Etats Unis : La sortie de l’accord de Paris signe la victoire d’une minorité très idéologique
Par Gilles Paris, Washington, correspondant
La décision de Donald Trump conforte sa base électorale, conservateurs, libertariens, évangéliques, complotistes et climatosceptiques en tous genres.
Quelques jours avant l’annonce par Donald Trump du retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris, jeudi 1er juin, le détail d’un sondage de la chaîne conservatrice Fox News a tracé, le 25 mai, une ligne de fracture qui permettait d’anticiper sa décision.
Recroquevillé jusqu’à présent sur sa base électorale face aux turbulences qui ne cessent de secouer le début de son mandat, M. Trump savait qu’elle ferait bon accueil à cette rupture, pourtant refusée par une majorité d’Américains, selon des études convergentes.
Alors que 60 % de personnes interrogées par Fox News s’avouaient « inquiètes » face au changement climatique (contre 40 % d’avis opposés), ses électeurs du 8 novembre 2016 campaient sur une position inverse. En effet, 75 % d’entre eux assuraient n’éprouver aucune inquiétude à ce propos (contre seulement 12 % des électeurs de la démocrate Hillary Clinton), tout comme une large majorité d’électeurs protestants évangéliques blancs (60 %) et conservateurs (69 %).
« Je prie Jésus, mais pas la Mère nature »
Le polémiste conservateur Erick Erickson avait résumé le sentiment d’une partie de cette coalition hostile à l’accord de Paris en publiant le message suivant sur son compte Twitter, le 31 mai : « Je prie Jésus, mais pas la Mère nature. Il nous a dit d’en prendre soin, mais ça ne veut pas dire que je me soucie du réchauffement climatique. »
Le 28 mai, au cours d’une rencontre avec ses administrés, un représentant républicain du Michigan, Tim Walberg, ancien pasteur, n’avait pas dit autre chose après avoir reconnu la réalité du changement climatique. « En tant que chrétien, je crois qu’il y a un créateur, Dieu, qui est beaucoup plus grand que nous. Et je suis convaincu que, s’il y a un véritable problème, il peut en prendre soin », avait-il assuré.
Erick Erickson, moquant « l’hystérie » qui a accompagné selon lui l’annonce de M. Trump, a fait mine de s’étonner sur Twitter vendredi matin : « Attendez ! Quoi ? La planète est toujours là ? Il y a toujours de l’oxygène ? Fascinant. »
Saluant un discours « magnifique » du président des Etats-Unis, Mark Levin, une autre figure ultra conservatrice, a dénoncé lui aussi, jeudi, l’influence d’une « gauche socialiste » jugée « non autochtone » (non américaine) car venue d’Europe, sur son podcast The Mark Levin Show.
Une dénonciation quasi complotiste
« Le véritable objectif de ceux qui se présentent comme des progressistes mais qui sont des régressistes n’était pas d’inverser le changement climatique », a-t-il assuré, « il s’agissait d’utiliser le pouvoir du gouvernement pour redistribuer la richesse » des Etats-Unis à des pays étrangers. « Le mouvement environnemental fait partie d’un mouvement idéologique », a-t-il encore affirmé.
Car la dénonciation quasi complotiste des projets de « la gauche » recoupe les préoccupations d’une autre grande famille conservatrice : celle qui dénonce les abus d’un Etat fédéral jugé tentaculaire – une controverse qui trouve ses racines à la création des Etats-Unis –, alors que les grandes avancées sur l’environnement ont souvent coïncidé avec des présidences républicaines, comme l’adoption de la pierre angulaire de l’action environnementale américaine : le Clean Air Act, ratifié par Richard Nixon en 1970, et étendu, en 2005, par George W. Bush.
Autre paradoxe, la lutte contre le réchauffement climatique est reprise à leur compte depuis jeudi par des Etats, qu’ils soient démocrates (Californie, Etat de New York, Etat de Washington), mais aussi républicain (Massachusetts).
Dans sa défense des intérêts américains, Donald Trump n’a mentionné que des villes de la « Rust Belt », pas celles qui font déjà face à la montée des eaux comme la Nouvelle Orléans (Louisiane), ou Miami (Floride). Des élus républicains de Floride, Vern Buchanan et Carlos Curbelo, ont d’ailleurs condamné sa décision.
Un enjeu idéologique
A l’opposé, une myriade de groupes de pression d’inspiration libertarienne et conservatrice, The Competitive Enterprise Institute, The Heartland Institute, The Heritage Foundation et le CATO Institute, se sont mobilisés inlassablement contre l’accord de Paris.
Les deux derniers ont fourni l’essentiel de l’argumentaire utilisé par Donald Trump jeudi, avec les rapports tout aussi alarmistes produits par le courant pro business conservateur représenté par The US Chamber of Commerce et l’American Council for Capital Formation.
Ils étaient motivés à la fois par des convictions climatosceptiques et la hantise des réglementations, incarnées par le directeur de l’agence de protection de l’environnement, Scott Pruitt.
Ces groupes sont soutenus par des milliardaires très impliqués dans le débat politique, comme les frères Charles et David Koch, ainsi que par Robert Mercer et sa fille Rebekah, dont est proche le conseiller stratégique du président, Stephen Bannon. Pour ce dernier, la « bataille de Paris » recoupait enfin un dernier enjeu idéologique d’essence nationaliste : la reconquête d’une souveraineté américaine jugée menacée par le multilatéralisme.
Pendant la semaine qui s’est écoulée, le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, et Scott Pruitt, déterminant dans la bataille contre l’accord de Paris, n’ont cessé d’être interrogé sur les convictions du président américain, qui n’a pas cité une seule fois l’expression « réchauffement climatique » dans son discours de jeudi. M. Trump croit-il à sa réalité ? Aucun des deux n’a jamais répondu.