t-il assuré, « parce que nous le construisons ».

25 janvier 2019

Shutdown

C'est la fin du plus long "shutdown" de l'histoire des Etats-Unis. Donald Trump a annoncé, vendredi 25 janvier, avoir conclu un accord avec le Congrès pour mettre fin temporairement à la paralysie des institutions fédérales, qui dure depuis le 22 décembre. Le président américain s'est engagé à signer une loi garantissant le financement de l'administration jusqu'au 15 février.

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20 janvier 2019

Président Trump, an II : état d’urgence

Par Gilles Paris, Washington, correspondant

Après quatre semaines de « shutdown » pour forcer les démocrates à voter le financement du « mur » qu’il veut ériger, le président américain s’est senti dans l’obligation de manœuvrer, alerté par une accumulation de sondages négatifs.

Un président sait qu’il est dans la difficulté lorsqu’il est obligé de s’exprimer un samedi après-midi, au début d’un long week-end de trois jours, Martin Luther King Day oblige.

Après quatre semaines de blocage (« shutdown ») d’un quart du gouvernement fédéral, pour forcer les démocrates à voter le financement du « mur » qu’il veut ériger à la frontière avec le Mexique, Donald Trump s’est senti dans l’obligation de manœuvrer, alerté par une accumulation de sondages négatifs.

Il a donc proposé à son opposition un compromis « de bon sens » : le financement d’un ouvrage définitif contre une protection temporaire des sans-papiers arrivés enfants aux Etats-Unis. Sauf que ces derniers échappent déjà provisoirement aux expulsions du fait d’une décision de justice. Les démocrates n’ont pas du tout été emballés.

« Penser grand »

Le président n’a manifestement pas relu récemment le premier ouvrage signé de son nom : Trump, the art of the deal, publié en 1987. Le deuxième chapitre, intitulé Trump cards, the elements of the deal, rassemblait les recettes qui feraient immanquablement du lecteur un condottiere de la finance ou de l’industrie.

La première astuce était de « penser grand ». Dans le cas du « mur », le président voit de plus en plus petit. Il a rappelé, samedi, qu’il n’irait pas d’un océan à un autre, tout comme il a renoncé à nouveau à la muraille de béton promise au profit d’une plus modeste barrière métallique dont la localisation et la hauteur restent à définir. Bref le « mur » n’est plus le « mur », tout en le restant pour des raisons de promesses électorales.

Dans ce même chapitre, l’homme d’affaires suggérait de « maximiser ses options ». « Je me protège en étant flexible, je ne m’attache jamais trop à un deal ou à une approche », expliquait-il. Le président a pourtant rivé son destin à ce « mur », au point que ses moindres gestes sont scrutés par son aile droite, attentive au moindre signe de faiblesse. La pamphlétaire anti-immigration Ann Coulter n’a d’ailleurs pas apprécié l’allocution présidentielle de samedi. « On a voté pour Trump et on a Jeb » Bush, candidat malheureux à l’investiture républicaine en 2016 et jugé trop laxiste en la matière, a-t-elle pesté sur son compte Twitter.

« Connaître son marché »

Toujours dans le même ouvrage, le magnat de l’immobilier recommandait de « connaître son marché ». Mais le président semble imperméable à l’idée que le Congrès lui est défavorable depuis les élections de mi-mandat, en novembre 2018. Les démocrates sont désormais majoritaires à la Chambre des représentants et Donald Trump n’est même pas certain de disposer de la majorité qualifiée pour faire adopter ses nouvelles propositions au Sénat.

En 1987, le promoteur assurait que « la pire chose est de donner l’impression de vouloir à tout prix » quelque chose. C’est précisément la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui avec un « mur » dont la réalisation dépend d’autres que lui.

Par sa proposition de samedi, manifestement négociée entre républicains et donc peu susceptible d’être acceptée par les démocrates, Donald Trump n’espérait sans doute pas trouver une issue au gel partiel du gouvernement fédéral, mais plutôt, en anticipant leur refus, transférer sur leurs épaules une partie de la responsabilité du « shutdown ».

Pour le malheur des fonctionnaires fédéraux, le roi de la négociation est resté enfermé dans les pages publiées en 1987.

9 janvier 2019

Les Etats-Unis s’enfoncent dans la crise après l’allocution de Trump sur son « mur » à la frontière

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Par Gilles Paris, Washington, correspondant - Le Monde

Le président américain a choisi un ton plus solennel qu’à l’habitude, mardi, pour tenter de convaincre, alors que son projet est à l’origine du gel d’un quart du gouvernement fédéral depuis le 21 décembre 2018.

Donald Trump avait choisi la solennité d’une adresse présidentielle, dans le bureau Ovale de la Maison Blanche, mardi 8 janvier, pour tenter de gagner la bataille de l’opinion à propos du « mur » qu’il veut ériger sur la frontière avec le Mexique, mais qui est refusé par les démocrates. Ce blocage est à l’origine du gel (« shutdown ») d’un quart du gouvernement fédéral depuis le 21 décembre 2018.

Après des semaines de messages comminatoires et très souvent mensongers publiés sur son compte Twitter, le président des Etats-Unis, avec gravité, a défendu son projet avec une plus grande mesure, sans céder cependant un pouce de terrain.

La réponse des responsables démocrates du Congrès, la speaker (présidente) de la Chambre des représentants Nancy Pelosi (Californie) et le sénateur Chuck Schumer (Etat de New York) a montré qu’ils n’étaient pas plus disposés à des concessions.

Le « shutdown » est en passe de devenir le plus long de l’histoire des Etats-Unis si aucun compromis n’est forgé avant la fin de la semaine. Le record actuel remonte à un conflit entre le président démocrate Bill Clinton et les républicains à propos du déficit budgétaire. Ces derniers avaient fini par rendre les armes après vingt et un jours de blocage.

Tour de passe-passe

Nul ne peut dire pour l’instant qui cédera le premier cette fois-ci, ou bien si un accord finira par se dessiner sous la pression des modérés des deux camps. Alors qu’une poignée de sénateurs républicains commence à exprimer leur soutien pour une solution transitoire défendue par les démocrates – un financement temporaire des départements fédéraux concernés pour permettre une négociation plus sereine –, Donald Trump a prévu de battre le rappel des troupes mercredi à l’occasion d’un déjeuner au Congrès. Il doit également se rendre près de la frontière au Texas jeudi.

Peu à l’aise dans un exercice très contraint qu’il pratiquait pour la première fois, le président des Etats-Unis a renoncé, mardi, à déclarer un état d’urgence évoqué les jours précédents qui lui aurait permis de contourner le Congrès et de mobiliser l’armée. Cette démarche hardie mais risquée aurait sans doute été la promesse de contestations devant les tribunaux et les précédents en la matière ne plaident pas en faveur du président.

Ce dernier a également remisé les formules chocs, dénoncées comme fausses, assénées les jours précédents. Il n’a ainsi pas fait mention du flot de « terroristes » transitant selon lui par la frontière dont sa propre administration n’a jamais trouvé la trace. Mais il a une nouvelle fois assuré que la construction d’une séparation physique protégerait les Etats-Unis du trafic de drogue, alors que celui-ci passe principalement par les points de passage légaux.

Après avoir martelé pendant la campagne présidentielle que le Mexique financerait l’ouvrage d’art, Donald Trump a affirmé, mardi, que les économies qui seraient selon lui réalisées grâce à la réduction du trafic de drogue dégageraient des bénéfices équivalents aux 5,7 milliards de dollars (5 milliards d’euros) exigés pour sa construction, tout comme le nouveau traité de libre-échange négocié avec ce voisin des Etats-Unis. Une présentation qui relève sur ce dernier point du tour de passe-passe.

Aucune véritable ouverture

Fidèle à ses premiers propos de candidat, en juin 2015, le président des Etats-Unis a également associé une nouvelle fois l’immigration au crime. « Au fil des ans, des milliers d’Américains ont été brutalement tués par ceux qui sont entrés illégalement dans notre pays, et des milliers d’autres vies seront perdues si nous n’agissons pas maintenant », a-t-il dit. « Combien de sang américain devra être versé avant que le Congrès fasse son travail ? », a-t-il ajouté au terme d’une longue liste de victimes.

De nombreuses études, y compris celles issues du cercle de réflexion libertarien CATO, insistent au contraire sur le fait que les immigrants commettent proportionnellement moins de crimes que les personnes nées aux Etats-Unis.

Donald Trump n’a pas exprimé de compassion à l’égard des fonctionnaires fédéraux et des sous-traitants directement touchés par le gel du gouvernement fédéral. Il « reste fermé pour une raison et une seule : les démocrates ne veulent pas financer la sécurité des frontières », a assuré le président qui avait pourtant assuré en décembre 2018 qu’il serait « fier » de provoquer ce blocage pour ce motif.

A quelques détails près, comme la promesse de fonds supplémentaires pour mieux accueillir les demandeurs d’asile, ou la nature de ce « mur », qui serait désormais constitué de lames de métal et non plus de béton, Donald Trump n’a esquissé aucune véritable ouverture.

Il n’a pas évoqué par exemple, comme le lui suggèrent pourtant de nombreuses figures conservatrices – de l’ancien speaker Newt Gingrich aux milliardaires Charles et David Koch –, un éventuel « troc » entre le financement de cette muraille et la régularisation des sans-papiers arrivés enfants aux Etats-Unis. Ces derniers bénéficiaient, depuis 2012, d’un statut légal qu’il a supprimé en septembre 2017, même si cette décision a été gelée ultérieurement par la justice.

Pelosi : « cesser de prendre les Américains en otages »

Dans leurs réponses, Nancy Pelosi et Chuck Schumer ont tenté de recadrer le débat dans une perspective qui leur soit plus favorable, tout en affichant leur unité. « Ne vous y trompez pas : les démocrates et le président veulent tous renforcer la sécurité à la frontière. Nous sommes toutefois en profond désaccord avec le président sur la façon la plus efficace de le faire », a assuré le sénateur, après que Nancy Pelosi avait dénoncé un projet « très coûteux et inefficace ». « Le président doit cesser de prendre les Américains en otages, cesser de créer de toutes pièces une crise [à la frontière] et doit rouvrir le gouvernement », avait-elle exigé.

Les deux camps sont d’autant moins enclins à se rapprocher qu’ils pensent l’un comme l’autre pouvoir profiter de cette crise. Après avoir failli brièvement renoncer à ce financement en décembre 2018, suscitant alors la colère de son aile droite, Donald Trump est désormais convaincu qu’il doit camper sur cette exigence et sur cette promesse de campagne, surtout à la veille de se lancer dans la bataille pour une éventuelle réélection.

De leur côté, les démocrates sortis renforcés à la Chambre lors des élections de mi-mandat considèrent être en position de force parce que le président avait centré sans succès sa campagne sur la situation à la frontière.

Ils considèrent aussi que les sondages qui montrent qu’une majorité de personnes interrogées jugent majoritairement Donald Trump responsable du blocage jouent en leur faveur.

27 décembre 2018

La «bulle Trump» savonne les marchés

trump economie

Par Philippe Coste, Intérim à New York - Libération

Affichant son pire mois de décembre depuis 1931, la Bourse de New York menace les autres places mondiales. Au cœur du tumulte, le président américain a multiplié les signes négatifs, de la guerre commerciale avec Pékin au «shutdown», en passant par ses critiques visant le patron de la Réserve fédérale.

La «bulle Trump» savonne les marchés

Les mauvais signes sont venus d’Asie, où une chute de l’indice Nikkei (- 5 %) a révélé mardi la panique des marchés boursiers. La Bourse japonaise, qui baisse malgré les efforts répétés du gouvernement, confirme un glissement généralisé vers un marché baissier reflétant un ralentissement mondial de la croissance et des investissements. Mais la quasi-totalité de la planète finance se tourne vers l’épicentre du séisme : les Etats-Unis, où Wall Street a accusé un recul de 600 points, affichant son pire mois de décembre depuis 1931. Et où le lendemain de Noël annonce la fin de la «bulle Trump», une embellie nourrie par dix ans de taux d’intérêt minimes, puis par le zèle pro-business et les baisses mirifiques de l’impôt sur les sociétés de la nouvelle administration américaine, désormais contrecarrée par ses propres travers. Le leader planétaire, tout à sa rogne contre la Réserve fédérale (Fed), enlisé dans une guerre commerciale mondiale et assez enragé pour ceindre une partie de son pays au nom de sa promesse démagogique d’un mur frontalier, s’est mué en trublion anxiogène dont les errements politiques contribuent aux incertitudes et aux ventes massives sur le marché boursier. Malgré les appels suppliant à la prudence de son entourage, Donald Trump est le premier président américain à s’être jamais vanté de la hausse du Dow Jones. Il lui faudrait aujourd’hui endosser sa part de responsabilité dans le recul des marchés et constater l’étonnante immaturité de ses collaborateurs sur le sujet. Dans l’optique de les rassurer, son directeur du Trésor n’a fait qu’aggraver la situation en annonçant dimanche qu’il avait contacté les plus grandes banques américaines pour s’assurer de leurs réserves en liquidité. A la veille de Noël, «cela revenait à évoquer un problème qui n’existait pas : le meilleur moyen d’agiter les marchés et de suggérer l’existence de nouvelles inconnues», regrette Komal Sri-Kumar, président du consultant international Global Strategies. Car les sujets de préoccupation ne manquent pas : conflit ouvert attisé par le Président contre le chef de la Fed en raison de ses hausses de taux d’intérêt, craintes dues à la guerre commerciale intentée par Trump à la Chine, et chaos provoqué par la fermeture partielle des administrations américaines, otages de ses caprices après le refus du Congrès de voter les crédits de 5,6 milliards de dollars pour son mur à la frontière.

 La Fed, stabilisateur dans le viseur

Dans l’histoire américaine, seul George Bush Sr. s’était plaint publiquement, en 1991, de la politique de la Réserve fédérale, jugée trop lente pour accélérer la reprise économique à la veille des élections. Trump a brisé tous les tabous, attaquant depuis six mois comme si le patron de la Réserve était un simple subordonné indiscipliné, coupable d’augmenter trop vite les taux d’intérêt et de se focaliser sur les risques de surchauffe d’une économie au plein-emploi. Le Président a cru rassurer les marchés, mercredi matin, en faisant savoir que le job de Jerome Powell n’était pas menacé, confirmant qu’il avait envisagé de le congédier. Il en faudra pourtant plus pour effacer l’effet désastreux d’un tweet du 24 décembre assurant que «l’économie n’a qu’un seul problème, la Fed».

Le conflit constant suscite l’inquiétude sur la légitimité de l’institution fédérale et sur sa capacité à agir sereinement en fonction des besoins réels de l’économie pour assurer la stabilité financière du pays à moyen terme. Powell peut s’inquiéter des risques d’inflation dans une économie où le taux de chômage est de 3,7 %. Ses hausses progressives de taux d’intérêt, unanimement approuvées par le board de la Fed, visent avant tout à ménager une marge de manœuvre suffisante pour l’avenir, s’il était nécessaire de les réduire pour stimuler l’économie et éviter une récession. Mais Trump, mu par une vision de court terme, n’a cure du rôle stabilisateur de la Fed. Et laisse planer le doute sur sa capacité à confronter efficacement un revirement économique, ajoutant à l’instabilité des marchés.

Une guerre commerciale lourde de conséquences

Le bras de fer avec les partenaires commerciaux historiques des Etats Unis, de l’Europe, du Canada, du Mexique et de la Chine figurait en tête des promesses électorales de Trump en 2016. Depuis, il n’a cessé d’attiser l’offensive imposant des droits de douane, au nom de la sécurité nationale, sur les importations d’aluminium européennes et canadiennes, bousculant sans autre raison qu’un populisme xénophobe les termes de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena). Malgré un semblant de trêve avec la Chine, le gouvernement continue de harceler Pékin avec 142 demandes de révisions de termes commerciaux, sans aborder par ailleurs les points de contentieux les plus pertinents du commerce sino-américain, comme la protection des droits intellectuels ou le pillage des secrets industriels occidentaux par les Chinois. Pour quel résultat ? Les représailles chinoises sur les importations agricoles obligent le gouvernement américain à pourvoir des fonds de secours pour les producteurs de soja américains, boycottés par Pékin.

En attendant, les effets d’une année de guérilla commerciale commencent à se faire sentir : les exportations américaines de produits sujets aux représailles des partenaires commerciaux des Etats-Unis ont chuté de 26 % par rapport à l’année dernière. Le déficit commercial, obsession de Donald Trump, s’est aggravé de 11 % comparé à l’année dernière, et devrait atteindre 600 milliards de dollars au 31 décembre, soit 25 % de plus qu’à la date de son entrée à la Maison Blanche en janvier 2017. Les incroyables largesses fiscales accordées aux entreprises par le gouvernement en place contribuent à la hausse des importations en dépit des brimades douanières. En retour, les exportations vers la Chine, d’une valeur de 102 milliards, ont baissé d’1 milliard par rapport à 2017.

Un «shutdown» de mauvais augure

Trump pourrait bientôt entendre une nouvelle devise dévastatrice : «Le seul problème de l’économie, c’est Donald Trump.» Son acharnement à réaliser sa promesse la plus absurde, le mur à la frontière mexicaine, a abouti au blocage d’une des six lois de finance nécessaires au fonctionnement de l’Etat américain. Certes, l’effet de cette fermeture est réduit par la période des fêtes, mais ce coup de masse sur les institutions, revendiqué par Trump devant ses opposants Nancy Pelosi et Chuck Schumer, confirme avant tout l’imprévisibilité du gouvernement de la première puissance économique mondiale. Le «shutdown» ne coûterait (pour l’instant) que 1,2 milliard alors que 70 % des fonctions de l’Etat restent financées et assurées. Mais l’incident augure d’une guerre à venir entre le Congrès et la Maison Blanche après la victoire démocrate à la Chambre des représentants et, à terme, un dysfonctionnement plus grand encore des institutions en raison de l’intransigeance inédite de Trump. Un chaos qui ne fera qu’aggraver l’inquiétude des marchés.

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26 décembre 2018

Une année de tweets plus ou moins diplomatiques de Donald Trump

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Par Pierre Bouvier - Le Monde

Avec son téléphone, il prend le risque de provoquer des crises, voire de ruiner la stratégie de ses alliés ou de son administration.

Depuis son élection, le 8 novembre 2016, Donald Trump n’a cessé d’utiliser Twitter. Selon le site Trump Twitter Archive, à la date du 25 décembre, le président américain a tweeté plus de 5 500 fois depuis sa victoire, tous sujets confondus. Imprévisible jusque dans le domaine de la diplomatie, @realDonaldTrump, qui est le chef d’Etat le plus suivi avec 56 millions de followers, prend volontiers le risque de provoquer des crises diplomatiques, voire de ruiner la stratégie de sa propre administration ou celle de ses alliés.

Lundi 24 décembre au soir, en plein « shutdown » et alors que la Bourse de New York achevait sa pire semaine depuis 2008, le président américain a de nouveau publié, en quatre heures, plus d’une dizaine de tweets, traitant du retrait américain de Syrie, du mur en construction à la frontière avec le Mexique ou encore attaquant la Banque centrale américaine (Fed). « L’Amérique est de nouveau respectée ! », a-t-il écrit. « Je suis tout seul (pauvre de moi) à la Maison Blanche », s’est-il aussi lamenté en cette veillée de Noël.

Pour le New Yorker, Donald Trump termine l’année 2018 comme il l’avait commencée, confirmant qu’il n’y a pas de « normalité » à attendre du président.

Du Pakistan à la France

Le 1er janvier, il s’en était pris au Pakistan, allié des Etats-Unis dans la guerre contre les talibans et l’organisation Etat islamique (EI) en Afghanistan. En fin d’année, la « bromance » avec son homologue français, Emmanuel Macron, s’est terminée sur un feu d’artifice de tweets assassins. A peine atterri à Paris où il venait assister aux cérémonies du centenaire de la fin de la guerre de 1914-1918, Donald Trump a décoché un premier tweet contre son hôte, le 9 novembre :

« Très insultant, mais peut-être l’Europe devrait-elle payer sa part (du budget) de l’OTAN, que les Etats-Unis assument largement. »

Emmanuel Macron venait d’évoquer la création d’une « vraie armée européenne » pour que l’Union européenne (UE) ne dépende pas seulement des Etats-Unis face à une Russie « menaçante ».

A peine reparti, Donald Trump a poursuivi dans la même veine : « MAKE FRANCE GREAT AGAIN ! », a-t-il écrit. Ajoutant : « Le problème est qu’Emmanuel souffre d’un taux de popularité très faible en France, 26 %, et d’un taux de chômage de presque 10 %. »

Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et auteure de Géopolitique des Etats-Unis (Eyrolles, 2018), relativise la portée des attaques : M. Trump « était contrarié par sa défaite lors des élections de mi-mandat et par la phrase de Macron sur la défense européenne ».

Le président américain a poursuivi, en décembre, donnant son avis sur le mouvement des « gilets jaunes » estimant qu’il « est temps de mettre fin à l’accord de Paris ». Paris qui a fini par lui demander de ne pas se mêler de politique intérieure française.

Enfin, il a réussi une improbable synthèse en commentant l’actualité française à des fins de politique intérieure lorsqu’il a établi un lien entre l’attentat de Strasbourg et la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis : « Encore une terrible attaque terroriste en France. Nous allons encore plus renforcer nos frontières », afin de demander aux leaders du Parti démocrate de voter le financement du mur avec le Mexique.

Avant Macron, Merkel, May et Trudeau

Emmanuel Macron a découvert après Angela Merkel et Theresa May, les foucades trumpiennes. Critiqué pour son traitement des familles de migrants qui essaient d’entrer aux Etats-Unis, Donald Trump s’en est pris, le 18 juin, à la politique migratoire de la chancelière allemande : « Grosse erreur dans toute l’Europe que de laisser entrer des millions de personnes qui ont si fortement et violemment changé leur culture ! » Avant d’ajouter : « Nous ne voulons pas que ce qui se passe avec l’immigration en Europe se passe avec nous ! » Et de conclure le lendemain : « La criminalité a augmenté de 10 % à cause de l’accueil des migrants. »

Le 11 juillet, lors du sommet de l’OTAN, Donald Trump a accusé Berlin de ne pas contribuer de manière équitable au budget de l’organisation de défense, puis l’Allemagne d’être « prisonnière de la Russie parce qu’elle tire une grande partie de son énergie » de ce pays.

La première ministre britannique a, elle, eu droit à son lot d’attaques avec l’interview du président dans le quotidien The Sun au cours de laquelle il critique sa gestion du Brexit. Pour Marie-Cécile Naves, Donald Trump, qui « utilise les codes de la téléréalité », « s’en prend souvent à un pays européen en particulier ou à un autre pour attiser les divisions entre les membres de l’UE ».

Son voisin canadien n’est pas épargné : alors qu’il accueillait le sommet du G7, Justin Trudeau se voit qualifier de « très malhonnête et faible », sur fond de désaccords commerciaux entre les deux pays.

Poutine et Kim Jong-un chouchoutés

S’il s’en est pris aux alliés traditionnels de Washington, Donald Trump a souligné la qualité de ses relations avec… Vladimir Poutine et Kim Jong-un. Avec le premier, au mois d’août, il a eu une « rencontre formidable au cours de laquelle beaucoup a été accompli ».

En pleine affaire Khashoggi, il fait preuve de cynisme en acceptant plus volontiers la version de Riyad que celle de ses propres services de renseignement.

Mais c’est avec Pyongyang que le revirement est le plus marquant. En quelques mois, le président est passé du « Rocket Man » (« homme-fusée ») et « fou » en vigueur à l’automne 2017 à de « possibles progrès » du mois de mars avant, en juillet, d’évoquer la « gentille lettre » de son homologue nord-coréen, quelques semaines après leur rencontre à Singapour, en juin.

« Sa communication sur Twitter s’adresse davantage aux observateurs qu’à Pyongyang, puisqu’il n’a aucun réel moyen de pression sur Kim Jong-un », relève Mme Naves.

Son administration court-circuitée

L’annonce de la démission du secrétaire à la défense, James Mattis, après celle du retrait des troupes américaines en Syrie, est la plus récente illustration des effets dévastateurs de son utilisation de Twitter. « Nous avons vaincu l’EI en Syrie, ma seule raison d’être là-bas durant la présidence Trump », a tweeté Donald Trump, mercredi 19 décembre.

« En un tweet, Trump a détruit la politique américaine au Moyen-Orient », a ainsi réagi Victoria Nuland, diplomate américaine, secrétaire d’Etat assistante pour l’Europe et l’Eurasie de 2013 à 2017, dans le Washington Post. « Twitter lui sert à court-circuiter le département d’Etat, ses propres services, mais surtout, à s’adresser à son électorat », analyse Mme Naves.

Don’t feed the troll

« Ses tweets, énigmatiques ou rageurs, brouillent la communication de ses interlocuteurs, observe la chercheuse à l’IRIS. Mais surtout, ils lui permettent de ramener le débat à sa personne, comme lorsqu’il a affirmé que lors du mouvement des “gilets jaunes” des manifestants ont scandé “nous voulons Trump”. »

Après les attaques contre la France, l’ancien secrétaire d’Etat démocrate, John Kerry, a critiqué l’attitude du président qui déclare « son “amour” pour Kim Jong-un (…) mais insulte notre plus vieil allié [la France]. Arrêtez de tweeter ! L’Amérique a besoin d’amis ».

Mais rares sont les chefs d’Etat qui prennent le risque de répondre au président américain, pour ne pas envenimer la situation. Les plus avisés préfèrent le « subtweeter » (lui répondre sans le nommer).

En avril, après une philippique du président américain contre l’aide de la Russie au régime syrien, Dimitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine a répondu que la Russie ne « faisait pas de diplomatie sur Twitter ». Dans une interview à CNN, Emmanuel Macron répondait aux attaques de Donald Trump :

« Je préfère toujours avoir des discussions directes ou répondre à des questions que faire ma diplomatie au travers de tweets. »

22 décembre 2018

Les américains se retirent de Syrie

americains syrie

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