VÉHICULES ÉLECTRIQUES - De belles anciennes au cœur électrique
Article de Catherine Pacary
A Cassis, un pionnier du « rétrofit » transforme d’antiques Citroën 2 CV et Méhari en véhicules « zéro émission »
Cassis, son petit port de pêche, ses calanques, son cap Canaille… Sur les hauteurs de la ville des Bouches-du-Rhône, le cadre beaucoup moins glamour du Technoparc du Brégadan abrite une autre curiosité locale : les véhicules électriques du 2 CV Méhari Club. Cette entreprise réputée de longue date pour l’entretien et la rénovation de ces deux modèles Citroën patrimoniaux s’est convertie au « rétrofit ». Comprendre : adapter un moteur électrique à bord d’un véhicule ancien.
Administrativement parlant, les Méhari électriques, baptisées « Eden », sont des « quadricycles lourds de catégorie L7e », précise Julien Vagner, directeur général du 2 CV Méhari Club, repris avec son ami Stéphane Wimez il y a six ans. C’est sous ce statut qu’elles ont été produites et vendues à une cinquantaine d’exemplaires depuis trois ans, à une période où la conversion d’un modèle thermique en électrique ne pouvait faire l’objet d’une immatriculation en bonne et due forme, à moins d’être homologuée à l’étranger. Pour cette raison, les 2 CV dites « R-Fit » garées à côté et équipées d’un « kit » rétrofit sont des prototypes.
Le 3 avril, le décret du 13 mars 2020 encadrant et autorisant le rétrofit a été publié au Journal officiel. Désormais les véhicules essence ou diesel de plus de 5 ans, et les deux et trois-roues motorisés de plus de 3 ans, peuvent passer au 100 % électrique, à condition de respecter quelques règles comme le maintien d’un poids constant et le passage par un atelier homologué. Une dizaine de jeunes entreprises sont sur les rangs de ce micromarché, regroupées dans l’association Acteurs de l’industrie du rétrofit électrique (AIRe), dont Julien Vagner est vice-président et qui a mené un lobbying actif pour faire évoluer la législation.
« Et ça a la patate ? »
Reste à décrocher l’ultime sésame, l’homologation. A cette fin, un prototype 2 CV R-Fit est actuellement soumis à une série de tests à l’issue desquels l’atelier du club aura l’autorisation d’installer en série le kit moteur-batteries, d’apposer sa plaque minéralogique et de délivrer une carte grise. « Le Covid nous a fait perdre trois à six mois, concède Julien Vagner, mais nous pensons pouvoir prendre les commandes pour Noël. » En attendant, « la vente de pièces détachées représente encore 80 % de notre chiffre d’affaires ». Parmi ses clients amoureux de belles anciennes, une centaine se disent intéressés par le passage à l’électrique, convaincus de la nécessaire évolution de la voiture vers une motorisation décarbonée, mais aussi par l’agrément de la conduite et l’envie de préserver le patrimoine automobile.
« Et ça a la patate ? », demande un père de famille, alors que Julien Vagner soulève le capot pour dévoiler le parallélépipède noir propulseur (les batteries sont à l’arrière). Au volant, l’Eden à boîtier automatique affiche 136 km d’autonomie (admirez la précision !) et 3 h 30 de recharge sur une prise standard, mais elle reste avant tout une Méhari. Ouverte, amusante, chaloupée et parfaite sur le pourtour méditerranéen pour relier la maison à la plage ou à la boulangerie, à 45 km/h maxi. « Une quatrième voiture », s’amuse M. Vagner, qui pense même, pour accentuer le côté fun, ajouter un bruit de cigale à la motorisation électrique trop silencieuse.
Par comparaison, la 2 CV R-Fit est une bombe avec ses 85 km/h propulsés par un moteur de 15 kW (20 ch), avec une autonomie de 100 km. D’autant que les routes escarpées des calanques et les rares petites rues autorisées aux voitures du cœur de Cassis sont limitées à 30 km/h ou 50 km/h. L’iconique levier de vitesse à boule reste présent, à ceci près qu’il ne sert pas à grand chose. « On se met en troisième et on peut passer partout », insiste Julien Vagner. En effet, la transmission d’origine a été volontairement conservée pour rester dans l’esprit « deudeuche », ce qui n’empêche pas la 2 CV électrique de grimper les côtes avec plus d’aisance que ses aïeules thermiques et de « gîter » toujours autant dans les virages. « On pourrait faire plus rapide, avec une autonomie plus importante, mais ce serait beaucoup plus cher », dit-il. Difficilement envisageable. Même avec l’aide de l’Etat (de 5 000 euros à 9 000 euros), le kit R-Fit (pack batterie lithium-fer-phosphate, moteur électrique) est facturé 14 000 euros, main-d’œuvre incluse. Compter 23 000 euros pour une 2 CV entièrement restaurée et 24 000 euros pour une Eden neuve. De quoi hésiter.
« L’électrique, c’est schizophrène ! », s’exclame Julien Vagner. « C’est vrai, poursuit-il. Si toutes les voitures passaient à l’électrique, on ne pourrait pas fournir l’électricité nécessaire. » Affirmation inexacte. Selon le rapport du 15 mai 2019 de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, le système électrique français pourrait tout à fait répondre aux besoins. En revanche, RTE et Julien Vagner se retrouvent sur le long terme pour tabler sur l’hydrogène, solution technique d’ailleurs prévue dans le cadre de la récente homologation du rétrofit.
« Si la France décroche la timbale de l’hydrogène, s’enthousiasme à son tour Arnaud Pigounides, fondateur de Retrofuture Electric Vehicles et président de l’AIRe, cela veut dire des piles à combustible moins chères, un système de batteries plus petites et un réservoir à hydrogène que l’on pourra recharger tous les 500 km comme si on faisait un plein de carburant. » Dans ce cas, n’est-il pas paradoxal de s’investir autant dans le rétrofit ? « L’électrique est une très bonne transition, on en a pour vingt ans ! », assure Julien Vagner.