Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
liberation
27 décembre 2018

La «bulle Trump» savonne les marchés

trump economie

Par Philippe Coste, Intérim à New York - Libération

Affichant son pire mois de décembre depuis 1931, la Bourse de New York menace les autres places mondiales. Au cœur du tumulte, le président américain a multiplié les signes négatifs, de la guerre commerciale avec Pékin au «shutdown», en passant par ses critiques visant le patron de la Réserve fédérale.

La «bulle Trump» savonne les marchés

Les mauvais signes sont venus d’Asie, où une chute de l’indice Nikkei (- 5 %) a révélé mardi la panique des marchés boursiers. La Bourse japonaise, qui baisse malgré les efforts répétés du gouvernement, confirme un glissement généralisé vers un marché baissier reflétant un ralentissement mondial de la croissance et des investissements. Mais la quasi-totalité de la planète finance se tourne vers l’épicentre du séisme : les Etats-Unis, où Wall Street a accusé un recul de 600 points, affichant son pire mois de décembre depuis 1931. Et où le lendemain de Noël annonce la fin de la «bulle Trump», une embellie nourrie par dix ans de taux d’intérêt minimes, puis par le zèle pro-business et les baisses mirifiques de l’impôt sur les sociétés de la nouvelle administration américaine, désormais contrecarrée par ses propres travers. Le leader planétaire, tout à sa rogne contre la Réserve fédérale (Fed), enlisé dans une guerre commerciale mondiale et assez enragé pour ceindre une partie de son pays au nom de sa promesse démagogique d’un mur frontalier, s’est mué en trublion anxiogène dont les errements politiques contribuent aux incertitudes et aux ventes massives sur le marché boursier. Malgré les appels suppliant à la prudence de son entourage, Donald Trump est le premier président américain à s’être jamais vanté de la hausse du Dow Jones. Il lui faudrait aujourd’hui endosser sa part de responsabilité dans le recul des marchés et constater l’étonnante immaturité de ses collaborateurs sur le sujet. Dans l’optique de les rassurer, son directeur du Trésor n’a fait qu’aggraver la situation en annonçant dimanche qu’il avait contacté les plus grandes banques américaines pour s’assurer de leurs réserves en liquidité. A la veille de Noël, «cela revenait à évoquer un problème qui n’existait pas : le meilleur moyen d’agiter les marchés et de suggérer l’existence de nouvelles inconnues», regrette Komal Sri-Kumar, président du consultant international Global Strategies. Car les sujets de préoccupation ne manquent pas : conflit ouvert attisé par le Président contre le chef de la Fed en raison de ses hausses de taux d’intérêt, craintes dues à la guerre commerciale intentée par Trump à la Chine, et chaos provoqué par la fermeture partielle des administrations américaines, otages de ses caprices après le refus du Congrès de voter les crédits de 5,6 milliards de dollars pour son mur à la frontière.

 La Fed, stabilisateur dans le viseur

Dans l’histoire américaine, seul George Bush Sr. s’était plaint publiquement, en 1991, de la politique de la Réserve fédérale, jugée trop lente pour accélérer la reprise économique à la veille des élections. Trump a brisé tous les tabous, attaquant depuis six mois comme si le patron de la Réserve était un simple subordonné indiscipliné, coupable d’augmenter trop vite les taux d’intérêt et de se focaliser sur les risques de surchauffe d’une économie au plein-emploi. Le Président a cru rassurer les marchés, mercredi matin, en faisant savoir que le job de Jerome Powell n’était pas menacé, confirmant qu’il avait envisagé de le congédier. Il en faudra pourtant plus pour effacer l’effet désastreux d’un tweet du 24 décembre assurant que «l’économie n’a qu’un seul problème, la Fed».

Le conflit constant suscite l’inquiétude sur la légitimité de l’institution fédérale et sur sa capacité à agir sereinement en fonction des besoins réels de l’économie pour assurer la stabilité financière du pays à moyen terme. Powell peut s’inquiéter des risques d’inflation dans une économie où le taux de chômage est de 3,7 %. Ses hausses progressives de taux d’intérêt, unanimement approuvées par le board de la Fed, visent avant tout à ménager une marge de manœuvre suffisante pour l’avenir, s’il était nécessaire de les réduire pour stimuler l’économie et éviter une récession. Mais Trump, mu par une vision de court terme, n’a cure du rôle stabilisateur de la Fed. Et laisse planer le doute sur sa capacité à confronter efficacement un revirement économique, ajoutant à l’instabilité des marchés.

Une guerre commerciale lourde de conséquences

Le bras de fer avec les partenaires commerciaux historiques des Etats Unis, de l’Europe, du Canada, du Mexique et de la Chine figurait en tête des promesses électorales de Trump en 2016. Depuis, il n’a cessé d’attiser l’offensive imposant des droits de douane, au nom de la sécurité nationale, sur les importations d’aluminium européennes et canadiennes, bousculant sans autre raison qu’un populisme xénophobe les termes de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena). Malgré un semblant de trêve avec la Chine, le gouvernement continue de harceler Pékin avec 142 demandes de révisions de termes commerciaux, sans aborder par ailleurs les points de contentieux les plus pertinents du commerce sino-américain, comme la protection des droits intellectuels ou le pillage des secrets industriels occidentaux par les Chinois. Pour quel résultat ? Les représailles chinoises sur les importations agricoles obligent le gouvernement américain à pourvoir des fonds de secours pour les producteurs de soja américains, boycottés par Pékin.

En attendant, les effets d’une année de guérilla commerciale commencent à se faire sentir : les exportations américaines de produits sujets aux représailles des partenaires commerciaux des Etats-Unis ont chuté de 26 % par rapport à l’année dernière. Le déficit commercial, obsession de Donald Trump, s’est aggravé de 11 % comparé à l’année dernière, et devrait atteindre 600 milliards de dollars au 31 décembre, soit 25 % de plus qu’à la date de son entrée à la Maison Blanche en janvier 2017. Les incroyables largesses fiscales accordées aux entreprises par le gouvernement en place contribuent à la hausse des importations en dépit des brimades douanières. En retour, les exportations vers la Chine, d’une valeur de 102 milliards, ont baissé d’1 milliard par rapport à 2017.

Un «shutdown» de mauvais augure

Trump pourrait bientôt entendre une nouvelle devise dévastatrice : «Le seul problème de l’économie, c’est Donald Trump.» Son acharnement à réaliser sa promesse la plus absurde, le mur à la frontière mexicaine, a abouti au blocage d’une des six lois de finance nécessaires au fonctionnement de l’Etat américain. Certes, l’effet de cette fermeture est réduit par la période des fêtes, mais ce coup de masse sur les institutions, revendiqué par Trump devant ses opposants Nancy Pelosi et Chuck Schumer, confirme avant tout l’imprévisibilité du gouvernement de la première puissance économique mondiale. Le «shutdown» ne coûterait (pour l’instant) que 1,2 milliard alors que 70 % des fonctions de l’Etat restent financées et assurées. Mais l’incident augure d’une guerre à venir entre le Congrès et la Maison Blanche après la victoire démocrate à la Chambre des représentants et, à terme, un dysfonctionnement plus grand encore des institutions en raison de l’intransigeance inédite de Trump. Un chaos qui ne fera qu’aggraver l’inquiétude des marchés.

line 27 dec

Publicité
27 décembre 2018

Laetitia Casta

casta brlle

Jouant dans le film de Garrel, son époux, l’actrice évoque son rapport aux gilets jaunes et souligne l’importance de la sexualité réelle ou fantasmée.

D’abord raconter une méprise.

1) Promesse tenue.

Quand elle porte chignon, Laetitia Casta fait penser à Simone Veil. Au premier étage déserté d’une brasserie du XIVe arrondissement de Paris, elle prend fort bien la comparaison. Elle apprécie la récente panthéonisée et ne s’offusque pas qu’on accélère sa maturation de jeune quadra. Mais quand on fait valoir que cette proximité saute aux yeux depuis qu’elle a incarné la ministre de la Santé de Giscard, dans un téléfilm, elle éclate de ce rire flagrant à dent biaisée qui la rend immédiatement sympathique, entre enthousiasme frondeur et refus réitéré de profiler son particularisme bien mâché. Elle rétorque qu’Emmanuelle Devos jouait Simone. Et met au défi le journaliste de faire état de son erreur sur la personne. Voilà qui est fait.

2) Bouquet de fleurs.

Tant qu’on en est aux confidences, avouons que ceci est le second portrait de la mannequin devenue actrice. La première fois, la défileuse chérie de Saint Laurent commençait juste à monter sur les planches. On avait passé un excellent moment avec une jeune femme de 25 ans intéressante et éveillée, curieuse de tout et contente d’échanger. Cela avait donné un portrait rêvé où on l’imaginait Ondine et nageuse de combat, castagneuse piquante sortie de sa bogue, conductrice sans permis ne cédant pas la priorité aux camionneurs l’épinglant en pin-up. Depuis, elle s’installe en toute légalité au volant du 4 × 4 où s’entasse sa tribu recomposée. Après ce papier, elle avait envoyé un bouquet de fleurs. Ce qui ne nous était jamais arrivé. D’où le risque d’une complaisance acquise d’avance…

3) Abel, pas Caïn.

Laetitia Casta tient l’un des rôles principaux dans le dernier film réalisé par Louis Garrel. A la ville, ils ont convolé l’été dernier dans la Corse de madame. Au cinéma, dans l’Homme fidèle, le couple s’amuse des outrances du désir, de ses fausses pistes, de ses benoîtes transgressions. La faveur féminine transgénérationnelle rencontrée par Garrel a toujours excité notre jalousie. On comprend d’autant mieux cette ferveur quand on fait un écorché du personnage qu’il interprète. Il se baptise «Abel», pas Caïn. Il est la victime et non le meurtrier. Il est compagnon réprouvé, père de substitution, amant manipulé. Il est ce mistigri que les femmes se repassent en fraude. Il n’est ni père, ni patron, ni résistant. Il est cette absence de volonté qui inquiète, cette indifférence fluide et volatile qui échappe, cette beauté au regard plissé qui a la myopie attrayante. Elle en dit : «Se laisser flotter, c’est aussi une manière d’avoir le pouvoir.» En face, Laetitia Casta - Marianne est une gestatrice qui met en compétition les géniteurs, une veuve qui récupère l’éconduit, une possible meurtrière qui teste la fidélité de son concubin en le bradant à une jeunette qui s’en lassera vite son affaire faite. Tout ça, c’est du cinéma. A la ville, Casta, qui a son lot d’admirateurs, pointe avec malice combien les femmes aussi peuvent avoir la pupille insistante, sinon le regard violeur, face au sex-symbol qui lui sert de chevalier vacillant.

4) Les oreilles de Louis.

Casta a hésité avant de faire équipe dans la fiction. Garrel est un enfant de la balle, elle pas. Elle se défiait du mélange des genres, des imbrications privé - public que les Garrel, comme les Gainsbourg ou les Deneuve, savent utiliser à leur avantage et avec élégance. Studieuse, elle construit ses personnages avec attention, leur invente psychologie, goûts, humeurs et rapport à la sexualité, «très important, la sexualité». Elle a découvert Garrel «sensible à l’absurde, à la surprise». Elle l’a entendu «soucieux de rythme, de musique» et plus intéressé «par la note personnelle que par la bonne note». Et comme elle est moqueuse et surtout pas déférente, elle évoque le tremblé des oreilles de l’ouïe, pardon de Louis. Et d’écarter ses paumes battantes en pavillon pour mimer Dumbo l’éléphant, plutôt que de mettre ses mains en visière pour célébrer la longue vue à œil de lynx.

5) Larmes jaunes.

Tout à coup, elle laisse échapper une larme. Et on reste interdit devant cette émotion d’une sincérité qu’on refuse de mettre en doute. Casta n’a pas la sensiblerie affleurante ni la rouerie tragédienne. Et tant pis si on lui donne le bon diable sans confession. Il est question des gilets jaunes. On s’attend à ce que celle qui a voté Hamon fasse valoir ses proximités et ses hésitations, son empathie et ses réserves, comme le tout-venant de la gauche culturelle. Mais elle dit : «Les gilets jaunes, c’est ce qu’on est nous.» Et il faut comprendre : «C’est les miens, c’est moi avant.» Et aussi : «Les ronds-points, je viens de là.» Elle précise : «J’ai vu mes parents galérer. Je suis fière de ce qu’ils ont fait et de la façon dont ils nous ont éduqués, mais ce n’était pas facile tous les jours. Parfois, ma mère me demandait de casser ma tirelire pour aller chercher du pain.» Corse autoritaire et militant, le père travaille dans le BTP. Il est souvent absent, parti sur des chantiers en Afrique. Sa mère est normande, comptable et catholique. Et tient sa triplette, serrée sous son aile, dans une maison des bois, près de Pont-Audemer.

6) Femmes, enfants, sexualité, etc.

Dans une tribune (1) publiée voici un an, Laetitia Casta a dit précisément sa vérité sur #MeToo. Elle a dénoncé les violences mais refusé d’opposer les genres, plaidé pour l’harmonie et contre la censure. Cette position nuancée ne l’empêche pas d’avoir une approche différentialiste des choses. Au risque du sexisme, elle estime que «les femmes sont plus concrètes et plus sincères». Elle se réjouit «qu’elles soient aussi nombreuses sur les ronds-points», comme si c’était une garantie d’apaisement.

La discussion dérive vers Bertolucci, Maria Schneider, la manipulation nécessaire à la mise en scène, sa nécessité et ses excès. Elle estime manquer d’éléments pour prendre partie quant au Dernier Tango, ne s’angoisse pas de la nudité à l’écran mais demande au réalisateur «un minimum d’éthique». De fil(m) en aiguille, elle évoque 1900, autre saga de Bertolucci, vue récemment en famille. Et en particulier la scène où les deux gamins qu’incarnent adultes De Niro et Depardieu comparent leurs zizis. Et Casta, qui se souvient d’avoir dû se débrouiller seule en la matière, de rappeler l’importance d’aborder la sexualité avec confiance et espoir.

Après s’être quittés, sur le boulevard arpenté, une question oubliée resurgira, mais trop tard : «Et le mariage ? Pourquoi ?»

(1) Le Monde du 22 janvier.

11 mai 1978 Naissance à Pont-Audemer (Eure).

1993 Elue miss Lumio.

2010 Gainsbourg. Vie héroïque (Joann Sfar).

2016 Réalise son premier court métrage, En moi.

26 décembre 2018 L'Homme fidèle (Louis Garrel).

19 décembre 2018

La une de Libération

IMG_3102

«Débat national» : les maires de toutes les batailles

Par Dominique Albertini — Libération

Cornérisés par l’exécutif durant la première année du quinquennat, les élus locaux sont subitement revenus en grâce lorsque le Président a annoncé sa grande mais encore floue consultation nationale. Ils se partagent désormais entre enthousiasme et refus de la «patate chaude».

  «Débat national» : les maires de toutes les batailles

Les voilà posés, par Emmanuel Macron, en «interlocuteurs naturels des citoyens». Chargés de s’en «faire les relais», car «ils portent la République sur le terrain». Et appelés à un rôle de premier plan dans le «grand débat national» voulu par le chef de l’Etat. Les maires voient avec intérêt l’exécutif souligner, comme jamais depuis le début du quinquennat, leur utilité politique et sociale. Et celle d’autres corps intermédiaires, souvent contournés ces derniers mois et désormais priés de concourir au dialogue avec les gilets jaunes et leurs sympathisants. Mais certains élus hésitent à jouer les utilités au profit d’un gouvernement qui, soupçonnent-ils, n’aurait rien renié de son arrogante «verticalité».

On ignorait presque tout mardi des modalités de la consultation, si ce n’est les grands sujets qu’elle aura à traiter : transition écologique, fiscalité, organisation de l’Etat et meilleure association des citoyens aux décisions. Le coup d’envoi devrait être donné début 2019 pour une durée de trois mois. Quant au reste, «il n’y a pas un ministre qui pourrait vous dire aujourd’hui à quoi ça ressemblera», reconnaissait mardi un proche du dossier. Une réunion organisée en début de soirée à l’Elysée devait arrêter le cahier des charges des débats, sa présentation officielle étant attendue d’ici la fin de semaine.

Un précédent rendez-vous, vendredi à Matignon, avait avancé quelques pistes. L’organisation des débats pourrait revenir à n’importe quel acteur local - élu, association, syndicat… - souscrivant à la «charte» élaborée par le gouvernement. L’Etat mettrait à leur disposition des «kits» reprenant les thèmes en jeu et compilant des données locales utiles à la discussion. Des groupes de citoyens, peut-être composés par tirage au sort, pourraient se voir confier le tri et l’étude des propositions sorties du débat. Les réunions seraient doublées d’une plateforme en ligne pour recueillir les contributions citoyennes.

«Fantassins»

Le gouvernement semble toutefois attendre une implication toute particulière des élus locaux, maires en tête, auxquels le Premier ministre pourrait adresser dans les prochains jours un courrier de sensibilisation. «C’est évidemment [à eux] qu’il reviendra, s’ils le souhaitent […] de participer à l’organisation de ce débat dans leur commune», avait déclaré Edouard Philippe devant les élus de l’association Villes de France, le 12 décembre. Il est vrai que le mandat municipal est le plus proche et le plus apprécié des Français : selon une enquête du Centre de recherches politiques de Sciences-Po publiée en début d’année, 55 % des sondés font confiance à leur édile, contre 35 % à leur député.

La grande concertation à venir suscite pourtant chez les élus des sentiments mêlés, entre appétit pour un débat enfin replacé «au ras du terrain» et méfiance face à un exercice normé par le gouvernement. «Tout doit partir du terrain, approuve Karl Olive, maire LR de Poissy (Yvelines). Nous sommes les fantassins de la République, et les mairies sont des maisons communes entre gouvernement et administrés. Mais il faudra être souple sur les thématiques : sur le terrain, on nous parle de pouvoir d’achat, de sécurité et d’immigration plus que de transition écologique.» Pour un responsable de l’Association des maires de France (AMF), «personne n’est dupe du changement de ton de l’exécutif, mais il ne s’agit pas de mettre de l’huile sur le feu : on veut tous sortir de la crise». D’autres élus sont moins allants : «Le gouvernement a voulu se passer des corps intermédiaires, et s’en mord désormais les doigts, estime le maire PS de Guéret (Creuse), Michel Vergnier. Pas question de se faire refiler la patate chaude : les demandes des gilets jaunes regardent d’abord le gouvernement. On participera au débat, mais on ne l’animera pas.» Chez l’association France urbaine, qui regroupe grandes villes et intercommunalités, on confirme la tiédeur d’une partie des troupes : «On leur explique qu’après des années à dire qu’on ferait mieux le boulot que l’Etat, il faut maintenant le prouver. Mais certains jugent que le gouvernement leur refile le bébé et ont envie de lui dire : démerdez-vous !»

«Sinistre»

Il est vrai que l’appel de Macron intervient après un an et demi de tensions entre exécutif et élus locaux. Suppression de la taxe d’habitation, économies réclamées aux collectivités, coupes dans les aides au logement et les emplois aidés, procès en jacobinisme à l’encontre du chef de l’Etat : ces sujets ont nourri l’amertume de nombreux maires. «On se tourne vers nous quand les choses dérapent : c’est peut-être un virage, mais surtout une question de nécessité, constate le responsable d’une autre association d’élus. Emmanuel Macron reste un énarque centralisateur, et la situation des maires demeure critique. Je suis reparti abattu du dernier congrès des maires [le mois dernier, ndlr] : l’ambiance était sinistre, l’avis général était que plus personne ne voudrait se présenter aux prochaines élections.» Le chef de l’Etat avait alors esquissé un changement de méthode, multipliant les égards envers les élus et s’offrant à leurs questions… mais à l’Elysée plutôt que sur les lieux du congrès.

Issu d’un vœu présidentiel, élaboré dans les ministères, «labellisé» par l’Etat, le grand débat national mêle curieusement, à son tour, centralisme et recours au terrain. Plusieurs maires contactés par Libération indiquent d’emblée avoir devancé l’appel présidentiel et ouvert de leur propre initiative, dans leur hôtel de ville, des «cahiers de doléances» ouverts à tous les citoyens (lire pages suivantes). Dispositif lancé «bien avant l’appel du Président», précise-t-on fièrement à l’Association des maires ruraux, où l’on dénombrait mardi «plusieurs milliers de communes participantes et, a minima, plusieurs dizaines de milliers de contributions».

11 décembre 2018

La lettre politique de Laurent Joffrin - On n'est pas sorti de l'auberge

Dilemme traditionnel pour tout mouvement social. Version 1 : nous avons obtenu une partie de ce que nous voulions, la lutte a payé, on arrête. Version 2 : nous avons obtenu une partie de ce nous voulions, la lutte a payé, on continue. Ainsi, le même syllogisme aboutit à deux conclusions opposées. Pour une raison simple : ce n’est pas la logique qui permet de trancher. C’est le rapport de force.

A-t-il évolué ? Un peu. La droite classique, celle des partis, mais aussi une partie de celle qui a manifesté, fait défection. Eric Woerth : «On lève le camp.» Le Figaro : il faut «souhaiter» la fin du mouvement «la raison l’impose, l’intérêt national l’exige». Juppé : il faut saisir «la main tendue», etc. Ce à quoi fait écho la position de certains gilets jaunes «libres», plutôt orientés à droite, qui appellent à plier les gaules. Il faut rappeler que le mouvement comprend un certain nombre de commerçants et de petits entrepreneurs, guère pressés de voir le salaire de leurs employés faire soudain un bond en avant. Et que l’addition (une dizaine de milliards) sera payée par les contribuables ou bien financée par emprunt, ce qui déplaît dans les deux cas à la droite profonde.

Les autres protestataires remarqueront que la hausse de la prime d’activité est seulement avancée (elle était prévue sur cinq ans), que les retraités n’ont pas obtenu la réindexation de leurs pensions, que la diminution de la taxe d’habitation reste programmée aux mêmes dates, etc. Ils peuvent juger qu’une poursuite du mouvement permettra de cocher d’autres cases (mais aussi que de nouvelles violences risquent de retourner l’opinion contre eux). Ils notent surtout qu’en dehors d’annonces générales et plus ou moins lointaines et d’une prime de fin d’année laissée à la discrétion des entreprises, les plus aisés échappent à toute contribution supplémentaire.

Une nouvelle fois, la fiction d’un dépassement du clivage droite-gauche se dissipe. En épargnant les plus hauts revenus et en protégeant le patronat, le Président s’est adressé, pour faire court, à la droite du mouvement et aux conservateurs du pays. Emmanuel Macron leur a même fait un clin d’œil supplémentaire en évoquant la lutte contre le communautarisme et l’immigration (ce que le mouvement ne demandait pas).

Les socialistes, Hamon, Jadot, La France insoumise, continuent de pilonner le gouvernement sur le thème de la justice fiscale et sociale. La majorité elle-même, au cours d’une réunion qualifiée de «houleuse», s’est divisée selon la même ligne de démarcation. Quant à Marine Le Pen, très critique, elle appelle à de nouvelles baisses de taxes, à une nouvelle politique – la sienne – antimondialiste et anti-immigration, mais se garde de parler de hausses de salaires (la revalorisation du smic, d’ailleurs, n’est pas dans son programme). L’extrême droite reste à droite.

Résultante ? Le mouvement continue, de toute évidence. Plusieurs appels à un «acte V» ont été lancés. La frange la plus dure, encouragée par les deux extrêmes du spectre politique, continue de rêver d’une démission du Président ou, à tout le moins, d’une dissolution de l’Assemblée nationale. Appuyé sur la droite de l’opinion, le gouvernement résistera de toutes ses forces. Sa position s’est améliorée. Il n’est pas tiré d’affaire.

LAURENT JOFFRIN

11 décembre 2018

Smic : mais d'où sortent ces «100 euros» ?

Dans son allocution présidentielle, Emmanuel Macron a annoncé lundi soir que «le salaire d’un travailleur au smic augmentera de 100 euros par mois dès 2019». Une hausse qui ne serait que l’«accélération» d’une promesse de campagne.

Smic : mais d'où sortent ces «100 euros» ?

Les bandeaux des chaînes d’information en continu ont tout de suite titré: «Hausse du Smic de 100 euros». Il faut dire que la phrase d’Emmanuel Macron était alléchante : «Le salaire d’un travailleur au smic augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus pour l’employeur», a déclaré le président de la République, lundi soir, lors de son allocution aux Français pour tenter de calmer la colère exprimée par les gilets jaunes.

Mais comme souvent depuis le début du quinquennat avec ce gouvernement, quand il en va des gestes en faveur des plus modestes, il faut regarder ce que cachent les chiffres… Qu’y a-t-il donc derrière ces «100 euros dès 2019» pour une personne au Smic ? Déjà, il ne s’agit pas d’une revalorisation exceptionnelle du salaire minimum comme le réclamaient certains partis de gauche et des syndicats comme FO ou la CGT. Si le chef de l’État a tenu à préciser «sans qu’il en coûte un euro de plus pour l’employeur», c’est qu’il compte procéder autrement, via une hausse de la prime d’activité.

«13e mois» promis

L’exécutif a d’ailleurs commencé à emprunter ce sentier ouvert en 2016 par François Hollande et le gouvernement de Manuel Valls. Pour arriver à sa promesse présidentielle «d’un 13e mois de salaire, soit 100 euros nets de plus chaque mois» pour «tous les smicards», le chef de l’État avait prévu de «revaloriser» cette aide issue de la fusion de la prime pour l’emploi et du RSA activité : 20 euros de plus chaque année de 2018 à 2021, soit 80 euros d’ici la fin du quinquennat, auxquels s’ajoutent 20 euros issus de la suppression des cotisations salariales (chômage et maladie) dont ont bénéficié tous les salariés du privé.

En 2018, pour des raisons budgétaires, le gouvernement a déjà dû en rabattre sur ses ambitions. S’il a maintenu la revalorisation traditionnelle du mois d’avril, indexée sur l’inflation, il a modifié à l’automne le mode de calcul de la prime pour réaliser des économies. Résultat la «revalorisation exceptionnelle» de 20 euros attendue en octobre s’est transformée, pour une personne au smic, en une augmentation de… 8 euros. Sur l’ensemble de l’année 2018, pour ce même salarié, la hausse de la prime d’activité a été d’environ 13 euros.

30 euros déjà votés pour 2019

Pour 2019, l’exécutif a d’abord tenté de faire des économies sur une prestation en constante augmentation (6 milliards d’euros budgétés pour l’an prochain après 5,6 milliards de dépenses estimées pour 2018 par la Caisse nationale des allocations familiales). Ainsi, le Parlement a voté la suspension pour deux ans de la traditionnelle revalorisation du printemps, celle liée à l’évolution des prix. Et s’il a maintenu sa promesse d’une «nouvelle bonification» de 20 euros pour les personnes au salaire minimum, elle n’aurait, au départ, pas été versée avant octobre. Finalement via un amendement déposé discrètement en première lecture du projet de loi de finances à l’Assemblée, le gouvernement a, d’une part, augmenté le montant de cette revalorisation exceptionnelle (30 euros), et, d’autre part, avancé son versement au printemps.

Avant même l’annonce de Macron lundi soir, l’exécutif avait donc déjà prévu d’atteindre l’an prochain plus des deux tiers du chemin de la promesse de campagne. Il ne restait plus qu’à «revaloriser» cette prime d’activité de 20 euros en 2020 et de la même somme en 2021. Selon plusieurs sources ministérielles, l’annonce du chef de l’État ce lundi soir correspond à une «accélération» de cette promesse présidentielle. Cela ne signifie donc pas «100 euros» de plus en 2019 mais seulement 70 euros dont 30 euros déjà votés : donc un effort de 40 euros supplémentaires, dès 2019, par salarié au smic. Et encore, si ces «100 euros» dont a parlé Emmanuel Macron lundi soir tiennent compte de l’augmentation légale du salaire minimum au 1er janvier – que le Premier ministre mercredi dernier à l’Assemblée a chiffré à «+ 1,8 %» – la dépense supplémentaire ne serait pas au niveau ronflant qu’a voulu faire croire le chef de l’État. Lequel ne ferait finalement pas «plus» mais «plus tôt».

A Edouard Philippe et ses ministres Agnès Buzyn (Solidarités) et Gérald Darmanin (Action et Comptes publics) de préciser désormais les contours de ces «100 euros». Le chef du gouvernement en aura l’occasion ce mardi devant les députés. Puis aux services de l’exécutif de traduire cela très vite : pour que les mesures entrent en vigueur au 1er janvier, il faut que tout soit bouclé avant le vote définitif du budget à l’Assemblée nationale. C’est-à-dire, en fin de semaine prochaine.

Lilian Alemagna - Libération

Publicité
10 décembre 2018

La une de Libération de demain matin...

7 décembre 2018

La une de Libération

6 décembre 2018

La lettre politique de Laurent Joffrin : «Qu'ils viennent me chercher !» disait Macron, ils viennent

macron315

L’angoisse est générale. La fièvre du samedi après-midi – jour de la nouvelle manifestation des gilets jaunes – s’est emparée des gouvernants, de nombre de responsables politiques ou syndicaux et d’une partie de l’opinion. Une nouvelle flambée de violences ? La menace est évidente. Une partie des protestataires ont compris que les concessions lâchées par Edouard Philippe sont le résultat direct des événements du week-end dernier. La vindicte anti-Macron faisant le reste, la tentation est forte de se lancer dans une nouvelle confrontation pour obtenir plus. A cela s’ajoutent les heurts anormalement brutaux qui opposent policiers et lycéens. Plusieurs fois soulignée dans cette lettre, la tentation insurrectionnelle est bien là. «Qu’ils viennent me chercher», avait dit Emmanuel Macron dans une envolée fier-à-bras post-affaire Benalla. Ils viennent.

La répétition des mêmes scènes d’émeute serait fatale au gouvernement Philippe. On entrerait alors dans un inconnu politique. Mais elle peut aussi inspirer aux éminences de LREM un calcul plus cynique : tabler sur des affrontements largement télévisés pour provoquer un décrochage de l’opinion et un début d’isolement des gilets jaunes. Privé du soutien massif dont il bénéficie encore aujourd’hui, le mouvement s’effilocherait sans gagner plus que l’annulation des taxes sur le carburant. Le désordre peut même susciter au sein des Français une aspiration à un pouvoir plus fort, plus autoritaire. Tel Pompidou en 1968, la macronie chercherait alors à se sauver en surfant sur la peur du vide et le désir du retour à l’ordre. A moins que d’autres forces politiques n’en profitent. Sinistre perspective.

Il existe une autre porte de sortie. Les syndicats de salariés ont fait leur jonction aujourd’hui pour chercher une réponse commune. Leurs revendications – smic, retraite, ISF – recoupent en partie celles des gilets jaunes. Ils appellent à une manifestation dans le calme, samedi à Paris, à la faveur de la «marche pour le climat» prévue de longue date, «en convergence» avec celle des gilets jaunes. Cette jonction des mouvements, ce retour dans le jeu des forces syndicales classiques, pourrait être une planche de salut pour le gouvernement. Ainsi serait remise à l’honneur la proposition initiale de Laurent Berger, un «grenelle» social et écolo, qu’Edouard Philippe avait écarté d’un revers de main et qui, sans jeu de mots, doit maintenant s’en mordre les doigts.

Cette réunion se tiendrait après que le gouvernement a annoncé à l’avance qu’il serait prêt à des concessions de pouvoir d’achat. Elle comprendrait aussi une délégation de gilets jaunes, à supposer qu’ils arrivent enfin à désigner des représentants capables de parler pour le mouvement. Tout cela coûterait de l’argent et exigerait une révision budgétaire pour 2019. Certes. Mais à court terme, on voit mal comment la protestation pourrait s’éteindre sans des avancées sonnantes et trébuchantes. L’Union européenne, par la voix de Pierre Moscovici ce jeudi matin sur France Inter, a déjà donné un blanc-seing implicite. Et pour une fois, l’effort financier irait aux classes populaires et non aux plus favorisés. Il arrive un moment où le social doit passer avant la finance. Surtout quand la maison brûle.

LAURENT JOFFRIN

macron246

5 décembre 2018

La lettre politique de Laurent Joffrin

Le vaisseau fantôme de la macronie

Telle une coque de noix ballottée par les vagues, le gouvernement tangue et roule dans la tempête. Après avoir clamé partout qu’il «maintenait le cap», il a abandonné soudain ses projets de hausse des taxes sur les carburants. Libération le raconte ce matin : le «moratoire» annoncé hier figurait déjà dans le texte du discours présidentiel de la semaine dernière. Il a été biffé au dernier moment, sans doute par crainte de mettre à mal le budget 2019. Erreur, selon toutes probabilités : annoncé une semaine plus tard, le même recul concédé trop tardivement n’éteint pas la contestation. Avec un président muet, un Premier ministre semi-zombiesque, des députés amateurs qui chancellent sous les coups, l’équipe macronienne a tout du vaisseau fantôme.

L’hésitation est révélatrice. Le gouvernement se retrouve devant le dilemme classique de tout pouvoir confronté à un vaste mouvement social (classique ne veut pas dire facile à résoudre). Tenir ? C’est courir le risque de nouvelles manifestations et des violences qui peuvent les accompagner, c’est encourager une extension du mouvement. Les gilets jaunes veulent continuer. Les syndicats de routiers se joignent au mouvement, ceux la fonction publique annoncent une grève reconductible, les blocages de lycées se multiplient

Céder encore ? C’est sacrifier plusieurs milliards supplémentaires, risquer sortir des clous européens, mécontenter le patronat par une augmentation du smic, et, surtout, rentrer dans rang des gouvernements humiliés par la bronca sociale, Chirac 1986, Juppé 1995, Villepin 2016, etc. Une bande de «fainéants» qui ne réforment pas par peur de l’opinion, comme dirait Macron. Sans être sûr, pour autant, que le mouvement s’arrêtera.

On ne voit guère, aujourd’hui, comment le gouvernement évitera des concessions de pouvoir d’achat. Les manifestants se battent depuis trois semaines, confortés par la solidarité qui se noue entre eux, toujours soutenus par l’opinion malgré les violences de samedi dernier. Comment délégitimer des Français aux maigres revenus qui demandent une rallonge leur permettant de faire face à des fins de mois difficiles ? Avec une difficulté supplémentaire : ce mouvement spontané formule des exigences que tout le monde comprend, mais ne parvient pas à s’organiser un tant soit peu pour participer à une négociation sérieuse. Ambiguïtés de ces gilets jaunes dont les revendications sociales sont convaincantes mais dont la défiance envers toute représentation confine au nihilisme politique. Mouvement égalitaire, progressiste dans sa face sociale, mais tirant vers un poujadisme très «ancien monde» dans sa détestation de la classe politique (renaissance du vieux «tous pourris»…) et dans son allergie paranoïaque dès qu’il s’agit de discuter (voir les menaces de mort qui frappent tous ceux des gilets jaunes qui font mine d’engager le dialogue), sur fond de complotisme larvé et de «fake news» complaisamment répandues (Macron «prépare la guerre», l’ONU dans une réunion à Marrakech prévoit de rendre l’immigration obligatoire, etc.).

Bientôt l’évidence s’imposera : le Président qui pour l’instant rase les murs devra bien monter en première ligne pour proposer une solution à la crise. Quand on est la cible principale, on ne peut pas rester immobile.

LAURENT JOFFRIN

5 décembre 2018

La une de Libération

marche arriere

Publicité
Publicité