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Jours tranquilles à Paris
13 novembre 2018

Les impacts psychologiques des attentats du 13-Novembre mesurés pour la première fois

Par François Béguin

Objectif de deux enquêtes publiées mardi : « mieux prévenir et soigner les conséquences négatives de tels événements ».

Trois ans après les attentats du 13 novembre 2015 qui ont causé la mort de 130 personnes à Paris et à Saint-Denis, deux études menées par Santé Publique France et l’université Paris-XIII révèlent pour la première fois l’ampleur des impacts psychologiques et des « troubles de santé post-traumatiques » causés par ces événements. Objectif de ces enquêtes publiées mardi 13 novembre : « mieux prévenir et soigner les conséquences négatives de tels événements » et « aider les institutions amenées à intervenir après un attentat à améliorer la prise en charge et la préparation de leur personnel ».

Entre juillet et novembre 2016, 526 personnes « civiles » diversement exposées aux attentats (hors personnel intervenant et soignant) ont répondu à un questionnaire mis en ligne par Santé Publique France. Ces volontaires ont été répartis en trois catégories : les témoins, les « menacés directs » et les « impliqués indirects », c’est-à-dire les proches de victimes. « En étant assez ouverte, la méthodologie de l’étude a permis d’attirer l’attention sur des populations un peu oubliées, comme les endeuillés et les témoins », relève le psychiatre Thierry Baubet, responsable de la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) de Seine-Saint-Denis (hôpital Avicenne, AP-HP) et co-investigateur principal de l’étude.

Moins d’un an après les attaques, plus de la moitié (53,6 %) de ceux qui ont été directement menacés lors des attentats et près d’un quart (24,9 %) de ceux qui en ont été témoins présentent les symptômes d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Un syndrome qui se manifeste par des pensées intrusives, des conduites d’évitement, des altérations cognitives et de l’humeur et qui peut avoir « de lourdes répercussions sur les relations familiales et sociales, les capacités de travail ainsi que sur la survenue de troubles addictifs, dépression, idées suicidaires et troubles somatiques ».

« Pourquoi les témoins directs ne suivent pas de soins »

Autre enseignement de l’étude, qui vient conforter les résultats d’une précédente enquête menée après les attentats de janviers 2015 : les proches de personnes décédées lors des attentats présentent un stress post-traumatique dans des proportions aussi élevées (53,9 %) que les personnes qui ont été directement menacées (53,6 %) par les terroristes. A 49,4 %, ces « endeuillés » présentent également des symptômes dépressifs. « Il y a chez ces personnes à la fois les complications du deuil et les complications du traumatisme, ce qui conduit à des tableaux cliniques complexes et des difficultés de prise en charge », souligne Thierry Baubet. « C’est un enjeu de santé publique de voir comment vont évoluer ces deuils compliqués qui peuvent créer un handicap social », ajoute Philippe Pirard, l’autre co-investigateur de l’enquête. A cette fin, une deuxième phase d’enquête doit être menée au premier semestre 2019.

Les coordonnateurs de l’étude se disent également frappés par les faibles pourcentages de personnes bénéficiant d’un suivi psychologique régulier parmi celles présentant un trouble de stress post-traumatique. Un tiers de celles qui ont été menacées (soit 27 personnes) et près des deux tiers de celles qui ont été témoins (soit 31 personnes) ne sont pas suivies. « Il y a un point d’alerte pour savoir pourquoi les témoins directs ne suivent pas de soins, estime Philippe Pirard. Est-ce parce qu’ils ne se sentent pas légitimes ? Parce qu’ils n’ont pas suffisamment d’information ? Il y a quelque chose à creuser de ce côté-là. »

L’étude révèle par ailleurs que parmi les répondants qui occupaient un emploi au moment de remplir le questionnaire, 56 % déclarent avoir eu un arrêt de travail après les attentats et « 5 % ne pouvaient pas retourner travailler au moment où elles ont rempli le questionnaire », sans préciser à ce stade davantage l’impact des attentats sur l’emploi et l’intégration sociale des personnes exposées.

L’impact psychologique chez les intervenants

Parallèlement à cette enquête, une autre étude s’est attachée à l’impact psychologique des attentats chez les intervenants. Huit à douze mois après les attaques, 3,5 % des pompiers de Paris qui étaient intervenus le 13 novembre et qui ont répondu au questionnaire ont développé un trouble de stress post-traumatique, 9,9 % des forces de l’ordre et 4,5 % des professionnels de santé.

Si les coordinateurs de l’étude pointent la difficulté d’évaluer la « représentativité » de cet échantillon de 698 personnes « au regard de la diversité et du nombre des intervenants amenés à travailler suite aux attentats du 13 novembre », ainsi que du « mode de recrutement » des répondants, ils établissent néanmoins un lien entre le trouble de stress post-traumatique et l’intensité d’exposition, la « non-préparation aux événements traumatogènes » et l’isolement social des intervenants les plus touchés.

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11 novembre 2018

« Les chefs d’Etat des démocraties doivent obtenir de Poutine qu’il s’engage à libérer le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov »

oleg

Par Collectif

Dans une lettre ouverte, un collectif demande aux leaders des démocraties d’intervenir pour la libération du cinéaste, en grève de la faim depuis le 14 mai, afin de faire connaître le sort des Ukrainiens indûment détenus en Russie. Face au silence du Kremlin, il est temps que les dirigeants européens se mobilisent, estiment-ils.

Lettre ouverte - Aux chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties

En 1980, Andreï Sakharov est exilé dans la ville fermée de Gorki pour avoir alerté le monde du danger que représentait l’Union soviétique (URSS). Assigné à résidence et surveillé en permanence par le KGB, il est coupé du monde durant plusieurs années, pendant lesquelles il effectuera deux grèves de la faim et sera torturé, intubé et nourri de force. Il faudra la Perestroïka (restructuration) et la Glasnost (transparence) en 1986, pour que Mikhaïl Gorbatchev mette fin à son exil et à son calvaire.

Cela n’empêche pas un autre dissident russe, Anatoli Martchenko, de mourir dans sa cellule la même année, le 8 décembre 1986, après onze ans d’emprisonnement et une grève de la faim de 117 jours. Son crime était d’avoir révélé dans un livre la réalité des camps de travail soviétiques. Il disait notamment : « La seule possibilité de lutter contre le mal et l’illégalité consiste à mon avis à connaître la vérité. »

Cette vérité a fissuré puis fait tomber les murs. L’URSS a laissé place à la Russie, l’Ukraine, la Géorgie, les Républiques baltes… Pourtant, c’est toujours pour les mêmes raisons que le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov a entamé une grève de la faim illimitée le 14 mai : Faire connaître la vérité, alerter le monde « libre ».

Disparu le 10 mai 2014

La vérité, c’est qu’au XXIe siècle, Oleg Sentsov, ce jeune cinéaste auteur d’un premier film repéré par les grands festivals européens de cinéma, père de deux enfants, a disparu le 10 mai 2014 alors qu’il sortait de chez lui, enlevé par les services secrets dans sa Crimée natale, ce morceau d’Ukraine que les Russes venaient brutalement d’annexer.

La vérité, c’est qu’il a été battu et torturé, emprisonné en Russie et condamné un an plus tard à vingt ans de prison, à la suite d’un procès dénoncé comme « stalinien » par l’ONG Amnesty International.

La vérité, c’est que près de soixante-dix autres Ukrainiens sont indûment détenus en Russie. La grande majorité d’entre eux viennent de Crimée, beaucoup sont Tatars, et ont été – comme Oleg Sentsov – enlevés et « nationalisés » de force pour pouvoir être condamnés et emprisonnés en Russie. Certains attendent toujours leur procès, les autres ont écopé de très lourdes peines de prison à « régime sévère », la plupart suite à des procès truqués, sur la foi de témoignages obtenus sous la torture. Des procès « pour l’exemple ».

Un courage inouï

Le monde a beau crier au scandale, les cinéastes et les intellectuels se mobiliser dans le monde entier, y compris en Russie avec les risques que cela comporte, Vladimir Poutine reste inflexible. Il faut dire que depuis vingt ans, il aura eu tout le temps de mesurer les faiblesses et les lâchetés des démocraties, qui lui ont laissé les mains libres en Tchétchénie puis en Géorgie, en Crimée, en Syrie…

Alors pourquoi reculerait-t-il si personne n’ose même le lui demander ?

Du fond de sa cellule, Oleg Sentsov a compris que les otages ukrainiens du Kremlin étaient seuls au monde. Il a alors décidé de reprendre son destin en main et n’ayant pour arme que son seul corps, de commencer une grève de la faim illimitée. Pour souligner un peu mieux encore la dimension politique de son action, il a demandé la libération de tous les prisonniers politiques ukrainiens détenus en Russie, sans demander la sienne.

Mais la portée de son geste, d’un courage inouï, va bien au-delà, puisqu’il oblige l’Europe et plus largement le monde à ne pas oublier l’Ukraine, la Crimée, le Donbass. Il nous alerte, comme l’avaient fait avant lui Martchenko et Sakharov à propos de l’URSS, sur les dangers que fait courir la Russie de Poutine à la démocratie et à ses valeurs : liberté, respect des peuples, paix…

Le Parlement européen ne s’y est pas trompé et, au citoyen d’honneur de la ville de Paris qu’Oleg Sentsov était déjà, il a décerné, le 23 octobre, le prix Sakharov, accompagné de la déclaration suivante : « Grâce à son courage et à sa détermination, et en mettant sa vie en danger, le réalisateur Oleg Sentsov est devenu un symbole de la lutte pour la libération des prisonniers politiques en Russie et dans le monde entier. En lui décernant le prix Sakharov, le Parlement européen lui exprime sa solidarité et soutient sa cause. Nous demandons sa libération immédiate. »

Cent chefs d’Etat

Nous attendons désormais que ce symbole fort qu’est le prix Sakharov se traduise en actes politiques.

Demain, à l’invitation du président de la République Emmanuel Macron, cent chefs d’Etat – dont Vladimir Poutine – seront réunis à Paris pour le centième anniversaire de l’armistice marquant la fin de la première guerre mondiale.

Alors que partout, les nationalismes reviennent en force, nous rappelant les heures les plus sombres du XXe siècle, nous exhortons les chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties à utiliser tous les moyens qui sont à leur disposition pour contraindre la Russie à respecter le droit international : réclamer une enquête au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, élargir les accords de Minsk pour permettre un échange de prisonniers dont Oleg Sentsov ferait partie, obtenir la condamnation de la Russie par la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’est déjà reconnue compétente pour juger cette affaire.

Si aucune de ces voies n’aboutit, il sera temps de voter une loi au niveau de l’Union européenne (UE) permettant de sanctionner les responsables du sort d’Oleg Sentsov. Une telle loi existe déjà dans plusieurs démocraties (Etats-Unis, Estonie, Lituanie, Royaume-Uni, Canada…), c’est la loi Magnitski – ainsi nommée en hommage à l’une des victimes du système prédateur mis en place par Vladimir Poutine. Il suffira que l’Europe l’adopte à son tour pour pouvoir sanctionner lourdement les bourreaux d’Oleg Sentsov et des autres otages ukrainiens.

Au 100e anniversaire de la fin de la première guerre mondiale, ce jour de paix entre les peuples, nous exhortons les chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties à obtenir de Vladimir Poutine qu’il s’engage à libérer immédiatement et sans condition Oleg Sentsov et les autres prisonniers politiques ukrainiens.

Qu’il les laisse rentrer chez eux.

[Une manifestation pour la libération d’Oleg Sentsov et des autres prisonniers politiques ukrainiens se déroulera place de la République à Paris, le 10 novembre, à partir de 18 h 30. A 20 heures, des personnalités prendront la parole, puis le documentaire d’Askold Kurov sur le procès d’Oleg Sentsov : Le Procès : L’Etat de Russie contre Oleg Sentsov sera projeté sur un écran géant place de la République.]

Les signataires :

Dominique Abel, cinéaste (Belgique)

Galia Ackerman, historienne (Russie)

Hala Alabdalla, cinéaste, (Syrie)

Darina Al Joundi, actrice, auteure (Syrie, Liban)

Anne Alvaro, comédienne

Marie Amachoukeli, cinéaste, co-présidente de la SRF

Mathieu Amalric, acteur et réalisateur

Jean-Pierre Améris, cinéaste

Arnold Antonin, cinéaste (Haïti)

Antoine Arjakovsky, historien.

Aïcha Arnaout, poète (Syrie)

Ariane Ascaride, comédienne

David Assouline, vice-président du Sénat

Yvan Attal, acteur et réalisateur

Jacques Audiard, cinéaste

Nabil Ayouch, cinéaste (France, Maroc)

Rakhshan Banietemad, cinéaste (Iran)

Xavier Beauvois, cinéaste

Lucas Belvaux, acteur et réalisateur

Caroline Benjo, productrice

Alain Besançon, historien, Membre de l’Institut

Julie Bertuccelli, cinéaste, présidente de la SCAM

Sophie Bessis, historienne (France, Tunisie)

Enki Bilal, dessinateur, cinéaste

Jane Birkin, actrice et chanteuse

Manuel Blanc, comédien

Alain Blum, historien et démographe

Bertrand Bonello, cinéaste, co-président de la SRF

Bong Joon-ho, cinéaste (Corée du Sud)

Jérôme Bonnell, cinéaste

Sylvain Bourmeau, journaliste

Frédéric Boyer, écrivain, éditeur

Guillaume Brac, cinéaste

Geneviève Brisac, écrivain

Pascal Bruckner, philosophe et écrivain

Fanny Burdino, scénariste

Robin Campillo, cinéaste

Laurent Cantet, cinéaste

Leos Carax, cinéaste

Emmanuel Carrère, écrivain

Joël Chapron, spécialiste du cinéma russe

Chad Chenouga, acteur et réalisateur

Evan Clarry, cinéaste, Qld Chapter Head Australian Director’s Guild (Australie)

Philippe Claudel, écrivain

François Cluzet, acteur

Clément Cogitore, cinéaste

Daniel Cohn-Bendit, homme politique

André Comte-Sponville, philosophe

Anne Consigny, comédienne

Antony Cordier, cinéaste

Catherine Corsini, cinéaste

Laurence Côte, comédienne

Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France

François Croquette, ambassadeur pour les droits de l’Homme

Jean-Pierre Dardenne, cinéaste (Belgique)

Luc Dardenne, cinéaste (Belgique)

Marie Darrieussecq, écrivaine

Françoise Daucé, politiste

Émilie Deleuze, cinéaste

Christophe Deloire, journaliste, secrétaire général de Reporters Sans Frontières

Marianne Denicourt, comédienne

Marie Desplechin, écrivaine

Antoine Desrosières, cinéaste

Lav Diaz, cinéaste (Philippines)

Souleymane Bachir Diagne, philosophe (Sénégal)

Alice Diop, cinéaste

Mati Diop, cinéaste (France, Sénégal)

Samuel Doux, scénariste

Olivier Ducastel et Jacques Martineau, cinéastes

Atom Egoyan, cinéaste (Canada)

Michel Eltchaninoff, philosophe, fondateur des Nouveaux Dissidents

Carolin Emcke, écrivaine

Annie Ernaux, écrivaine

Amat Escalante, cinéaste (Mexique)

Abbas Fahdel, cinéaste (Irak)

Didier Fassin, anthropologue

Eric Fassin, sociologue, Université Paris 8

Philippe Faucon, cinéaste

Victor Fainberg, dissident soviétique (URSS, France)

Léa Fehner, cinéaste

Pascale Ferran, cinéaste

Jean-Marc Ferry, philosophe

Emmanuel Finkiel, cinéaste

Carole Fives, écrivain

Stéphane Foenkinos, cinéaste

Marina Foïs, comédienne

Camille Fontaine, cinéaste

Dan Franck, écrivain

Denis Freyd, producteur

Harald Fried, cinéaste (Autriche)

William Friedkin, cinéaste (États-Unis)

Jean-Michel Frodon, journaliste, enseignant

Nicole Garcia, comédienne, cinéaste

Louis Garrel, acteur et réalisateur

François Gedigier, chef monteur

Sylvain George, cinéaste

Thomas Gilou, cinéaste

Christophe Girard, adjoint à la Maire de Paris, en charge de la Culture

Arlette Girardot, réalisatrice documentaire

Amos Gitai, cinéaste (Israël)

Raphaël Glucksmann, essayiste

Agnès Godard,A directrice de la photographie

Jean-Luc Godard, cinéaste

Fabienne Godet, cinéaste

Miguel Gomez, cinéaste (Portugal)

Yann Gonzalez, cinéaste

Thorniké Gordadzé, universitaire, ancien ministre pour l’intégration européenne de la République de Géorgie

Fiona Gordon, cinéaste (Canada, Australie, Belgique)

Alexandra Goujon, politiste

Romain Goupil, cinéaste

Anne-Marie Goussard, consul honoraire de Lituanie

Joana Hadjithomas, cinéaste (Liban)

Rachid Hami, cinéaste

Benoît Hamon, fondateur de génération.s

Michel Hazanavicius, cinéaste

Lucile Hadzihalilovic, cinéaste

Jean Hatzfeld, journaliste

Anne Hidalgo, Maire de Paris

Christoph Hochhäusler, cinéaste (Allemagne)

Marie Holzman, sinologue

Axel Honneth, philosophe

Eva Illouz, philosophe

Irène Jacob, comédienne

Naïssam Jalal, flutiste et compositrice (Syrie, France)

Agnès Jaoui, actrice et réalisatrice

Thomas Jenkoe, réalisateur

Kamen Kalev, cinéaste (Bulgarie)

Aurélia Kalisky, chercheuse en littérature

Sam Karmann, acteur et réalisateur

Irena Karpa, écrivaine et chanteuse

Reda Kateb, comédien

Aki Kaurismaki, cinéaste (Finlande)

Benjamin Kedar, historien

Maylis de Kerangal, écrivain

Lodge Kerrigan, cinéaste (États-Unis)

Farhad Khosrokhavar, sociologue

Cédric Klapisch, cinéaste

Héléna Klotz, cinéaste

Nicolas Klotz, cinéaste

Patrick Klugman, adjoint à la Maire de Paris, en charge des relations Internationales

Jan Kounen, cinéaste

Gérard Krawczyk, cinéaste

Nathalie Kuperman, écrivaine

Geoffroy de Lagasnerie, philosophe

Marion Laine, cinéaste

Isabelle de La Patellière, agent artistique

Paul Laverty, scénariste et réalisateur (Grande Bretagne)

Mike Leigh, cinéaste (Grande Bretagne

Pierre Lemaitre, écrivain

Serge Le Peron, cinéaste et enseignant

Diego Lerman, cinéaste (Argentine)

Sébastien Lifshitz, cinéaste

Pierre Linhart, scénariste

Jonathan Littell, écrivain

Jean-Louis Livi, producteur

Anne Loiret, comédienne

Édouard Louis, écrivain

Sergueï Loznitsa, cinéaste (Ukraine)

Gilles Marchand, cinéaste

Oleksandra Matviychuk, human rights defender (Ukraine)

Patricia Mazuy, cinéaste

Jiří Menzel, cinéaste (République Tchèque)

Agnès Merlet, cinéaste

Olivier Meyrou, cinéaste

Anne-Marie Miéville, cinéaste (Suisse)

Radu Mihaileanu, cinéaste, président de l’ARP

Jonathan Millet, cinéast

Ariane Mnouchkine, metteur en scène de théâtre, animatrice et fondatrice du Théâtre du Soleil

Avi Mograbi, cinéaste (Israël)

Ossama Mohammed, cinéaste (Syrie)

Dominik Moll, cinéaste

Sarah Moon, photographe

Eleonore Morel, directrice générale de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH)

Richard Moyon, co-fondateur du RESF

Aurore Mréjen, docteur en philosophie, chercheuse au LSCP

Cristian Mungiu, cinéaste (Roumanie)

Safy Nebbou, cinéaste

Orwa Nyrobia, cinéaste (Syrie), directeur artistique du Festival du Documentaire d’Amsterdam

Michel Ocelot, cinéaste

Rithy Panh, cinéaste (Cambodge, France)

Benoît Peeters, écrivain et scénariste

Elisabeth Perceval, cinéaste

Thierry de Peretti, cinéaste

Nicolas Philibert, cinéaste

Corneliu Porumboiu, cinéaste (Roumanie)

Mathieu Potte-Bonneville, philosophe

Olivier Pourriol, philosophe

Valérie Pozner, historienne

Martin Provost, cinéaste

Katell Quillévéré, cinéaste

Lynn Ramsay, cinéaste (Grande Bretagne)

Aude Léa Rapin, cinéaste

Jean-Paul Rappeneau, cinéaste

Carlos Reygadas, cinéaste (Mexique)

Jaime Rosales, cinéaste (Espagne)

Brigitte Rouan, actrice et réalisatrice

Maxime Rovère, philosophe

Christophe Ruggia, cinéaste, co-président de la SRF

Nicolas Saada, cinéaste

Ira Sachs, cinéaste (États-unis)

Malik Salemkour, Président de la Ligue des Droits de l’Homme

Walter Salles, cinéaste (Brésil)

Céline Sallette, comédienne

Pierre Salvadori, cinéaste

Jean-Marc Schick, mixeur

Pierre Schoeller, cinéaste

Carole Scotta, productrice

Claire Simon, cinéaste

Abderrahmane Sissako, cinéaste (Mauritanie)

Marie-Claude Slick, journaliste

Juan Solanas, cinéaste (Argentine)

Salomé Stevenin, actrice et réalisatrice

Bernard Stiegler, philosophe

Jan Svěrák, cinéaste (République tchèque)

Abdellah Taïa, écrivain et cinéaste (Maroc)

Bertrand Tavernier, cinéaste

Éric Toledano, cinéaste

Agnès Tricoire, déléguée générale de l’Observatoire de la Liberté de Création et avocate

Joachim Trier, cinéaste (Norvège)

Justine Triet, cinéaste

Michel Tubiana, Président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme

Andrei Ujica, cinéaste (Roumanie)

Petr Vaclav, cinéaste (République tchèque, France)

Cécile Vaissié, slaviste et historienne

Jaco Van Dormael, cinéaste (Belgique)

Karin Viard, comédienne

Delphine de Vigan, écrivaine

Vanina Vignal, cinéaste

Anne Villacèque, cinéaste

Denis Villeneuve, cinéaste (Canada)

Marina Vlady, comédienne

Sophie Wahnich, historienne

Régis Wargnier, cinéaste

Apichatpong Weerasethakul, cinéaste (Thaïlande)

Wim Wenders, cinéaste (Allemagne)

Nicolas Werth, historien

Anne-Frédérique Widmann, réalisatrice documentaire (Suisse)

Frédérick Wiseman, cinéaste (États-Unis)

Francis Wolff, philosophe

Thierry Wolton, historien

Frédéric Worms, philosophe

Slavoj Zizek, philosophe (Slovénie)

AndreI Zvyagintsev, cinéaste (Russie)

7 novembre 2018

Et François Hollande en remet une couche....

7 novembre 2018

Le prix Femina pour Philippe Lançon et son livre « Le Lambeau »

Le journaliste Philippe Lançon, rescapé de l'attentat de Charlie Hebdo, a livré le récit de sa reconstruction dans "Le lambeau". Ce roman a été couronné, ce 5 novembre peu avant 13 heures, par le prix Femina. L'auteur est venu à cette occasion, première apparition publique, devant des journalistes, depuis les attentats de 2015.

lancon

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Par Jean Birnbaum

L’ouvrage revient sur l’attentat de « Charlie Hebdo » et raconte la lente reconstruction de l’auteur après sa grave blessure au visage.

Le prix Femina a été attribué au livre Le Lambeau de Philippe Lançon (Gallimard), lundi 5 novembre. A partir du moment où les jurées avaient placé cet ouvrage, sans aucun doute le texte le plus remarqué et célébré de l’année, dans leur dernière sélection, et sachant que le calendrier fait cette année du Femina le premier des grands prix littéraires attribués (deux jours avant le Renaudot, qui le comptait aussi parmi ses finalistes), il semblait peu probable que Le Lambeau ne soit pas le lauréat.

lambeau

C’est un grand texte qui se voit ainsi couronné. Un livre magistral, revenu d’entre les morts. Publié au printemps, un peu plus de trois ans après l’attentat de Charlie Hebdo, où Philippe Lançon a été défiguré, la mâchoire emportée par une balle, Le Lambeau raconte comment ­ « celui qui n’était pas tout à fait mort » doit cohabiter avec « celui qui allait devoir survivre ».

Un brûlant journal de deuil

Tentant de maintenir un lien avec le monde des vivants, décrivant cette béance, tout en racontant son parcours médical vers la reconstruction, Lançon hisse chaque évocation intime au niveau d’une méditation universelle sur notre temps, nos aveuglements : sa plume nous en met plein la gueule ; son visage défait exhibe tout ce que nous ne voulons pas regarder en face ; sa lucidité est une fidélité à l’enfant qu’il fut ; ses souvenirs d’enfance ressemblent déjà à nos souvenirs de guerre. C’est ce brûlant journal de deuil que les jurées du Femina ont récompensé.

Les autres romans en lice pour le Femina étaient Arcadie, d’Emmanuelle Bayamack-Tam (P.O.L), Trois enfants du tumulte, d’Yves Bichet (Mercure de France), Frère d’âme, de David Diop (Seuil), François, portrait d’un absent, de Michaël Ferrier (Gallimard), Idiotie, de Pierre Guyotat (Grasset) et Roissy, de Tiffany Tavernier (Sabine Wespieser).

Pierre Guyotat a reçu un prix Femina spécial pour l’ensemble de son œuvre. Le Femina étranger a été attribué à La Neuvième Heure, d’Alice Mc Dermott (Quai Voltaire), traduit par Cécile Arnaud, et le Femina essai à Gaspard de la nuit, d’Elisabeth de Fontenay (Stock).

5 novembre 2018

La lettre politique de Laurent Joffrin - Asia Bibi, martyr de la charia

Le 14 juin 2009, Asia Bibi, 47 ans, une ouvrière agricole du village de Ittan Wali, dans la province du Pendjab au Pakistan, travaille dans un champ à la collecte de baies falsa. Deux femmes lui demandent de l’eau pour étancher leur soif. Elle va chercher un gobelet dans un puits voisin, en boit une gorgée, puis tend le récipient à ses deux compagnes. L’une d’elles refuse d’en boire : Asia Bibi est chrétienne, elle a donc «souillé» l’eau d’un puits réservé aux musulmans. La jeune ouvrière répond que le prophète Mahomet ne serait sans doute pas d’accord avec elle. L’affaire en reste là, mais la jeune femme ne sait pas encore que cette réponse, pourtant bienveillante envers le prophète, va la jeter dans un enfer.

Un imam, Qari Salam, se rend au commissariat pour dénoncer «un blasphème» commis par Asia Bibi. Depuis 1986, le Pakistan a renforcé ses lois contre le blasphème anti-musulman. L’ouvrière est arrêtée, mise en prison puis traduite devant un tribunal qui la condamne à mort par pendaison. Elle fait appel, tandis que les intégristes manifestent en masse pour exiger son exécution. Ceux-ci ajoutent que quiconque se rangera à ses côtés sera assassiné : la sentence est confirmée. Asia Bibi se pourvoit en cassation. Cette fois, la Cour suprême, dans un sursaut de bon sens, prononce l’acquittement. Aussitôt des foules haineuses se répandent dans les villes du Pakistan pour dénoncer la décision. Après avoir un temps résisté, les autorités passent un compromis avec les fanatiques : Asia Bibi reste en prison et une demande de révision sera examinée, dont le but est évidemment de confirmer la condamnation à la pendaison.

Menacé de mort, sans protection policière, son avocat a décidé de quitter le pays. Tout aussi menacée, sa famille a demandé l’asile à l’étranger, sans résultat pour l’instant. Ces menaces n’ont rien de factice : en 2010, le gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, qui avait pris la défense d’Asia Bibi, a été assassiné, tout comme le ministre fédéral des minorités religieuses, le catholique Shahbaz Bhatti.

Asia Bibi attend maintenant la décision judiciaire, isolée dans une petite cellule, menacée par ses codétenus et même par certains gardiens. Devant cette flambée d’intolérance moyenâgeuse, les autorités pakistanaises résistent tant bien que mal, manifestement dépassées par les menaces répétées des fondamentalistes. Aucune exécution pour blasphème n’a encore été pratiquée au Pakistan, alors même que les condamnations sont nombreuses. C’est contre cette indulgence, à leurs yeux insupportable, que les fanatiques manifestent en masse, donnant à cette occasion une image désastreuse de la religion musulmane.

Le 1er juillet 1776, à Abbeville, le chevalier de la Barre, un jeune homme de 20 ans, fut exécuté pour blasphème, sur la base d’accusations tout aussi nébuleuses. Voltaire prit sa défense post-mortem et le chevalier fut réhabilité pendant la Révolution, au moment où la loi sur le blasphème était annulée. C’était il y a plus de deux siècles…

LAURENT JOFFRIN

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18 octobre 2018

Ce que révèle la fascination pour les sexualités « exotiques »

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

On l’a vu avec #meetoo, le désir n’est pas toujours un compliment. L’heure est aujourd’hui aussi à la dénonciation des stéréotypes (étalon noir, Chinois raffiné…). Un imaginaire raciste qui raconte, selon notre chroniqueuse Maïa Mazaurette, la tragique absence de culture sexuelle européenne. Mais il n’est jamais trop tard pour changer.

A l’époque où j’ai grandi, l’érotisation des corps « exotiques » ne se questionnait même pas : j’avais le choix entre le sensuel Amant chinois de Duras, les lycéens japonais des mangas, les beaux Indiens des westerns, la musique de Prince, les pectoraux de Sayid dans « Lost », les mots troublants de Césaire au programme du bac : « Et ce ne sont pas seulement les bouches qui chantent, mais les mains, mais les pieds, mais les fesses, mais les sexes, et la créature tout entière qui se liquéfie en sons, voix et rythme »…

Les Blancs non seulement clamaient leur attirance pour les non-Blancs, mais souhaitaient les épingler à leur tableau de chasse sexuel (une fascinante version humaine du safari). Il fallait avoir « essayé » un Noir comme on essaierait un chemisier ou la tarte flambée. L’angélisme des générations antérieures, passées parfois par les colonies, était encore plus flagrant (« ces gens sont formidables »). Indifférents à leur propre couleur, les Occidentaux réduisaient ces partenaires sexuels à leur peau… et demandaient, en plus, qu’on leur donne des médailles du mérite. Etre antiraciste, c’était ça.

En 2018, cette vision unilatérale du monde, ces bons sentiments, ne sont plus acceptables. On l’a vu avec le mouvement #metoo : le désir n’est pas toujours un compliment. Il peut même être un mauvais traitement.

En l’occurrence, les personnes racisées en ont ras-le-bol de la fascination des Blancs qui les assigne à des stéréotypes : l’étalon noir et sa tigresse, le Chinois raffiné, le Japonais pervers, les Maghrébins chauds comme la braise, les femmes asiatiques forcément soumises… Cette exaspération s’exprime sur Twitter (#jenesuispastanegresse, #misogynoir), dans des livres (La Légende du sexe surdimensionné des Noirs, par Serge Bilé), dans des podcasts comme le Tchip sur Arteradio ou Code Switch sur NPR). Cette lassitude se heurte à la confusion des antiracistes d’hier : peut-on être un mauvais allié quand on couche hors-sol ? Très manifestement, oui.

Hiérarchie du désir

D’ailleurs, ce désir se traduit-il réellement dans les faits ? En 2014, le site de rencontres OkCupid révélait que les femmes noires et les hommes asiatiques avaient beaucoup moins de succès que les autres (ils recevaient 15 % ou 20 % moins de messages), tandis que les hommes blancs et les femmes asiatiques étaient particulièrement recherchés. Ces chiffres ont été confirmés par l’analyse de données Facebook de 2013. Cette hiérarchie du désir se traduit dans les unions : en France, 14 % des mariages sont mixtes (Ined, 2015), dont un quart implique deux partenaires européens. Traduction : neuf fois sur dix, on finit par se caser dans sa propre « couleur ». La fétichisation des minorités se double donc d’un maintien des distances de « sécurité » qui rappelle les mots de Freud : « Là, où ils aiment, ils ne désirent pas et là où ils désirent, ils ne peuvent aimer. »

On objectera qu’il est naturel d’avoir des préférences, ou d’avoir un type. Sauf que le regard se forme culturellement, et peut en conséquence être déconstruit, reconstruit et augmenté. Le fait de reconnaître plus facilement les visages des personnes appartenant à sa propre ethnie s’appelle le cross-race effect. Ce biais cognitif influe sur nos capacités à individualiser les minorités, à comprendre leurs émotions et in fine, à les désirer. L’histoire ne s’arrête heureusement pas là. En s’exposant à d’autres visages, on apprend à les intégrer à son univers mental. Les préférences peuvent donc être questionnées : nous n’en sommes pas victimes.

La fascination occidentale s’exporte en outre dans le domaine de pratiques sexuelles spécifiques : le bondage au Japon, le twerking des filles des cités qui savent bouger des fesses (comme chacun sait), le kunyaza du Rwanda, le Kamasutra et le tantra de l’Inde, les harems des Arabes, l’innocence des Indo-Américains…

Autant de projections qui alimentent l’essai Sexe, race & colonies, paru en septembre aux éditions La Découverte sous la direction de Pascal Blanchard – et dont les choix esthétiques (1 200 illustrations) ont fait débat (montrer ou ne pas montrer ?). On peut y lire : « Le corps de l’“Autre” est pensé simultanément comme symbole d’innocence et de dépravations multiples : un corps qui excite autant qu’il effraie. Dans ce contexte, les femmes “indigènes” sont ainsi revêtues d’une innocence sexuelle qui les conduit avec constance au “péché” ou à une “dépravation sexuelle atavique” liée à leur “race” : tout ceci confortant la position conquérante et dominante et du maître et du colonisateur. »

Le point de vue du colonisateur

Position conquérante ? Certainement. Position dominante ? Pas de manière unilatérale, d’autant que le temps des colonies est passé, en transformant les codes de la performance ou de la beauté : la pornographie vante les prouesses des Noirs, la pop culture tombe sous le charme de la minceur et la lisseté « naturelles » des Asiatiques. Car l’étrange contrepoint de ces clichés, c’est qu’« ils » (les Noirs, les Arabes, les « autres ») sont mieux membrés que les Blancs, plus musclés, plus performants, et qu’« elles » sont plus fermes que les Blanches, plus douces, meilleures coucheuses, plus soumises, moins soumises. (Le point de vue adopté est celui du colonisateur : les vainqueurs écrivent l’histoire, ils écrivent aussi le désir.)

Outre cette persistante tendance à imaginer que l’herbe soit plus verte dans le champ (de coton) du voisin, cette idéalisation en dit long sur les angles morts de la blanchité. Elle projette en effet, en creux, le reflet inversé d’un quotidien perçu comme médiocre : une sexualité trop ennuyeuse, trop réprimée, des corps trop couverts, des voyeurismes impossibles, des fétichismes inassumables, des vierges pas assez vierges, des homosexualités, bisexualités ou transexualités trop difficiles à vivre…

Cet imaginaire raciste renvoie à une tragique absence de culture sexuelle européenne : sous les stéréotypes, le roi est nu. Car du côté de l’héritage érotique occidental… ce n’est pas exactement Byzance. Les compétences « de souche » se réduisent de prime abord au missionnaire, au tout-pornographique et à la honte. La grande invention restera la ceinture de chasteté (bon, d’accord, et le vibrateur).

Cette admiration pour les corps et sexualités « exotiques » enferme en outre les Blancs dans le rôle de novices impuissants, d’amants essentiellement incapables, attendant d’être initiés par un sombre inconnu. Quitte à se délester de tout sens de l’initiative. Quitte à créer une nouvelle charge pour les racisés : celle d’alimenter les fantasmes et la formation sexuelle de la classe dominante (sans oublier de remercier les Blancs de leur généreux intérêt). Cette déresponsabilisation est une lâcheté et une paresse : rien n’empêche aux Occidentaux d’apprendre par eux-mêmes de nouvelles formes d’érotisme et de nouvelles pratiques.

On ne peut pas réduire les minorités à leur peau sans se réduire soi-même : sortir des stéréotypes anciens ou contemporains, c’est augmenter le champ de tous les possibles. Si le sexe est politique, comment ne pas s’enthousiasmer pour ce programme-ci ?

13 octobre 2018

MIGRATION is NOT a crime !

migration

11 octobre 2018

Immigration en Europe - Laurent Gaudé : « L’“Aquarius” est notre Antigone »

Par Laurent Gaudé, écrivain

Dans une tribune au « Monde », l’écrivain estime que le navire humanitaire nous rappelle qu’il existe des lois non écrites qu’on ne peut oublier sans se perdre soi-même.

Il en est malheureusement souvent ainsi : à défaut de trouver une solution à un problème complexe, on cherche à le rendre invisible. Mais faire disparaître n’est pas résoudre. Le phénomène migratoire de ces dernières années a ouvert une crise profonde en Europe, à ce jour irrésolue. Une fracture se dessine entre les pays favorables à une politique résolument intransigeante et des gouvernements plus ouverts mais terrifiés par l’impact que pourrait avoir un discours conciliant sur leurs électeurs.

D’un côté, la haine, de l’autre, la prudence. Dans ce contexte de confusion politique, une initiative civile est venue apporter une réponse à la crise humanitaire qui se joue en Méditerranée. Elle est modeste. Elle est fragile. Elle fait ce qu’elle peut. Mais elle a du sens et, surtout, elle sauve des vies. L’Aquarius est notre Antigone. Le bateau humanitaire nous rappelle qu’il existe des lois non écrites, vieilles comme l’humanité, qu’on ne peut oublier sans se perdre soi-même. Ne pas laisser mourir quelqu’un en mer est l’une de ces lois.

Errance humanitaire

Au début de son action, l’Aquarius a été loué. Puis, au fur et à mesure que passaient les mois, de plus en plus critiqué. Le bras de fer s’est durci avec l’arrivée du chef de file de la Ligue (extrême droite) Matteo Salvini au gouvernement de l’Italie. Le ministre de l’intérieur transalpin a commencé par lui refuser l’accès aux ports du pays, créant ainsi les conditions scandaleuses d’une errance humanitaire.

Depuis cet été, une nouvelle stratégie est apparue. En août, l’Aquarius a perdu le pavillon de Gibraltar. Il a dû trouver une solution pour pouvoir continuer sa mission : le pavillon panaméen. Mais, rebondissement, en septembre, le Panama, à son tour, déclare qu’il a l’intention de retirer au navire son pavillon.

Pourquoi donc ? Qu’est-ce qui a provoqué ce revirement ? 23 % de la flotte de la marine marchande mondiale bat pavillon panaméen. Qu’est-ce qui fait que, aujourd’hui, l’Aquarius en devient indigne ? Rien, si ce n’est la politique. La stratégie est simple : on cherche à couler l’Aquarius en l’immobilisant.

Aucun soutien politique

Que le bateau humanitaire soit devenu un enjeu politique n’est guère surprenant. Il incarne aujourd’hui – à son corps défendant – la paralysie européenne face au phénomène migratoire et est devenu, au fil des ans, la mouche du coche.

Régulièrement, après avoir sauvé des vies, il revient vers les côtes européennes avec toujours la même question : où accoster ? Et qui pour accueillir les migrants ? Plus le temps passe, plus la question énerve. On comprend bien pourquoi l’Europe du premier ministre hongrois Viktor Orban et de Matteo Salvini est résolument contre l’action du bateau.

Mais ce qui est plus surprenant, c’est le silence un peu gêné des autres pays européens. Qui a offert de venir en aide à l’Aquarius ? Personne. Aucun soutien politique clair de la part d’un gouvernement. A tel point que l’on peut se demander si l’Europe n’est pas secrètement soulagée de voir Matteo Salvini venir à bout du navire. Sauf qu’en politique les silences coupables ont des conséquences.

Si demain l’Aquarius ne retrouve pas de pavillon, le silence tombera sur la Méditerranée. Est-ce que les migrants cesseront pour autant de tenter la traversée ? Non. Mais il n’y aura plus d’yeux pour les voir. Leur destin sera libyen. Car c’est bien les gardes-côtes libyens qui s’occuperont des secours. Et tout deviendra plus opaque, pour ainsi dire, invisible.

Une cécité confortable

Voulons-nous d’une Europe dont la seule ambition est de construire les conditions d’une cécité confortable ? D’une Europe qui, lorsqu’elle ne parvient pas à prendre à bras-le-corps un problème, organise les moyens de l’éloigner en le sous-traitant ?

A la veille des élections européennes, ce qui aurait du sens pour redonner un peu de contenu au projet européen, c’est qu’un des pays de l’Union européenne (UE) donne son pavillon à l’Aquarius. Ou mieux que l’Europe, en tant qu’institution, le fasse ! Elle dirait alors clairement que, même si elle n’a pas encore trouvé les moyens politiques de faire face à ce phénomène, même si elle connaît des tensions intérieures violentes, elle ne peut envisager de renoncer à son humanisme.

Si rien n’est fait, l’Aquarius sera contraint de rester à quai, dans le port de Marseille, et ce sera un camouflet scandaleux pour l’Europe que nous aimons, une défaite profonde face aux populismes qui bombent le torse.

Il n’y a pas de raison de taire notre colère face à la politique de MM. Salvini et Orban parce que les décisions qu’ils prennent influent sur notre Europe. Il n’y a pas de raison de ne pas rappeler à nos hommes politiques que l’opposition face à cette droite populiste passe aussi par l’Aquarius. Ne laissons pas le pavillon de l’indifférence flotter en Méditerranée. Ne laissons pas s’installer en nous la défaite de l’esprit.

Laurent Gaudé est lauréat du prix Goncourt 2004 pour son roman « Le Soleil des Scorta » (Actes Sud). Il vient de faire paraître « Salina, les trois exils » (Actes Sud, 160 pages, 16,80 €)

11 octobre 2018

La destruction, une « passion créatrice » chez Banksy

Par Emmanuelle Jardonnet - Le Monde

Sabotée lors de sa vente chez Sotheby’s, vendredi 5 octobre, une œuvre du street-artiste britannique est aussitôt devenue iconique.

Cela fait une petite quinzaine d’années que Banksy repousse les frontières d’une discipline, le street art, dont il est la figure tutélaire, tout en réussissant à maintenir le mystère sur son identité. Le natif de Bristol (Royaume-Uni) – c’est l’une des seules certitudes sur ses origines – a une fois de plus réussi à prendre tout le monde de court, vendredi 5 octobre, avec une scène surréaliste.

En pleine semaine de Frieze, la foire d’art contemporain londonienne, Sotheby’s Londres organisait dans la soirée une vente, dont l’ultime lot était un Banksy : une version originale de son iconique Girl with Balloon estimée entre 230 000 et 340 000 euros. Elle est venue confirmer la bonne santé de la cote de l’artiste, puisqu’elle s’est envolée, à l’image du ballon rouge en forme de cœur qui s’échappe des mains de la fillette, à plus de 1,04 million de livres (près de 1,2 million d’euros).

Mais, le dernier coup de marteau frappé, l’affaire a pris un tour inattendu : une alarme s’est déclenchée et l’œuvre est sortie de son cadre par le bas à travers une broyeuse à papier, se découpant pour moitié en lamelles.

« Going, Going, Gone »

La stupeur dans la salle a immédiatement été relayée sur les réseaux sociaux, où photos et vidéos sont devenues virales. Quelques heures plus tard, Banksy lui-même revendiquait le sabotage avec un cliché accompagné d’un commentaire ironique : « Going, Going, Gone », l’équivalent anglais d’« adjugé, vendu ».

Mieux, dès le lendemain, l’artiste postait sur son site une petite vidéo d’explication (qui affiche près de 10 millions de vues sur Instagram), où il affirme qu’il y a « quelques années », il a « construit une broyeuse en secret » dans le cadre de cette œuvre, « au cas où elle serait vendue aux enchères ». Le texte se superpose aux images d’un homme insérant l’appareil sur mesure derrière les dorures. Sur son compte Instagram, il cite Picasso au passage, en légende : « La passion de la destruction est en même temps une passion créatrice. » Une formulation qu’il a ironiquement appliquée à la lettre.

Dans la foulée de l’incident, une journaliste de The Art Newspaper a pu recueillir la réaction à chaud d’Alex Branczik, le directeur européen de Sotheby’s pour l’art contemporain, qui a assuré n’avoir pas été averti du canular. « Nous venons de nous faire “bankser” », a-t-il déclaré, ajoutant : « Ce soir, nous avons eu un aperçu du génie de Banksy. » Selon lui, l’œuvre cisaillée pouvait avoir pris « plus de valeur » après cet épisode inédit.

Toujours cité par The Art Newspaper, Sotheby’s a déclaré : « Nous avons parlé à l’acquéreur, qui a été surpris par l’histoire. Nous sommes en discussion pour la suite. » La maison de ventes évoque le changement de statut de l’œuvre, qui n’est plus une peinture, mais la trace d’un sabotage du marché de l’art.

« Positionnement anti-système »

Sur la vidéo diffusée par Banksy, on voit les réactions estomaquées de l’équipe de Sotheby’s comme celles du public. On y aperçoit notamment le commissaire-priseur, Olivier Fau, de Sotheby’s Paris, au téléphone avec l’acquéreur, qui se retourne et sursaute, bouche bée. La maison de ventes a décliné la demande du Monde de revenir avec lui sur l’événement.

Arnaud Oliveux, commissaire-priseur chez Artcurial et spécialiste d’art urbain, est lui aussi régulièrement amené à vendre des œuvres de Banksy – ce sera d’ailleurs le cas lors de la vente d’Artcurial du 24 octobre, avec trois sérigraphies. Il a suivi avec beaucoup d’intérêt la vente comme le happening. « Je venais de poster le résultat de cette vente quand j’ai vu passer les premières vidéos sur les réseaux sociaux », raconte le professionnel, qui estime que « l’information s’est diffusée d’une façon exceptionnellement puissante ».

Malgré toute la théâtralité de la scène, qui semble réglée comme du papier à musique, il considère que ses confrères de Sotheby’s ne devaient effectivement pas être au courant : « S’ils l’étaient, la démarche de l’artiste serait moins forte, et vu son positionnement anti-système, je ne le vois pas entrer dans une collaboration avec une maison de ventes, lui qui a toujours fait des pieds de nez à l’institution en général, et au marché en particulier. Par ailleurs, quand on voit la surprise sur les visages des équipes de Sotheby’s, on n’imagine pas qu’ils puissent faire semblant. »

Il souligne au passage l’une des ambiguïtés de ce « coup d’éclat » : « Banksy critique la spéculation du marché, et en même temps, cette œuvre à moitié détruite devient iconique. Et, même s’il ne touche rien sur cette vente, il participe finalement à la spéculation en gagnant en notoriété. D’ailleurs, l’œuvre n’est pas broyée, elle reste très lisible, elle est simplement transformée en une nouvelle œuvre, presque une sculpture. Mais si le prix s’envole par la suite, il pourra dire : vous voyez, les spéculateurs n’ont pas de limites, ils enchérissent sur une œuvre détruite. Quoi qu’il en soit, cette pièce, qui cumule deux interventions de l’artiste, est entrée dans l’histoire de l’art : tout le monde l’a vue, et on en parlera longtemps. Je suppose qu’elle sera empruntée pour des expositions. »

Le mystère reste entier

Selon le commissaire-priseur, certaines zones d’ombre demeurent sur les conditions de ce coup de maître. Parmi lesquelles la question de la non-détection par la maison de vente du système de broyeuse inséré : « Le cadre fait partie intégrante de l’œuvre de Banksy. Ce sont souvent, comme c’est ici le cas, de gros cadres dorés rococo qui évoquent des tableaux anciens, et jouent sur le décalage avec les pochoirs. Lors du rapport de condition des œuvres, avant une vente, celles-ci sont auscultées. Quand une œuvre est encadrée, il arrive qu’on la décadre. Il faudrait voir le dos du tableau : s’il est scellé, cela expliquerait qu’il n’ait pas été ouvert. » Mais le plus étonnant, selon lui, est la présence de la fente par laquelle le papier est sorti : « Elle aurait pu être repérée. Y avait-il un clapet fermé qui s’est ouvert ? »

On peut également se demander depuis quand le cadre a été piégé. Selon le catalogue, l’œuvre, qui reprend un graffiti peint dans les rues de Londres en 2002, avait été offerte par l’artiste en 2006. « Difficile d’imaginer que ce système artisanal installé dans le cadre ait pu fonctionner et être déclenché à distance douze ans après avoir été installé. Il y a plus de chances que le vendeur anonyme soit dans le coup que Sotheby’s », estime Arnaud Oliveux.

Autre interrogation : comment l’artiste pouvait-il être sûr que l’œuvre serait exposée dans la salle des ventes le jour J ? « C’est vrai qu’il y a absolument tous les atouts pour une visibilité maximale. On aurait voulu le mettre en scène, on n’aurait fait mieux ! », résume le professionnel.

Si on ne sait pas qui a déclenché le mécanisme, Banksy pourrait en tout cas avoir eu plusieurs complices dans la salle, car son petit film est un montage de plusieurs points de vue. Alors que le mystère reste entier, le dispositif inspire déjà de nombreux détournements en ligne : avec des œuvres emblématiques comme le Salvator Mundi ou La Joconde, ou, de façon plus politique, avec notamment Brett Kavanaugh, le juge républicain nommé par le président américain Donald Trump à la Cour suprême des Etats-Unis et accusé de viol.

9 octobre 2018

"Sexe, race et colonies"

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