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Jours tranquilles à Paris
carlos ghosn
7 janvier 2020

Récit - Derrière la fuite de Carlos Ghosn, un masque chirurgical, une malle et deux « barbouzes »

carlos malle

Par Simon Piel, Joan Tilouine, François Krug

Si l’existence de complicités japonaises reste à démontrer, l’ex-patron de Renault-Nissan a bénéficié d’un réseau d’aide en Turquie avant d’arriver au Liban.

Les autorités turques ont immobilisé le Bombardier Global Express immatriculé TC-TSR. Ce jet privé a servi à transporter illégalement l’ancien PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, Carlos Ghosn, depuis le Japon où il était assigné à résidence après cent trente jours de détention et où il devait faire face à de graves accusations de malversations financières.

L’appareil, opéré par la société turque MNG Jet, a été géré au sol par la société InterAviation Japan Co. Ltd, une agence spécialisée dans les services de jet privé, de logistique aéroportuaire et de tourisme. Faut-il en déduire qu’il y a eu des complicités japonaises ? C’est en tout cas ce que Carlos Ghosn aurait soufflé à son entourage sans pour autant que l’on sache si c’était une ultime manière d’embarrasser les autorités de l’Archipel. Contactée, InterAviation Japan Co. Ltd dément et indique ne s’être contentée que d’assurer son rôle d’agent de manutention et des « services de routine », précisant « n’avoir pas vu de choses inhabituelles sur ce vol sur lequel M. Ghosn n’était pas en tant que passager ».

En provenance de Dubaï, le jet privé s’est posé sur le tarmac de l’aéroport de Kansai près d’Osaka, troisième ville du Japon, le 29 décembre à 10 h 10, heure locale. Ce jour-là, selon les images de vidéosurveillance citées par le quotidien japonais Asahi, Carlos Ghosn quitte sa résidence de Tokyo à 14 h 30. L’ancien grand patron a le visage ombré par un chapeau et mangé par un masque chirurgical, un accessoire courant dans les rues japonaises. Plusieurs sources indiquent que la société privée mandatée par Nissan pour surveiller le domicile de Ghosn avait arrêté sa mission le jour même après que les avocats de Ghosn ont contesté la légitimité de cette surveillance privée. Ghosn rallie ensuite Osaka, ville séparée de Tokyo de près de 500 km mais l’on ignore encore aujourd’hui comment.

Une malle à « bien attacher avant le décollage »

S’est-il ensuite caché dans une malle destinée au transport d’instrument de musique, comme l’a dit la chaîne de télévision libanaise MTV pour franchir les contrôles à l’aéroport ? Un membre de l’entourage de M. Ghosn a d’abord démenti cette version des faits. La veille de sa fuite pourtant, un groupe de musique avait donné un concert privé dans sa résidence de Tokyo. Une photographie d’une malle noire présentée comme celle ayant permis la fuite rocambolesque de M. Ghosn circule depuis quelques jours. Selon plusieurs sources interrogées par Le Monde, des pilotes et des membres de l’équipage du jet privé ont fait état devant les enquêteurs turcs de la présence d’une malle à bord qu’il « fallait bien attacher avant le décollage ». La malle aurait été commandée depuis Dubaï et modifiée pour être dotée de roues et de petits trous afin de lui permettre de respirer.

L’ancien patron, dont le nom ne figure à aucun moment dans la liste des passagers du vol, n’est pas seul dans l’appareil qui décolle à 23 h 09 d’Osaka. Deux citoyens américains, Michael Taylor et George-Antoine Zayek, ont embarqué avec lui sous leurs véritables identités, selon des informations du Wall Street Journal confirmées par Le Monde. Arrivés de Dubaï à bord du même jet, ils sont soupçonnés d’avoir joué un rôle de premier plan dans l’exfiltration.

Le premier est un ancien officier des forces spéciales américaines qui connaît bien le Liban, pays de son épouse, où il a entraîné des unités d’élite de l’armée avant de créer sa société spécialisée dans « la réduction de menaces », « l’évaluation de la vulnérabilité », « le maintien en vie ». M. Taylor recrute principalement d’anciens membres des forces spéciales et des services de renseignement. Il opère entre autres comme sous-traitant de l’armée américaine jusqu’à ce qu’à son placement un an en détention fin 2012 pour des soupçons de corruption en vue de faciliter l’obtention de contrats.

Deux jets

Le second, établi entre le Liban et les Etats-Unis, a été l’un de ses collaborateurs avec qui il a mené plusieurs missions de formation militaire, comme en Irak, et de libération d’otages. Se présentant comme un spécialiste éprouvé des terrains hostiles et du renseignement, M. Zayek a un temps servi dans les forces spéciales libanaises durant la guerre civile (1975-1990). Avant de vendre ses services aux grandes sociétés et aux plus offrants. Tous deux sont qualifiés de « barbouzes » par plusieurs acteurs de ce secteur nébuleux, tant aux Etats-unis qu’au Liban.

Le jet qui les transporte ainsi que M. Ghosn atterrit à Istanbul le 30 décembre, à 5 h 12. L’ancien patron est transféré vers un autre appareil toujours opéré par la société turque MGN Jet sans laisser de traces de son passage dans les registres. C’est un Bombardier Challenger 300 immatriculé TC-RZA, qui appartient, selon nos informations, à l’homme d’affaires turc opérant notamment au Soudan, Oktay Ercan. Ce dernier est un ami et partenaire d’affaires du patron de MGN jet qui opère son avion. Cette fois, M. Ghosn embarque, accompagné d’un certain Okan Kösemen, un cadre de MGN Jet. L’avion décolle à 6 h 03 et se pose à Beyrouth une heure et vingt-six minutes plus tard. Selon MGN, les locations des deux jets n’avaient en apparence aucun lien entre elles.

La société a publié un communiqué vendredi assurant qu’elle avait été dupée par un employé et qu’elle ignorait tout des circonstances de l’évasion de Carlos Ghosn. Selon le quotidien turc, Hürriyet, M. Kösemen a déclaré aux enquêteurs avoir ignoré l’identité de Carlos Ghosn et avoir agi sous la menace perpétrée contre sa famille par une connaissance établie à Beyrouth dont l’identité n’a pas été révélée pour l’instant.

« Injustifiable »

A Istanbul, les autorités turques ont procédé à plusieurs arrestations dont quatre pilotes et M. Kösemen. Ce dernier est visé par une plainte déposée par son employeur, MNG Jet, pour falsification des données de vol et atteinte à la réputation de l’entreprise. Il est soupçonné d’avoir été corrompu pour faciliter l’opération. La somme d’un million de dollars perçue pour cette mission a été démentie par ses avocats. Les Américains Michael Taylor et George-Antoine Zayek, cerveaux présumés de cette exfiltration, se sont évaporés.

Depuis, Carlos Ghosn se fait discret mais ne se cache plus et savoure ses premiers moments de liberté arrachée. L’entrepreneur a retrouvé sa famille et ses amis. Il prépare la suite avec sa garde rapprochée – avocats et communicants – qui l’a rejoint à Beyrouth. Il doit notamment tenir une conférence de presse ce mercredi.

La justice du Liban, où il compte de nombreuses relations au plus haut sommet de l’Etat, veut l’entendre après avoir reçu une demande d’arrestation d’Interpol qui a émis une notice rouge le visant. Une extradition vers le Japon n’est toutefois pas envisageable car le Liban, tout comme la France, n’extrade pas ses ressortissants. Pour la première fois depuis l’évasion, le Japon est sorti de son silence, dimanche, par la voix de sa ministre de la justice Masako Muri qui a déclaré que « la fuite d’un accusé sous caution est injustifiable ».

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6 janvier 2020

Carlos Ghosn

carlos malle

carlosboite

5 janvier 2020

Carlos Ghosn a-t-il signé un accord exclusif avec Netflix ?

carlos netflix

Alors que Carlos Ghosn vient de fuir le Japon pour le Liban, une drôle d'information vient d'être révélée par Le Monde.

C'est une information qui laisse perplexe. Selon Le Monde, qui a analysé la "fuite en avant" de Carlos Ghosn, l'ancien PDG de Renault-Nissan aurait signé un accord d'exclusivité avec Netflix.

Contrôler le scénario de sa propre histoire

Ce pacte aurait été signé il y a quelques mois et lui permettrait très probablement de toucher un joli pactole. Mais plus encore, d'avoir la main sur la manière dont vont être racontés les faits selon Le Monde.

"Alors que selon nos informations, il a signé, il y a quelques mois, une exclusivité avec Netflix, le plus célèbre des Libanais a décidé de contrôler jusqu’au bout le scénario de sa propre histoire, fût-ce au mépris du droit."

"Je n'ai pas fui la justice"

Cette information est révélée alors que Carlos Ghosn vient de fuir le Japon pour se rendre au Liban. Accusé de diverses malversations financières présumées, il a déclaré avoir orchestré seul sa fuite.

Dans un communiqué publié quelques heures après son arrivée au Liban, le lundi 30 décembre, il justifie ses actes :

"Je ne serai plus otage d’un système judiciaire japonais truqué dans lequel la culpabilité est présumée. Je n’ai pas fui la justice – j’échappe à l’injustice et la persécution politique"

Une série Netflix sur les aventures de Carlos Ghosn serait un énorme buzz pour l'homme d'affaires et pourrait peut-être nous en apprendre un peu plus sur la manière dont il a réussi à fuir un pays dans lequel il était assigné à résidence.

5 janvier 2020

Carlos Ghosn choisira lui-même les journalistes accrédités pour sa conférence de presse à Beyrouth

Après avoir organisé sa fuite du Japon vers le Liban, Carlos Ghosn s'expliquera à l'occasion d'une conférence de presse à Beyrouth, face à des journalistes qu'il aura lui-même choisi.

Après avoir soigneusement organisé sa fuite du Japon vers le Liban le lundi 30 décembre 2019, suscitant de nombreuses interrogations, Carlos Ghosn, ancien patron du groupe Renault-Nissan, se prépare à prendre la parole à l'occasion d'une conférence de presse qui sera donnée au Liban, à Beyrouth, et qui sera organisée par l'agence de communication Image 7, dirigée par Anne Méaux.

L'un des avocats libanais de Carlos Ghosn a avancé la date du 8 janvier, date qui n'a pour l'instant pas été confirmée par l'agence de communication.

carlos cof presse

Des journalistes triés sur le volet

Sujet à de nombreuses interrogations concernant sa fuite, sa possession de deux passeports français, ou encore l'utilisation "illégale" de jets privés, la conférence de presse de l'ancien patron libano-brésilo-français est très attendue et de très nombreuses demandes d'accréditations en provenance du monde entier ont été soumises à l'agence de communication Image 7.

Interrogée par franceinfo, l'agence précise que les demandes seront triées sur le volet : c'est en effet Carlos Ghosn lui-même qui aura le dernier mot sur le choix des professionnels qui assisteront à sa prise de parole. Un choix étonnant qui pose question."Nous lui soumettons toutes les demandes que nous recevons et c'est lui qui accédera à ces demandes", confirme une porte-parole d'Image 7 à franceinfo. Le nombre total de journalistes dépendra également des capacités d'accueil du lieu retenu pour la conférence.

Une fuite rocambolesque

Pour rappel, Carlos Ghosn avait été incarcéré en avril 2019 au Japon pour "abus de confiance aggravé" après 4 inculpations. La justice japonaise le soupçonne d'avoir détourné de grosses sommes d'argent de son entreprise à des fins personnelles. Le 30 décembre, il a organisé sa fuite, dans des circonstances qui restent encore non-élucidées.

D'après les informations de plusieurs médias, Carlos Ghosn aurait organisé seul son départ de sa résidence surveillée, pour rejoindre un aérodrome, duquel il aurait emprunté un premier jet privé grâce à un second passeport français en sa possession. (Ses autres passeports étaient conservés par ses avocats au Japon pour limiter le risque de fuite).

Ce jet l'aurait conduit en Turquie, à l'aéroport Atatürk d'Istanbul, utilisé par les avions transportant des marchandises et pour des vols privés, avant de re-décoller 45 minutes après son arrivée dans un second jet en direction de Beyrouth au Liban, où il possèderait "de nombreux soutiens indéfectibles".

La compagnie aérienne porte plainte, Interpol demande son arrestation

De son côté, La compagnie aérienne privée turque MNG Jet a annoncé vendredi avoir déposé plainte pour "usage illégal" de ses services de location de jets lors de la fuite rocambolesque de l'ancien patron de Nissan et de Renault, et affirme n'avoir jamais eu connaissance du nom de Carlos Ghosn dans les passagers déclarés pour ces locations. La compagnie a lancé une enquête interne pour en savoir davantage.

Depuis, le Liban a reçu une demande d'arrestation d'Interpol pour le magnat déchu de l'automobile. Mais côté libanais, le message est clair. Selon la Sûreté générale, rien n'impose "l'adoption de procédures à l'encontre de M. Ghosn" ni ne l'expose "à des poursuites judiciaires". Le ministère de la Justice a d'ailleurs rappelé l'absence "d'accord d'extradition entre le Liban et le Japon".

5 janvier 2020

Vu du Liban. La mystérieuse épopée de Carlos Ghosn sera lourde de conséquences

L’ORIENT-LE JOUR

La fuite vers le Liban de l’ancien numéro 1 de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi demeure très floue pour L’Orient-Le Jour. Ce qui est sûr néanmoins, c’est qu’elle aura un impact sur la relation entre Tokyo et Beyrouth, assure le journal.

Les circonstances de l’incroyable évasion de l’ancien patron de l’alliance Nissan-Renault-Mitsubishi, Carlos Ghosn, vers le Liban, alors qu’il était assigné depuis huit mois à résidence au Japon, restent un mystère absolu. Depuis lundi [30 décembre 2019], lorsque son arrivée à Beyrouth a été confirmée, les théories les plus folles ont couru sur l’escapade de M. Ghosn dont le procès pour malversations financières et abus de confiance devrait s’ouvrir en avril prochain à Tokyo.

Ce qui est sûr, c’est que le Liban n’a pas l’intention de l’extrader vers le Japon, non seulement parce que Beyrouth et Tokyo ne sont pas liés par des accords d’extradition ou de coopération judiciaire, mais parce que les lois libanaises le permettent. À Beyrouth, les démarches judiciaires qui s’imposent dans ce genre de situation suivront leur cours sans que l’homme d’affaires libanais, qui détient également les deux nationalités brésilienne et française, n’ait à s’inquiéter.

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La France, où Carlos Ghosn fait également l’objet d’enquêtes sur des “abus de bien sociaux” ainsi que sur des faits de “corruption”, a elle aussi fait savoir par la voix de la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, Agnès Pannier-Runacher, que l’ex-patron de Nissan et Renault ne serait pas extradé s’il s’y rendait. Au cours d’une interview sur la chaîne BFMTV, Mme Pannier-Runacher a expliqué que “la France n’extrade jamais ses nationaux”.

Nous appliquons à M. Ghosn comme à M. Tout-le-Monde les mêmes règles du jeu, mais cela ne nous empêche pas de penser que M. Ghosn n’a pas à se soustraire à la justice japonaise”, a-t-elle ajouté.

Une communication à venir

C’est ainsi que Beyrouth a accueilli avec placidité hier une “notice rouge” ou l’équivalent d’une demande d’arrestation du bureau d’Interpol du Japon, via le bureau de Beyrouth. La notice a été remise au ministre sortant de la Justice, Albert Serhane, qui l’a transmise à son tour au parquet de Beyrouth. Suivant la procédure en vigueur, le procureur général devrait convoquer le magnat de l’automobile pour entendre sa version des faits.

Ce dernier a fait savoir quelques heures après son arrivée à Beyrouth que s’il a décidé de s’évader, c’est “pour fuir non pas la justice, mais l’injustice” et pour établir la vérité sur les faits qui lui sont reprochés.

Je ne suis plus l’otage d’un système judiciaire japonais partial où prévaut la présomption de culpabilité, où la discrimination est généralisée et où les Droits de l’Homme sont bafoués, cela au mépris absolu des lois et des traités internationaux que le Japon a ratifiés et qu’il est tenu de respecter”, a-t-il affirmé d’emblée dans un premier communiqué, publié mardi [31 décembre 2019] à l’aube.

“Je n’ai pas fui la justice, je me suis libéré de l’injustice et de la persécution politique. Je peux enfin communiquer librement avec les médias, ce que je ferai dès la semaine prochaine”, a-t-il ajouté. Une rencontre avec un groupe de journalistes est en effet prévue mercredi [8 janvier] ou jeudi [9 janvier], dans un endroit qui reste encore inconnu.

Au Japon, un coup de tonnerre dans une nuit d’orage

Le lieu de séjour de Carlos Ghosn au Liban reste à ce jour inconnu, même si sa résidence à la rue du Liban à Achrafieh est pratiquement assiégée par des journalistes étrangers, notamment japonais. La nouvelle de la fuite de l’homme qui avait pratiquement sauvé le constructeur japonais d’une faillite certaine et tiré le groupe français d’une situation tout aussi difficile, tout en lui assurant une ouverture large sur le marché international grâce au rapprochement avec Nissan, fait depuis trois jours la une des médias internationaux, notamment au Japon où son impact a été aussi fracassant qu’un coup de tonnerre dans une nuit d’orage.

Il faudra attendre que Carlos Ghosn s’exprime lui-même publiquement pour connaître la suite de l’aventure dans laquelle il vient de s’engager et dont on ignore toujours pour l’heure les répercussions sur les relations entre le Liban et le Japon. Il faudra attendre la fin de l’enquête pour connaître les mesures diplomatiques et politiques que Tokyo prendra. Mais d’aucuns redoutent une crise entre les deux pays, parce que c’est un fait : Beyrouth a pris fait et cause pour le magnat de l’automobile depuis son arrestation et réclamé à maintes reprises son extradition vers son pays d’origine. L’affaire a été soulevée dernièrement, entre autres, lors de la visite du ministre d’État japonais pour les Affaires étrangères, Keisuke Suzuki, le 21 décembre dernier à Beyrouth où il s’était entretenu avec le chef de l’État Michel Aoun, le président du Parlement Nabih Berry, le Premier ministre sortant Saad Hariri et le ministre sortant des Affaires étrangères Gebran Bassil.

Un départ bien orchestré

Les autorités libanaises ont dès mardi [31 décembre 2019] fait savoir qu’elles n’avaient aucun rapport avec l’évasion de M. Ghosn. Le ministre sortant de la Défense Élias Bou Saab l’a réaffirmé hier. L’homme d’affaires libanais est entré de “façon légale” dans son pays d’origine, s’est empressé de préciser la Sûreté générale dans un communiqué, pour couper court aux rumeurs sur l’épopée de ce dernier. Selon la Sûreté générale, rien n’impose “l’adoption de procédures à l’encontre de M. Ghosn”, ni ne l’expose à “des poursuites judiciaires”.

Les circonstances exactes de son départ du Japon sont loin d’être complètement élucidées. Le parcours, lui, semble en revanche établi : entre le Japon et le Liban, Carlos Ghosn a bel et bien fait escale à Istanbul, précise l’AFP dans une dépêche datée depuis Paris, relevant que dans les deux capitales des enquêtes sont ouvertes. À Istanbul, sept personnes ont déjà été interpellées à titre préventif dans le cadre des investigations en cours. Il semble néanmoins clair que M. Ghosn est parti le 29 décembre du Japon en direction d’Istanbul, avant d’embarquer pour un second vol à destination de Beyrouth. Selon les informations collectées sur le site Flight Radar 24, qui suit les vols à travers le monde, un avion a décollé d’Osaka le 29 décembre à 23h10 pour atterrir à Istanbul à 5h15, à l’aéroport Atatürk, utilisé par les avions transportant des marchandises et pour des vols privés. L’appareil, un jet Bombardier Global Express, immatriculé TC-TSR, appartient à la compagnie turque MNG Jet, spécialisée dans la maintenance et les vols de jets privés.

Quarante-cinq minutes plus tard, un autre jet privé, un Bombardier Challenger 300 immatriculé TC-RZA, a décollé du même aéroport. “Destination Beyrouth”, a déclaré le pilote dans un enregistrement des échanges avec la tour de contrôle obtenu par les enquêteurs, selon l’AFP. Sur Flight Radar, pas d’indication au sujet du propriétaire de l’appareil. Seule la mention “propriétaire privé” apparaît.

Une faille dans la surveillance

Les investigations portent sur le point de savoir comment Carlos Ghosn, pourtant reconnaissable entre mille à l’échelle internationale, a pu échapper à la surveillance stricte dont il faisait l’objet et faire le voyage le plus normalement du monde. Plusieurs théories ont été avancées sur les complicités dont il aurait pu bénéficier. Dans un second communiqué qu’il a fait paraître [jeudi 2 janvier] et pour couper court aux rumeurs faisant état d’une éventuelle assistance de son épouse Carole, Carole Ghosn a assuré qu’il a organisé “seul” son départ, sans la participation de sa famille.

Les autorités japonaises n’ont pas de données informatiques indiquant que Carlos Ghosn se serait présenté sous sa réelle identité aux contrôles aux frontières du Japon avant son départ, dans aucun des aéroports du pays.

Il est soupçonné d’avoir employé un moyen illégal de sortie du territoire, soit sous une fausse identité ou en échappant aux contrôles, estime la chaîne publique japonaise NHK.

Ses trois passeports (français, libanais, brésilien) étaient conservés par ses avocats japonais, pour limiter les risques de fuite. Mais, selon une source proche du dossier, une autorisation exceptionnelle du tribunal lui permettait de conserver un second passeport français sur lui dans un étui fermé par un code secret connu de ses avocats.

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4 janvier 2020

Carlos Ghosn.

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Benoît Tessier, Reuters

Des témoignages recueillis au Japon par le New York Times permettent peut-être de comprendre ce qui a poussé Carlos Ghosn à fuir le Japon, au risque d’accréditer définitivement, dans l’opinion publique nippone, sa culpabilité dans les délits financiers dont il est accusé.

L’ancien président de l’alliance Renault avait déjà acquis la certitude que son procès s’achèverait sur une condamnation. Ceci au travers de ses échanges avec son avocat sur place, Junichiro Hironaka, ainsi qu’avec un journaliste spécialisé dans les affaires judiciaires au Japon, Jake Adelstein, et un chef d’entreprise nippon ayant été emprisonné deux ans et demi pour escroquerie.

C’est lors d’une audition qui s’est déroulée pendant la période de Noël, normalement dévolue aux retrouvailles en famille, ce qui lui a été refusé, que Carlos Ghosn aurait compris qu’il ne comparaîtrait pas en 2020 comme prévu, mais en 2021. Et qu’il n’y aurait pas un, mais plusieurs procès. Avec la perspective de rester assigné à résidence durant des années, avant une condamnation à plusieurs années de prison. Un destin auquel l’ancienne star de l’automobile mondiale, à 65 ans, ne se serait pas résignée.

Alors que les autorités japonaises cherchent encore à comprendre comment il a rallié l’aéroport d’Osaka, à 500 kilomètres de Tokyo, avant de s’envoler vers la Turquie puis le Liban, Carlos Ghosn demande maintenant à ce qu’un procès ait lieu au Liban. Ceci afin de laver son honneur, en dépit de l’accumulation des soupçons pesant sur son honnêteté, non seulement au Japon, mais aussi en France et aux États-Unis. Il doit donner une conférence de presse mercredi.

2 janvier 2020

Synthèse - Après la fuite de Carlos Ghosn, critiques et interrogations au Japon

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Par Philippe Mesmer, Tokyo, correspondance

La presse s’en prend à l’ex-dirigeant de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, dont le domicile tokyoïte fait l’objet d’une perquisition, jeudi.

Si le gouvernement et la justice du Japon continuent de s’interroger sur la fuite de Carlos Ghosn au Liban, dimanche 29 décembre, la presse nippone, elle, s’en prend directement à l’ancien dirigeant de l’Alliance Renault-Nissan-Mistubishi. Le quotidien conservateur Yomiuri Shimbun a vu dans son départ un « acte plein de lâcheté ». « Son argument selon lequel il veut prouver son innocence est maintenant remis en question », estime de son côté le progressiste Tokyo Shimbun, qui considère que sa fuite est une insulte au système judiciaire nippon.

Le même jour, le tribunal de Tokyo acceptait la saisie de 1,5 milliard de yens (12,3 millions d’euros) déposés par Carlos Ghosn au moment de sa libération sous caution, en avril 2019. Cette libération est de ce fait annulée ; si M. Ghosn revenait au Japon, il serait immédiatement incarcéré. Une perquisition à son domicile de Tokyo était en cours, jeudi.

Maigre consolation pour la justice japonaise qui doit désormais faire face à ses responsabilités. « La libération sous caution était une erreur. Le résultat est terrible », a réagi un procureur auprès du quotidien Asahi Shinbun, tandis qu’un autre déplorait « l’anéantissement de tout le travail effectué ». De fait, les procureurs s’opposaient à la libération sous caution, estimant élevé le risque de fuite du suspect, compte tenu de ses puissantes relations.

Le responsable de sa défense devra s’expliquer

Du côté des avocats de M. Ghosn, la réaction reste la stupéfaction. Ils étaient garants de la libération de leur client et conservaient à ce titre les trois passeports, libanais, brésilien et français, de l’homme d’affaires. Le responsable de sa défense, Junichiro Hironaka, s’est défendu de toute implication. Il devra sans doute s’expliquer. M. Ghosn tiendra une conférence de presse le 8 janvier à Beyrouth, a annoncé mercredi en fin de journée l’un de ses avocats.

Se pose également pour Tokyo la question de « récupérer » Carlos Ghosn. L’Archipel peut demander au Liban son extradition, mais les négociations s’annoncent délicates. « Les chances d’obtenir une extradition sont quasi nulles », reconnaît-on au sein du gouvernement.

Il n’y a pas d’accord bilatéral dans ce sens. Le Japon plaide depuis longtemps pour l’extradition par Beyrouth de Kozo Okamoto, un des auteurs nippons de l’attaque terroriste de 1972 contre l’aéroport international israélien Ben Gourion, qui avait fait vingt-six morts. Beyrouth a toujours refusé de le livrer. M. Okamoto a même obtenu l’asile politique au Liban en 2000.

Le Japon n’a signé des traités d’extradition qu’avec les Etats-Unis et la Corée du Sud. « Tokyo pourrait éventuellement passer par la France, qui a un tel accord avec le Liban », explique un connaisseur du dossier.

Aucune sortie du territoire au nom de Ghosn

Au-delà des questions de procédures, les autorités japonaises n’ont toujours pas annoncé si elles avaient déterminé la voie suivie par Carlos Ghosn pour sortir du Japon, à bord d’un jet privé. Normalement, les passagers de ces avions doivent suivre les mêmes procédures que ceux des vols commerciaux. Les données du ministère de la justice ne mentionnent aucune sortie du territoire à son nom.

Un média libanais a expliqué qu’il avait quitté son domicile dans une caisse amenée par un orchestre invité à se produire chez M. Ghosn. Selon nos informations, il est possible que l’orchestre ait été accompagné d’anciens militaires. Toujours d’après ce média, c’est dans cette caisse que M. Ghosn aurait été transporté à un aéroport où l’attendait un avion privé. Une source dans l’entourage de M. Ghosn a toutefois démenti qu’il se serait enfui selon ce procédé. L’avion privé a ensuite rejoint le Liban en passant par la Turquie.

L’ancien bras droit de M. Ghosn chez Nissan, Greg Kelly, arrêté le même jour que son patron en 2018 – lui aussi libéré sous caution (en décembre 2018) et dans l’attente de son procès – a fait part de sa surprise quand il a appris la fuite de Carlos Ghosn. « Il a fait quelque chose de fou », a également réagi un de ses avocats.

Plus généralement, au Japon, l’inquiétude porte sur les libérations sous caution. En 2018, 69,2 % des demandent avaient été acceptées, contre 47,7 % en 2000. Avec la fuite de Carlos Ghosn, la tendance pourrait s’inverser.

1 janvier 2020

Évasion. Carlos Ghosn : au Japon, “le procès du siècle n’aura pas lieu”

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THE WALL STREET JOURNAL 

Junichiro Hironaka, l’avocat principal de Carlos Ghosn, passe devant l’écran sur lequel est diffusé une conférence de presse de son client, en avril 2019.  - REUTERS/Issei Kato

Le Franco-Libano-Brésilien, ancien patron de l’alliance automobile Renault-Nissan, a rallié le Liban malgré son assignation à résidence à Tokyo. Au Japon, l’événement est accueilli par certains comme un mal pour un bien, note le Wall Street Journal.

L’évasion est “osée”, euphémise le Wall Street Journal. Entre lundi 30 et mardi 31 décembre, Carlos Ghosn s’est soustrait au régime d’assignation à résidence auquel il était soumis, au Japon. Direction le Liban, pays dont il est citoyen. “La justice japonaise avait joué sur l’élément de surprise, en novembre 2018, lorsqu’elle avait cueilli l’ancien patron de l’alliance Renault-Nissan à sa descente d’avion, à Tokyo, rappelle le quotidien américain. Mais mardi, c’est M. Ghosn qui a surpris son monde. Les Japonais ont commencé une période de six jours de congé en apprenant que le prévenu le plus célèbre du pays avait quitté la ville.”

Si les circonstances de la fuite demeurent floues, une chose est sûre : “Carlos Ghosn a rendu quasiment impossible la tenue de ce qui était considéré comme le procès du siècle.” Comme le précise l’ancien procureur Yoji Ochai auprès du Wall Street Journal, “le système judiciaire nippon ne permet généralement pas les procès en l’absence du prévenu, sauf dans de rares cas qui ne s’appliquent pas à Ghosn”.

Soupçonné de malversations financières et d’avoir minimisé ses revenus dans les rapports annuels de Nissan, un constructeur automobile japonais, l’homme d’affaires ne sera donc certainement pas jugé au printemps 2020, comme cela avait été évoqué, “le Japon n’ayant pas d’accord d’extradition avec le Liban”.

Une épine retirée du pied

Pour justifier son acte, Carlos Ghosn a soutenu dans un communiqué avoir fui un système où prévaut la présomption de culpabilité : “Je n’ai pas fui la justice, je me suis libéré de l’injustice et de la persécution politique”, a-t-il déclaré. Tout aussi surpris que le reste du monde, l’avocat japonais du Franco-Libano-Brésilien a pour sa part affirmé comprendre les craintes de son client quant à l’impossibilité de connaître un procès juste, contrairement à ce qu’assurent les autorités judiciaires.

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Et la situation est ironique, pointe le journal financier :

Paradoxalement, les juges du tribunal de Tokyo étaient manifestement prêts à entendre la version de Ghosn, puisqu’ils ont par deux fois prononcé sa remise en liberté provisoire sous caution [et sous résidence surveillée] – une décision vivement contestée à chaque fois par le parquet, qui craignait une fuite du prévenu et la destruction de preuves.”

Dans le pays, “les réactions ont été sobres”, note le Wall Street Journal. “Certains estiment qu’il est préférable pour le Japon de ne pas laver le linge sale du constructeur Nissan au moment où la capitale Tokyo accueillera les Jeux olympiques d’été.” Pour d’autres en revanche, l’événement “constitue le pire raté de l’histoire de la justice japonaise”. D’après l’avocat Chuko Hayakawa, ancien député du parti du Premier ministre Shinzo Abe, “cela montre que Carlos Ghosn n’a aucun respect pour la justice japonaise, les tribunaux et même ses propres avocats”.

31 décembre 2019

Après plus d’un an de poursuites judiciaires, Carlos Ghosn choisit de fuir le Japon pour se défendre

Par Philippe Mesmer, Tokyo, correspondance

Dans un court communiqué diffusé mardi, l’ancien dirigeant de l’alliance Renault-Nissan dénonce « un système judiciaire japonais partial » dans lequel les « droits de l’homme basiques sont déniés ».

Lassé d’être ce qu’il appelle, mardi matin 31 décembre, dans un court communiqué, « l’otage d’un système judiciaire japonais partial » dans lequel les « droits de l’homme basiques sont déniés », Carlos Ghosn a choisi de fuir. D’après le quotidien libanais Al Joumhouria, qui a le premier relayé l’information, l’ancien dirigeant de l’alliance Renault-Nissan a quitté le Japon où il était assigné à résidence et a atterri lundi 30 décembre au matin à Beyrouth à bord d’un avion privé en provenance de Turquie. Il l’a confirmé officiellement mardi : « Je suis maintenant au Liban. »

Il y aurait retrouvé son épouse, Carole, et logerait dans une maison protégée par plusieurs gardes. Il pourrait donner une conférence de presse prochainement dans laquelle il devrait attaquer le Japon et les accusations portées contre lui. « Je n’ai pas fui la justice – je me suis libéré de l’injustice et de la persécution politique. Je peux enfin maintenant communiquer librement avec les médias et je suis impatient de commencer la semaine prochaine », explique-t-il dans le texte diffusé.

Comment est-il parti ? Selon une source citée par la chaîne publique japonaise NHK, il pourrait avoir quitté le pays sous une fausse identité. Une vérification des données des services d’immigration montre qu’il n’y a eu aucune sortie du territoire sous le nom de Carlos Ghosn.

« Je n’en sais rien », disent ses avocats interrogés par la NHK. Même réaction du côté des procureurs chargés de l’enquête le concernant et du ministère de la justice, qui « cherchent à confirmer l’information ».

Nationalités française, brésilienne et libanaise

L’homme d’affaires arrêté en novembre 2018 et mis en examen à quatre reprises pour des malversations financières, était assigné à résidence depuis sa libération sous caution, le 24 avril, après un total de 130 jours de garde à vue. Les conditions de sa résidence lui interdisaient de voyager à l’étranger. Il n’avait pas non plus le droit de voir ou de communiquer avec son épouse. Le parquet avait refusé à plusieurs reprises tout assouplissement.

Carlos Ghosn logeait dans une maison du quartier chic de Hiroo, dans le centre de Tokyo. Il semble que la surveillance n’était pas des plus strictes même si elle était assurée par la police, le bureau des procureurs et, à titre privé, par Nissan. Ses filles lui rendaient régulièrement visite.

Le choix du Liban n’est pas anodin. Fils d’immigrés libanais au Brésil, M. Ghosn en détient la nationalité, tout comme celles du Brésil et de la France. Si, aujourd’hui, ses soutiens à Beyrouth sont nuancés, en raison de la mauvaise image qu’il peut donner du pays, il a longtemps bénéficié d’un appui inconditionnel. Son succès dans le redressement du constructeur japonais Nissan en avait fait un héros. Un timbre à son effigie avait été émis.

Pendant la période de garde à vue de M. Ghosn, l’ambassadeur du Liban au Japon fut un de ses principaux visiteurs, et une partie non négligeable de la classe politique libanaise, à commencer par l’entourage du président, Michel Aoun, a pris sa défense. Sur Facebook, une page de soutien « We are all Carlos Ghosn » avait été créée par des citoyens libanais. Le slogan a même été diffusé sur des panneaux publicitaires à Beyrouth.

« Un complot et une trahison »

Depuis sa libération sous caution, M. Ghosn préparait son procès, qu’il espérait voir débuter en avril 2020. Malgré 109 jours passés en garde à vue, il n’a jamais reconnu le moindre fait lui étant reproché.

Il développait une stratégie de défense axée sur les critiques du système judiciaire japonais, évoquant une cabale contre lui. En janvier, Carlos Ghosn dénonçait « un complot et une trahison ». En octobre, ses avocats avaient demandé l’annulation des poursuites. Ils critiquaient le déroulement de l’affaire créée dans le but d’« évincer » Carlos Ghosn et de l’empêcher de renforcer l’alliance entre Nissan et Renault.

Les conseils de l’homme d’affaires dénonçaient la proximité du constructeur nippon avec le bureau des procureurs spéciaux du parquet de Tokyo, chargé de l’enquête sur M. Ghosn. Ils avaient critiqué des perquisitions et des saisies « illégales » de documents, parlant même du « vol » d’un ordinateur à Beyrouth.

Cet ordinateur contenait des informations ayant permis aux enquêteurs de poursuivre leur enquête au Liban et de déterminer comment M. Ghosn aurait détourné à son profit une partie des 15 millions de dollars (13,4 millions d’euros) versés sous l’intitulé de « primes de performances » entre 2015 à 2018 à Suhail Bahwan Automobiles (SBA), un concessionnaire omanais de Nissan.

Cette affaire lui a valu une mise en examen pour abus de confiance aggravé. Il l’est par ailleurs pour avoir fait couvrir, par Nissan, des pertes réalisées sur des placements personnels au moment de la crise de 2008. Il est aussi inculpé à deux reprises pour infraction à la législation sur les échanges et les instruments financiers. Il aurait minoré de 9,1 milliards de yens (74 millions d’euros) ses revenus déclarés aux autorités financières.

carlos

⚡SUIVI -Carlos Ghosn et son épouse auraient planifié cette grande évasion depuis plusieurs jours. Le #Japon pourrait être tenté d'émettre rapidement un mandat d'arrêt international... #Ghosn s'ouvre ainsi à 65 ans une vie de fugitif international. (Échos)

24 octobre 2019

Enquête - Le « j’accuse » des avocats de Ghosn contre les procureurs japonais

Par Éric Béziat

Collusion avec Nissan, dissimulation de preuves, saisies illégales… Les défenseurs de l’ancien PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi mettent gravement en cause l’enquête contre leur client et réclament l’annulation de la procédure.

La meilleure défense c’est l’attaque ! Les avocats de Carlos Ghosn ont décidé de mettre en action ce vieil adage stratégique, lors d’une audience préliminaire – une étape importante sur la route du procès Ghosn – programmée à Tokyo, jeudi 24 octobre.

Les défenseurs du patron déchu ont choisi de plaider l’innocence de leur client sur tous les faits qui lui sont reprochés. Surtout, ils mettent en cause gravement le bureau du procureur de Tokyo et demandent au juge l’annulation de toute la procédure, estimant l’enquête pénale « inconstitutionnelle, illégale et invalide ».

Arrêté à Tokyo pour des malversations financières, le 19 novembre 2018, l’ancien PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi fait face à des accusations de dissimulation de revenus entre 2009 et 2017 et d’abus de confiance. Il est actuellement en résidence surveillée dans la capitale japonaise. Il risque jusqu’à dix ans de prison.

Privé d’une partie de sa liberté, le patron déchu aura eu le loisir de préparer sa contre-offensive avec son équipe d’avocats japonais épaulés par pas moins de six autres cabinets juridiques aux Etats-Unis, en France, aux Pays-Bas et au Liban. La stratégie consiste à entrer en combat frontal avec les accusateurs de M. Ghosn. Et elle est appliquée avec vigueur : les requêtes de la défense adressées au juge, auxquelles Le Monde a pu avoir accès dans une version en anglais, n’y vont pas avec des gants.

Enquête secrète

Les avocats de M. Ghosn commencent leur remontrance en accusant le bureau des procureurs du district de Tokyo de « collusion » avec des hauts dirigeants de Nissan qui, en accord avec le gouvernement japonais, auraient lancé une enquête secrète dans le but de découvrir des malversations attribuables à leur client. L’objectif réel était, selon eux, d’éliminer Carlos Ghosn de l’Alliance car il préparait un rapprochement, insupportable aux yeux des Japonais, de Renault et de Nissan.

La défense cite nommément les prétendus complotistes, certains étant encore aujourd’hui à la tête de Nissan comme Masakazu Toyoda (administrateur du constructeur et président du comité des nominations) ou Hitoshi Kawaguchi (vice-président exécutif chargé entre autres des affaires publiques). « L’équipe d’investigation du bureau des procureurs a accepté les résultats de cette enquête interne déloyale et biaisée », s’indigne la défense.

Et il y a plus grave. les avocats de M. Ghosn accusent les procureurs d’une série d’actes illégaux qui relèvent parfois de la justice pénale. Ils soulignent en particulier que les procureurs ont violé les exigences légales japonaises en limitant l’accès aux documents auxquels avait droit la défense, mais aussi en renvoyant à Nissan des éléments de preuve saisies au siège du constructeur et enfin en « détruisant, à la demande de Nissan, des données électroniques qui aurait dû être divulguées [aux avocats] ».

Quant aux faits délictueux, il s’agit des confidences à destination de la presse dont les avocats accusent le bureau des procureurs. La requête identifie treize articles parus entre novembre 2018 et mai 2019 qui ont été, d’après la défense, alimentés par des fuites « d’informations arbitraires, concernant l’enquête, tendant à prouver qu’il y avait abondance de preuves de la culpabilité de M. Ghosn ». « Qu’un procureur fournisse aux médias des informations à propos d’une enquête en cours (…) est en soi un crime », soulignent les défenseurs, citant plusieurs articles de la loi japonaise sur les services publics.

Détournement de la procédure de plaider-coupable

Les conseils de M. Ghosn estiment, par ailleurs, qu’il y a eu détournement de la procédure de plaider-coupable – deux anciens cadres de Nissan, Hari Nada et Hideaki Ohnuma, ont officiellement accepté de dénoncer leurs « complices » en échange de l’abandon des charges pesant sur eux – la rendant illégale, le tout assorti de pressions sur les témoins-clés, dont Hiroto Saikawa, directeur général de Nissan au moment de l’arrestation et qui a succédé à Carlos Ghosn à la tête du constructeur nippon jusqu’en septembre.

Les avocats dénoncent aussi des perquisitions et des saisies « illégales » de documents, soit parce qu’elles ont été réalisées par des salariés de Nissan – il est question d’ordinateurs au Liban et au Brésil – agissant pour le compte et avec l’aval des procureurs, soit parce qu’elles ont privé M. Ghosn de documents qu’il avait préparés pour sa défense, violant ainsi ses droits de mis en cause. « Des preuves obtenues dans de telles conditions ne peuvent être recevables », indique la requête.

Enfin, les avocats de Carlos Ghosn insistent sur les injustices dont leur client serait victime : déni de son droit à un procès rapide – on parle du mois d’avril 2020 sans plus de précision –, persécutions psychologiques de la part des autorités, discrimination envers un non-Japonais, les malversations présumées de quelques dirigeants nippons de Nissan n’ayant fait, elles, l’objet d’aucune poursuite.

Carlos Ghosn nie toute culpabilité

Pour la défense, la conclusion de cette démonstration est évidente – même si les avocats de M. Ghosn apportent rarement des preuves formelles de ce qu’ils avancent. Tout ceci doit aboutir à la nullité d’une procédure basée sur « une enquête extrêmement illégale et préjudiciable ». « Cette affaire n’aurait jamais dû être portée en justice, affirment les avocats de l’ex-patron dans un communiqué diffusé à l’ouverture de l’audience. Si les accusations ne sont pas rejetées, M. Ghosn est prêt à les combattre vigoureusement. Il est innocent. »

Car et, c’est là l’autre point des requêtes adressée au juge, M. Ghosn nie toute culpabilité dans les affaires de malversations financières qui ont causé sa chute. Sur les accusations de dissimulation de revenus, la défense assure que Carlos Ghosn n’a jamais touché aucune somme qui n’aurait pas été déclarée en bonne et due forme.

Concernant le délit d’abus de confiance, l’ancien PDG est principalement accusé d’avoir fait verser par Nissan plusieurs dizaines de millions d’euros à des intermédiaires en Arabie saoudite et au sultanat d’Oman en échange d’avantages personnels.

Dans ces deux situations, la défense est grosso modo la même : les sommes versées l’ont été légitimement en contrepartie de vrais services qui ont accru le volume d’affaires de Nissan dans la région. Ces primes ont, en plus, été approuvées, signatures à l’appui, par au moins dix dirigeants de Nissan, nommément cités dans l’adresse au juge japonais, dont M. Saikawa en 2017 et 2018 pour 7,5 millions de dollars (6,7 millions d’euros).

Dans tous les cas, les avocats de M. Ghosn nient que leur client ou des membres de sa famille aient pu être les bénéficiaires, même indirects, de ces paiements.

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