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Jours tranquilles à Paris
societe
4 juin 2018

Les seniors japonais cherchent leur place dans la société

Par Philippe Pons, Tokyo, correspondant - Le Monde

Le Japon vieillit à une vitesse record : en 2035, les plus de 75 ans représenteront 20 % de la population.

LETTRE DE TOKYO

L’ancien premier ministre, Yasuhiro Nakasone, qui occupa ces fonctions de 1982 à 1987 et resta longtemps une figure de la politique japonaise, vient de fêter son centième anniversaire. L’empereur Akihito, âgé de 84 ans, se retirera l’année prochaine… Le Japon vieillit à une vitesse record – un Japonais sur sept est âgé de plus de 75 ans. Ses conducteurs aussi prennent de l’âge. Il y a une semaine, une nonagénaire a fauché des piétons à un carrefour dans la ville de Chigasaki, au sud-ouest de Tokyo, tuant une femme et blessant quatre autres personnes.

Les accidents de la route dus aux seniors

Ces drames émeuvent l’opinion et relancent périodiquement le débat sur les moyens d’affronter un vieillissement rapide – conjugué à une dénatalité qui ne l’est pas moins – et de la place des seniors dans la société. Selon les projections de l’institut pour la population et la sécurité sociale, en 2035 les plus de 75 ans représenteront 20 % la population ; trente ans plus tard, celle-ci sera tombée de 126 millions de 2015 à 88 millions, dont 40 % auront plus de 65 ans.

Dans le cas de la sécurité routière, les accidents ont atteint leur niveau le plus bas en 2016, mais le nombre de ceux dus à des seniors de plus de 75 ans a presque doublé. Aussi, le gouvernement a-t-il renforcé les examens périodiques de renouvellement de permis de conduire (tous les trois ans dans le cas de personnes âgées de plus de 75 ans). Ceux qui n’ont pas satisfait aux épreuves (vue, réflexes, maîtrise du véhicule) doivent passer un examen médical et leur permis de conduire peut être révoqué.

Les autorités incitent aussi les conducteurs seniors à renoncer volontairement à leur permis de conduire. Dans un pays où le civisme est de mise, au cours des cinq dernières années, plus de 400 000 seniors ont obtempéré sous la pression de leur famille ou par décision personnelle. Mais le renoncement à conduire est difficilement accepté dans les régions reculées. Sans voiture, les personnes âgées toujours valides perdent leur autonomie pour faire leurs courses, se rendre chez le médecin, voire effectuer un petit travail.

Dans les grandes villes, elles peuvent se débrouiller avec les transports en commun, mais dans les provinces, la privatisation des chemins de fer s’est traduite par la fermeture des lignes non rentables, tandis que l’exode des jeunes vers les villes a réduit le nombre des conducteurs de bus, de taxis ou de véhicules de livraison. Beaucoup de villages sont isolés et la voiture est une nécessité. Renoncer à conduire dans ces régions désertifiées devient un problème social.

Pour la retraite à 75 ans

La plupart des seniors vivent seuls – et beaucoup meurent seuls. Le Japon investit dans les industries du troisième âge, tel que le robot d’assistance domestique. Mais d’un point de vue psychologique, conserver une activité est essentiel pour les personnes âgées, tant qu’elles en ont la force. Le taux d’activité des seniors au Japon est élevé au point que des gériatres ont lancé un lancé une campagne en faveur du passage de l’âge de la retraite de 60 à 75 ans.

Pour des raisons à la fois culturelles et économiques, beaucoup de seniors japonais continuent à travailler au-delà de l’âge de la retraite. La pension pleine n’est versée qu’à 65 ans, et, dans l’intervalle, ceux qui en ont la possibilité continuent à travailler dans la même entreprise avec un salaire moindre et un statut différent. D’autres trouvent des emplois dans le secteur tertiaire qui offrent une vaste gamme de travail à temps partiel – contribuant à la qualité inégalée du service dans l’archipel, des supérettes ouvertes 24 heures sur 24 aux administrations, et réduisant le taux chômage (3 %), mais augmentant la précarité chez les jeunes.

Les moins qualifiés ou moins chanceux des seniors travaillent, casqués et sanglés dans des uniformes, à régler la circulation à proximité des chantiers de construction ou des travaux de voirie. Ils sont des dizaines de milliers à travers le Japon à effectuer ce travail, pour lequel ils sont recrutés par des agences spécialisées dans la sécurité des sites de construction. Les Japonais seniors travaillent par nécessité (en raison de l’insuffisance des retraites) mais aussi par souci de rester dans le flux de la vie active.

Même si le Japon parvenait à relancer la natalité (que depuis un demi-siècle, les gouvernements successifs ont été incapables d’enrayer), le redressement prendrait des décennies et l’allongement de l’espérance de vie continuera à poser de manière aiguë la question de la place des seniors dans la société. « Si les seniors peuvent continuer à travailler, leur contribution à l’économie en termes de production comme de consommation réduira la charge sociale du vieillissement », estime l’économiste Atsushi Seike, ancien président de l’université Keio, à Tokyo. Encore faut-il leur en donner les moyens. Comme aux plus jeunes d’avoir des enfants.

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4 juin 2018

Service national universel : des organisations de jeunesse fustigent un projet « démagogique »

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Ce collectif, où figurent notamment la FAGE et l’UNEF, dénonce dans une tribune au « JDD » le caractère « contraignant » du projet de service « obligatoire ».

Les principales organisations lycéennes, étudiantes et de jeunesse fustigent les « incohérences » et le caractère « contraignant » du projet de service national universel (SNU) du gouvernement, ainsi que sa logique « démagogique », dans une tribune parue dimanche 2 juin dans le Journal du dimanche (JDD).

« La jeunesse ne peut plus être tenue à l’écart des projets qui la concernent par des politiques paternalistes, soupçonneuses et systématiquement pensées dans la défiance », écrit ce collectif où figurent notamment les deux premiers syndicats étudiants (FAGE et UNEF), des syndicats lycéens (UNL, SGL…) et des organisations de jeunesse (Jeunesse ouvrière chrétienne…).

Un groupe de travail mandaté par l’Elysée a récemment remis ses propositions sur ce nouveau service national universel (SNU), promesse de campagne d’Emmanuel Macron, qui pourrait prendre la forme d’un mois obligatoire, entre 15 et 18 ans, suivi d’une phase d’engagement citoyen de « trois à six mois avant 25 ans ».

Les ultimes arbitrages sont attendus dans les prochaines semaines, mais les signataires de la tribune dénoncent d’ores et déjà l’idée d’un service « obligatoire ».

« La mixité sociale ne se décrète pas »

« Ce projet souffre d’un premier décalage majeur entre d’un côté la volonté des jeunes qui (…) font le choix de s’engager de façon souple et diverse dans une recherche de sens comme d’épanouissement et, de l’autre, le cadre obligatoire, rigide et contraignant que le projet semble faire émerger, écrivent ces organisations. Le SNU, tel qu’il semble se dessiner, souffre d’un second décalage entre l’objectif affiché de mixité sociale et ses effets présagés. »

« Il est à craindre (…) que le dispositif réponde davantage à une logique démagogique qu’à celle de la coconstruction fondée sur l’expertise des acteurs », déplorent-elles, en rappelant également le coût élevé annoncé de cette mesure.

« La mixité sociale ne se décrète pas, elle se construit en même temps que le citoyen en devenir, à l’école de la République » et « c’est au sein de celle-ci que tout peut être fait pour offrir à tous la possibilité de s’engager », estiment-elles.

Pour les principales organisations de jeunesse, « de nombreuses initiatives portées par l’Education nationale et les associations offrent des solutions adaptées aux réalités ». Elles suggèrent donc au gouvernement de consacrer son investissement « à l’accompagnement des jeunes en difficulté, à la prévention des risques, au passage du code de la route, sur des formations sur l’égalité femmes-hommes, sur les enjeux climatiques, sur la découverte d’autres cultures, etc. »

1 juin 2018

A l’Elysée, Macron lance officiellement le Loto du patrimoine

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Par Jean-Jacques Larrochelle - Le Monde

L’objectif de la Française des jeux est d’affecter de 15 millions à 20 millions d’euros à un fonds spécifique baptisé « Patrimoine en péril ».

Dès que l’huissier a annoncé l’arrivée de l’hôte présidentiel et de son épouse, les très nombreux invités se sont levés. Un long silence, absolu, s’est abattu sur l’assemblée. Une heure plus tard, l’affaire s’achevait dans le tumulte d’une quasi-standing ovation : jeudi 31 mai, sous les ors de la salle des fêtes du palais de l’Elysée, Emmanuel Macron, recevait « des personnalités engagées pour le patrimoine » à l’occasion du lancement officiel du Loto du patrimoine.

L’initiative, inédite en France, est destinée à financer la restauration de quelque 270 projets devant être « sauvés en urgence », selon le président de la Fondation du patrimoine, Guillaume Poitrinal, partenaire de l’opération au côté de la Française des jeux (FDJ). Dans le rôle de la cheville ouvrière : Stéphane Bern, à qui le président de la République a confié, le 16 septembre 2017, une mission d’identification du patrimoine immobilier en péril et de recherche de solutions innovantes.

En cet après-midi inaugural, le journaliste, animateur de radio et de télévision, a porté pour l’occasion le costume du maître de cérémonie. La ministre de la culture et de la communication, Françoise Nyssen, a été invitée à s’exprimer la première. Elle a souligné combien le patrimoine était une « passion française », une « passion fidèle », rappelant « l’engouement qui ne faiblit pas pour les Journées du patrimoine » et enfin « une passion engagée », dont témoignerait l’événement du jour, anticipant au passage le succès de l’opération.

« Cœur politique de la nation »

Celle-là doit se dérouler selon deux modalités. Le 14 septembre, veille du week-end des Journées européennes du patrimoine, le tirage d’un super-loto sera doté de 13 millions d’euros, tandis que dès le 3 septembre, un jeu à gratter, programmé sur plusieurs mois, offrira un gain maximal d’1,5 million d’euros. L’objectif de la FDJ est d’affecter de 15 millions à 20 millions d’euros à un fonds spécifique baptisé « Patrimoine en péril ». Une somme qui semble dérisoire en regard du budget annuel de 326 millions d’euros consacré par le ministère à l’entretien et à la restauration des monuments classés.

Après que trois représentants des dix-huit porteurs de projets emblématiques devant bénéficier d’une aide prioritaire se sont exprimés – dont une passionnante aventure de réhabilitation autour d’un théâtre à l’italienne à Bar-le-Duc (Meuse) – le président Macron a pris la parole. Maniant avec maestria les effets legato, alternant piano, forte et rallentando, l’éloquent président s’est lancé, sans (fausse) note, dans un long développement sur le patrimoine comme matière consubstantielle à « l’identité de notre pays » faisant « partie du cœur politique de la nation ». Le public fut comblé.

La liste complète des monuments : Maison de Pierre Loti, Rochefort (Charente-Maritime) ; Fort-Cigogne, Fouesnant (Finistère) ; Villa Viardot, Bougival (Yvelines) ; Théâtre des Bleus de Bar, Bar-le-Duc (Meuse) ; Château de Bussy-Rabutin, Bussy-le-Grand (Côte-d’Or) ; Aqueduc romain du Gier et pont-siphon de Beaunant, Chaponost et Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône) ; Pont d’Ondres, Thorame-Haute (Alpes-de-Haute-Provence) ; Couvent Saint-François, Pino (Haute-Corse) ; Maison d’Aimé Césaire, Fort-de-France (Martinique) ; Ancien Hôtel-Dieu, Château-Thierry (Aisne) ; Rotonde ferroviaire de Montabon, Montabon (Sarthe) ; Eglise Notre-Dame, La Celle-Guénand (Indre-et-Loire) ; Hôtel de Polignac, Condom (Gers) ; Château de Carneville, Carneville (Manche) ; Habitation Bisdary, Gourbeyre (Guadeloupe) ; Maison du receveur des douanes, Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) ; Maison Rouge, Saint-Louis (La Réunion) ; L’usine sucrière de Soulou, M’Tsangamouji (Mayotte).

1 juin 2018

Trois genres

gender

1 juin 2018

Grossophobie : «Nous, les gens gros, on porte notre souffrance sur nous»

grosses

Fondatrices du collectif Gras politique, Daria Marx et Eva Perez-Bello publient un livre sur les humiliations dont sont victimes les personnes obèses au quotidien. Elles racontent à «Libé» leur combat pour que la société cesse de les mépriser, voire de les nier.

C’est la boulangère qui demande : «Vous êtes sûre de vouloir ce croissant ?» Ou le quidam non sollicité qui gratifie de ses conseils nutritionnels. Les «grosse vache» et autres douceurs balancées sans ménagement… Autant d’agressions qui ne sont que la partie émergée d’une discrimination souvent banalisée, voire niée : la grossophobie. Avec Gros n’est pas un gros mot : chroniques d’une discrimination ordinaire (1), Daria Marx, 37 ans, et Eva Perez-Bello, 32 ans, cofondatrices en 2016 du collectif antigrossophobie, féministe et queer Gras politique, espèrent faire la peau à cet «ensemble d’attitudes hostiles et discriminantes à l’égard des personnes en surpoids». Selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 15 % des adultes français sont obèses. Mêlant témoignages et données scientifiques, économiques et sociologiques, l’ouvrage envoie bouler les périphrases politiquement correctes : oui, elles sont grosses. Mais non, elles ne diront pas combien elles pèsent, même si la question leur est systématiquement posée. Après tout, qu’est-ce qu’un chiffre change à leur discours, aux oppressions qu’elles dénoncent ? Aux égouts, aussi, les clichés et autres idées reçues : non, les gros ne sont ni paresseux, ni malodorants, ni obsédés par les burgers, ni meilleurs au lit, ni plus drôles que les autres…

Un an après la publication du livre témoignage très relayé de Gabrielle Deydier, On ne naît pas grosse (2), les auteures rêvent que la parole continue de se libérer. La leur est fleurie, pleine de force et d’humour, souvent rentre-dedans, jamais misérabiliste. Elles répètent encore et encore les humiliations, partout, tout le temps : ces trentenaires branchés qui les pointent du doigt en soirée en leur lançant : «Ouh, la grosse.» Ces ados qui les moquent alors qu’elles dînent au restaurant. Aux malotrus, elles adressent sans hésiter un doigt d’honneur. «C’est le tarif minimum», assument-elles en riant. Les demoiselles au caractère bien trempé sont déjà allées jusqu’à prendre en chasse les goujats, quitte à être verbalement «brutales». A leurs yeux, riposter relève de la «pédagogie». Mode combat activé. Objectif ? «La révolution», se marrent-elles.

Le terme «grossophobie» est récemment entré dans le dictionnaire. Qu’est-ce que ça change ?

(Toutes deux lancent un «yes» enjoué.)

Eva Perez-Bello : C’est une forme de reconnaissance. Désormais, on reconnaît son existence. On ne pourra plus nous opposer que c’est une invention farfelue ni ridiculiser la cause avec des phrases comme : «A quand la loutrophobie ?»

Comment expliquez-vous ce déni ?

Daria Marx : C’est comme si la grossophobie était la dernière discrimination acceptable. Nous, les gens gros, on porte notre souffrance sur nous. Notre société a du mal avec cela : il faut être «healthy», «détox», «happy»… On nous renvoie sans cesse à la volonté, au contrôle, alors que l’obésité est multifactorielle. C’est compliqué d’établir des généralités. Des facteurs génétiques, sociaux, environnementaux entrent en jeu, de même que le vécu dans l’enfance, l’éducation, etc. On n’est pas du tout dans l’angélisme, on sait très bien que ce n’est a priori pas bon pour nous. On voudrait juste inviter tous ceux qui nous renvoient à la volonté, qui nous exhortent à maigrir, à s’intéresser vraiment à ce qu’est l’obésité. Et qu’on cesse d’être soupçonnés d’être de «mauvais gros» quand on ne fait pas de régime.

Vous faites état des difficultés à se vêtir. C’est un enjeu important ?

D.M. : Clairement, si vous me lâchez à poil dans Paris aujourd’hui, je suis dans la merde pour me rhabiller… En Angleterre, on trouve aisément des vêtements en taille 50 dans les magasins. En France, le 44 est déjà considéré comme une grande taille, alors que la femme française moyenne fait du 42-44…

E.P.-B. : Il existe des marques qui proposent des grandes tailles, mais sur Internet. Même ceux, comme H & M, qui avaient des rayons spécialisés, les ferment petit à petit. On ne rentre tout simplement pas dans leur plan marketing. Si le problème se limitait à trouver de belles fringues, ce serait un moindre mal. Quand bien même je dégote un joli short, les tensiomètres ne seront toujours pas à ma taille, de même que les tables médicalisées… Je serai toujours plus précaire, j’aurai toujours des troubles alimentaires, je devrai toujours activer un radar pour savoir où m’asseoir dans les transports sans prendre des coups de coude ou des remarques désobligeantes…

Vous vous revendiquez «grosses». Avez-vous toujours été à l’aise avec cet adjectif ?

D.M. : Je n’aime pas qu’on me qualifie d’obèse, c’est un terme médical, seuls les médecins sont légitimes à l’employer. Pour autant, assumer n’a pas toujours été facile. Plus jeune, je disais plutôt «ronde, pulpeuse, bien en chair»…

E.P.-B. : Je déteste ces termes. Je ne suis pas un fruit !

D.M. : On a tellement utilisé le mot «grosse» pour nous faire du mal que c’est compliqué de se le réapproprier. Je n’ai pu le faire qu’à partir du moment où j’ai commencé à développer une conscience féministe, vers mes 18 ans. J’ai réalisé que oui, j’étais grosse, mais que cela ne devrait rien changer à mes droits.

Comment avez-vous pris conscience de ce qu’était la grossophobie ?

D.M. : J’ai toujours été grosse, mais je n’ai jamais compris pourquoi j’étais discriminée. A l’âge de 18 ans, j’ai rejoint l’association Allegro Fortissimo, fondée en 1989 par l’actrice et activiste Anne Zamberlan, la véritable pionnière en France [morte en 1999, ndlr]. Disons qu’on était plus dans un esprit de rassemblement, sans réelle dimension politique ou militante. Il s’agissait de se faire du bien, ce qui est déjà pas mal, mais j’avais envie de plus. Puis, quand je me suis engagée dans le féminisme, la concomitance m’a frappée.

Pourtant, vous déplorez que votre combat soit très peu porté par les principaux collectifs et associations féministes…

E.P.-B. : La grossophobie n’intéresse personne. Seule une poignée d’associations nous ont fait part de leur soutien, plutôt des collectifs «de niche», qui représentent des populations stigmatisées, loin d’un féminisme blanc, bourgeois, mince, valide…

D.M. : Quelque part, pour les principales associations, les grands combats sont plutôt des questions comme l’IVG. Elles ne se rendent pas compte que la grossophobie est un réel problème au quotidien.

Qui se traduit souvent par des discriminations au travail, dénoncées par le Défenseur des droits (3) ou le sociologue Jean-François Amadieu (4)…

D.M. : J’ai pris le parti de désamorcer d’emblée ce type de situations en entretien en disant : «Je sais que cela ne se voit pas, mais je suis hyper dynamique.»Je sais que c’est dans leur tête, pour avoir souvent entendu : «Vous êtes capable ?»

Il y a peu de témoignages d’hommes dans le livre. Pourquoi ?

E.P.-B. : Je pense qu’ils n’en sont pas victimes de la même manière. La souffrance est similaire au niveau personnel, mais les oppressions systémiques concernent beaucoup plus les femmes : la pression sur leur corps de manière générale est indéniable. Les chiffres sont édifiants. Il y a autant de mecs que de nanas grosses, en revanche, les opérations de chirurgie bariatrique concernent les femmes à 80 %. Pour ce qui est du marché du travail, les femmes grosses ont huit fois plus de risques d’être discriminées, contre trois chez les hommes.

Vous militez aussi contre la grossophobie médicale, qui est le point de départ de la naissance de Gras politique.

D.M. : Clairement. Je suis sortie traumatisée de mes trois dernières consultations gynécos… Comment je fais pour me soigner ? Pour voir un médecin qui ne soit pas dégueulasse avec moi ? Alors que j’allais faire remplacer mon stérilet, une spécialiste m’a d’abord dit ne pas être sûre que la table puisse supporter mon poids. Elle a ajouté : «Pour les gens dans votre état, c’est 150 euros.» Près du double du tarif. Il y a cette autre médecin, qui me faisait passer une échographie vaginale et a lancé : «On ne voit rien dans votre truc avec tout ce gras, c’est comme dans une caverne.» C’est un réel parcours du combattant de trouver des médecins qui ne soient pas maltraitants. Je n’ai aucun souci avec le fait d’évoquer mon poids avec un médecin, mais je refuse d’être humiliée.

E.P.-B. : J’ai été malade comme un chien pendant trois  ans. Je ne gardais rien, je vomissais absolument tout. Mais mon médecin était ravi parce que j’avais perdu du poids. Je lui décrivais mes douleurs abdominales, et je suis persuadée qu’il mettait ça sur le compte de la malbouffe… Ce n’est que trois ans plus tard qu’on s’est aperçu que ma vésicule biliaire était archipourrie.

D.M. : La question de la maternité est cruciale. Chez les femmes grosses, c’est encore plus violent que chez les femmes normées : «Vous allez tuer votre enfant», «il sera difforme»… Personnellement, je ne veux pas avoir d’enfant parce que je refuse d’être malmenée pendant neuf mois. J’en ai trop chié, je ne veux pas foutre en l’air le travail que j’ai fait sur moi.

E.P.-B. : Moi qui suis gouine et infertile, la question ne se pose même pas : je n’ai pas droit à une PMA [procréation médicalement assistée] à cause de mon poids.

Quid de la visibilité des corps gros ?

D.M. : Il n’y a pas de gros à la télé, on n’a aucun modèle. Quand on parle des gros, c’est soit parce qu’ils doivent maigrir pour survivre, soit pour se moquer, soit pour les réduire à leur obésité : on ne verra jamais un reportage sur un charpentier gros qui ferait super bien son métier, dans lequel on ne parlerait pas de son poids… On représente plus de 15 % de la population, mais on ne nous voit pas.

E.P.-B. : Comme si le corps gros n’avait pas droit de cité.

Concrètement, comment lutter contre la grossophobie ?

D.M. : On aimerait travailler avec les institutions, le ministère de la Santé, le Défenseur des droits… Pour que cette discrimination soit prise en compte en tant que telle. A l’heure actuelle, la loi punit la «discrimination en raison de l’apparence physique», mais ce n’est pas assez précis. On voudrait aussi encourager ceux qui en souffrent à porter plainte ou à parler de ce qu’ils ont vécu. Le problème du peuple des gros, c’est qu’on est tellement habitués à fermer notre gueule pour essayer de devenir invisibles qu’on ne porte pas plainte, on ne fait pas de vagues… On milite pour redonner du pouvoir aux concernés, pour agir ensuite avec les pouvoirs publics. Une première étape a été franchie l’an dernier, quand la mairie de Paris a lancé une campagne «Grossophobie, stop». On a aussi pour projet de rédiger des chartes : du patient obèse, du médecin, du patron, de la représentation dans les médias… Il y a un réel problème d’iconographie dans la presse : on est systématiquement représentés comme des troncs, des ventres, ou de dos.

E.P.-B. : Il est temps de réaliser que cela peut être très grave : un enfant de 11 ans harcelé à l’école à cause de son poids s’est pendu l’an dernier. La grossophobie devrait être intégrée dans la prévention du harcèlement dans les établissements scolaires. A notre échelle, on mène des actions de sensibilisation. C’est drôle, d’ailleurs, de constater que les mômes sont hyper réceptifs, et que les conneries viennent plutôt des adultes.

Vous dites dans le livre vouloir un armistice avec votre corps. Y êtes-vous parvenues ?

D.M. : 98 % du temps, oui. Bien sûr, je préfère qu’on ne me prenne pas en photo en contre-plongée, comme beaucoup de gens, mais si on voit mon ventre, c’est juste que j’ai du ventre et puis c’est tout.

E.P.-B. : Il y a des jours plus compliqués que d’autres, évidemment, mais je crois que je suis en paix avec mon corps. J’ai arrêté de rêver du jour où je maigrirais.

(1) Flammarion (Librio), 128 pp., 5 €.

(2) Editions Goutte d’Or, juin 2017.

(3) «Le physique de l’emploi», neuvième édition du baromètre du Défenseur des droits et de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la perception des discriminations dans l’emploi, février 2016.

(4) La Société du paraître : les beaux, les jeunes et les autres, éditions Odile Jacob, septembre 2016.

Sophia, 22 ans, étudiante à Paris : «La recruteuse a fixé mon ventre»

«C’était il y a deux semaines. Je cherchais un job d’été. J’ai candidaté pour un CDD en tant qu’employée polyvalente dans une enseigne qui vend des glaces. J’ai envoyé un CV, sans photo, et on m’a convoquée pour un entretien. J’ai déroulé mon expérience professionnelle : à 18 ans, j’ai vécu à Londres, où je travaillais dans la restauration, puis j’ai continué à faire des extras régulièrement à mon retour en France. La recruteuse, une femme mince d’une trentaine d’années, m’a interrompue pour me dire : «Excusez-moi, mais j’ai quelques doutes sur votre expérience.» Je lui ai demandé de préciser. Elle m’a dévisagée, a fixé mon ventre et m’a répondu : «Vous êtes au courant qu’il faut être dynamique pour ce poste ?» C’était si brutal, injuste, que j’en suis restée sans voix. On n’était que deux dans le bureau, sans témoin ni personne pour prendre ma défense. En sortant, j’étais sous le choc, sidérée. Comment peut-on mesurer la capacité de quelqu’un à travailler ou son dynamisme en regardant son ventre ? J’aurais peut-être dû prendre mes affaires et partir, ou renverser le bureau… Je sais que la loi punit ce type de comportements, mais les poursuivre n’aurait servi qu’à me faire perdre de l’énergie, sans résultat. J’ai préféré me préserver.»

Virginie Ballet Photo Jérôme Bonnet pour Libération

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28 mai 2018

SNCF : pourquoi la grève continue

Par Éric Béziat - Le Monde

Les quatre syndicats de cheminots ont choisi de prolonger le mouvement contre la réforme ferroviaire. Lundi sera le vingt-troisième jour du conflit.

Depuis que la réforme ferroviaire a été lancée, les semaines cruciales succèdent aux semaines cruciales. Celle qui commence ce lundi 28 mai par la 23e journée de grève contre le Nouveau pacte ferroviaire n’échappe pas à la règle. Ce nouvel épisode du conflit se produit alors que le Sénat s’apprête à examiner, mardi 29 mai, le projet de loi ferroviaire et qu’un tournant important s’est produit vendredi 25 mai, lorsque le premier ministre Edouard Philippe a annoncé que 35 milliards d’euros de dette de la SNCF seraient repris par l’Etat.

« Ce geste historique fera économiser 1 milliard d’euros par an de frais financiers à l’entreprise à partir de 2022, se réjouit Mathias Vicherat, directeur général adjoint du groupe SNCF. Si on y ajoute les 200 millions d’euros supplémentaires d’investissement, on est face à un vrai plan de relance du ferroviaire. » L’argument a de quoi porter. De nombreux usagers espéraient d’ailleurs que leurs difficultés ne seraient vite qu’un souvenir désagréable après cette concession du gouvernement.

Pourtant, la grève continue. Aucun des quatre syndicats (CGT, UNSA, SUD et CFDT) n’a pour le moment souhaité quitter le mouvement unitaire de grève et de protestation contre la réforme. Et précisément pas les deux organisations dites réformistes – CFDT-Cheminots et UNSA-Ferroviaire – traditionnellement enclines à trouver un terrain de négociation lors des conflits sociaux.

Pourquoi cette inflexibilité ? Comment expliquer ce choix qui comporte un risque : celui d’accentuer une coupure entre les cheminots et le reste de leurs concitoyens. La récente consultation syndicale interne à la SNCF (la « vot’action ») montre que les deux tiers des cheminots environ sont mobilisés contre la réforme, au moment même où les sondages d’opinion indiquent qu’une proportion exactement inverse des Français la soutiennent.

La rentrée de septembre sera agitée

Il convient, à ce stade, de distinguer deux stratégies discordantes. Avec d’abord celle de SUD-Rail et de la CGT-Cheminots qui, ce n’est pas une surprise, continuent à rejeter en bloc la réforme et demandent une négociation repartant de zéro. Certes, il y a des nuances. La CGT a reconnu que le gouvernement avait montré des signes d’ouverture en reprenant les trois quarts de la dette et en acceptant que les sénateurs introduisent des amendements sociaux au projet de loi.

« MÊME SI ON SENT BIEN QU’ON N’EST PAS LOIN, ON PEUT ENCORE FAIRE AVANCER DES SUJETS COMME CELUI DE LA QUESTION DE LA TARIFICATION SOCIALE »

FANNY ARAV, REPRÉSENTANTE DE L’UNSA AU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE SNCF RÉSEAU

Mais, d’évidence, l’agenda des deux fédérations est d’abord politique. Le choix de la CGT de participer à la marche anti-Macron de La France insoumise, le 26 mai, en est une illustration. Et cet agenda s’étale sur le temps long. Il est probable que les deux formations iront jusqu’au bout du calendrier fixé en mars (dernier jour de grève le 28 juin). A plusieurs reprises, le secrétaire général de la CGT-Cheminots, Laurent Brun, a envisagé une poursuite de la grève cet été. Mais, même si la CGT et SUD ne mettent pas cette menace à exécution et accordent une trêve estivale aux usagers, la rentrée de septembre sera à coup sûr agitée sur les rails.

Et puis il y a les réformistes. Toute l’attention des observateurs et des négociateurs est désormais focalisée sur eux. La CFDT comme UNSA ont tous deux choisi de ne pas quitter le mouvement tant que le processus législatif n’est pas achevé. Ils participeront à la manifestation cheminote prévue au palais du Luxembourg, siège du Sénat, le 29 mai, à l’occasion de l’examen de la loi en séance publique.

« Nous voulons éviter les mauvaises surprises lors du vote au Sénat, explique Fanny Arav, représentante de l’UNSA au conseil d’administration de SNCF Réseau. Et puis, même si on sent bien qu’on n’est pas loin, on peut encore faire avancer des sujets comme celui de la question de la tarification sociale, dont il n’est pas du tout question dans la loi. » « Il nous reste quelques jours pour faire évoluer la réforme, renchérit Rémi Aufrère-Privel, secrétaire général adjoint de la CFDT- Cheminots, en particulier sur le droit au retour des salariés transférés à la concurrence. »

« Nos adhérents sont épuisés »

Tout le week-end, les tractations sénateurs-syndicats-SNCF-gouvernement sont allées bon train, afin de faire déposer les ultimes amendements (le dernier délai ayant été fixé au lundi 28 mai à midi). Le président du Sénat, Gérard Larcher, a reçu la CFDT-Cheminots le 25 mai (« une rencontre constructive », selon M. Aufrère-Privel) et devait s’entretenir avec les représentants de l’UNSA-Ferroviaire le 28 au matin.

Mais à un moment donné, l’un ou l’autre des syndicats réformistes jettera l’éponge. « Le problème, c’est que le premier qui sortira du mouvement sera une cible facile à faire abattre lors des élections professionnelles de la SNCF prévues en novembre, explique un négociateur patronal. Du coup, l’UNSA et la CFDT devraient essayer de se coordonner pour sortir en même temps. » « Nos adhérents sont épuisés, ajoute un syndicaliste. Le mouvement ne peut pas durer dans ces conditions. » Lundi 28 mai, la journée de grève devrait être l’une des moins suivies du conflit, avec moins de 50 % de conducteurs en grève, 38 % de contrôleurs et 20 % d’aiguilleurs.

28 mai 2018

Hétéro, cisgenre et monogame : un label dépassé ?

Le sexe traditionnel et ses pratiques peu originales ne font plus rêver les jeunes. Renoncer à la pénétration vaginale obligatoire peut mettre sur la voie d’une sexualité moins répétitive, estime Maïa Mazaurette, la chroniqueuse de « La Matinale du Monde ».

LE SEXE SELON MAÏA

Qui veut encore être « normal » ? Pas les jeunes. Selon une étude américaine, 20 % des millennials (18-34 ans) se définissent comme LGBTQ (GLAAD, 2017). Même son de cloche en Angleterre, où 43 % des 18-24 ans se voient comme non strictement hétérosexuels (Yougov, 2015). Rangeons notre scepticisme : cette évolution ne provient pas d’un sursaut hormonal ou d’une mode (combien de temps allons-nous utiliser l’argument « mode » dès qu’un changement sociétal nous déplaît ?). Il ne s’agit même pas forcément d’une contestation solide des normes. Objectivement, le label hétéro cisgenre monogame ne fait plus rêver. Trop rigide, trop hiératique ! Ses pratiques sexuelles notamment perdent leur pouvoir d’adhésion. Alors, le temps de l’autocritique est-il venu ? Certainement.

Il n’est pas inexact que la sexualité « tradi » a des ratés : culpabilisation (des femmes en particulier), goût du secret, attraction/répulsion envers les organes génitaux… et une amplitude des pratiques réduite comme peau de chagrin. Le script psychosexuel « normal » ne connaît que cinq pratiques : baisers, caresses, fellation, cunnilingus, pénétration vaginale (déclinée en quatre positions populaires : missionnaire, levrette, amazone, petites cuillères). Tout le reste est du domaine de l’exceptionnel (un massage érotique pour la Saint-Valentin) ou du soupçon (pénétrations anales sur les hommes ou les femmes, jeux de rôles, costumes, utilisation de substances ou d’accessoires, fist-fucking, BDSM, tantra, nipple play, masturbations prises au sérieux, la liste est plus épaisse qu’une baguette tradition).

Non seulement cette sexualité « normale » se focalise sur le génital, mais elle est terriblement arrogante. Ainsi entendons-nous régulièrement des personnes se ravir d’un érotisme consistant à mettre des excroissances dans des orifices, et qui vantent les mérites de la libération sexuelle. Le ridicule ne tue pas : on a découplé la sexualité de l’intention reproductrice, tout en gardant comme incontestable Graal l’unique pratique permettant de se reproduire (sous vos applaudissements).

Encore aujourd’hui, la pénétration vaginale règne en maîtresse incontestée, et pas toujours commode, sur nos vies sexuelles. Elle marque chaque étape importante de notre trajectoire, de la défloration à la nuit de noces, de la validation d’une aventure (« on l’a fait ») aux orgies libertines (« on l’a fait, mais à plein »), du discours amoureux (« après les préliminaires, on l’a fait ») à la première débandade (« je n’ai pas pu le faire »). Nous voici face à l’exact même acte, répété sur une vie entière, avec tous les partenaires – un intérêt monomaniaque pour une pratique qui en outre, n’est pas particulièrement efficace (un tiers des femmes n’ont habituellement pas d’orgasme, contre 5 % des hommes – et chez les femmes qui en ont, l’adjonction d’une stimulation manuelle et/ou d’un cunnilingus est la meilleure manière d’obtenir une jouissance).

Sexualité format timbre-poste

Côté désir, ça ne va pas vraiment mieux, puisque l’imaginaire hétérosexuel oublie d’érotiser la moitié de la population. Le corps des hommes ? Quel corps des hommes ? A ma gauche, les tenants d’une vision à œillères (« les femmes sont naturellement plus désirables »). A ma droite, les fatalistes (« les hommes ne se rendront jamais plus désirables, ils perdraient leur virilité »). En attendant, ça fait moitié de désir en moins.

Enfin, les formes de renouvellement actuellement proposées manquent d’imagination : au lieu d’exploser les cadres de la pénétration, on l’accélère (le « petit coup vite fait »), on la rend moins personnelle (en s’échangeant les uns les autres), on en supprime certains enjeux émotionnels (en couchant avec des inconnus, ou sans sentiments)… bref, une resucée du même. Changer les partenaires sans changer les pratiques ? On s’en mord la queue.

Vous me direz : et pourquoi pas, si ça rend les gens heureux de passer une vie entière à mettre des pénis dans des vagins ? Je suis absolument d’accord. Mais ça ne rend pas les gens heureux, du moins pas à long terme… or la monogamie rêve de long terme. Si ce système fonctionnait réellement, les sexologues, psys, vendeurs de lingerie à moumoute, experts en relations extraconjugales et avocats millionnaires spécialisés en divorce seraient au chômage. Leurs clients ne sont pas des imbéciles, ni des perdants. Ils sont simplement coincés dans une sexualité format timbre-poste, immobile, identique du premier rapport au dernier, à deux-trois détails près. Exactement comme si on était condamnés à manger les mêmes frites à la cantine tous les jours, avec pour Noël de la mayonnaise plutôt que du ketchup.

Cette absence de témérité est-elle structurelle ? Si vous êtes hétéro, cisgenre, en couple monogame, êtes-vous condamné(e) au délitement du désir et à l’ennui ? Eh bien, pas du tout. Les héritages existent : ils peuvent aussi être examinés, gentiment déclinés et raccompagnés au vestiaire. Une sexualité moins obsessionnellement répétitive émerge. Elle explore, elle se tâte (c’est un bon début), elle frôle le queer sans le phagocyter (de fait, se qualifier de « bizarre » quand on est majoritaire serait aberrant, et diluerait la force politique du concept).

Ne tombons pas dans l’exception qui confirme la règle

On pourrait en revanche parler d’influence queer : un couple fidèle (ne cherchant pas à faire un bébé dans l’immédiat) peut renoncer à la pénétration obligatoire, ou peut la décorréler du corps des femmes. Il peut ne plus penser du tout en termes de pénétration. Il peut se sentir bien dans ses genres, mais s’être débarrassé des comportements qui leur sont associés. Il accepte qu’on puisse être en situation de réceptivité sans être en position de passivité, ou qu’on puisse pénétrer en étant dominé. Il sait que les hommes sont pénétrables par la bouche, par l’anus et par le pénis (au risque de retourner le couteau dans la plaie), et présentent donc le même potentiel de réceptivité que les femmes. Il considère les parties génitales comme une simple option érotique, et cesse de découper les corps en morceaux hiérarchisés. Il sort le rapport de sa temporalité purement charnelle. Et parce que la liste serait infiniment longue, embrayons directement sur le plus important : ce couple hétéro-cisgenre-monogame-un-peu-queer-mais-pas-tradi adopte des pratiques non scriptées au quotidien, et ne les réserve aucunement à des moments exceptionnels.

Parce que dans le cas contraire, ça s’appelle de l’hypocrisie. Tout le monde a essayé, au moins une fois, de sortir de l’enchaînement confortable du sexe « comme à la télé ». Le problème ne se situe pas dans une absence de médiatisation des pratiques alternatives – elles sont volontiers épluchées publiquement – mais dans leur présentation comme des piments, escapades ou gratifications spéciales. Nous tombons alors dans l’exception qui confirme la règle : des petits pansements utiles quand l’ennui devient trop visible, mais remisés au placard après usage. Or si l’expérimentation ne sert qu’à se replier sur les valeurs sûres, non seulement on se promène en touriste comme dans un safari, mais on se donne bonne conscience en se vantant d’avoir transgressé son confort… mais sans avoir changé de paradigme. Cet évitement de toute remise en question ne trompe pas la nouvelle génération.

Une sexualité fluide ne consiste pas à marcher à côté de l’autoroute en suivant le sens du trafic, ou en « finissant » sur l’autoroute. Sinon, effectivement, on peut se moquer de cette pusillanimité – un juste retour de balancier, étant donné l’ampleur de la condescendance dont nous accablons les plus jeunes. Alors, tous « has been » ? Les pratiques peut-être, mais pas les personnes. Dur à entendre ? Certes, mais gratter où ça démange constitue un excellent point de départ. Avant la sortie de route.

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22 mai 2018

Grève des fonctionnaires : les perturbations à prévoir ce mardi

A Paris, les leaders de la CGT, de Force ouvrière et de la CFDT défileront ensemble pour la première fois depuis 2010.

Qu’importent les propos rassurants du secrétaire d’Etat à la fonction publique, Olivier Dussopt, affirmant dans Libération, lundi 21 mai, que le gouvernement ne remettra pas en cause le statut des fonctionnaires, seulement « des ajustements, une modernisation ».

Pour les syndicats de fonctionnaires, la simplification du dialogue social, l’extension du recours aux contractuels, la part accrue de rémunération au mérite et l’accompagnement des mobilités de carrière, y compris vers le secteur privé… sont autant de causes de mécontentement pour lesquels ils comptent se faire entendre, mardi 22 mai, lors de la troisième journée de grève et de manifestations depuis le début du quinquennat.

Entre 130 et 140 manifestations sont prévues partout en France. A Paris, le cortège partira à 14 heures de la place de la République pour rejoindre la place de la Nation. Les leaders de la CGT, de Force ouvrière (FO) et de la CFDT défileront ensemble pour la première fois depuis 2010, lors de la contestation contre la réforme des retraites.

Outre Philippe Martinez, Pascal Pavageau et Laurent Berger seront également présents Luc Bérille (UNSA), François Hommeril (CFE-CGC) et Philippe Louis (CFTC). « Ils seront tous sur la ligne de tête », se réjouit Bernadette Groison (FSU). « Grâce à la fonction publique, toutes les organisations syndicales de ce pays seront ensemble », s’est-elle félicitée. « Ça signifie qu’effectivement les enjeux sont très lourds ».

Cette journée de mobilisation entraînera des perturbations dans les crèches ou les écoles mais aussi dans les vols, l’énergie, la santé ou à Pôle emploi.

Petite enfance, éducation

L’accueil des tout-petits dans les crèches – un service municipal ou départemental, hormis les établissements privés – sera perturbé, avec des horaires d’ouverture restreints ou des fermetures partielles ou totales.

Côté maternelles et écoles primaires, le principal syndicat du secteur, le SNUipp-FSU, table sur une participation équivalente à celle de la précédente journée de mobilisation, le 22 mars, à savoir quelque 20 % de grévistes. Que les professeurs fassent cours ou non, accueils périscolaires et cantines seront chahutés.

Dans les collèges et lycées, le mouvement « devrait être suivi, mais il y a une petite interrogation au lycée car plusieurs mardis ont déjà sauté et il y a un programme à terminer avant les révisions du bac », souligne Frédérique Rolet, secrétaire générale du SNES-FSU.

Transports ferroviaires, aériens, routiers

Si le prochain épisode de grève à la SNCF à l’appel des syndicats CGT, UNSA et CFDT ne débute que mardi soir, SUD-Rail, qui a déposé un préavis de grève illimitée, appelle ses troupes à se mobiliser mardi avec les fonctionnaires. Localement, des cheminots se joindront aux cortèges.

Dans les airs, des syndicats de contrôleurs aériens appellent à la grève sur des revendications d’effectifs, face à un trafic en hausse, de conditions de travail et de pouvoir d’achat. La Direction générale de l’aviation civile a recommandé aux compagnies aériennes de réduire de 20 % leur programme de vols à Orly, Lyon et Marseille.

Sur la route, la fédération FO transports et logistique, qui menace par ailleurs d’un conflit à partir du 3 juin pour des sujets propres aux routiers, appelle à la mobilisation pour soutenir « sans réserve les luttes » des fonctionnaires et des cheminots.

Energie

Des turbulences sont à attendre dans le secteur où les quatre fédérations représentatives – CGT, CFE-CGC, CFDT et FO – appellent toutes à la grève pour la défense du service public de l’électricité. Elles citent par exemple les menaces qui pèsent sur le statut des salariés des industries électriques et gazières ou les barrages hydrauliques.

Un appel qui pourra se traduire par des baisses de la production électrique, le passage en heures creuses pour les usagers ou des coupures de courant.

Santé, action sociale

Les personnels des hôpitaux et des services sociaux seront sans doute encore nombreux dans les défilés pour réclamer de meilleures conditions de travail et des effectifs plus importants. Mais la « continuité des soins » sera assurée du fait de la possibilité d’assigner les grévistes.

Autres services publics

Sur fond de rumeurs autour de l’éventuelle réduction de 4 000 postes dans les trois prochaines années, les conseillers Pôle Emploi sont appelés à faire grève par huit syndicats qui jugent « inconcevable de supprimer des postes alors même que nous n’arrivons pas à accompagner tous les demandeurs d’emploi ».

A Météo-France, les personnels seront mobilisés eux aussi contre les suppressions de poste. Postiers, salariés de la culture et de l’audiovisuel public, personnels territoriaux dans les médiathèques seront aussi dans les rues.

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