THE TIMES (LONDRES)
À la suite d’une directive européenne sur la restauration des cours d’eau, des centaines de barrages sont démolis en France, au désespoir des pêcheurs et propriétaires de moulins. Ce quotidien britannique s’est rendu en Mayenne, où le Vicoin a perdu tous ses ouvrages
Le moulin à eau de Montigné-le-Brillant, en Mayenne, un département rural du nord-ouest de la France, alimentait jadis en électricité douze foyers et une usine qui fabriquait de la colle à partir de peau de lapin. Il s’était arrêté il y a quelques dizaines d’années, mais Michel et Marie-Chantal Richard ont décidé de le faire fonctionner à nouveau, après l’avoir acheté en 2007.
Ils n’avaient cependant pas compté avec les fonctionnaires européens et français qui ont décidé de détruire les barrages du Vicoin, la rivière qui traverse la commune. Celle-ci se réduit désormais à un filet à certains endroits, et les moulins ne peuvent plus fonctionner, faute d’eau.
La destruction des barrages est une catastrophe pour les pêcheurs, les propriétaires de moulins et pratiquement tous les usagers de la rivière. Leurs protestations ont été balayées par les autorités, qui sont déterminées à l’étendre à toute la France, au motif que les barrages vont à l’encontre d’une directive européenne sur la “continuité écologique” : les poissons doivent pouvoir descendre et remonter les cours d’eau sans rencontrer d’obstacle.
Détruire et reconstruire des barrages…
Cinquante millions d’euros ont été consacrés à la suppression des barrages, dont certains vieux de plusieurs siècles, dans l’ouest de la France.
Le coût de l’opération se montera probablement à des centaines de millions d’euros pour l’ensemble du pays. [Alors que], selon les usagers de la rivière, d’ici une génération, la politique française et européenne aura changé et obligera la reconstruction de ces petits barrages, ce qui coûtera beaucoup plus cher.
La population reproche à l’administration de détruire un mode de vie ancestral. Peu après avoir acheté leur moulin, M. Richard, 69 ans, et sa femme, 68 ans, ont reçu la visite de fonctionnaires qui affirmaient défendre l’environnement.
“Ils nous ont dit : ‘On va sauver les anguilles’”, raconte M. Richard. Leur cible était le barrage situé à côté du moulin, qui a été construit en 1780. Ils ont dit aux Richard que, s’ils voulaient le garder, ils devraient payer l’installation d’une échelle à poissons – ce qui leur aurait coûté jusqu’à 80 000 euros.
La suppression du barrage a été une catastrophe, poursuit M. Richard. Le bassin qui créait la pression permettant de faire tourner le moulin s’est tellement réduit que l’installation ne produit même pas assez d’électricité pour assurer le quart de ses besoins, et encore moins ceux de ses voisins.
Et la destruction des barrages n’a en rien aidé les poissons, selon les pêcheurs. Le niveau de la rivière a tellement baissé qu’ils disparaissent plus vite qu’avant.
“Les ayatollahs des barrages”
Jean-Paul Loiseau, 72 ans, est l’un de ces pêcheurs. Président de l’association de pêche locale, il a commencé à pêcher enfant au Coupeau, sur le Vicoin, dans les années 1950. À l’époque, il y avait des centaines de pêcheurs le week-end et quantité de goujons, gardons, brochets, perches et carpes :
C’était un coin très couru. Les hommes partaient à la pêche le matin et les femmes arrivaient avec de quoi manger et les enfants l’après-midi.”
Maintenant que 25 des 26 barrages que comptait le Vicoin ont disparu, la rivière est, au Coupeau, à peine plus grosse qu’un ruisseau. La semaine dernière, un bureau d’études public a tenté de déterminer combien il restait de poissons. Les techniciens ont envoyé de l’électricité dans le cours d’eau pour assommer les poissons, puis les ont comptés. Il y en avait très peu.
Malgré tout, le plan européen pour la “continuité écologique” va se poursuivre.
Le ministère français de la Transition Écologique déclare que celui-ci a pour objectif de “rétablir la circulation des poissons et le transport des sédiments pour obtenir un bon état écologique des voies d’eau et mettre ainsi un terme à l’effondrement de la biodiversité aquatique.”
“Ces fonctionnaires, je les appelle les ayatollahs des barrages”, conclut M. Richard.
Adam Sage
Source
The Times
LONDRES http://www.thetimes.co.uk