Cannes 2017 : Jérémie Renier, « en résonance »
Par Laurent Carpentier
Rencontre avec le comédien à l’affiche de « L’Amant double », film de François Ozon en compétition officielle au Festival de Cannes, dans lequel il interprète deux jumeaux.
Il ne s’en rappelle pas. Pourtant, il a déjà joué un jumeau. Bien avant L’Amant double de François Ozon, dans lequel on le retrouve aujourd’hui en compétition officielle au Festival de Cannes. C’était il y a dix ans dans Nue propriété de Joachim Lafosse, un double qui s’aime et se détruit.
Sauf qu’alors, le jumeau de Jérémie Renier était interprété par son frère dans la vraie vie, Yannick, de six ans son aîné. C’est sur ce tournage qu’ils ont découvert le plaisir de travailler ensemble (« On a le même humour mais pas les mêmes angoisses », dit-il) et mis en chantier leur premier long-métrage qui devrait sortir en janvier 2018, sur la « sororité » : deux sœurs, qui exercent le même métier, actrice. Son titre : Carnivores.
C’est à ce moment-là qu’il a reçu le coup de fil de François Ozon. « Souvent, j’ai remarqué qu’on me proposait des films qui avaient un rapport direct avec ce que j’étais en train de vivre, sourit-il, accoudé à la fenêtre, pieds nus, une cigarette au bec. Est-ce que c’est une énergie ? Ou le hasard ? Je ne sais pas, mais souvent il y a une résonance. »
Des jumeaux, Paul et Louis, psychanalystes, l’un est un ange, l’autre un diable. Ils partagent une patiente, Chloé qui est aussi leur amante. « Je sortais de mon tournage à moi, et je n’avais pas spécialement envie de jouer. Le côté thriller érotique demandait d’y aller à fond. Certes c’est un cadeau de pouvoir jouer comme ça deux personnages dans un film mais je crois que je ne l’aurais pas fait si cela n’avait pas été François », dit-il.
« Bouffées d’oxygène »
Jérémie est seul dans sa chambre. Pas plus de « gentil » Paul dans le fauteuil, que de « méchant » Louis allongé sur le lit, ces deux caractères complexes qu’il cisèle dans le film au point de nous perdre – malice du réalisateur et de son acteur.
« Avec François on aime jouer, se charrier, se titiller. Dès le premier film, Les Amants criminels, les tournages ont été des bouffées d’oxygène. Pourtant : à 17 ans, me trimballer en caleçon, accroché à une laisse, tirée par Miki Manojlović, ce n’était pas forcément évident. Mais il y a toujours quelque chose de l’amusement. Avec François Ozon, on est là pour essayer, pas pour souffrir. Avec lui, j’ai l’impression de pouvoir être moi, dans ma bêtise, dans le côté enfantin du jeu, le côté tactile, sans qu’il y ait des choses étranges ou mal perçues. »
« Jérémie, c’est un peu comme mon petit frère, assure le réalisateur. Pour L’Amant double, il n’était pas mon premier choix justement sans doute pour ça : parce que je voyais d’abord l’enfant chez lui. C’est notre troisième film ensemble mais on lui a fait passer un casting. Et j’ai été bluffé. Il a acquis une maturité, une virilité que je ne voyais pas. Comme tous les grands acteurs, il est à l’aise avec le fait d’être érotisé. Il me fait penser à Michael Fassbender avec qui j’ai travaillé sur Angel. Ce besoin de s’engager physiquement. Son corps, il le donne. S’il comprend pourquoi. »
La dernière fois qu’on l’a vu au cinéma, Jérémie Renier était brun avec une barbe. C’était en 2016 dans La Fille Inconnue – à Cannes toujours et avec les frères Dardenne encore – ces faux jumeaux du cinéma belge avec qui il a tourné cinq films, dont celui qui l’a fait débuter, La Promesse. C’était en 1996. Il avait 15 ans. « On avait débarqué sur la Croisette au dernier moment avec les bobines dans un vieux van, sourit-il à ce souvenir. J’étais très timide. » Deux ans plus tard, il est avec son slip et sa laisse dans Les Amants criminels d’Ozon.
« Le travail de toute une vie »
Depuis on l’a vu chez Gans, Guirado, Assayas, Trapero… Il est devenu Claude François dans Cloclo de Florent Emilio Siri, et Pierre Bergé dans Saint Laurent de Bertrand Bonello… Des rôles de composition. « Il y a des acteurs qui ont une personnalité très forte, avec laquelle ils jouent. Moi peut-être que je n’ai pas cet atout-là alors je vais aller explorer des personnages, dit-il. Je suis fasciné par un acteur comme Philip Seymour Hoffman qui arrive à faire oublier sa composition tant il est ses personnages. »
Le thème du jumeau est un classique au cinéma, de Pierre Richard à Tilda Swinton dans Okja (présenté en compétition). Pour préparer son rôle, il a revu Jeremy Irons dans Faux-Semblants de David Cronenberg, Armie Hammer et Josh Pence dans The Social Network de David Fincher, Tom Hardy dans Legend de Brian Helgeland.
« Dans le travail que j’ai fait pour rechercher ce personnage, enfin ces deux personnages, je me suis inventé des histoires. Est-ce qu’ils sont deux, est-ce qu’il est seul et double, est-ce qu’il se joue d’elle ou est-il le reflet de son regard à elle… C’est pourquoi, pour moi, ce film parle aussi du couple. De comment on voit l’autre, comment on se voit à travers lui, les manques. Chloé, c’est comme si elle construisait son fantasme de l’homme, celui qui remplirait toutes les cases. »
Le confort et le désir. Sur sa table de nuit : 24 heures de la vie d’une femme de Stefan Zweig. Lui qui dit s’être lancé dans le cinéma parce qu’il avait « un appétit de vie plus grand que ce qu’[il] vivait à l’école » se dévoile avec délicatesse, en cherchant ses mots, sans trop en dire mais en cherchant toujours la sincérité : « On a commencé à tourner à un moment de ma vie où je me posais des questions sur moi-même, et je me suis dit que j’étais un peu des deux sans doute. Paul et Louis. Quelqu’un de doux, d’attentionné, de généreux, mais peut-être aussi avec une partie d’ombre qui pourrait avoir envie de posséder, de détruire. Cette face-là, on a du mal à la voir, à la regarder en face. Au début, j’ai pensé : Paul il va être ennuyeux parce que c’est le gentil. En fait, à l’arrivée je me demande si Paul n’est pas plus complexe que Louis. Sait-on jamais qui on est réellement ? C’est le travail de toute une vie. »
Lui qui partage désormais sa vie entre Valence en Espagne « où j’ai mes enfants » – Arthur et Oscar, 16 et 11 ans – et son ex-femme, Bruxelles « où j’ai ma famille », et Paris « où je travaille », regarde longuement sa main avant d’expliquer : « Le fait d’être acteur permet d’explorer des recoins de son âme. Parfois, je me demande ce que traverser toutes ces vies provoque dans notre métabolisme neurologique, et comment le cerveau fait la différence entre ce qu’on lui propose de vivre à travers un personnage et ce que l’on est. »