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Jours tranquilles à Paris
societe
1 juillet 2019

Chronique : LGBTQIA+… La sexualité a-t-elle besoin d’étiquettes ?

gayetc

Par Maïa Mazaurette

La prise en compte des identités minoritaires peut certes compliquer la vie. Tout cela ne relève-t-il pas du domaine du privé ? Pour la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette, plus il y aura de mots, plus la société pourra être inclusive.

LE SEXE SELON MAÏA

LGBTQIA+, c’est pas bientôt fini cette histoire ? Lesbiennes, gays, bis, trans, queers, intersexes, asexuels, et il faudrait en ajouter encore ? Eh bien… oui, sans doute. Ce n’est pas si exaspérant, et puis en France, d’habitude, nous sommes plutôt friands d’acronymes : personne ne proteste quand on parle de l’Unicef, des Assedic ou du programme Erasmus.

Si vous n’êtes pas franchement convaincus par cette ribambelle de lettres, si vous faites partie de celles et ceux qui voient dans cette accumulation un très suspect besoin identitaire, il faut lire les mots de l’autrice Mélanie Fazi : « L’étiquette, ce n’est pas s’enfermer dans une boîte, ce n’est pas chercher à tout prix la normalité, ce n’est pas couper inutilement les cheveux en quatre. C’est savoir qu’il y en a d’autres comme nous. Savoir que [notre orientation] n’est pas un problème, et qu’on n’a pas à s’en vouloir de ne pas réussir à le résoudre : c’est une identité connue. Vivre sans étiquette, c’est n’avoir aucune existence aux yeux du monde, parce que les autres ne savent pas. »

Mais pourquoi les autres devraient-ils savoir ? Pourquoi devriez-vous savoir ? C’est simple : même de manière inconsciente, vous pensez savoir – notre société est organisée autour d’une certaine idée de la normalité. Ce qui complique la vie de personnes comme Mélanie Fazi : « C’est une redéfinition de chaque instant : rectifier ou non les attentes que les autres plaquent sur nous par défaut, revendiquer ou non cette différence, la vivre discrètement ou bien en faire un étendard. » (Son témoignage est à découvrir dans son ouvrage de non-fiction intitulé Nous qui n’existons pas, paru en 2018 aux éditions Dystopia.

Quand Mélanie Fazi parle d’attentes « par défaut », ces dernières se situent à des niveaux multiples. Jusqu’à preuve (et revendication) du contraire, la société nous considère comme bien installés dans notre sexe de naissance, qui correspondrait à notre genre, tout cela serait somptueusement hétérosexuel, l’amour serait la grande aventure qui nous rendrait complets, et nous ferions des enfants. Ce « par défaut » est absurde. Surtout quand l’histoire, la géographie ou les sciences sociales nous démontrent que l’ordre naturel est construit (nous avons par exemple appris à l’école que l’idée d’hétérosexualité aurait épaté les citoyens athéniens de l’Antiquité, lesquels nous auraient sans doute demandé pourquoi nous avons tant besoin d’exhiber cette « étiquette hétérosexuelle »).

Essayer d’inclure

Ne pas ressentir le besoin de s’identifier est un privilège : la norme est comme l’air qu’on respire, on n’y fait pas forcément attention. Parce que notre identité est invisible, on se demande pourquoi certain/e/s recherchent la visibilité, pourquoi certains passages piétons seraient recouverts d’arc-en-ciels, pourquoi nous aurions des LGBTQIA+ prides. Ne pourrions-nous pas laisser tout ça dans le domaine du privé ?

Le problème, c’est que si vous êtes hétéro, votre sexualité personnelle n’est pas privée. Elle passe dans le journal, dans les salles de cinéma, elle constitue l’idée que nous transmettons d’une existence épanouie. Rien que pour acheter un billet de train, vous devez renseigner votre sexe – et parfois votre statut marital (pourtant, ce n’est pas comme s’il existait des wagons pour femmes célibataires). Votre corps lui-même est une étiquette – quitte à rester au rayon papeterie, ne parle-t-on pas d’enveloppe charnelle ?

Certaines résistances viennent du fait que la prise en compte des identités minoritaires complique la vie. Ah oui, parfois, la vie est compliquée ! L’éthique est compliquée.

C’est le même argument pour l’écriture inclusive… Pourtant, en nommant, en faisant évoluer la langue, on inclut ces minorités aux débats. Cela ne va pas changer leur situation de manière directe, mais on ne change aucune situation, jamais, sans commencer par la prendre en compte.

Tout ce qu’on nous demande en ajoutant des lettres aux LGBTQIA+, c’est d’essayer d’inclure. C’est notamment à cela que sert le « + » final. C’est également pour cette raison que ce paquet de lettres pourrait être remplacé par un générique « queer » (tordu, entortillé). Alors, va-t-on finir avec un sigle de 79 lettres ? Un simple + ? On peut faire de la prospective, mais le passé nous montre que la langue et ses usages ne nous emmènent pas toujours dans la direction attendue. Et puis, quand on ne sait pas, on peut demander : qui es-tu, où vas-tu, dans quelle étagère ?

Identité mouvante

Peut-être que les personnes concernées ne sauront pas répondre à nos questions, parce que leur identité sera mouvante – ou que la question ne sera pas pertinente dans leur cas.

Vous connaissez bien cette situation, soit dit en passant : si vous êtes un homme hétérosexuel « normal », une femme féminine née sous le signe de Vénus, vous êtes déjà passé/e par des phases trans. Vous avez connu vos propres trajectoires sexuelles, vos propres accrocs dans la toile bien tissée des attentes sociales – et tant que vous serez en vie, cette trajectoire continuera son bonhomme de chemin (ou sa bonne-femme ou sa bonne-intersexe de chemin).

Vous avez transitionné de l’enfance à la puberté, vous avez découvert l’auto-érotisme. Peut-être avez-vous connu quelques escapades queers. Peut-être avez-vous porté un fœtus dans votre ventre. Peut-être vos érections sont-elles soutenues par des substituts chimiques. Votre sexe, votre genre, vos préférences, ne sont ni plus stables, ni plus normales, que celles de votre voisin/e intersexe butch demiromantique à tendance cuir & dentelles.

Un jour, sans doute, ces catégories n’auront plus aucun sens (parce que les notions d’homme et de femme auront disparu, parce que nous aurons renoncé à établir des orientations sexuelles fixes, parce qu’il n’existera plus aucune attente concernant l’obligation à aimer ou désirer quiconque).

Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour l’instant, une partie non négligeable de la population essaie de ne pas se faire frapper en pleine rue, de ne pas embarrasser sa famille, de ne pas perdre son boulot parce que le/la boss est LGBTQIA+ phobe (si vous trouvez ça long, rappelons qu’il existe plus de 70 000 mots français comportant treize lettres ou plus – preuve que nous sommes parfaitement capables de gérer ce niveau de complexité).

Par ailleurs, réjouissons-nous de nos queers, trans, bears et autres fems : qui peut sincèrement désirer que sa langue possède moins de mots ? Même si certains sont des acronymes, ou des néologismes, ou même des synonymes ? Pourquoi ne pas voir le verre à moitié plein, la coupe à moitié remplie, le godet à moitié complet, la chope à moitié comble – et nous tous et toutes, à ce rythme, probablement totalement alcoolisé.e.s ? Les flacons importent. Tous les flacons. On aura d’autant plus d’ivresse.

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29 juin 2019

C'est la GAY PRIDE aujourd'hui à Paris...

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29 juin 2019

Paris : 500 000 personnes attendues à la marche des fiertés LGBT

Le traditionnel défilé de la communauté homosexuelle partira à 14 heures ce samedi après-midi de Montparnasse. Arrivée prévue à République en fin d’après-midi.

Par Philippe Baverel

Quelque 500 000 personnes devraient participer ce samedi après-midi à la marche des fiertés LGBT (lesbienne, gay, bi et trans) organisée par la fédération d'associations Inter-LGBT. A la fois festif et politique, ce défilé toujours haut en couleurs, partira à 14 heures de la place du 18-Juin à Montparnasse (VIe et XVe), empruntera notamment le boulevard Saint-Michel, la place du Châtelet, le boulevard Sébastopol, Strasbourg Saint-Denis, le boulevard Saint-Martin pour arriver en fin d'après-midi à République, après 5,5 km demarche, où une pléiade de chanteurs et de DJ se relaieront sur le podium.

Filiation et PMA principales revendications

50 ans après les émeutes de Stonewall à New York qui marquèrent la naissance du mouvement de défense des droits des gays, les organisateurs de la marche, parrainée cette année par la chanteuse Marianne James, ont choisi pour mot d'ordre : « Filiation, PMA : marre des lois a minima ». Certes, le 12 juin, le Premier ministre, Edouard Philippe, a annoncé que le projet de loi de bioéthique qui sera présenté en juillet, inclura l'extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules -qui doivent aujourd'hui se rendre à l'étranger (en Belgique, en Espagne notamment) pour y avoir recours.

Mais selon Laurène Chesnel, déléguée Familles de l'Inter-LGBT, la future loi est « incomplète », notamment parce qu'elle oublie les intersexes et les personnes trans. Elle estime aussi qu'un « projet de loi propre aurait permis de mieux saisir la complexité du sujet ».

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Une minute de silence à 16 h 30

A 16 h 30, les marcheurs observeront trois minutes de silence, « en mémoire des personnes qui nous ont quittés, emportées par le sida ou par le combat pour l'égalité des droits », précise Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l'Inter-LGBT.

Un budget de 100 000€

Les participants sont invités à faire un don à l'octroi qui sera installé sur le pont au Change : les sommes ainsi recueillies (15 000 € l'an dernier) contribuent à financer l'organisation de cette énorme manifestation. « Mais cela ne suffit pas puisque le budget de la marche s'élève à 100 000 €, financé par la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anit-LGBT (DILCRAH), la mairie de Paris, la région Ile-de-France et des partenaires privés », détaille Aurore Foursy, présidente de l'Inter-LGBT.

28 juin 2019

Enquête - Comment le numérique accélère nos vies

Par Laure Belo

Les technologies nourrissent et se repaissent de l’attrait de notre cerveau pour les gratifications immédiates. Tout va toujours plus vite. Avec quelles conséquences ? Enquête sur un hold-up attentionnel massif.

Pester car une application ne s’ouvre pas instantanément sur un smartphone (pour rappel, un ordinateur portable mettait plus de deux minutes à démarrer avec le système d’exploitation Windows 2000) ; renoncer à entrer dans un magasin car il y a trop d’attente aux caisses ; regarder un vieux film et se surprendre à penser que le rythme est trop lent, etc. Sommes-nous de plus en plus impatients ? Il suffit de poser la question autour de soi pour rallonger sans peine cette liste d’anecdotes prises dans la vie quotidienne.

Des sondages, souvent diligentés par des entreprises qui annoncent vouloir nous faire gagner du temps, l’affirment. Ainsi, 82 % des Français se disent « plus impatients qu’auparavant », selon une étude pour la banque en ligne – et sans guichet – ING. Une enquête, réalisée en 2018 pour la direction du site Lemonde.fr, a mesuré qu’après cinq secondes d’attente, sur dix lecteurs potentiels derrière l’écran, trois jetaient l’éponge. La nouvelle formule, lancée en novembre 2018, a répondu à ce besoin d’immédiateté : le temps de téléchargement du site est passé de 8 à 2 secondes et la fréquentation a bondi, gagnant « 24 % de pages vues par visite », explique Kevin Singer, responsable du pôle audience.

Un bref détour sur le site Thinkwithgoogle.com, rubrique « Test My Site » (en français « Penser avec Google », rubrique « Tester mon site ») permet de prendre le pouls de cette sidérante course mondiale à la rapidité numérique : il suffit d’y inscrire le nom d’un site pour connaître sa performance de vitesse… et le verdict de Google.

Le site Lemonde.fr, mesuré à 2 secondes, est ainsi considéré comme « lent ». Il est vrai que pour Google, qui propose, comme Facebook, des solutions techniques pour aller plus vite, un site ne mérite l’appellation « rapide » que si son temps de téléchargement avoisine celui d’un battement de cil, 0,1 seconde. Son slogan commercial va droit au but : « Un site mobile lent limite votre business. »

Performance économique

Le lien entre vitesse et performance économique n’est pas nouveau. En 1998, deux chercheuses américaines, Kathleen Eisenhardt et Shona Brown, publiaient un ouvrage, Competing on the Edge (Harvard Business Review Press), décrivant comment les entreprises les plus performantes s’imposaient à intervalles de temps réduits des changements drastiques – tels que 30 % de nouveaux produits chaque année.

Cette accélération est symbolisée, pour les entreprises cotées en Bourse, par les rapports d’activités à destination des marchés financiers : entre le début du XXe siècle et du XXIe siècle, ces demandes de preuves de résultats sont passées d’une périodicité annuelle, à semestrielle puis trimestrielle.

En quoi cet environnement a-t-il peu à peu modifié notre propre rapport au temps ? « L’impatience croissante des individus résulte d’une évolution sur plusieurs siècles liée au passage du temps cyclique des sociétés prémodernes, en relation avec les rythmes naturels, au temps linéaire des sociétés industrielles où la vitesse est placée au centre, analyse la sociologue italienne Carmen Leccardi. Cependant, la pression, ces dernières décennies, des marchés financiers sur la production et la performance, tout comme la simultanéité proposée par les outils numériques, a intensifié cette tendance, constate celle qui, depuis plus de trente ans, conduit des recherches sociologiques sur le temps. L’impatience est le résultat d’une vie sociale gérée par l’idée de vitesse. »

Elle poursuit : « Notre temps est de plus en plus fragmenté. Nous sommes impliqués dans une multitude de situations, endroits, actions, relations…, confrontés à des informations supplémentaires nous arrivant quotidiennement. Dans nos vies professionnelles et personnelles, nous bâtissons sans cesse de nouvelles hiérarchies et priorités avec une impression diffuse que notre vie est saturée et que le temps ne nous suffit pas. »

De fait, que ce soit pour s’informer, communiquer, consommer, etc., le nombre de stimuli cognitifs et sensoriels que nous recevons et émettons chaque jour ne cesse d’augmenter en fréquence et en intensité.

LE RYTHME MOYEN DES « TUBES » AMÉRICAINS S’EST INTENSIFIÉ « DE PRESQUE 8 % ENTRE 1986 ET 2015, PASSANT DE 94 À 101 BATTEMENTS PAR MINUTE », D’APRÈS LE DOCTEUR EN THÉORIE MUSICALE HUBERT LÉVEILLÉ GAUVIN

Au cinéma, notre rétine s’est habituée depuis plus d’un siècle à de plus en plus de vitesse : la longueur moyenne d’un plan est passée d’environ 12 secondes en 1930 à 2,5 secondes en 2010, selon une étude universitaire présentée en 2010 par James Cutting, de l’université Cornell, menée sur 15 000 films.

Même tendance dans notre environnement sonore : le rythme moyen des « tubes » américains s’est intensifié « de presque 8 % entre 1986 et 2015, passant de 94 à 101 battements par minute », précise le docteur en théorie musicale Hubert Léveillé Gauvin, qui a étudié 303 titres du top 10 américain. Sur cet échantillon, la voix arrive désormais bien plus tôt, 5 secondes après le début d’un morceau, contre 23 secondes en 1986. « La voix vient plus vite car, en une minute, il faut que les gens aient compris d’emblée l’essence d’une chanson », commente le directeur artistique Julien Bescond qui produit Christine and the Queens et Charlotte Gainsbourg chez Because Music.

Stimulation à l’intensité croissante

Sur les plates-formes de streaming, telles que Deezer ou Spotify, « les gens écoutent beaucoup de morceaux et ont de moins en moins de temps ». Aux Etats-Unis, « la musique pop tend désormais vers un format de 2 minutes 30, alors qu’il y a encore quatre ans on éditait des morceaux à 3 minutes 30 pour la radio », explique le producteur.

La composition même des titres s’adapte : chaque partie d’un morceau (couplet, refrain, pont…) se veut « très différente pour tenir en haleine, il s’agit de créer des gimmicks, des impulsions toutes les 20 secondes environ ».

Même notre environnement olfactif participe de cette dynamique. « Aujourd’hui, un consommateur potentiel doit être accroché par un parfum en moins d’une demi-minute dans une grande chaîne de distribution, autrement il s’en détourne, alors que dans les années 1980 il prenait de 5 à 10 minutes pour se décider dans une boutique de proximité », explique Arnaud Guggenbuhl, directeur marketing fine fragrance chez Givaudan. « Pour répondre à cette impatience, nous travaillons sur l’excitation olfactive et l’impact des senteurs sucrées, fruitées, qui donnent envie beaucoup plus vite. Les plus grands succès mondiaux ont des notes de tête, celles qui se révèlent les premières, très travaillées pour être accrocheuses. »

Quant à la vie relationnelle, les arrivées successives du Web, des réseaux sociaux puis des smartphones, il y a respectivement une trentaine, une quinzaine et une dizaine d’années, ont bouleversé celle de tous ceux qui ont accès aux outils numériques.

Depuis décembre 1992, date du premier SMS, « Merry Christmas », envoyé sur un réseau téléphonique anglais, nos interactions sont exponentielles, encore plus rapides à travers les applications de messageries instantanées telles que WhatsApp, Facebook Messenger, WeChat : pour ne donner qu’un chiffre, en 60 secondes en 2019, 41,6 millions de messages s’y échangent en moyenne dans le monde, 40 % de plus qu’en 2017 selon Statista.

Les conséquences de cette stimulation à l’intensité croissante commencent à être documentées par des équipes scientifiques. L’étude « Accelerating Dynamics of Collective Attention », publiée le 15 avril dans Nature Communications, décrit une société où les individus « obtiennent beaucoup d’informations sur un sujet très rapidement, mais s’en désintéressent de plus en plus vite. Ils sont saturés plus tôt », explique Philipp Lorenz-Spreen de l’Institut de physique théorique à Berlin.

Pour arriver à cette conclusion, le scientifique et ses trois coauteurs, tous physiciens des systèmes complexes, ont analysé des séries d’informations reçues par les individus aux XIXe, XXe et XXIe siècles. Ainsi, sur un échantillon de 43 milliards de tweets émis entre 2013 et 2016, ils ont découvert qu’un sujet restait dans le classement des 50 premiers hashtags (mot-clé) les plus populaires de moins en moins longtemps : 17,5 heures en 2013, 11,9 heures en 2016.

Effet de mode

Même cycle d’intérêt puis de désintérêt en analysant la persistance des expressions « à la mode » en littérature. A l’aide des données de la bibliothèque numérique Google Books, les chercheurs ont mis en évidence que l’effet de mode d’un terme « accrocheur » issu d’un livre était de six mois en moyenne à la fin du XIXe siècle, contre un mois désormais.

« Notre hypothèse de départ est que toutes les informations que nous recevons se disputent notre attention », explique le physicien, féru du livre d’Hartmut Rosa Accélération. Une critique sociale du temps (La Découverte, 2010).

Le chercheur veut poursuivre ses travaux en étudiant « le rôle des plates-formes en ligne et de leurs algorithmes afin d’imaginer quelles pistes permettraient de recevoir moins d’informations et de meilleure qualité ». L’une des difficultés, poursuit-il « est d’obtenir de ces acteurs numériques des données autour de sujets qui concernent le bien commun ».

Le Monde a contacté une multitude de plates-formes, de YouTube à Spotify, de Uber à Deezer, pour tenter d’obtenir des données mesurant notre impatience : sommes-nous plus nombreux à utiliser l’avance rapide des vidéos, zapper un morceau de musique, utiliser la livraison en express ou renoncer à un Uber car il y a 5 minutes d’attente ?

La récolte auprès de ces acteurs a été nulle. Un refus qui n’étonne pas le sociologue Dominique Boullier, chercheur au Digital Humanities Institute de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), en Suisse : « Les plates-formes peuvent désormais comprendre intimement nos motivations, mais elles vont bloquer l’accès à ces données car elles veulent les monétiser, explique le chercheur. Le problème ne réside même plus dans l’accès à des données considérées comme personnelles : rien qu’en analysant nos microtraces numériques tels les taux d’abandon, elles obtiennent des statistiques massives que n’ont pas les chercheurs universitaires. »

Quel rôle a le numérique dans cette évolution de notre rapport au temps ? « Il est central », explique la chercheuse en intelligence artificielle (IA) Nozha Boujemaa, qui souligne que les services « tout gratuit » ont généralisé l’utilisation de l’IA pour maintenir l’attention des usagers sur les plates-formes. Au prix du respect de l’individu lui-même, stimulé de toute part, qui peut avoir tendance à vouloir « tout tout de suite », dit la chercheuse, et développer « une sorte d’accoutumance ».

« L’enfant doit être précoce »

Certaines statistiques sont déjà impressionnantes : 35 % des Américains possédant un smartphone le regardent moins de cinq minutes après leur réveil. Dans l’heure, c’est huit personnes sur dix. D’où l’essor, en contrepoint, de mouvements citoyens précurseurs prônant depuis plusieurs années une « slow life ».

« On assiste bien à une prise de conscience d’un nécessaire ralentissement, constate Dominique Boullier, mais aucune grande entreprise n’endosse pour l’instant cette tendance à long terme et ne prend en compte ce critère en termes de productivité. Le modèle économique reste basé sur la réactivité. »

« Nous vivons une période de changements profonds, résume la sociologue Carmen Leccardi. Poussés par l’activité, adultes, adolescents mais aussi enfants dorment de moins en moins dans les pays développés. » Le pédopsychiatre Patrice Huerre reconnaît observer « une tendance à l’impatience chez les enfants et adolescents qui part des parents eux-mêmes. Dès le début de la vie, le calendrier physiologique ou psychologique d’un enfant peut être bousculé au profit du calendrier des idéaux parentaux : leur enfant doit être précoce ou en avance ». En conséquence, poursuit-il, « l’enfant va être surstimulé, ce qui développe chez lui un sentiment que, pour exister, il faut s’exciter ».

« Toutes ces stimulations font que notre attention se divise. Tout comme, mathématiquement, le temps passé sur chaque chose. D’où cette impression d’accélération, il faut aller vite tout le temps, analyse le neuroscientifique Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche à l’Inserm. Notre cerveau recherche sans cesse le sentiment de gratification immédiate. Or, une information nouvelle, qu’elle soit positive ou négative, stimule cette gratification, c’est le circuit de la récompense. Résultat : on peut basculer facilement dans une dynamique où on essaye d’en avoir plus, le plus souvent possible. »

Pour Carmen Leccardi, « nous allons devoir bâtir de nouveaux équilibres entre temps humain, qui anthropologiquement est lié aux rythmes naturels, temps social, technologique et financier ». La difficulté, poursuit-elle « est de continuer à avoir du temps pour soi, pour s’asseoir, regarder le ciel, se promener, lire un livre ». Si vous avez lu cet article jusqu’à la fin, ce qui a dû prendre environ 9 minutes selon l’estimation de l’algorithme élaboré par Lemonde.fr affichée dès la première ligne, c’est plutôt bon signe !

25 juin 2019

Sexualité : pour en finir avec la norme actif/passif

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Par Maïa Mazaurette

Non, il n’y a pas de passifs et d’actifs pendant une pénétration sexuelle, insiste la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette, qui nous invite à être pleinement partenaires.

LE SEXE SELON MAÏA

Actifs, passifs : comment se fait-il que notre vocabulaire sexuel ressemble à celui de la finance ? Comment se fait-il que « recevoir » implique une passivité, alors même qu’à l’école, on demande aux apprenants de recevoir activement le savoir dispensé par leurs professeurs ? « Faisons l’amour », synonyme de « je vais te faire l’amour »… c’est bizarre, non ?

Bon. Au risque de démolir quelques millénaires de vision phallocentrée de la sexualité : pénétrer un/e partenaire n’est pas une position plus active que recevoir dans son corps un pénis (ou un doigt, ou un sextoy, ou une banane plantain).

En l’occurrence, la « réceptivité » ne manque pas de complexité. Selon sa sensibilité, on peut percevoir la pénétration comme celle d’un organe de 13 cm, ou d’une personne d’1,83 m. Qu’est-ce qui entre en nous, précisément ? Des corps caverneux recouverts d’une membrane de latex, des sentiments, de la routine, une possible grossesse ? Perçoit-on la pénétration comme quelque chose qui va « rester » (« la semence est un déchet qui souille à tout jamais ses destinataires »), ou comme un état purement transitoire (« si on appelle ça des va-et-vient, c’est que ça s’en va ») ?

La personne réceptrice reconnaît et gère ses signes d’excitation et de lubrification (le plus souvent, c’est elle qui s’occupe du lubrifiant). Si cette personne est une femme, elle est généralement en charge de la contraception. Pendant la phase d’intromission, il/elle maîtrise ses muscles vaginaux ou rectaux. Pendant la pénétration, il/elle peut modifier sa position pour limiter ou augmenter la profondeur des mouvements, il/elle utilise des techniques pour faciliter le plaisir (en se masturbant, en alignant son clitoris sur la base du pénis, etc.). Avec un périnée fonctionnel, on peut accélérer ou décélérer les orgasmes.

Cette personne « passive » maîtrise ses fantasmes, sa concentration, son éventuelle simulation. Elle verbalise, suggère et communique. Elle participe aux baisers, caresses, stimulations des zones érogènes primaires ou secondaires, sur son corps ou le corps de ses partenaires… oh, et bien sûr, il/elle règle le niveau de vibration de son sextoy !

Ces compétences sont nombreuses, cruciales… et complètement zappées par l’imaginaire collectif. On les reconnaît seulement dans le cas de pratiques perçues comme extrêmes : la gorge profonde et le fist-fucking. Même dans le cas d’une pratique statistiquement douloureuse comme la sodomie hétérosexuelle (72 % des femmes ont mal, selon le Journal of Sex Medicine en 2015), on persiste à mettre l’homme aux responsabilités… tandis qu’aux femmes, on conseille de « se détendre » (avec des conseils pareils, on n’a pas besoin d’ennemis).

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« Lâcher prise », conseil couteau suisse

En l’occurrence, recevoir une sodomie exige au moins autant de connaissances que la dispenser – sans même parler de l’importance de l’auto-exploration et de l’expérience. Outre la combinaison avec une stimulation clitoridienne (ça excite, ça distrait), la musculature entre en jeu. Le sphincter anal externe peut se contrôler : outre se détendre et se crisper, nous pouvons pousser pour faciliter une pénétration (le lien avec la défécation nous empêche d’en parler avec simplicité – pourtant, de même que nos mains peuvent jouer du piano et arroser un ficus, la zone anale est multitâche).

(Soit dit en passant, ce conseil consistant à « lâcher prise » fait office de couteau suisse pour disqualifier les problèmes des femmes. Qu’on parle de rapports vaginaux, de charge mentale ou d’anorgasmie : quand on vous demande de penser « moins », mieux vaut y réfléchir à deux fois.)

Bien sûr, pénétrer avec un pénis demande également des compétences (obtenir et maintenir une érection, percevoir quelle intensité et quelle profondeur sont souhaitables, poser un préservatif, se retirer avec élégance, etc.). Mais posséder un pénis ou une banane plantain ne demande pas plus de savoirs, ces organes ne sont pas plus complexes, la responsabilité sexuelle ne vous échoit pas naturellement (quoique dans le cas de la banane plantain, des savoirs sur la cuisine créole puissent se révéler utiles).

Prétendre que certaines personnes seraient passives n’est qu’un moyen (grossier) de s’arroger le droit à disposer de leur corps. Nous sommes en 2019. Ça n’est pas acceptable.

Il est plus que temps d’établir une cohérence entre nos actions, notre vocabulaire et notre système de représentations : le simple fait que nous parlions de « partenaires » implique une coopération. Tant mieux, parce que c’est exactement de cette manière que nous pourrons proposer une alternative aux rapports de domination qui constituent le socle de notre culture sexuelle (toute pénétration ne constitue pas une domination : c’est un pénis, pas un marteau, encore moins une férule papale).

Si la coopération remplaçait le schéma pénétrant/pénétré, dominant/dominé, actif/passif, deux des frustrations les plus couramment répandues chez les hommes s’effaceraient : les partenaires inertes qualifiées d’« étoiles de mer », et le sentiment de devoir systématiquement prendre l’initiative (sentiment justifié puisque effectivement, 44 % des femmes ne prennent que rarement, ou jamais, l’initiative des rapports sexuels – selon les chiffres de l’Ipsos en 2014).

En outre, en disposant d’un système mental leur permettant de développer leurs compétences, les personnes « réceptrices » amélioreraient leur expérience du sexe. Car si les prétendues passives (et prétendus passifs) se voyaient reconnaître le contrôle qu’elles/ils exercent sur leur réceptivité sexuelle, alors elles/ils auraient les moyens de rendre les rapports moins douloureux. Et ce n’est pas une mince affaire, quand on sait que 30 % des femmes ont eu mal pendant leur dernier rapport vaginal (Journal of Sex Medicine, 2015).

« Partage de compétences »

Bien sûr, les problèmes médicaux existent, les partenaires brutaux existent. Il n’est pas question d’accabler les personnes en souffrance à coups de résilience bon marché (« il suffit de traverser la rue pour trouver un job, et de maîtriser son périnée pour supporter un amant bourrin »). Mais quoi qu’en disent les partisans de l’omerta sexuelle, la transmission de connaissances et le sentiment d’avoir prise sur son environnement ne peuvent pas faire de mal (jamais).

Et surtout, psychologiquement, ce « partage de compétences » change tout. En tant que femme, l’assignation à la passivité est incompatible avec mon caractère, ma dignité, et évidemment, ma libido. A quoi bon s’investir dans sa vie sexuelle, si c’est pour être reléguée au second rôle ? Si notre vocabulaire me coupe de ma créativité, de mon émancipation, de ma participation ? (Les étoiles de mer épanouies ont toute ma bienveillance, mais personnellement, je préfère me percevoir comme un barracuda ou un grand requin blanc.)

Soyons donc clairs comme de l’eau de mer. Il n’existe que deux situations où une personne peut être qualifiée de passive : quand cette personne est inconsciente, ou quand elle est morte. Vous remarquerez que dans un cas comme dans l’autre, la qualification de « partenaire » devient aberrante. La passivité n’est pas une question d’anatomie : tout partenariat étant par définition actif, la passivité sexuelle n’existe pas.

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20 juin 2019

A Evreux, le tout premier « service national universel » cherche son identité

Par Violaine Morin, Evreux, envoyée spéciale

Deux mille jeunes volontaires de 15 à 16 ans, issus de treize départements, viennent d’entamer le « séjour de cohésion » du service national universel. Ils réaliseront, dans un deuxième temps, une « mission d’intérêt général ».

Il est 7 h 30, ce lundi 17 juin à Evreux lorsque les 136 jeunes « appelés » du service national universel (SNU) lèvent les couleurs pour la première fois, sur le campus verdoyant du lycée Aristide-Briand, où ils passeront les douze prochains jours.

Cette cérémonie, largement inspirée des pratiques militaires, semble plonger les jeunes, âgés de 15 à 16 ans, dans une grande émotion. A part quelques-uns qui sortent des rangs, le teint légèrement verdâtre : il ne sera pas dit que l’on n’a pas fait les choses à la loyale, en réveillant tout le monde à 5 h 50 pour lever les couleurs avant le petit-déjeuner. L’esprit « service », tout universel qu’il soit, est bien là.

Pourtant, à la fin de cette journée de juin, les « appelés » du SNU, répartis en trois « compagnies » d’environ 50 jeunes, auront réalisé, pêle-mêle, les activités suivantes : jouer au foot, au relais ou à la « balle assise », somnoler en écoutant un exposé sur l’histoire du système judiciaire, inventer des cris de guerre pour sa « maisonnée »… Et les nombreux journalistes venus voir l’ouverture de la phase pilote du SNU n’auront pas manqué de se demander où ils ont bien pu tomber. A l’école ? Au service militaire ? En colonie de vacances ?

Le SNU, qui concerne 2 000 volontaires cette année et devrait, à terme, couvrir une classe d’âge entière (environ 800 000 jeunes), veut précisément mélanger ces trois cultures que sont l’école, l’armée et l’éducation populaire. Le recrutement des cadres s’est fait en ce sens : les tuteurs des « maisonnées » sont des jeunes diplômés du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA), apportant clairement les codes de la « colo » à la vie du centre.

« Recréer de la cohésion et de l’engagement »

Les « chefs de compagnie » et leurs adjoints, eux, ont été recrutés avec un souci manifeste d’équilibre : certains sont réservistes – l’un d’entre eux réussit même un doublé, à la fois gendarme réserviste et professeur d’histoire – et une bonne partie sont issus de l’éducation populaire. Dans l’équipe de direction, on trouve une enseignante d’anglais et un ancien colonel de l’armée de l’air.

Les militaires et les animateurs en éducation populaire sauront-ils s’entendre ? Apparemment, oui. « Peut-être qu’il y avait quelques préjugés au départ, admet Stanislas, animateur professionnel de 26 ans. « Mais, si nous n’avons pas les mêmes outils, nous avons les mêmes objectifs : recréer de la cohésion et de l’engagement. »

Les 2 000 appelés du SNU « première version » devront réaliser, à l’issue de ce séjour de cohésion, une « mission d’intérêt général » de douze jours (ou 84 heures réparties sur l’année à venir), auprès d’un « corps en uniforme » (pompiers, gendarmerie), d’un service public ou d’une association.

Les jeunes volontaires – plutôt ravis de leur sort, malgré la grosse fatigue du premier matin – devront aussi trouver leur compte dans cet alliage inédit qui n’est ni tout à fait l’école, ni tout à fait un service volontaire (certains en ont déjà réalisé chez les pompiers), ni vraiment une colo. Sur ce point, les préférences divergent. Il y a les appelés aux métiers de la défense et de la sécurité, comme Alisée, qui avait imaginé quelque chose de « plus strict ». Il y a les grands sportifs comme Sixtine, qui rêvait d’un « parcours du combattant, où on rampe dans la boue et tout ! » Une image qui fait rêver certains mais pourrait en angoisser d’autres…

Que l’on se rassure, il n’en sera rien, assure Florence Desjardins, directrice adjointe chargée de la pédagogie du centre d’Evreux : « C’est un service universel : il doit être accessible et inclusif. Des parcours de ce type, très durs physiquement, ne sont pas du tout au programme. »

« Rencontrer des jeunes issus d’autres territoires »

Les futurs pompiers ou gendarmes auront leur part de découvertes : une journée sur la « sécurité intérieure » est prévue, en partenariat avec la police, la gendarmerie et les sapeurs-pompiers. Mais il y en aura aussi pour ceux, comme Sacha, qui attendent avec plus d’impatience la partie culturelle du programme. Invités en Normandie, les appelés d’Evreux visiteront les plages du débarquement et le mémorial de Caen, puis la maison de Claude Monet à Giverny (Eure), avant d’assister à une pièce de théâtre.

« On vient surtout pour rencontrer de nouvelles personnes, qu’on n’aurait pas forcément croisé autrement », ajoute Sacha. Cette envie sera sur toutes les bouches, y compris lors de la visite du secrétaire d’Etat à la jeunesse, Gabriel Attal, qui porte le projet du SNU. « Dans leur grande majorité, les appelés disent vouloir rencontrer des jeunes issus d’autres territoires, a-t-il constaté, lundi après-midi, devant la presse. Il y a une envie très forte de sortir d’une jeunesse qui fonctionne trop souvent en silo. » Et de glisser que, bien entendu, les jeunes pourront petit-déjeuner avant le lever des couleurs plutôt qu’après.

Les organisateurs de la phase pilote du SNU répéteront à de nombreuses reprises qu’il s’agit d’un « test », qu’il faudra « évaluer les résultats »… Une mission de recherche a d’ailleurs été confiée à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep). Serait-ce cher payé pour un test ? Le SNU coûte 2 000 euros par participant, selon les chiffres avancés par le secrétariat d’Etat à la jeunesse. Soit 4 millions d’euros pour cette session, et 80 pour la suivante, qui devrait concerner 40 000 volontaires…

Un atelier « symboles républicains »

A terme, le service « vraiment universel », qui sera obligatoire pour tous les jeunes d’une même tranche d’âge, devrait coûter 1,7 milliard d’euros. Une somme qui serait mieux employée ailleurs, selon ses détracteurs, comme Régis Juanico, député (PS puis Génération.s) de la Loire fermement opposé à ce projet « redondant avec le service civique » et dont il craint qu’il ne siphonne les financements déjà exsangues.

Le SNU empiète en outre sur d’autres enjeux : « On nous dit qu’il doit recréer de la mixité sociale, mais ça, c’est la mission de l’école, et c’est sur cela qu’il faudrait mettre le paquet ! », tonne encore le député.

Pendant ce temps, à l’atelier « symboles républicains » qui réunit un groupe de garçons assis en rond sur la pelouse, l’un d’entre eux tente de répondre à la question « Pourquoi avons-nous besoin d’un SNU ? » « Pour retrouver quelque chose qu’on a perdu », risque-t-il timidement. « Et qu’est-ce qu’on a perdu ? », encourage l’animateur. « Bah, la fraternité. » L’avenir dira si cette recette l’emporte sur toutes les autres.

18 juin 2019

Enquête - Du désir mais pas de sexisme : comment #metoo a changé les codes de la lingerie

Par Vicky Chahine

Les marques tentent désormais de moderniser l’image de la séductrice sans tomber dans les archétypes sexistes. Un équilibre délicat à trouver.

Cela paraît anecdotique vu de France. Pourtant, aux Etats-Unis, l’annonce, en mai, de l’arrêt de la retransmission télévisée du défilé Victoria’s Secret – qui « doit évoluer », disent ses dirigeants – a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Sorte de Super Bowl de la lingerie, ce show annuel était réputé, depuis 1995, pour son casting de mannequins célèbres aux mensurations parfaites défilant, perchées sur de hauts talons, en tenue légère.

C’est paradoxalement ce défilé ultraconnu qui pose aujourd’hui problème comme, de ce côté-ci de l’Atlantique, les campagnes qui ont fait la renommée d’Aubade. Quelques mois avant l’annonce de Victoria’s Secret, la marque de lingerie française avait affiché sur la façade des Galeries Lafayette Haussmann, à Paris, un gros plan en noir et blanc sur des fesses habillées d’une culotte échancrée. « #sexiste », s’est notamment indignée Hélène Bidard, adjointe à la maire de Paris, sur Twitter.

Ces deux exemples illustrent les discussions qui agitent actuellement l’industrie de la lingerie. Dans une société post-#metoo nourrie de néoféminisme, difficile de ne pas questionner l’image de séductrice qui a longtemps été la norme dans les publicités du secteur. « La lingerie est l’archétype d’un univers dont les hommes ont longtemps tiré les ficelles. Mais, aujourd’hui, les marques cherchent à s’adresser aux femmes », remarque Matthieu Pinet, qui dirige l’espace Exposed, consacré aux marques novatrices au Salon international de la lingerie.

Double challenge

Son binôme, Daniela Melo, ajoute : « L’image de la femme-objet, très maquillée, avec talons aiguilles et porte-jarretelles, a fait son temps, mais c’est cyclique. Dans les années 1970, les femmes brûlaient leur soutien-gorge pour s’émanciper ; dans les années 1980, on valorisait les corps athlétiques, puis la vague du porno chic des années 1990 a mis en avant une hypersexualisation des corps. »

« AVANT, IL Y AVAIT UNE VRAIE POLARITÉ ENTRE CONFORT ET SÉDUCTION. LES MARQUES DE LINGERIE ÉTAIENT SOIT DANS LE REGISTRE SEXY, SOIT DANS CELUI DE L’AISANCE. » DANIELA MELO, SALON INTERNATIONAL DE LA LINGERIE

Nous serions, selon elle, au début d’un nouveau cycle. Un cycle que les acteurs de l’industrie ne peuvent pas rater, d’autant que le chiffre d’affaires global (2,4 milliards d’euros en 2018) est en baisse constante. Ils sont donc face à un double challenge : garder leur clientèle tout en séduisant les nouvelles générations, particulièrement ces 18-24 ans qui achètent de la lingerie huit fois par an (le plus fréquemment, selon une étude Unique by Mode City de 2018) et qui sont particulièrement sensibles au discours des marques, à leur engagement aussi.

En 2017, Maison Lejaby avait commencé à faire bouger les codes avec une campagne composée de portraits de femmes en soutien-gorge photographiées en noir et blanc et en plan rapproché. « L’idée était de montrer le visage plus que le corps, de mettre en avant le caractère. On avait envie d’une femme séduisante avant tout pour elle-même », explique Suzy Alter, responsable de l’image.

Et, pour sa ligne Miss Lejaby, pas de mannequin professionnel mais des femmes entre 20 et 40 ans, avec une taille de poitrine allant du 85A au 90D, non retouchées (la mention est obligatoire sur les publicités depuis 2017). Chez Simone Pérèle, les « Simones », comme s’appellent désormais les égéries, sont chercheuse, escrimeuse, artiste et posent habillées, avec seulement une bretelle ou l’échancrure d’un soutien-gorge visible – le produit, lui, est photographié en nature morte à côté.

Faire cohabiter confort et séduction

« Avant, il y avait une vraie polarité entre confort et séduction. Les marques de lingerie étaient soit dans le registre sexy, soit dans celui de l’aisance, remarque Daniela Melo. Les nouvelles marques essaient, elles, de faire cohabiter les deux. » Comme Henriette H et ses dessous délicatement brodés de messages ou les beautés plurielles d’Ysé avec des modèles « aussi flatteurs que confortables ». « Pour nous, il ne s’agit pas de choquer ou de militer, mais de proposer une nouvelle vision de la sensualité et de la féminité, plus naturelle, plus assumée, ni standardisée ni sexualisée, explique Clara Blocman, fondatrice d’Ysé. A la Renaissance, par exemple, les peintres magnifiaient des femmes à la peau laiteuse, aux seins lourds et aux belles fesses. C’est la publicité qui a changé notre regard. »

Mastodonte du secteur, CL, le groupe qui rassemble huit marques, dont Chantelle, Passionata et Chantal Thomass, s’est vu décerner le prix du créateur lingerie 2019 au Salon international de la lingerie, à la suite d’un important lifting (de son image, notamment). « Le secteur de la lingerie a une part de responsabilité dans les archétypes qu’il véhicule, affirme Renaud Cambuzat, à la tête de l’image et de la création de CL. Nous ne sommes pas contre la séduction, mais nous voulons la traiter différemment. C’est une forme de militantisme silencieux. »

« CERTAINES MARQUES MONTRENT DES VRAIES FEMMES, ET PAS DES MANNEQUINS. C’EST UN CHOIX QUI N’EST PAS LE NÔTRE. ON PRÉFÈRE FAIRE RÊVER. » MARTINA BROWN, AUBADE

Ces dernières semaines, sa campagne pour lancer la ligne SoftStretch de Chantelle a fait l’objet d’un affichage d’ampleur et d’un buzz majoritairement positif – « sauf chez les hommes, où le discours est parfois moins bien compris », précise-t-il. L’égérie qui a fait le plus parler d’elle ? La pulpeuse rousse Tehya Elam, moulée dans un ensemble couleur chair, une Américaine aperçue également au défilé Savage X Fenty, la ligne de lingerie pour toutes morphologies créée par la chanteuse Rihanna. « Attention à l’inclusivité premier degré qui finit aussi par véhiculer des stéréotypes : nous n’avons pas choisi Tehya pour ses formes, mais pour sa personnalité. »

« Aujourd’hui, la publicité table sur le réalisme »

Toutes ces démarches s’inscrivent dans la veine du « body positive » – l’acceptation des corps dans toutes leurs diversités. « Longtemps, la publicité a joué sur l’exclusion et la frustration ; aujourd’hui, elle table sur le réalisme », remarque l’historienne de la mode Florence Müller. Ainsi, en juillet, pour la seconde année, le Salon de la lingerie proposera son défilé I Feel Unique, soit une quinzaine de femmes de toutes morphologies paradant en maillot. Ce qui n’empêche pas certaines publicités de continuer à jouer sur les codes plus traditionnels de la séduction.

Martina Brown, directrice générale déléguée d’Aubade, confiait à l’Agence France-Presse, en janvier, que certaines marques « montrent des vraies femmes, et pas des mannequins. C’est un choix qui n’est pas le nôtre. On préfère faire rêver ». Florence Müller, qui regrette l’outrance actuelle du politiquement correct, fait une autre lecture de ce type de campagne : « C’est du second degré poussé à l’extrême, une provocation même ! C’est la femme libérée qui joue avec les codes de la femme-objet. Elle n’a justement plus besoin d’être féministe au premier degré. »

Pas sûr que ce second degré soit perçu par tous. Selon une étude Kantar datant de 2018, 91 % des professionnels du marketing ont le sentiment de représenter la femme de façon positive dans la publicité… mais 45 % du public estime que ce n’est pas le cas.

15 juin 2019

Les Japonaises se révoltent contre les talons au travail

talons

Par Philippe Mesmer, Tokyo, correspondance

Le ministre du travail a refusé de légiférer pour interdire aux entreprises d’obliger les salariées à porter des escarpins.

Un ministre une journée en talons aiguilles ? « Chiche », ont lancé des milliers de Japonaises, jeudi 6 juin, sur les réseaux sociaux. Leur cible : le ministre du travail, Takumi Nemoto, dont elles n’ont pas apprécié le refus de légiférer pour interdire aux entreprises d’obliger les salariées à porter des chaussures à talons.

« Il est généralement admis dans la société que porter des hauts talons est nécessaire et approprié au travail », a déclaré M. Nemoto. Il répondait à Kanako Otsuji, députée du Parti démocrate constitutionnel (opposition), pour qui obliger une femme à se jucher sur des hauts talons était « dépassé ». Un code vestimentaire ne concernant que les femmes s’apparente selon elle à de « l’abus de pouvoir ». « Il n’y a abus de pouvoir que quand une employée est forcée d’en porter alors qu’elle a les pieds douloureux », a répondu M. Nemoto.

La vice-ministre du travail, une femme, Emiko Takagai, a toutefois déclaré qu’il ne fallait pas forcer les femmes à porter des hauts talons. Ce qui n’a pas empêché les critiques de fuser en ligne, reflétant le succès d’une mobilisation lancée par une actrice de 32 ans, Yumi Ishikawa.

Mot-dièse « Kutoo »

Le 24 janvier, Mme Ishikawa racontait dans un tweet ses difficultés à tenir huit heures par jour en talons pendant un travail effectué dans un hôtel. « J’espère faire disparaître l’habitude de voir les femmes porter des talons et des escarpins au travail », ajoutait-elle dans ce message retweeté 30 000 fois.

Par la suite, Mme Ishikawa a créé le hashtag « Kutoo », dont la prononciation joue sur la similarité entre « kutsu » (chaussure) et « kutsuu » (douleur), et la proximité avec le mouvement #metoo. Elle a aussi lancé une pétition qu’elle a remise le 3 juin, signée par 18 000 personnes, au ministère du travail. « Il semble que les hommes ne comprennent pas que porter des talons hauts peut être douloureux et provoquer des blessures », a déclaré Mme Ishikawa à Reuters.

Le succès du mouvement traduit le mécontentement grandissant des Japonaises dans un pays classé 110e en termes d’égalité des genres par le Forum économique mondial. Le cabinet du premier ministre Abe ne compte ainsi qu’une seule femme – sur dix-neuf ministres. Depuis avril, les Japonaises manifestent chaque 11 du mois pour appeler à plus d’égalité.

15 juin 2019

Âge, orgasme, horaire... Tout ce qu'il faut savoir sur les Français et la masturbation

sexe222

par Maïa Mazaurette

40% des Français ne parlent pas de leurs plaisirs solitaires à leur partenaire, et 48% des hommes français ont déjà menti sur leurs pratiques de la masturbation.

Et pour vous, comment ça se passe, ces masturbations ? Quoi, on ne peut pas poser la question ? C'est pourtant ce qu'a fait la marque Tenga (la célèbre entreprise japonaise de sextoys haut-de-gamme pour hommes... qui fait aussi des sextoys pour femmes, depuis quelques années). En l'occurrence, sur une base de dix mille témoignages recueillis dans neuf pays différents chez les 18-54 ans, on apprend que 92% des Français et 72% des Françaises se masturbent. Des chiffres qui ne vous surprendront pas : on les retrouve dans les autres études.

Plus amusant, ces masturbations ont plutôt lieu entre 19h30 et 23h30, et la période la plus masturbatoire est le mois de juillet. Ce qui est parfaitement logique puisque ce sont les moments où on a le plus de temps, et que "69% des Français décrivent la masturbation comme « un moment pour soi » de détente et de plaisir personnel". On a manifestement du mal à dégager ces espaces d'intimité : 49% d'entre nous se masturbent au moins une fois par semaine... mais 61% pour les Anglais.

Encore plus amusant : moins de la moitié (49%) des hommes ont découvert la masturbation tout seuls (mais 61% des femmes)... et 12% avec un ami (5% des femmes). Comme quoi, l'amitié crée des liens d'intimité sans pareils. Dommage que ça ne se traduise pas dans une grande liberté de conversation : 40% des Français ne parlent pas de leurs plaisirs solitaires à leur partenaire, et 48% des hommes français ont déjà menti à ce sujet.

L'âge n'a pas l'air de changer grand-chose aux tabous liés à ces pratiques : la génération Z, les Millenials et la génération Y se masturbent autant. En revanche, l'orientation joue : selon l'étude, "les LGBTQ se masturbent plus que les personnes hétérosexuelles".

Côté satisfaction, 47% hommes et 44% femmes atteignent l’orgasme à chaque fois. Les autres devaient changer de célébrités préférées, puisque si les hommes plébiscitent Clara Morgane, Shakira et Angelina Jolie (bon retour en 2001), les femmes fantasment sur Brad Pitt, George Clooney et Bradley Cooper (pas mieux).

13 juin 2019

Hongkong : report de l’examen de la loi controversée après les manifestations

L’ancienne colonie britannique, haut lieu de la finance internationale, a été le théâtre dimanche de la plus importante manifestation jamais organisée depuis sa rétrocession à la Chine en 1997.

Les autorités hongkongaises ont annoncé, mercredi 12 juin, le report de l’examen d’un projet de loi controversé visant à autoriser les extraditions vers la Chine. Une décision prise alors que des milliers de manifestants bloquaient plusieurs artères principales au cœur de la ville.

Le président du Conseil législatif (LegCo, Parlement hongkongais) a déclaré dans un communiqué que la réunion durant laquelle les députés devaient examiner le texte en deuxième lecture aurait lieu « à une date ultérieure ».

L’ancienne colonie britannique, haut lieu de la finance internationale, a été le théâtre dimanche de la plus importante manifestation jamais organisée depuis sa rétrocession à la Chine en 1997. Des foules immenses, estimées par les organisateurs à un million de personnes, ont exigé des autorités qu’elles renoncent à leur projet de loi soutenu par Pékin.

Des milliers de manifestants vêtus de noir, pour la plupart des jeunes gens, ont bloqué deux voies principales voisines des bâtiments gouvernementaux à l’aide de barrières métalliques. Comme en écho à l’immense mouvement prodémocratie de l’automne 2014 qui avait paralysé des quartiers entiers de la mégapole pendant plus de deux mois, la circulation était bloquée.

Mobilisation spectaculaire

D’importantes forces de sécurité avaient été déployées dans les rues alors que le LegCo, dominé par les députés pro-Pékin, s’apprêtait à reprendre les débats sur le texte.

Des rangées entières de policiers anti-émeutes faisaient face aux protestataires, portant pour bon nombre d’entre eux des masques, des casques et des lunettes de protection. Dans la matinée, des policiers gardant le LegCo ont fait usage de gaz au poivre à l’encontre des manifestants, brandissant également des pancartes pour les avertir qu’ils étaient prêts à utiliser la force en cas d’assaut de la foule.

La mobilisation spectaculaire dans cette ville de sept millions d’habitants n’a pas fait bouger d’un pouce la chef du gouvernement local Carrie Lam, qui a rejeté toute éventualité de retirer le projet de loi. Elle a aussi mis en garde l’opposition contre toute « action radicale ».

Le texte a suscité les critiques de pays occidentaux ainsi qu’une levée de boucliers de Hongkongais qui redoutent une justice chinoise opaque et politisée, et pensent que cette réforme nuira à l’image internationale et à l’attractivité du territoire semi-autonome.

Appels à la grève

Au terme de l’accord de 1984 entre Londres et Pékin qui a présidé à la rétrocession de 1997, Hongkong jouit d’une semi-autonomie et de libertés n’existant pas en Chine continentale et ce, en théorie, jusqu’en 2047.

L’ex-colonie britannique est cependant depuis une dizaine d’années le théâtre d’une forte agitation politique en raison de l’inquiétude générée par l’ingérence grandissante de Pékin dans ses affaires intérieures, et par le sentiment que le fameux principe « un pays, deux systèmes » n’est plus respecté.

Plus d’une centaine d’entreprises et de commerces ont annoncé leur fermeture mercredi en signe de solidarité avec les opposants au texte. Les principaux syndicats étudiants ont appelé au boycottage des cours pour permettre aux élèves de participer à la protestation. Plus de 1 600 employés de compagnies aériennes ont signé une pétition demandant à leur syndicat de se mettre en grève.

Un syndicat de chauffeurs de bus a invité de son côté ses membres à conduire très lentement pour marquer leur soutien aux manifestants. Des enseignants, infirmières et travailleurs sociaux ont également fait part de leur volonté de cesser le travail dans ce territoire où les grèves sont rares.

Les députés du LegCo devaient commencer à examiner le projet de loi en deuxième lecture dans la matinée. Un vote final est attendu le 20 juin. Dans la nuit, environ 2 000 manifestants avaient organisé une veillée devant les bâtiments du gouvernement, chantant pour certains des hymnes.

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