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Jours tranquilles à Paris
4 juillet 2020

La justice turque rappelle le meurtre de Jamal Khashoggi au bon souvenir de Riyad

Le procès in absentia de vingt Saoudiens accusés d’implication dans la mort du journaliste s’est ouvert vendredi à Istanbul.

Par Jean-François Chapelle

C’est un procès un peu bancal, sans accusés dans le box, sans guère de chances de parvenir à des condamnations et avec à peine une poignée d’observateurs admis à l’audience, qui s’est ouvert vendredi 3 juillet devant la 11e cour d’assises d’Istanbul.

Mais pour les proches du journaliste saoudien assassiné Jamal Khashoggi, et pour les défenseurs de la liberté de la presse, cette procédure est un peu la dernière chance de faire la lumière sur les vrais commanditaires d’un crime d’une rare sauvagerie, commis le 2 octobre 2018 dans les locaux du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.

Exilé depuis l’été 2017 aux Etats-Unis, le journaliste, fin connaisseur de la famille royale saoudienne et détracteur déterminé de la politique autoritaire menée par le prince héritier Mohammed Ben Salman, fréquentait assidûment les rives du Bosphore, où résidait sa fiancée, une jeune doctorante turque. Pour pouvoir épouser Hatice Cengiz, Khashoggi, 59 ans, s’était déjà rendu une première fois au consulat, afin d’obtenir un certificat attestant de son divorce avec sa première épouse, prononcé en Arabie saoudite.

Les agents consulaires lui avaient alors donné un second rendez-vous, dont il n’est jamais revenu. Selon l’acte d’accusation de 117 pages rédigé par le parquet d’Istanbul, le journaliste a été étranglé puis dépecé par un commando de quinze personnes, dont un médecin légiste, venu spécialement d’Arabie saoudite. Son corps n’a jamais été retrouvé.

Colère du prince

L’affaire a certes déjà été jugée par un tribunal saoudien. Mais celui-ci s’est borné à cibler les exécutants – cinq d’entre eux ont été condamnés en décembre 2019 à la peine de mort, trois autres à vingt-quatre ans de prison –, considérant que l’objectif du commando était de ramener Khashoggi sain et sauf à Riyad et que c’était le chef de l’équipe qui, incapable de faire sortir le journaliste du consulat par la force, avait décidé de le tuer.

Les procureurs turcs racontent cependant une toute autre histoire, puisqu’ils accusent deux proches du prince héritier, l’ancien chef adjoint des services de renseignement, le général Ahmed Al-Assiri, et l’ancien conseiller à la cour royale, Saoud Al-Qahtani, d’avoir conçu et ordonné le crime. Ils réclament la prison à vie à leur encontre ainsi qu’à celles de dix-huit hommes de main.

Et si l’acte d’accusation ne le désigne pas ouvertement, le nom de Mohammed Ben Salman, (« MBS »), a bien été prononcé au cours de la première audience. Devant un public restreint, pour cause de pandémie de Covid-19, et en l’absence des accusés, restés en Arabie saoudite, Yasin Aktay, conseiller du président turc Recep Tayyip Erdogan et ami proche de Khashoggi, a rappelé les espoirs que le journaliste avait d’abord placés dans la personne du prince héritier, puis sa déception et le choix de l’exil, parce qu’à Riyad, « tout le monde était désormais obligé d’applaudir les politiques erronées de MBS ».

Il a aussi évoqué la colère du prince après la création par son ami, en janvier 2018, de la plateforme DAWN (« La démocratie pour le monde arabe maintenant »), réunissant des journalistes, intellectuels et militants issus des courants islamistes et libéraux pour promouvoir la démocratie.

« Une ambiance de panique »

En trois heures et demie d’audience, la cour, masque chirurgical sur le nez, a entendu les dépositions de la fiancée, en qualité de plaignante, et de huit témoins, pour la plupart des personnels turcs du consulat saoudien. Parfois submergée par l’émotion, la jeune femme, en robe noire et foulard gris, a relaté l’attente angoissée se muant en terreur quand un agent consulaire lui a annoncé, « avec un visage qui exprimait la peur », qu’il ne trouvait pas trace de son promis dans le consulat.

Le témoignage d’un technicien du consulat, en particulier, a retenu l’attention. Zeki Demir a en effet indiqué avoir été appelé à la résidence du consul, le jour du crime, pour y allumer un grand fourneau, avant d’être sommé de partir, « dans une ambiance de panique ».

A l’issue de l’audience, Agnès Callamard, rapporteure spéciale des Nations unies sur les exécutions sommaires, s’est réjouie devant la presse de l’ouverture de ce procès, aussi « imparfait » soit-il, avec ses accusés absents, ses avocats commis d’office et son issue incertaine, le droit turc ne permettant pas la condamnation d’accusés jugés in absentia.

« Le procès saoudien était tout sauf de la justice, c’était un travestissement de la justice », a-t-elle déclaré.

« Ici, nous avons un espace où les victimes peuvent être entendues comme elles ne l’ont jamais été auparavant. Les témoins doivent parler sous serment, ce qui donne bien plus de légitimité à leurs déclarations. C’est important pour la révélation de la vérité, plus d’informations vont remonter. »

Interrogée par Le Monde, l’experte onusienne a indiqué que les cinq condamnés à mort du procès saoudien étaient toujours en prison, après le pardon accordé le 22 mai par les fils de la victime à ses assassins. « Ils n’ont pas encore été libérés et la question du pardon soulève une controverse en Arabie saoudite, où elle est contestée par des théologiens », a-t-elle affirmé.

Agnès Callamard a également déploré l’absence totale, à ses côtés, de représentants « des pays qui ont été en première ligne dans le combat pour la liberté d’expression » et a encouragé ces derniers à se mobiliser pour la prochaine audience, le 24 novembre. « On parle ici d’un meurtre d’Etat, c’est pour cela que la présence des Etats est importante. »

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3 juillet 2020

A Hongkong, la loi de sécurité imposée par la Chine met brutalement fin à une exception démocratique

Le texte prévoit des peines allant jusqu’à la prison à perpétuité pour les ennemis du régime et une surveillance étendue par ses agences.

Par Florence de Changy 

hong manifestant

Arrestation lors de manifestations à Hongkong contre la nouvelle loi de sécurité nationale, le 1er juillet. DALE DE LA REY / AFP

C’est l’estocade finale. Pour beaucoup de Hongkongais qui se sont mobilisés depuis des années pour obtenir un peu plus de démocratie, la nouvelle loi de sécurité nationale imposée par l’Assemblée nationale populaire à Pékin, et promulguée à Hongkong un peu avant minuit mardi 30 juin par la chef de l’exécutif, Carrie Lam, marque la fin de Hongkong en tant que cité libre. « Pour les membres de la petite minorité qui menace la sécurité nationale, cette loi sera un glaive suspendu au-dessus de leur tête », a averti le gouvernement chinois.

La région administrative spéciale avait jusqu’à présent le privilège d’être la seule ville de Chine où les libertés individuelles étaient protégées. « Cette loi est faite pour terroriser, intimider, réduire Hongkong à néant, faire de Hongkong une ville dans laquelle il n’y aura plus de dissidence, plus de manifestations, plus d’opposition », déclare au Monde Claudia Mo, députée du camp prodémocratique.

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Alors que Hongkong marque, ce 1er juillet, les vingt-trois ans de sa rétrocession à la Chine, ce texte va limiter considérablement, voire annihiler, les libertés civiles et politiques de n’importe quel citoyen en désaccord avec le système chinois ou avec le gouvernement. « Fondamentalement, Pékin va pouvoir arrêter n’importe qui, pour n’importe quel crime, puisque c’est Pékin qui a le pouvoir d’affirmer ce que vous avez fait de mal et en quoi c’est mal », affirme un grand juriste qui, comme la plupart des gens contactés mercredi matin, n’a accepté de parler qu’à la condition explicite de ne pas être cité, une nouveauté dans cette ville. Il affirme avoir conseillé à tous ses amis de ne pas accepter la moindre interview, car « même parler et donner son avis est désormais dangereux ».

« Continentalisation » de l’ancienne colonie britannique

Manifestants détenus par les forces de l’ordre à Hongkong, le 1er juillet.

Manifestants détenus par les forces de l’ordre à Hongkong, le 1er juillet. Vincent Yu / AP

Théoriquement, jusqu’en 2047, Hongkong devait pourtant « gérer ses propres affaires » avec un « haut degré d’autonomie », mais les nombreuses restrictions détaillées dans cette nouvelle loi précipitent la « continentalisation » de l’ancienne colonie britannique. Jusqu’au 30 juin 2020, Hongkong fondait son exception au sein de l’ensemble chinois sur un Etat de droit solide et crédible, hérité du système britannique de la common law (le droit coutumier), et respecté par le reste du monde. En plaçant sa loi au-dessus de celle de Hongkong, Pékin s’attaque au cœur même de cette spécificité. Et bien que les milieux d’affaires font pour le moment mine de regarder ailleurs, se persuadant que tout ira bien – la Bourse a fermé en hausse mardi –, la fragilisation du cadre juridique de Hongkong risque tôt ou tard de porter atteinte au centre financier international.

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En six chapitres et soixante-six articles, le texte couvre quatre crimes, à savoir sécession, subversion, terrorisme et collusion avec une puissance étrangère. Ils sont passibles de la prison à perpétuité, même si des peines plus courtes sont prévues dans certaines circonstances « mineures ». L’article 33-3 précise par ailleurs que les peines seront allégées si l’accusé dénonce une autre personne.

Demander que des sanctions soient imposées sur Hongkong ou sur la Chine sera désormais considéré comme un crime de collusion avec un régime étranger. Or c’est exactement ce qu’ont fait, activement et publiquement, plusieurs membres de l’opposition depuis quelques mois en allant notamment à Washington, Londres et Berlin.

hong plantu

« Mépris de Pékin »

« Inciter à la haine des gouvernements », qu’il s’agisse du pouvoir central à Pékin ou du gouvernement local, relève du crime de subversion. La quasi-totalité des slogans entendus dans les manifestations de Hongkong pourraient donc désormais tomber sous le coup de cette loi, selon l’interprétation que les juges et les autorités voudront en faire.

Alors que la population n’avait pas été informée du contenu du texte jusqu’à son entrée en vigueur dans la nuit, la version finale a surpris par sa portée. La loi inclut même des crimes commis en dehors de Hongkong et vise par exemple le fait d’être favorable à l’indépendance de Taïwan. Alors que la crise de Hongkong a considérablement renforcé les aspirations des Taïwanais à ne pas être réunifiés avec la Chine continentale, la présidente de l’île, Tsai Ing-wen, a tweeté : « Le mépris de Pékin à l’égard des aspirations des Hongkongais prouve qu’“un pays, deux systèmes” n’est pas viable. Beaucoup de choses ont changé à Hongkong depuis [la rétrocession en] 1997, mais le soutien de Taïwan aux Hongkongais qui aspirent à la liberté et à la démocratie n’a jamais changé. »

Carrie Lam, la chef de l’exécutif de Hongkong (au centre), présente, lors d’une conférence de presse, une copie de la nouvelle loi de sécurité nationale, avec la secrétaire à la justice, Teresa Cheng (à gauche), et le ministre de la sécurité, John Lee,le 1er juillet.

Carrie Lam, la chef de l’exécutif de Hongkong (au centre), présente, lors d’une conférence de presse, une copie de la nouvelle loi de sécurité nationale, avec la secrétaire à la justice, Teresa Cheng (à gauche), et le ministre de la sécurité, John Lee,le 1er juillet. STR / AFP

La loi, qui s’appliquera également aux étrangers, résidents permanents ou non, qui auraient commis un crime de sécurité nationale, prévoit un contrôle plus étroit des organisations non gouvernementales et des agences de presse et des journalistes étrangers. Selon le journal populaire d’opposition Apple Daily, la non-rétroactivité de la loi n’est pas clairement établie. En outre, n’importe quelle personne coupable d’un crime de sécurité nationale sera déclarée inéligible à vie.

« Superviser et guider »

Les procédures prévues par le texte sont tout aussi alarmantes, certains procès impliquant des questions de secret national ou d’ordre public devant avoir lieu à huis clos et sans jury dans certaines circonstances. Comme le redoutait la profession légale, il reviendra au chef de l’exécutif de nommer les juges qui présideront aux procès relevant de la sécurité nationale.

La loi prévoit même la possibilité que certains cas soient jugés en Chine, notamment « quand la sécurité nationale de Chine fait face à une menace substantielle réelle, quand des forces étrangères sont impliquées ou quand le gouvernement de Hongkong ne peut pas faire appliquer la loi ».

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De nouvelles agences verront le jour. Une « commission pour la protection de la sécurité nationale » sera composée d’officiels du gouvernement et d’un « conseiller » de Chine. Ses décisions seront sans appel et en aucun cas soumises à un recours judiciaire. La loi prévoit aussi que la police et le ministère de la justice de Hongkong forment de nouveaux services destinés à la sécurité nationale. Un autre bureau dont la fonction sera de préserver la sécurité nationale va prendre ses quartiers à Hongkong pour « superviser et guider » les autorités locales. Et si les inculpés auront droit à un avocat et à un « procès juste », ce sera « après un premier interrogatoire par le bureau ».

« Nous ne devons pas avoir peur »

Plusieurs figures du camp de l’opposition prodémocratie ont appelé coûte que coûte à manifester mercredi après-midi malgré l’interdiction de la police. C’est la première fois depuis un grand rassemblement d’un demi-million de personnes en 2003 que la police interdit cette marche. « Nous espérons que tous les Hongkongais descendent dans la rue pour s’opposer à la loi de sécurité nationale. Nous ne devons pas avoir peur. Si nous avons peur, nous perdrons nos droits et nos libertés inéluctablement », a déclaré l’un des leaders du front civil des droits de l’homme, organisateur habituel des plus grandes manifestations.

La police a fait usage d’un canon à eau pour disperser des manifestants, et trente personnes ont été arrêtées pour violation de cette nouvelle législation, rassemblement illégal, refus d’obtempérer et possession d’armes, selon les forces de l’ordre. Le premier homme arrêté au motif de ce nouveau texte portait un drapeau avec les caractères « Hong Kong Independence ».

Avec déjà près de 10 000 arrestations en un an de protestation, de nombreux cas documentés d’abus par la police sur les personnes arrêtées, et à présent la menace de cette loi, il est probable que la majorité des Hongkongais choisissent la prudence en restant chez eux.

Les réactions internationales ont été virulentes, notamment en provenance des Etats-Unis. « La loi draconienne sur la sécurité nationale montre ce qui fait le plus peur à Pékin : la liberté de penser et d’agir des Hongkongais », a tweeté le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo. Le seul appui à cette loi draconienne et liberticide est venu de Cuba, qui, au nom de 52 autres pays, a proposé une motion de soutien à cette loi lors de l’ouverture de la 44e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève.

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A Causeway Bay, quartier très commerçant de l’île de Hongkong, quelques militants prochinois qui étendent régulièrement des pancartes vantant « le rêve chinois » en agitant le drapeau rouge aux 5 étoiles jaunes étaient un peu plus nombreux que d’habitude, mercredi après-midi, alors que le reste de Hongkong était en deuil.

Florence de Changy(Hongkong, correspondance)

3 juillet 2020

Plébiscite - Les Russes donnent les clés du Kremlin à Poutine jusqu’en 2036

poutine longtemps

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

Comme escompté, les Russes ont plébiscité la réforme constitutionnelle soumise à référendum par Vladimir Poutine, selon les résultats officiels publiés mercredi. La presse internationale dénonce un “stratagème” et une “manœuvre», qui permettront au président russe de rester au pouvoir jusqu’en 2036

La Commission électorale centrale n’a pas jugé nécessaire d’attendre la fermeture de tous les bureaux de vote pour annoncer le triomphe de Poutine au référendum sur la réforme constitutionnelle. Mercredi soir, les résultats collectés dans 61 % des bureaux de vote donnaient plus de 77 % au oui, avec un taux de participation de 65 %.

Un résultat “sans surprise” pour un référendum “controversé”, remarque La Stampa, tant la campagne n’a été orchestrée que pour assurer à Vladimir Poutine le plébiscite dont il avait besoin. Car dans les faits, la réforme avait déjà été approuvée par le Parlement et le référendum était purement consultatif.

“D’un point de vue juridique, l’exercice est démentiel”, observe Greg B. Yudin, sociologue à l’École des sciences économiques et sociales de Moscou, dans le New York Times. Mais pour Poutine, “la procédure a beaucoup de sens” car elle lui offre “la légitimité d’un apparent soutien populaire”.

“C’est du théâtre, certes, mais un théâtre très important et très bien interprété. Le système a besoin de mettre en scène des démonstrations de soutien populaire, même s’il ne l’a pas”, poursuit-il.

Pour cause de Covid-19, le vote avait été étalé sur une semaine et s’est achevé mercredi. L’ONG Golos, spécialisée dans l’observation des élections, a décrit le vote comme “l’un des plus manipulés” et “des moins transparents” de l’histoire du pays, rapporte le Moscow Times.

“Énorme mensonge”

Pour encourager la participation, des cadeaux ont été promis aux votants, le vote en ligne a été généralisé – permettant à certains de voter deux ou trois fois, selon Golos – et des isoloirs ont été installés dans les rues et les espaces publics, sans contrôle ni surveillance. À tel point que dans la région de Iamalie (Nord), le taux de participation a dépassé les 100 %, ironise le Moscow Times.

L’opposant Alexeï Navalny a qualifié les résultats d’“énorme mensonge”, n’ayant “rien à voir avec l’opinion des citoyens russes”, selon des propos repris par RFE-RL. “Nous avons assisté à un spectacle dont le dénouement était écrit à l’avance.”

La BBC s’est entretenue avec une vingtaine de citoyens des deux camps. Et si une votante aurait souhaité que le bulletin comporte, outre le “oui” et le “non”, une case “catégoriquement opposée”, un vieux monsieur estime pour sa part que “si le capitaine du bateau navigue dans la bonne direction, pourquoi en changer ?”.

Les dizaines d’amendements soumis à référendum enracinent la Russie dans un conservatisme cher à Vladimir Poutine, que ce soit en réservant le mariage aux hétérosexuels ou en inscrivant la foi en Dieu dans la Constitution du pays. Mais il remet surtout le compteur des mandats de Poutine à zéro. Il pourra donc théoriquement rester au Kremlin jusqu’en 2036 – et y fêter ses 83 ans.

“Avec une popularité à son plus bas historique et un mécontentement social croissant, Poutine, au pouvoir depuis vingt ans, a joué à nouveau la carte du garant de la stabilité et du patriotisme, calmant ainsi les spéculations sur sa succession”, analyse El País.

“Il en sort avec une autorité renforcée, mais conscient également d’avoir brûlé l’une de ses cartouches”, poursuit le quotidien espagnol. “Il devra maintenant diriger un pays avec des citoyens à bout et une économie en crise.”

2 juillet 2020

Le président Xi Jinping ou la loi du plus fort

Article de Frédéric Lemaître

Aux yeux du dirigeant chinois, l’Etat de droit qui prévalait à Hongkong entravait le pouvoir du PCC, clé de l’ascension de son pays

PÉKIN- correspondant

Et maintenant, à quoi va s’attaquer Xi Jinping ? A Taïwan ? A l’appropriation de la mer de Chine du Sud ? A l’humiliation du rival indien ? La loi sur la sécurité nationale imposée à Hongkong n’est que la dernière initiative en date du dirigeant communiste qui, depuis son arrivée au pouvoir, à l’automne 2012, n’a jamais renoncé à provoquer ses adversaires ou l’opinion publique internationale pour conforter le pouvoir du Parti communiste chinois en général et le sien propre en particulier.

Le 1er mars 2014, une attaque au couteau commise par des musulmans ouïgours à la gare de Kunming, dans le sud-ouest de la Chine, fait 31 morts et 141 blessés. Xi Jinping se rend en avril au Xinjiang, où il ordonne aux autorités d’utiliser « tous les outils de la dictature » pour mener une « lutte sans merci (…) contre le terrorisme et le séparatisme ». Plus d’un million de Ouïgours seront internés dans des camps dits « de rééducation ». Juillet 2015 : plusieurs centaines d’avocats spécialisés dans la défense des libertés sont arrêtés. C’est la plus grande atteinte aux droits de l’homme en Chine depuis le massacre de Tiananmen, en 1989. La plupart d’entre eux ont été depuis libérés, mais les arrestations n’ont jamais cessé.

2015, c’est aussi l’année du mensonge à Barack Obama. « Les activités de construction que la Chine entreprend actuellement dans les îles Nansha [Spratleys] ne visent et n’ont aucun impact sur quelque pays que ce soit et la Chine n’entend pas poursuivre la militarisation » de ces îlots en mer de Chine du Sud, assure le président chinois à son homologue américain. Les travaux ont commencé deux ans plus tôt, juste après son installation au pouvoir, et les images satellites seront par la suite formelles : non seulement la Chine y a construit des pistes d’atterrissage, mais elle y a installé des missiles sol-air et des équipements de brouillage militaires.

En 2018, Xi Jinping parvient à faire modifier la Constitution chinoise, mettant fin au système limitant à deux mandats de cinq ans la fonction présidentielle. Cette réforme avait été introduite en 1982 par Deng Xiaoping pour éviter l’émergence d’un nouveau dictateur à vie, à l’instar de Mao Zedong. A cette occasion, la « pensée de Xi Jinping » est introduite dans la Constitution.

Tous ces éléments ont leur logique. Selon Xi Jinping, le développement de la Chine passe par le rôle dirigeant du Parti communiste. Pour réussir face à un Occident qui rêve de faire subir à l’empire du Milieu le même destin qu’à l’Union soviétique, le Parti communiste chinois, fort de ses 91,9 millions de membres, doit exercer une dictature des meilleurs. Dans la droite ligne des empereurs qui, pendant des siècles, ont prétendu gouverner par les « hommes de bien », compétents et non motivés par leur intérêt personnel, qu’ils opposaient aux « hommes de peu », la population non éduquée. Evidemment, les ennemis sont impitoyablement réprimés.

Anniversaire du parti

Significativement, ce mercredi 1er juillet, Le Quotidien du peuple, l’organe officiel du Parti communiste chinois, ne titre pas sur Hongkong. La loi sur la sécurité nationale n’a droit qu’à un titre et un renvoi aux pages intérieures. Les quatre principaux articles sont consacrés à des discours récemment tenus par Xi Jinping, à une lettre qu’il a envoyée aux communistes de l’université Fudan et à la publication du troisième tome de ses œuvres sur la gouvernance de la Chine. C’est que le 1er juillet marque aussi le 99e anniversaire du Parti communiste chinois. Alors que se préparent les festivités du centenaire, Xi Jinping martèle son message : confronté à un environnement instable, le Parti doit rester uni et mobilisé derrière son leader.

Si l’Assemblée nationale populaire a adopté en mai un code civil qui marque un certain progrès pour les affaires privées – le Parti s’immisce moins dans la vie privée des Chinois que sous Mao –, les affaires publiques sont plus que jamais régies par ce dernier. En 2018, Xi Jinping a éprouvé le besoin d’inscrire « le rôle dirigeant » du Parti communiste dans la Constitution.

Des responsables chinois expliquaient ces derniers temps que certes Hongkong était juridiquement chinoise, mais que, dans les faits, il n’en était rien. Une intervention de Pékin était d’autant plus nécessaire que les démocrates hongkongais n’entendaient pas seulement « déstabiliser et prendre le pouvoir à Hongkong, mais aussi renverser le pouvoir de l’Etat et abattre le leadership du Parti communiste chinois », selon les explications officielles. D’où la loi sur la sécurité nationale. Peu importe que Carrie Lam, chef du gouvernement de Hongkong, n’en ait jamais fait la demande ni même affirmé que la police de Hongkong ne parvenait pas à maintenir l’ordre.

Comme l’analyse le sinologue Sebastian Veg, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, dans un article publié par la revue Tocqueville 21, « même si la répression que va permettre la nouvelle loi sur la sécurité nationale à Hongkong devrait être moins systématique qu’en Chine continentale, elle s’inscrit sans aucun doute à l’intérieur du même cadre politique, légal et philosophique, dans lequel la souveraineté et l’idéologie du parti [la distinction ami-ennemi] l’emportent sur les définitions libérales de légalité ». Pour Xi Jinping, l’Etat de droit qui prévalait à Hongkong n’était pas tolérable. A ses yeux, seule la loi du plus fort compte véritablement.

2 juillet 2020

Décryptages - La Chine veut éradiquer la mentalité libérale et le manque de patriotisme des Hongkongais

Par Florence de Changy, Hongkong, correspondance

Alors qu’entre en vigueur une loi de sécurité nationale, Pékin cherche à prendre le contrôle des esprits, et cible en particulier la culture, l’éducation et les médias, s’appuyant pour cela sur tous ses relais.

L’exposition-spectacle intitulée « Histoire de la première année » et retraçant les douze derniers mois de manifestations antigouvernementales devait ouvrir, dimanche 28 juin, dans la grande salle municipale de Yau Tong, quartier mi-industriel, mi-résidentiel de Hongkong.

La région administrative spéciale a été secouée depuis juin 2019 par le plus virulent mouvement de contestation politique depuis son retour dans le giron chinois, en 1997. Des artistes plasticiens mais aussi des musiciens devaient participer à l’événement ; des débats entre personnes d’avis opposés étaient prévus, dans une ville qui s’enorgueillissait de sa liberté d’expression face à la Chine continentale.

Mais vendredi, deux jours avant l’ouverture, l’organisateur et conseiller du district, Kung Chu-ki, 29 ans, a reçu un appel du département de l’intérieur lui indiquant que l’exposition-spectacle n’était plus autorisée. « A l’approche de l’adoption de la loi de sécurité nationale, le gouvernement a intimidé la population par tous les moyens possibles, en donnant l’impression que le seul fait de parler des manifestations et de réfléchir à leur sens était déjà interdit… », se désole cet ancien start-upeur qui, depuis sa victoire aux élections de district de novembre 2019, fait de la politique à plein temps.

Ils sont nombreux comme lui à sonner l’alerte face à la campagne mêlant censure et propagande dans laquelle s’est lancé le gouvernement pour tenter de reprendre le contrôle du discours politique. « Outre la violence physique et la violence des institutions, une violence symbolique s’est immiscée dans le discours officiel. Elle consiste à renommer les faits et les choses », observe la professeure de sciences sociales Ching Kwan Lee à l’université des sciences et technologies de Hongkong.

Faire le choix de l’ordre

Alors que manifester en masse mais de manière ordonnée et civique a longtemps été une marque de Hongkong, des flashs télévisés et radiophoniques du gouvernement dénoncent désormais les « émeutes », listant les peines encourues à grand renfort de sirènes et de bruits de casse anxiogènes. La population est incitée à se désolidariser des casseurs et à faire le choix de l’ordre et de la paix sociale.

En parallèle, depuis l’annonce par Pékin de son projet d’imposer une loi de sécurité nationale, d’immenses affiches sur fond bleu horizon sont apparues dans les rues, les couloirs de métro, les Abribus, recouvrant entièrement les célèbres tramways à impériale pour vanter les mérites de ce texte qui crée de nouveaux délits de subversion, de sécession, de terrorisme et de collusion avec des forces étrangères. « Préserver un pays, deux systèmes, rétablir l’ordre », lit-on sur ces publicités. Des spots vidéo soutiennent que, « sans pays, il n’y a pas de famille ».

Pékin cherche à prendre le contrôle des esprits, et cible en particulier la culture, l’éducation et les médias, s’appuyant pour cela sur tous ses relais. « N’importe lequel de nos partenaires chinois ou avec des liens en Chine impose désormais dans nos contrats de collaboration une clause nous interdisant de faire le moindre commentaire politique », affirmait, déjà en 2018, une productrice de films de cinéma.

En décembre 2015, un an après le « mouvement des parapluies », au cours duquel la jeunesse avait occupé les grandes artères de Hongkong pour dénoncer la mainmise de la Chine, le géant du commerce en ligne Alibaba avait racheté le grand quotidien en anglais de la ville, le South China Morning Post, jadis référence internationale sur l’actualité chinoise. Sa couverture des questions sensibles, telles que les droits de l’homme en Chine, a nettement faibli depuis, et les plumes les plus incisives ont disparu.

L’ensemble des médias affirment souffrir d’autocensure alors que RTHK, le service audiovisuel public, a annoncé, le 19 mai, l’interruption de « Headliner », le programme satirique favori des Hongkongais depuis 1989, à la suite d’un épisode de février qui moquait la police locale.

Tentative de lavage de cerveau

Pour le professeur de sociologie Lau Siu-kai, porte-parole d’un groupe de réflexion pro-Pékin, l’Association chinoise des études de Hongkong et Macao, il revient à l’école, aux médias et au gouvernement de corriger les lacunes de la population en matière de sensibilisation à la sécurité nationale.

Le 4 juin, jour de commémoration du massacre de la place Tiananmen, non sans cynisme, les députés hongkongais, majoritairement favorables à Pékin du fait d’un système électoral biaisé par secteurs économiques et non au suffrage universel direct, ont adopté une loi qui punit jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 5 500 euros d’amende le non-respect du drapeau chinois et de l’hymne national. Le texte impose également l’apprentissage de la Marche des volontaires dans l’enseignement primaire et secondaire, alors que l’hymne chinois est régulièrement sifflé lors des matchs de football, parfois remplacé par le nouveau chant des manifestants, Gloire à Hongkong.

L’éducation patriotique des Hongkongais était déjà une priorité en 2012 lorsqu’un nouveau chef de l’exécutif, Leung Chun-ying, à peine désigné, avait fait d’une réforme imposant des cours d’éducation patriotique le premier objectif de son mandat. Il dut y renoncer face à la fronde des professeurs, parents et élèves, menés par Joshua Wong, du haut de ses 15 ans à l’époque, qui y voyait une tentative de lavage de cerveau et allait devenir le visage de l’opposition de la jeunesse hongkongaise à la Chine.

Car les Hongkongais tiennent dur comme fer à leur système éducatif indépendant, qui encourage l’esprit critique. Le 27 avril, l’énoncé du premier contrôle du bac local (DSE) a fait craindre que les censeurs chinois aient déjà infiltré le réseau des examens hongkongais : les élèves devaient citer « deux situations illustrant un dilemme entre liberté de la presse et responsabilité sociale ». Certains s’étaient demandé si, pour avoir une bonne note, il fallait faire passer la responsabilité sociale avant la liberté de la presse.

« On ne va plus oser dire ce que l’on pense »

Quinze jours plus tard, c’est une question piège posée à l’examen d’histoire qui a déclenché les foudres de Pékin car elle semblait insinuer, par sa formulation, que l’occupation japonaise avait été une bonne chose. Ce fut pour les autorités la preuve absolue que l’éducation des Hongkongais devait être sérieusement reprise en main.

Le ministre de l’éducation, Kevin Yeung, a d’ailleurs confirmé que, aussitôt la loi sur la sécurité nationale adoptée, les programmes scolaires seraient ajustés de sorte que les étudiants en comprennent les règles et la signification. « On ne va plus oser dire ce que l’on pense », s’inquiète, dans le quotidien prodémocratie Apple Daily, Solomon Chiang Man-ching, enseignant et élu local, qui redoute des cours « d’éducation rouge ».

Le vieux concept maoïste de « rectification de la pensée », qui a accompagné la construction de la Chine communiste, se heurte cette fois aux aspirations démocratiques et aux idées libérales de la jeunesse hongkongaise. Pour résister, « nous devons contrecarrer la propagande du gouvernement en expliquant bien la réalité politique aux gens qui ne comprennent pas », estime le jeune élu local Kung Chu-ki, conscient qu’une propagande bien orchestrée n’est jamais sans effet.

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1 juillet 2020

Philippe, le roi des Belges, présente ses « regrets » pour les « blessures du passé » au Congo

tintin congo

Par Jean-Pierre Stroobants, Bruxelles, correspondant

A l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance du pays, il reconnaît pour la première fois une colonisation marquée par des atrocités.

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Le chef de l’Etat belge, le roi Philippe, a fait un geste très attendu par les Congolais et l’importante communauté noire de Belgique, mardi 30 juin. Dans une lettre adressée au président Félix Tshisekedi à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance du Congo, le roi a exprimé ses « plus profonds regrets pour les blessures du passé », celui d’une colonisation marquée par des atrocités commises contre les populations locales. A la fois durant la période coloniale, qui s’est étalée de 1908 à 1960, et à l’époque de l’Etat indépendant du Congo, quand Léopold II possédait, à titre personnel, l’immense territoire africain.

D’après les historiens, l’entreprise coloniale belge se serait soldée par la mort de plusieurs millions de personnes. La lettre du roi Philippe évoque « les violences, les souffrances, les humiliations » qui ont accompagné ce colonialisme, mais aussi ses conséquences. A savoir « la douleur aujourd’hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés ». Une allusion claire à la mobilisation du mouvement Black Lives Matter et aux manifestations qui se sont déroulées récemment dans plusieurs villes du royaume.

Le mouvement, qui s’est cristallisé autour des discriminations contre les Afro-Belges, le racisme, les violences policières, a également ciblé le silence des autorités et de la monarchie sur le passé colonial. Un débat récurrent qui a pris, cette fois, une tournure particulière en s’attaquant aux symboles les plus visibles de cette période, comme les statues de Léopold II.

Un pays violenté

Celui que certains manuels d’histoire présentent encore comme un « roi conquérant », avait été qualifié de « civilisateur » par Baudouin Ier, dans un discours prononcé à Léopoldville – devenue Kinshasa – le 30 juin 1960, jour de l’indépendance. A l’époque, le chef de l’Etat belge, oncle du souverain actuel, avait évoqué la « grande œuvre » et le « génie » de son ancêtre. Un panégyrique auquel Patrice Lumumba, fondateur du Mouvement national congolais, avait répondu par une diatribe cinglante. Celui qui allait devenir un héros et un martyr de l’anticolonialisme avait décrit, devant des représentants belges consternés, un pays violenté et vidé de ses richesses.

Auteur d’un discours entré dans l’histoire, le jeune leader nationaliste a été assassiné le 17 janvier 1961, avec la probable complicité des services de sécurité belges. En 2002, le rapport d’une commission d’enquête parlementaire belge évoquait la « responsabilité morale » du royaume dans ce crime prémédité et soigneusement organisé. En juin 2018, un square Patrice-Lumumba était officiellement inauguré par la ville de Bruxelles, dans un autre geste symbolique.

Depuis, divers épisodes ont remis régulièrement le thème colonial à la une. Il a été porté par une jeune génération radicale et des métis exigeant la reconnaissance des injustices qu’ils ont subies. Fin juin, cinq femmes – dont une possède la nationalité française – ont déposé plainte contre l’Etat belge pour crimes contre l’humanité : enfants d’un père belge et d’une mère africaine, elles avaient été enlevées, placées de force dans des institutions religieuses et abandonnées à leur sort après l’indépendance.

« Un débat sans tabou »

En décembre 2018, la réinstallation d’un Musée de l’Afrique centrale, à Tervuren, dans la banlieue de Bruxelles, avait relancé des discussions sur la mémoire ou la restitution des œuvres et des objets. Parallèlement, une jeune génération d’historiens insistait sur le fait qu’au-delà des violences commises au nom de Léopold II et de ses ambitions économiques et stratégiques, des fonctionnaires et des militaires, complices de sociétés privées en quête d’immenses profits, avaient eux aussi couvert des pratiques esclavagistes et des exactions.

Même si le roi n’a pas présenté, mardi, les excuses attendues par certains – c’est peut-être une prochaine commission d’enquête parlementaire dite « de réconciliation » qui s’en chargera –, son geste marque une rupture.

Depuis le discours de Baudouin, la monarchie avait renoncé à faire l’éloge de Léopold II, tout en soulignant qu’il n’avait pas ordonné personnellement les crimes contre les populations locales et que la domination belge avait entraîné, pour le Congo, des progrès dans les domaines de la santé, de l’éducation ou de l’agriculture. Pas de condamnation de l’exploitation, donc, mais pas non plus de déni des violences.

Pressé par les événements, et peut-être par un monde politique soucieux de désamorcer la colère de la rue, l’entourage du roi Philippe l’a incité à aller un pas plus loin. Et il a opposé un démenti à certains historiens qui invitaient à nouveau à un « examen approfondi » de la période coloniale avant l’expression de regrets ou d’excuses, d’autant que toutes les archives de l’époque ne sont pas encore dépouillées.

Mercredi matin, dévoilant, à Ixelles, une plaque commémorative pour l’indépendance du Congo, la première ministre Sophie Wilmès a, elle, prôné « un débat sans tabou » sur le rôle de son pays au Congo. « Avec sincérité et vérité », a plaidé la responsable libérale, reprenant les mots du roi Philippe.

Dans la communauté des afro-descendants, on exprime de la satisfaction mais aussi l’espoir que les choses n’en resteront pas là. « Il est évident qu’il faut saluer un tel acte, mais nous avons besoin de plus de symboles et d’un plan contre les discriminations », estime Stéphanie Ngalula, du comité Mémoire coloniale. Mireille Tsheusi-Robert, dirigeante d’un comité des femmes contre le racisme, parle d’un événement « exceptionnel » pour un pays mal à l’aise avec son passé, mais qu’il faut « encourager à aller plus loin ».

1 juillet 2020

«La désintégration de Hongkong survient à un rythme infernal»

Par Anne-Sophie Labadie, correspondante à Hongkong

Avec le vote par le Parlement chinois de la loi sur la sécurité nationale, promulguée mardi soir, les prodémocratie ont commencé à prendre des mesures pour éviter d’être pris pour cible.

Pékin aura imposé en quelques semaines ce que les autorités hongkongaises n’ont pas réussi à faire avaler à la population en vingt-trois ans : une loi de sécurité nationale, et le tout sans que les 7,5 millions d’habitants, le Parlement ni le gouvernement local n’aient été consultés. Le régime communiste a agi seul, vite et sans transparence. Le Parlement national chinois a voté mardi un texte signant, selon l’opposition, la fin du statut spécial de l’ancienne colonie britannique. Il devait être inscrit dans la soirée dans l’annexe III de la loi fondamentale hongkongaise, sorte de mini-Constitution.

La loi, promulguée à 23 heures et immédiatement entrée en vigueur, précise que Pékin peut sanctionner tout acte de «séparatisme», de «subversion», de «terrorisme» et toute «collusion» avec des forces étrangères. Autant de termes vagues employés dans la propre loi de sécurité nationale chinoise révisée en 2015 et sur laquelle le régime s’appuie pour réprimer la dissidence.

La violation de la loi peut entraîner l’extradition vers la Chine et une peine de prison à vie. Ceux qui participent activement aux manifestations sont passibles d’une peine de trois à dix ans d’emprisonnement. Quant aux personnes ayant joué un rôle de premier plan dans les activités interdites, elles sont passibles de la prison à perpétuité. Le terrorisme y est pris dans une définition large, du lancer de cocktail Molotov aux actes de vandalisme dans les transports ou «tout ce qui met en danger la sûreté publique».

«Virus politique».

Pékin a fait valoir depuis fin mai (date de la session plénière du Parlement lors de laquelle le principe de la loi a été décidé) qu’il y avait urgence devant le «risque terroriste». Il fallait selon le régime central s’empresser d’éradiquer le «virus politique» afin de faire cesser les «émeutes» et de «restaurer la stabilité» dans le centre financier international. Les récriminations d’ONG, du G7, de l’Otan, de Washington et de l’Union européenne, inquiets pour l’avenir des libertés et l’Etat de droit pourtant garantis à Hongkong jusqu’en 2047, n’y ont rien fait, pas même les premières sanctions américaines.

«Le fait que les autorités chinoises ont voté cette loi sans que les Hongkongais puissent la voir dit beaucoup de leurs intentions, estime pour sa part Amnesty International dans un communiqué. Leur but est de gouverner Hongkong par la peur à partir de maintenant.» Et c’est ce qui s’est produit dès le vote de la loi mardi matin. Pour «maintenir entiers les effets d’intimidation et de dissuasion», selon les termes d’un élu hongkongais siégeant au Parlement chinois, le texte a été tenu secret jusque tard dans la soirée. Le temps nécessaire pour que certains arrachent à la va-vite des affiches prodémocratie de leurs devantures ou que des comptes Twitter, WhatsApp ou Telegram soient nettoyés de leurs contenus antirégime, voire détruits. «Effacez toute notre conversation sur WhatsApp», demande ainsi un militant de renom. «La désintégration de Hongkong survient à un rythme infernal», commente sur Twitter Wilson Leung, membre du groupe des avocats progressistes, prenant comme autre exemple «le célèbre restaurant Lung Café et l’annonce de son retrait du Cercle économique jaune» (réseau d’entraide prodémocratie). Dans la sphère politique, les mesures de précaution se sont aussi multipliées mardi. Joshua Wong, figure de la jeune garde prodémocratie mais qualifié de «sécessionniste» par la presse chinoise, a quitté son parti, Demosisto. La formation, partisane de l’autodétermination pour Hongkong et de l’avènement du suffrage universel, s’est autodissoute mardi. C’est également le cas du groupe indépendantiste Hongkong National Front, démantelé «pour diminuer les risques», explique via la messagerie cryptée Telegram l’un de ses meneurs, Baggio Leung. «Ces deux dernières années, le groupe a été surveillé par des médias pro-Pékin, des photos de nos membres et volontaires ont été prises et nous pensons que notre groupe sera l’une des cibles du Parti communiste chinois et de sa soi-disant loi», poursuit l’ex-député disqualifié en 2016 après avoir prêté serment drapé d’une banderole affirmant que «Hongkong n’est pas la Chine».

«Scélérats».

Comme lui, ils sont des centaines à ne pas pouvoir quitter le territoire hongkongais car leur passeport est confisqué dans l’attente d’un procès. Entre juin 2019 et mai 2020, la police a arrêté plus de 9 110 personnes. Certains ont déjà pris la fuite, comme le militant indépendantiste Wayne Chan qui a annoncé son exil dimanche. L’ancien chef de l’exécutif CY Leung a d’ores et déjà offert une récompense de 1 million de dollars hongkongais (114 700 euros) à ceux qui faciliteront l’arrestation de ces «scélérats».

Au-delà de la sphère politique, la loi a fait tomber sur la région un effet glaçant. «Tout le monde, Hongkongais ou non, peut être visé», résume Kelvin Lam, élu local selon qui le principe «un pays, deux systèmes» est «mort et avec lui l’avenir de Hongkong». «Qui voudra investir dans un territoire où Pékin fait sa loi ? Les investisseurs et capitaux vont partir ailleurs petit à petit.»

Hongkong restera aussi quelque temps encore une monnaie d’échange entre la Chine et les puissances occidentales. Mardi soir, Londres a critiqué la manœuvre de Pékin, qui a «ignoré ses obligations internationales». Face à cette «étape grave et profondément inquiétante», le Royaume-Uni établira, une fois la loi consultée, les décisions à prendre en cas de «violation de la déclaration commune» sino-britannique.

1 juillet 2020

LA LOI DE SÉCURITÉ CHINOISE

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A Hongkong, la fin brutale d’une exception

Carrie Lam, la chef de l’exécutif de Hongkong (au centre), présente, lors d’une conférence de presse, une copie de la nouvelle loi de sécurité nationale, avec la secrétaire à la justice, Teresa Cheng (à gauche), et le ministre de la sécurité, John Lee, le 1er juillet. STR/AFP

Florence De Changy

La loi de sécurité imposée par Pékin prévoit des peines allant jusqu’à la prison à perpétuité pour les ennemis du régime et une surveillance étendue par ses agences, restreignant considérablement les libertés

HONGKONG - correspondance

C’est l’estocade finale. Pour beaucoup de Hongkongais qui se sont mobilisés depuis des années pour obtenir un peu plus de démocratie, la nouvelle loi de sécurité nationale imposée par l’Assemblée nationale populaire à Pékin, et promulguée à Hongkong un peu avant minuit mardi 30 juin par la chef de l’exécutif, Carrie Lam, marque la fin de Hongkong en tant que cité libre. « Pour les membres de la petite minorité qui menace la sécurité nationale, cette loi sera un glaive suspendu au-dessus de leur tête », a averti le gouvernement chinois.

La région administrative spéciale avait jusqu’à présent le privilège d’être la seule ville de Chine où les libertés individuelles étaient protégées. « Cette loi est faite pour terroriser, intimider, réduire Hongkong à néant, faire de Hongkong une ville dans laquelle il n’y aura plus de dissidence, plus de manifestations, plus d’opposition », déclare au Monde Claudia Mo, députée du camp prodémocratique.

Alors que Hongkong marque, ce 1er juillet, les vingt-trois ans de sa rétrocession à la Chine, ce texte va limiter considérablement, voire annihiler, les libertés civiles et politiques de n’importe quel citoyen en désaccord avec le système chinois ou avec le gouvernement. « Fondamentalement, Pékin va pouvoir arrêter n’importe qui, pour n’importe quel crime, puisque c’est Pékin qui a le pouvoir d’affirmer ce que vous avez fait de mal et en quoi c’est mal », affirme un grand juriste qui, comme la plupart des gens contactés mercredi matin, n’a accepté de parler qu’à la condition explicite de ne pas être cité, une nouveauté dans cette ville. Il affirme avoir conseillé à tous ses amis de ne pas accepter la moindre interview, car « même parler et donner son avis est désormais dangereux ».

Théoriquement, jusqu’en 2047, Hongkong devait pourtant « gérer ses propres affaires » avec un « haut degré d’autonomie », mais les nombreuses restrictions détaillées dans cette nouvelle loi précipitent la « continentalisation » de l’ancienne colonie britannique. Jusqu’au 30 juin 2020, Hongkong fondait son exception au sein de l’ensemble chinois sur un Etat de droit solide et crédible, hérité du système britannique de la common law (le droit coutumier), et respecté par le reste du monde. En plaçant sa loi au-dessus de celle de Hongkong, Pékin s’attaque au cœur même de cette spécificité. Et bien que les milieux d’affaires font pour le moment mine de regarder ailleurs, se persuadant que tout ira bien – la Bourse a fermé en hausse mardi –, la fragilisation du cadre juridique de Hongkong risque tôt ou tard de porter atteinte au centre financier international.

« Superviser et guider »

En six chapitres et soixante-six articles, le texte couvre quatre crimes, à savoir sécession, subversion, terrorisme et collusion avec une puissance étrangère. Ils sont passibles de la prison à perpétuité, même si des peines plus courtes sont prévues dans certaines circonstances « mineures ». L’article 33-3 précise par ailleurs que les peines seront allégées si l’accusé dénonce une autre personne.

Demander que des sanctions soient imposées sur Hongkong ou sur la Chine sera désormais considéré comme un crime de collusion avec un régime étranger. Or c’est exactement ce qu’ont fait, activement et publiquement, plusieurs membres de l’opposition depuis quelques mois en allant notamment à Washington, Londres et Berlin.

« Inciter à la haine des gouvernements », qu’il s’agisse du pouvoir central à Pékin ou du gouvernement local, relève du crime de subversion. La quasi-totalité des slogans entendus dans les manifestations de Hongkong pourraient donc désormais tomber sous le coup de cette loi, selon l’interprétation que les juges et les autorités voudront en faire.

Alors que la population n’avait pas été informée du contenu du texte jusqu’à son entrée en vigueur dans la nuit, la version finale a surpris par l’étendue de sa portée. La loi inclut même des crimes commis en dehors de Hongkong et vise par exemple le fait d’être favorable à l’indépendance de Taïwan. Alors que la crise de Hongkong a considérablement renforcé les aspirations des Taïwanais à ne pas être réunifiés avec la Chine continentale, la présidente de l’île, Tsai Ing-wen, a tweeté : « Le mépris de Pékin à l’égard des aspirations des Hongkongais prouve qu’“un pays, deux systèmes” n’est pas viable. Beaucoup de choses ont changé à Hongkong depuis [la rétrocession en] 1997, mais le soutien de Taïwan aux Hongkongais qui aspirent à la liberté et à la démocratie n’a jamais changé. » La loi, qui s’appliquera aussi aux étrangers, résidents permanents ou non, qui auraient commis un crime de sécurité nationale, prévoit un contrôle plus étroit des organisations non gouvernementales et des agences de presse et des journalistes étrangers. Selon le journal populaire d’opposition Apple Daily, la non-rétroactivité de la loi n’est pas clairement établie. En outre, n’importe quelle personne coupable d’un crime de sécurité nationale sera déclarée inéligible à vie.

Les procédures prévues par le texte sont tout aussi alarmantes, certains procès impliquant des questions de secret national ou d’ordre public devant avoir lieu à huis clos et sans jury dans certaines circonstances. Comme le redoutait la profession légale, il reviendra au chef de l’exécutif de nommer les juges qui présideront aux procès relevant de la sécurité nationale. La loi prévoit même la possibilité que certains cas soient jugés en Chine, notamment « quand la sécurité nationale de Chine fait face à une menace substantielle réelle, quand des forces étrangères sont impliquées ou quand le gouvernement de Hongkong ne peut pas faire appliquer la loi ».

De nouvelles agences verront le jour. Une « commission pour la protection de la sécurité nationale » sera composée d’officiels du gouvernement et d’un « conseiller » de Chine. Ses décisions seront sans appel et en aucun cas soumises à un recours judiciaire. La loi prévoit aussi que la police et le ministère de la justice de Hongkong forment de nouveaux services destinés à la sécurité nationale. Un autre bureau dont la fonction sera de préserver la sécurité nationale va prendre ses quartiers à Hongkong pour « superviser et guider » les autorités locales. Et si les inculpés auront droit à un avocat et à un « procès juste », ce sera « après un premier interrogatoire par le bureau ».

« Nous ne devons pas avoir peur »

Plusieurs figures du camp de l’opposition prodémocratie ont appelé coûte que coûte à manifester mercredi après-midi malgré l’interdiction de la police. C’est la première fois depuis un grand rassemblement d’un demi-million de personnes en 2003 que la police interdit cette marche. « Nous espérons que tous les Hongkongais descendent dans la rue pour s’opposer à la loi de sécurité nationale. Nous ne devons pas avoir peur. Si nous avons peur, nous perdrons nos droits et nos libertés inéluctablement », a déclaré l’un des leaders du front civil des droits de l’homme, organisateur habituel des plus grandes manifestations.

La police a fait usage d’un canon à eau pour disperser des manifestants, et trente personnes ont été arrêtées pour violation de cette nouvelle législation, rassemblement illégal, refus d’obtempérer et possession d’armes, selon les forces de l’ordre. Le premier homme arrêté au motif de ce nouveau texte portait un drapeau avec les caractères « Hong Kong Independence ».

Avec déjà près de 10 000 arrestations en un an de protestation, de nombreux cas documentés d’abus par la police sur les personnes arrêtées, et à présent la menace de cette loi, il est probable que la majorité des Hongkongais choisissent la prudence en restant chez eux.

Les réactions internationales ont été virulentes, notamment en provenance des Etats-Unis. « La loi draconienne sur la sécurité nationale expose ce qui fait le plus peur à Pékin : la liberté de penser et d’agir des Hongkongais », a tweeté le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo. Le seul appui à cette loi draconienne et liberticide est venu de Cuba, qui, au nom de 52 autres pays, a proposé une motion de soutien à cette loi lors de l’ouverture de la 44e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève. A Causeway Bay, quartier très commerçant de l’île de Hongkong, quelques militants prochinois qui étendent régulièrement des pancartes vantant « le rêve chinois » en agitant le drapeau rouge aux 5 étoiles jaunes étaient un peu plus nombreux que d’habitude, mercredi après-midi, alors que le reste de Hongkong était en deuil.

1 juillet 2020

La Chine adopte une loi controversée sur la sécurité nationale à Hongkong

Le texte, dont le contenu n’a pas été révélé, a été adopté à l’unanimité selon la presse locale. Le Royaume-Uni, l’Union européenne et les Etats-Unis craignent qu’il ne serve d’instrument de répression des opposants politiques hongkongais.

Le Parlement chinois a adopté, mardi 30 juin, la loi controversée sur la sécurité nationale à Hongkong, ont annoncé des médias du territoire semi-autonome, faisant craindre une répression de toute opposition politique dans l’ex-colonie britannique. Le texte a été voté à Pékin, à l’unanimité, ont notamment affirmé, mardi matin, Now TV, RTHK et le South China Morning Post.

Cette loi, qui entend réprimer le « séparatisme », le « terrorisme », la « subversion » et la « collusion avec des forces extérieures et étrangères », vise à ramener la stabilité à Hongkong, après des manifestations monstres contre le pouvoir central en 2019. Les opposants redoutent qu’elle serve à museler toute dissidence et à enterrer la semi-autonomie et les libertés dont jouissent les habitants.

Ce texte, élaboré en seulement six semaines et dont le contenu n’est pas connu des près de 7,5 millions de Hongkongais, contourne le Conseil législatif local. Lors de sa conférence de presse hebdomadaire du mardi matin, la chef de l’exécutif local, Carrie Lam, a refusé de dire s’il a été effectivement adopté. « Je pense qu’en ce moment, il ne me revient pas de commenter les questions relatives à la loi sur la sécurité nationale », a déclaré Mme Lam.

Tensions attendues avec l’Europe et les Etats-Unis

Pour l’opposition pro-démocratie de Hongkong et pour plusieurs pays occidentaux dont les Etats-Unis, pour le G7 ou encore l’Union européenne (UE), cette loi est au contraire une attaque contre l’autonomie et les libertés du territoire. Washington a ainsi engagé, lundi, le retrait de privilèges commerciaux dont bénéficiait Hongkong en réponse au projet de loi sécuritaire préparé en Chine.

L’agence de presse officielle Chine Nouvelle devrait publier dans la journée des détails sur la loi sécuritaire, selon le South China Morning Post. Des représentants hongkongais doivent aussi se rendre à Pékin pour une réunion sur le sujet, a ajouté le journal. La loi entrera en application dès sa publication au Journal officiel de Hongkong, attendue sous peu.

1 juillet 2020

Décryptages - Kim Yo-jong, la « dame de fer » de Pyongyang

Kim Yo-jong

Par Philippe Pons

La sœur cadette de Kim Jong-un a mené l’offensive verbale contre la Corée du Sud dans un pays où les femmes, désormais forces vives de l’économie, pèsent d’un poids accru.

L’escalade fut aussi brutale que la désescalade soudaine. Après des attaques au vitriol du gouvernement sud-coréen puis le dynamitage du bureau de liaison intercoréen à Kaesong –ville nord-coréenne proche de la zone démilitarisée (DMZ) séparant les deux pays –, Kim Jong-un a renversé la vapeur en annonçant suspendre les actions militaires contre le Sud.

Le régime est coutumier de ces revirements tactiques qui permettent au dirigeant de donner l’image d’un homme imprévisible – et ainsi maître du jeu. Avec cette fois une particularité : l’offensive contre le Sud a été menée par Kim Yo-jong, sa sœur cadette, tandis que lui-même restait en retrait. Que signifie cette volte-face du régime ? Désaveu du dirigeant entamant l’autorité de sa plus proche collaboratrice ? L’hypothèse semble peu probable. D’une part, les actions militaires annoncées n’ont pas été annulées mais « suspendues » ; en outre, dans un système monolithique comme celui de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), une divergence au sommet ne serait pas tolérée. L’hypothèse d’une répartition des tâches semble plus probable.

Rondement menée, l’offensive a eu des effets : « Le dynamitage du bureau de liaison intercoréen a contraint le ministre de l’unification du Sud à démissionner et Séoul à prendre des mesures pour stopper les envois par des réfugiés à travers la DMZ de ballons avec des messages dénonçant le régime. Aller plus loin aurait été contre-productif, estime Cheong Seong-chang, de l’Institut Sejong à Séoul. Kim Yo-jong s’est montrée capable de mobiliser des hauts cadres et d’organiser des manifestations de masse. C’est à son crédit. »

Une évolution du régime

Signataire de diatribes contre le Sud, ridiculisant le président Moon Jae-in et menaçant de « représailles », publiées début juin dans Rodong Sinmun (organe du parti du travail), Kim Yo-jong est passée du rôle de plus proche collaboratrice de son frère à celui de « dame de fer » du régime.

Petite-fille de Kim Il-sung (1912-1994), elle appartient à la « glorieuse lignée du mont Paektu » – volcan éteint à la frontière avec la Chine, berceau de la guérilla antijaponaise dont le régime tire sa légitimité. Fondé sur cette lignée et une personnalisation exacerbée du pouvoir, le système nord-coréen exclut tout « numéro deux » : lorsqu’un membre de la famille émerge aux côtés du dirigeant en place, c’est qu’il est appelé à devenir le successeur en titre.

POUR LA PREMIÈRE FOIS DE SON HISTOIRE, LA DYNASTIE EST MENACÉE

Les héritiers doivent démontrer leur détermination par des actions d’éclat : on prête ainsi à Kim Jong-il d’avoir été l’instigateur de l’attentat à Rangoun en 1983 visant le général président du Sud Chon Too-hwan – dont celui-ci réchappa – et à son fils Kim Jong-un d’être à l’origine du naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan, coulée en 2010 en mer Jaune. L’offensive contre la Corée du Sud est le premier « fait d’armes » de Kim Yo-jong. Voir pour autant en elle la future dirigeante suprême est, pour l’instant, hasardeux. Sa nouvelle stature n’en marque pas moins une évolution du régime.

La disparition (inexpliquée) de Kim Jong-un en avril pourrait avoir rappelé au cercle dirigeant qu’une incapacité temporaire ou définitive de celui-ci n’est pas à exclure et qu’il est nécessaire qu’une voix incarnant la « lignée du mont Peaktu » puisse continuer à se faire entendre.

Pour la première fois de son histoire, la dynastie est menacée. Le ou les enfants de Kim Jong-un sont en bas âge ; le fils que Kim Il-sung eut avec sa seconde épouse a passé sa vie en semi-exil comme ambassadeur en Europe du Nord et est hors jeu ; Kim Jong-nam, fils de Kim Jong-il né de sa première compagne en titre, a été assassiné en 2017 à l’aéroport de Kuala Lumpur. Quant au frère aîné de Kim Jong-un, Kim Jong-chol, il ne semble pas taillé pour le pouvoir. Reste Kim Yo-jong.

Un caractère trempé

Bien que la RPDC se soit montrée progressiste sur le plan des principes (en accordant dès 1945 aux Coréennes l’égalité des droits), aucune femme n’est jamais apparue au premier plan. Nombreuses dans les instances du parti, les secteurs de l’éducation et de la santé, elles figurent rarement au sommet des hiérarchies. Et encore moins dans le cercle dirigeant.

Les seules femmes mises en avant et vénérées sont les épouses des dirigeants en tant que mères des héritiers. C’est le cas de la mère de Kim Jong-il, Kim Jong-suk (combattante au côté de Kim Il-sung et disparue en 1949), ou de Ko Yong-hui (morte en 2004), mère de Kim Jong-un. La seule éminence grise fut Kim Kyong-hui, sœur de Kim Jong-il. Occupant des fonctions sans grande importance dans le parti, elle fut surtout la confidente et conseillère de son frère. Gérant la fortune de la famille, elle servit l’ambition de son mari Jang Song-taek, avant de le laisser exécuter pour corruption en 2013. Agée et malade, elle n’a plus aucun poids.

La RPDC hérite d’une culture patriarcale qui a priori dessert Kim Yo-jong. Mais, même sous une dictature, les sociétés évoluent. Depuis la catastrophique famine de la seconde moitié des années 1990, les femmes se sont progressivement dégagées du statut discriminatoire de souche confucéenne sous un vernis socialiste dont elles sont victimes.

Les Coréennes ont un caractère trempé dont attestent la littérature et l’histoire. Elles l’ont prouvé au cours de ces « années noires » : alors que les hommes « aboyaient à la Lune », elles devinrent la cheville ouvrière des marchés noirs et, par la suite, de l’effervescence mercantile. Elles représentent aujourd’hui les forces vives de l’économie hybride, de facto de marché, à laquelle le pays doit un embryonnaire redressement.

« Les transformations socio-économiques ont eu un impact profond sur la place de la femme dans la société », estime la sociologue sud-coréenne Kyungja Jung. Une autonomie chère payée pour beaucoup, plus exposées par leurs activités aux sévices et violences des agents du régime, mais qui a aussi permis l’apparition de chefs d’entreprise riches et puissantes.

Les trentenaires de l’élite témoins de ces évolutions socio-économiques sont sans doute plus ouverts que la vieille garde à l’accession de femmes aux hautes sphères du pouvoir. Il reste à Kim Yo-jong à convaincre les « durs » du bureau politique qu’elle est de leur trempe.

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