Enquête - Stationnement : la fin des amendes amères
Par Olivier Razemon - Le Monde
A partir du 1er janvier, la contravention sera remplacée par un « forfait post-stationnement ». Les municipalités concernées espèrent dégager de nouvelles sources de financement.
« Cette réforme doit permettre aux élus de faire fonctionner la cité. » Louis Nègre, maire (LR) de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) et président du Groupement des autorités responsables de transport (GART), est catégorique. Selon lui, le dispositif qui modifiera, le 1er janvier 2018, les modalités du stationnement sur voirie dans les 800 communes où il est payant, constitue bien plus qu’une simple révision technique.
Jusqu’à présent, les automobilistes qui négligent les horodateurs ou qui excèdent leur temps de stationnement sont passibles d’une amende de 17 euros. Le tarif est le même, que l’heure de stationnement soit facturée 4 euros, comme dans le centre de Paris, ou 60 centimes comme à Montargis (Loiret). A partir du 1er janvier, cette amende disparaîtra, pour laisser la place à un « forfait post-stationnement » (FPS), dont le montant est fixé par chaque municipalité. A Paris, il passera d’un coup à 50 euros !
Le stationnement payant connaît donc à la fois une décentralisation, ou municipalisation, puisque ce sont les collectivités qui en sont désormais responsables et qui en encaisseront directement l’essentiel des montants, et une dépénalisation, avec la suppression de l’amende. La fin de la bonne vieille contredanse.
Une réforme « complexe »
On ajoutera que, conçue sous Jacques Chirac, envisagée puis abandonnée sous Nicolas Sarkozy, votée sous François Hollande et appliquée sous Emmanuel Macron, cette réforme, qui introduit plusieurs acronymes abscons dans le langage courant, a nécessité la création d’une mission interministérielle dirigée par un préfet ad hoc. Et que tous ses acteurs s’accordent à dire qu’elle est « complexe », à commencer par le préfet en question, Stéphane Rouvé.
DANS LES RUES COMMERÇANTES, LES VOITURES VENTOUSES BLOQUENT INUTILEMENT LES PLACES DISPONIBLES
Le FPS sera fixé, selon les villes, à des niveaux parfois élevés, jusqu’à 60 euros à Lyon. « C’est du racket », bougonnera peut-être l’automobiliste récalcitrant qui rechignait, jusqu’ici, à glisser sa carte bancaire dans l’horodateur. Ce à quoi les élus répondent, à l’unisson, et quelle que soit leur couleur politique, que, « pour l’automobiliste qui se conforme à la loi et paie son stationnement à l’horodateur, cette réforme ne change rien ».
Pour le GART, association des élus chargés des déplacements, le nouveau dispositif doit moins servir à « remplir les caisses » qu’à dissuader les automobilistes d’occuper longuement la même place. L’enjeu est criant dans les rues commerçantes, où les voitures ventouses bloquent inutilement les places disponibles. « Si les villes font payer le stationnement sur voirie, c’est pour permettre une rotation des véhicules et amener davantage de clients aux commerces », résume M. Nègre, qui déplore la désertification qui touche de plus en plus les centres des villes moyennes.
« Repenser le stationnement dans son ensemble »
Ses homologues confirment. « L’attractivité d’un centre-ville dépend fortement de la rotation des véhicules », explique Jean-Jacques Bernard, vice-président (PS) de la métropole de Rennes. A Quimper, le maire (LR), Ludovic Jolivet, se fixe pour objectif, dans le centre-ville, de « sept voitures par place à la journée ».
La réforme constitue dès lors une « occasion unique de repenser le stationnement dans son ensemble ». « Puisque les véhicules se succéderont à un rythme plus rapide, il sera possible de convertir quelques places de parking en espaces destinés aux piétons, aux cyclistes et aux transports publics », résume-t-on au GART. Les recettes résultant des FPS, qui viendront garnir les budgets des municipalités, seront d’ailleurs orientées vers la « mobilité durable », en d’autres termes les bus, tramways et autres pistes cyclables.
Il faut en outre se rendre à l’évidence : aujourd’hui, les politiques de stationnement payant ne fonctionnent pas. Le système bute sur un faible taux de paiement spontané à l’horodateur, une verbalisation limitée et un taux de recouvrement de l’amende imparfait. Qualifiant le stationnement urbain de « chaînon manquant dans les politiques de mobilité », la Cour des comptes avait dénoncé, en février, des maux que les municipalités connaissent bien depuis longtemps.
Des parkings souterrains sous-utilisés
En France, seuls 30 % à 40 % des automobilistes paient leur stationnement, avaient rappelé les magistrats de la rue Cambon. A Paris, hors stationnement résidentiel, ils ne sont que 10 % et le fraudeur n’a « qu’une probabilité sur quinze d’être verbalisé », observe Christophe Najdovski, adjoint à la maire de Paris, chargé des transports, des déplacements, de la voirie et de l’espace public. A Rennes, le taux de paiement spontané atteint 35 %, à Saint-Etienne, 60 %, et à Grenoble – un record – 70 %.
IL EST DE NOTORIÉTÉ PUBLIQUE QU’ON TROUVE TOUJOURS UNE PLACE DANS UN PARKING SOUTERRAIN D’UNE VILLE PETITE OU MOYENNE
Parallèlement, les parkings souterrains demeurent sous-utilisés. Les opérateurs, publics et privés, rechignent à donner des chiffres, mais dans les villes petites et moyennes, il est de notoriété publique qu’on trouve toujours une place dans un parking souterrain, à l’exception, peut-être, du troisième samedi de décembre, de 15 heures à 18 heures. Même à Paris, Maxime Autran, directeur général adjoint de Streeteo, filiale d’Indigo, ex-Vinci Park, admet que le taux d’occupation « est en forte baisse depuis quelques années ». Pour une raison simple : « On peut se garer sans payer dans la rue », la fraude étant rarement verbalisée.
En ce mois de décembre, les villes se préparent. Il faut adapter ou changer les horodateurs, modifier les serveurs, installer des logiciels, former le personnel, lancer une campagne de communication. A Quimper, six agents sont dépêchés dans la rue pour aider les usagers et les changements sont annoncés à la population « sur les panneaux lumineux, par la presse, les réseaux sociaux, etc. », explique M. Jolivet.
Recours à des services privés
Une majorité de métropoles, Lyon, Toulouse, Nantes ou Rennes, ainsi que de très nombreuses villes moyennes, resteront directement chargées du contrôle du stationnement, par l’intermédiaire d’une régie municipale. Chez Villes de France, association regroupant les maires des villes moyennes, on explique ce choix par la volonté d’« agir avec discernement ». Autrement dit, les élus préfèrent conserver la possibilité de libérer de son FPS un usager qui prouverait sa bonne foi.
Toutefois, devant l’ampleur de la tâche, d’autres collectivités préfèrent recourir à des services privés, en passant par une délégation de service public (DSP) ou un marché public. « Les deux formules se distinguent par le mode de rémunération, fixe dans le cas d’un marché et indexées sur l’exploitation du service pour une DSP, et la durée, moins longue pour un marché public », explique Thierry Delvaux, directeur de Sareco, société de conseil en stationnement.
Les principaux délégataires ou titulaires des marchés s’appellent Effia, SAGS, Indigo ou Urbis Park, filiale de Veolia. Les deux derniers se partagent le marché à Paris et opèrent à Bordeaux ou à Nice pour Indigo, à Strasbourg, Nancy ou Biarritz pour Urbis Park. Pour contrôler le stationnement dans la capitale, ces deux entreprises recevront respectivement un peu moins de 6 millions et de 4 millions d’euros par an. Elles ont recruté 260 agents, 152 pour la première, 108 pour la seconde.
Activité débordante
Parkeon, leader français de la fabrication de parcmètres puis d’horodateurs, connaît une activité débordante. La société, dont le principal centre de production se situe à Besançon, a construit 4 600 horodateurs en 2017, deux fois plus que d’habitude, et a doté les villes de 7 000 « kits de mise en conformité » du matériel existant. Depuis la fin de l’été, il a fallu recruter soixante personnes supplémentaires, d’autant plus rapidement que « de nombreuses villes ont attendu la fin de l’année pour délibérer », regrette Jean-François Esnault, directeur « Smartcity », pour la France, de Parkeon.
IEM, UN FABRICANT D’« HORODATEURS INTELLIGENTS », PROPOSE AUX VILLES UNE « GESTION ACTIVE DES PLACES »
La même effervescence a saisi les locaux d’IEM, un fabricant d’« horodateurs intelligents » implanté dans le canton de Genève, en Suisse. « Pour l’occasion, nous avons recruté du personnel et augmenté la superficie de nos locaux », souligne Philippe Menoud, directeur général. L’entreprise ne se contente pas de vendre des horodateurs, mais propose aux villes une « gestion active des places » et des applications informant les automobilistes des emplacements disponibles et des autres moyens de transport.
Reste une question, qui n’est pas illégitime. Les villes y gagneront-elles financièrement ? Les collectivités reconnaissent qu’elles espèrent renflouer leurs caisses. A Paris, le stationnement subit aujourd’hui « un manque à gagner de 300 millions d’euros, soit le budget des crèches de la ville », souligne M. Najdovski.
Savants calculs
Pour estimer l’éventuelle rentabilité de l’opération, les municipalités se livrent à de savants calculs. « Dans tous les pays où la réforme a été mise en place, le taux de paiement spontané a bondi à 70 %-80 % », observe-t-on au GART, qui a publié un livret intitulé La Gestion du stationnement sur voirie en Europe.
Les villes devront soustraire des recettes nouvelles les sommes nécessaires à la mise en conformité de leur matériel et le budget dévolu au contrôle, exercé par la police municipale ou versé aux entreprises délégataires. Chaque horodateur « coûte 6 000 euros, auxquels il faut ajouter les frais de personnel », rappelle M. Nègre.
Les frais de régénération des machines « peuvent varier d’un facteur de 1 à 50 », précise M. Esnault, chez Parkeon. Certaines villes font appel à des salariés supplémentaires dotés d’assistants personnels, voire, comme Paris, s’équipent de véhicules électriques chargés de détecter les mauvais payeurs et baptisés « LAPI » (lecture automatique des plaques d’immatriculation).
« Pot commun »
D’autres municipalités, bien plus modestes, se contentent d’apposer des autocollants sur les horodateurs et d’émettre de nouveaux tickets. A Blois, 46 000 habitants, où le remplacement de quarante-quatre horodateurs coûte 180 000 euros, la ville espère amortir cet investissement en un an.
AUJOURD’HUI, LE MONTANT DES AMENDES RECOUVRÉES AUPRÈS DES AUTOMOBILISTES ATTEINT 1,3 MILLIARD D’EUROS
Enfin, les collectivités, qui percevront donc les FPS, doivent prendre en compte la baisse des recettes liée à la dépénalisation. Aujourd’hui, l’ensemble des amendes recouvrées auprès des automobilistes, au total 1,3 milliard d’euros, est placé par l’Etat dans un « pot commun », dont 500 millions sont répartis entre les collectivités. A terme, ce montant sera amputé des recettes liées au stationnement payant sur voirie, soit environ 200 millions d’euros, d’après les calculs du GART.
Les 300 millions restants, qui proviennent notamment des amendes sanctionnant le stationnement gênant à 35 euros ou très gênant à 135 euros, continueront à être redistribués aux collectivités. Compte tenu de tous ces éléments, bien malin qui peut prévoir l’effet réel de la décentralisation du stationnement sur les finances des municipalités. Les résultats se liront sans doute plus rapidement sur la voirie.