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Jours tranquilles à Paris
societe
28 janvier 2018

L’« arabe du coin », une épicerie en péril

Par Lorraine de Foucher - Le Monde

Concurrencés par les grandes enseignes qui multiplient les supérettes, les épiciers arabes traditionnels mettent la clé sous la porte. Presque en silence, une figure populaire disparaît des centres-villes.

Au 79 rue de Rochechouart, dans le neuvième arrondissement de Paris. La devanture du magasin semble avoir été composée par la main facétieuse du peintre Arcimboldo. Un festival de fleurs, de raisins suspendus, d’oranges et de kakis entassés et entourés d’une enseigne jaune floquée « Alimentation générale ».

L’artiste à l’origine de cette composition, sans cesse photographiée par les touristes de la butte Montmartre toute proche, est ce jour-là engoncé dans une doudoune sans manches, une casquette Adidas sur la tête. Il ramasse une grappe qui s’est échappée du tableau.

« J’ai le vice de la vitrine dans le sang, je ne peux pas m’empêcher de vouloir faire de jolies présentations. Ça, c’est celle d’hiver, j’essaye de changer avec la météo, explique-t-il en faisant ensuite défiler les quatre saisons sur son téléphone portable. Je vais à Rungis et j’achète ce qui m’inspire pour décorer, c’est important de bien présenter, pour l’arabe du coin », sourit Lahoussine Abalhaoune, 47 ans, dont vingt et un à la tête de son épicerie.

Sa vitrine est aussi flamboyante que son moral est maussade. A l’intérieur, l’épicier a poursuivi son chef-d’œuvre, catégorie art du rangement : on dirait une cabine de spationaute, où chaque centimètre carré d’étagère a été optimisé. A côté des bouteilles de spiritueux sont accrochés des brosses à dents et des bonbons, on ne sait jamais, le tout pouvant constituer le pack type d’une soirée un peu arrosée.

Lahoussine ouvre sa caisse, il est 19 heures : « Regarde, je n’ai gagné que 25 euros depuis 14 heures. C’est rien du tout, j’ai perdu 70 % de mon chiffre d’affaires. Je gagne 250 euros par jour, 400 euros les dimanches, alors qu’avant, le dimanche, c’était le grand jour : au moins 1 000 euros. »

Son épouse, Hafida, arrive essoufflée. Elle est désormais aide-soignante en gériatrie à l’hôpital Bichat, dans le dix-huitième arrondissement. Le bus était hors service, elle a fait tout le trajet depuis la porte de Saint-Ouen jusqu’au neuvième à pied. Elle raconte sa nouvelle vie, ces petits vieux à qui elle aime faire des câlins et acheter des pyjamas, même si elle sait qu’elle n’a pas vraiment le droit, ni pour les câlins ni pour les pyjamas. « Ça ne fait que sept mois que je travaille, précise-t-elle. Avant, j’aidais mon mari à l’épicerie, mais, comme ça ne marche plus, j’ai dû reprendre un emploi. »

« Je suis l’arabe du coin, mais plus pour très longtemps », alerte cet ancien poissonnier d’Agadir, arrivé en France en 1983, et cas emblématique de centaines d’épiceries françaises qui souffrent et ferment dans les centres des grandes villes. Pour prendre la mesure du phénomène, il y a d’abord le site de petites annonces Le Bon Coin, où des dizaines « d’alimentations générales » sont en vente.

Là, c’est Laïd à Vizille, en Isère, qui vend son commerce, « à cinq minutes du château », 40 000 euros. A Ivry, il y a cet épicier très fâché au téléphone : « Je ne suis qu’un petit commerçant analphabète, on est tous en train de disparaître, mais ça ne concerne personne », s’énerve-t-il.

Personne ne s’est montré intéressé par le rachat du travail d’une vie, son épicerie qu’il a gérée pendant vingt-trois ans, et dont il demande 30 000 euros pour le fonds de commerce. « Un client à 1 euro, c’est pas un client. On n’est pas des commerçants mais des gens perdus », vitupère-t-il encore avant de raccrocher. Un client attend justement pour payer sa petite bouteille d’eau, à 1 euro.

« “L’hindou” du coin »

Alexis Roux de Bézieux connaît bien Lahoussine du neuvième, mais aussi Driss de la rue Lamarck et Faouzi de la rue de Boulainvilliers. En 2008, il a publié un livre qui a fait date : L’Arabe du coin (Éditions Dilecta), dans lequel il brosse un portrait de cette figure populaire, prompte à satisfaire les « instincts légumiers crépusculaires » chers à Pierre Desproges ou à faire en sorte que tout soit possible, selon Hassan Cehef, le personnage des Nuls interprété par Bruno Carette.

« L’épicier arabe du coin est soit berbère du Maroc, soit il vient de la région de Zarzis, en Tunisie. Il est lui-même fils de commerçant et est arrivé en France avec cette croyance qu’en vivant au-dessus d’un tas de nourriture on ne va pas mourir de faim », explique Alexis Roux de Bézieux, qui est aussi président de l’Union des commerces de proximité.

Mais la chute de cette institution, depuis qu’il a écrit son ouvrage, s’est accélérée. Il n’y a pas de statistiques ethniques, bien sûr, et peu de chiffres tout court. Celui-là, cependant, donne l’idée d’une tendance inscrite sur le long terme, sans parler du décrochage récent : 140 000 épiceries existaient en France en 1960, il n’y en a plus que 35 000, dont seulement 17 000 tenues pas des indépendants, selon Alexis Roux de Bézieux.

« MES ENFANTS ME DISENT ENCORE : “PAPA, TU TE SOUVIENS QUAND TU AS JETÉ DES ŒUFS CONTRE LE FRANPRIX POUR LE FAIRE FERMER ?” » OUISSEM BOUDAYA, ANCIEN ÉPICIER PARISIEN

Tous ces petits commerces n’ont donc pas fermé. Certains ont simplement changé de mains. « C’est plus l’arabe du coin, mais “l’hindou” du coin », râle ainsi Lahoussine. De l’autre côté de la rue, une petite échoppe bleue et blanche, à la devanture plus modeste, le nargue, avec ses prix inférieurs, notamment sur les bières, nerf de la guerre des épiceries. « Il y a une compétition pour l’espace marchand à Paris entre les différentes communautés migratoires », explique Vasoodeven Vuddamalay, chercheur sur les migrations indiennes à l’université d’Evry. « Ceux qu’on appelle les “hindous” sont en majorité des tamouls du Sri Lanka arrivés dans les années 1980 avec la guerre. Et comme souvent dans les mouvements de population, ce sont les castes commerçantes qui voyagent le plus, d’où les épiceries. »

Ces commerçants venus d’Asie du Sud-Est reviennent souvent dans la tragédie des arabes du coin. Nicolas Sarkozy aussi. En 2008 a été promulguée la loi de modernisation de l’économie, qui facilite l’installation des surfaces commerciales de moins de 1 000 mètres carrés dans les grandes villes. Essaiment ainsi à Paris, Lyon, Marseille ou Lille des centaines de Franprix, Carrefour City et autres MyAuchan.

Le nombre de supérettes urbaines des géants de la distribution a augmenté de 40 % en dix ans – de 111 % dans la capitale – et elles laminent les fonds de commerce de ces dépanneurs du quotidien. Cette pression ne devrait pas retomber dans l’avenir. Malgré ses difficultés et un plan d’économies récemment annoncé, le groupe Carrefour entend néanmoins se renforcer dans le secteur des commerces de proximité.

Ainsi, autour de la porte de Bagnolet à Paris, ce ne sont pas moins de quatre supermarchés qui se sont installés dans un rayon de cinq cents mètres, assiégeant un peu plus l’ancien magasin d’Ouissem Boudaya, 128 bis, boulevard Davout, dans le vingtième arrondissement. Cet épicier de 42 ans se souvient précisément de la date du début de ses ennuis : le 24 juin 2008. Ce jour-là, il sort de chez le notaire où il vient d’acquérir son commerce, et il a ressenti ce qu’il qualifie de « choc thermique » : un grand coup de froid sur ses ambitions.

Le Franprix de l’autre côté du boulevard, qui le toise de son imposante surface, affiche sur sa façade une nouvelle banderole. « Dessus, Franprix annonçait fièrement qu’il était désormais ouvert jusqu’à 22 heures. C’est comme acheter un pavillon et apprendre juste après qu’une autoroute va être construite dans le jardin et qu’on sera obligé de le raser. Eh bien, dans ce cas-là, l’Etat indemnise, alors que, pour moi, rien… »

Un arrêt de mort pour ce père de famille : il fait son chiffre de petit quand les grands sont fermés. « C’est simple, et j’ai assisté à la scène : un jour, un client entre pour acheter une bouteille d’eau. Il voit que le Franprix est ouvert, il abandonne la bouteille sans la payer et traverse le boulevard », explique Moundir Akasbi, qui a été l’avocat d’Ouissem dans sa guerre contre Franprix. Car lui, l’épicier du vingtième, a attaqué le géant de l’économie française devant les tribunaux, pour concurrence déloyale. « Je me souviens, j’étais le petit avocat, tout seul face à l’armée des ténors des grands cabinets d’affaires que se payait Franprix », raconte Me Akasbi.

L’année dernière, Ouissem parvient enfin à faire fermer le Franprix le dimanche après-midi. Un peu, peut-être, grâce aux œufs, à la farine et à l’huile de friture qu’il a lancés, désespéré, contre la façade deux dimanches successifs d’avril 2016. « Les policiers sont venus, m’ont dit : “Monsieur, calmez-vous”, mais c’était trop dur, j’avais galéré pendant neuf ans, j’étais criblé de dettes, j’ai déclenché un diabète, j’ai eu envie de mourir, c’était un cauchemar pour ma famille. Mes enfants me disent encore : “Papa, tu te souviens quand tu as jeté des œufs contre le Franprix pour le faire fermer ?” »

Les policiers en profitent néanmoins pour dresser un procès-verbal au supermarché pour non-respect de l’arrêté préfectoral en vigueur à Paris, qui requiert un jour de fermeture hebdomadaire, ainsi que le fameux dimanche après-midi.

Au service de communication de Franprix, on ne répond pas sur le sujet ni ne commente les procédures en cours. On attire seulement notre attention sur les horaires d’ouverture des magasins qui s’adaptent à des clients de plus en plus urbains et à l’abrogation d’un arrêté préfectoral en octobre 2017 : il n’y a plus de fermeture hebdomadaire obligatoire. Certains syndicats de la grande distribution ont parlé « de l’illégalité devenue légale ».

Dépanneur confesseur

Ouissem Boudaya a gagné, mais il a craqué, et a fini par céder son épicerie pour 20 000 euros sur Le Bon Coin à Ganesh, issu de la communauté sri-lankaise. « Les épiceries arabes ferment toutes face aux grands groupes, elles sont en train de toutes se faire bouffer, ça ne marche plus l’alimentation générale de type “Métro” [dont l’approvisionnement vient du grossiste alimentaire Métro]. Les magasins sont vieillissants et délabrés, les prix trop chers », diagnostique le nouveau propriétaire du boulevard Davout.

Mais alors, pourquoi Ganesh a-t-il racheté ? Parce que, après avoir effectué un tour du quartier, il y a vu plein de HLM et… la possibilité de vendre à leurs habitants des produits exotiques qu’on ne trouve pas dans les supermarchés ordinaires. « Il faut se recentrer sur l’ethnique, sur le gombo, les poissons séchés, le couscous, les fruits secs, les produits asiatiques », décrypte Ganesh.

« SI C’ÉTAIT À REFAIRE, JE NE LE REFERAIS PAS. JE PRENDRAIS UN TRAVAIL DE BUREAU, JE SORTIRAIS LE DIMANCHE AVEC MON ÉPOUSE AU BRAS ET JE VERRAIS MES ENFANTS GRANDIR »

MOHAMED BOUFTASS, ÉPICIER DANS LE 15E

Le quinzième arrondissement est un autre triangle des Bermudes. « Deux derrière le square, trois rue de la Croix-Nivert, deux rue Cambronne, une rue Lecourbe… Je dirais que ça fait douze épiceries qui ont fermé dans un rayon de quatre cents mètres ces cinq dernières années », compte Mohamed Bouftass, 68 ans, assis dans la réserve remplie à ras bord de boissons de son magasin, le Little Market, au 137 boulevard de Grenelle. « Et vous, vous partez quand à la retraite ? », l’interpelle un acheteur de chocolats, lui-même joyeux petit vieux qui ne travaille plus. « Je l’ai mise en vente en mai, mais, pour l’instant, rien », répond un peu penaud Mohamed.

Grand sourire et béret sur la tête, l’homme est presque né dans une épicerie, à Casablanca. Jeune, il jouait au flipper avec les Européens qui le faisaient rêver. Il est arrivé au début des années 1970 à Paris, place Cambronne, où il a ouvert une épicerie en 1976. À l’époque, il est confronté au « racisme, à ces Français qui se plaignaient de tous les Arabes qui rachetaient les épiceries, comme quoi il n’y avait plus d’épiceries françaises ».

Quarante et un ans plus tard, Mohamed en a assez, il veut juste se reposer. « L’épicerie, c’est de l’esclavage. J’ai travaillé dix-huit heures par jour parfois, j’ai des problèmes au dos, au cœur, regardez mes varices ! », dit-il en proposant de soulever son pantalon. Lui ne manifestera pas pour défendre l’institution… Il va arrêter, c’est tout.

Et ses enfants, pourquoi ne reprendraient-ils pas le commerce paternel ? « Ah non, surtout pas ! Je me suis sacrifié pour qu’ils fassent des études, pas pour les retrouver derrière un comptoir. Et si c’était à refaire, je ne le referais pas. Je prendrais un travail de bureau, et je sortirais propre et cravaté le dimanche avec mon épouse au bras et je verrais mes cinq enfants grandir, toutes ces choses que je n’aie pas eues. » Etre la vigie du quartier, toujours prête à garder les clés, à dépanner le dimanche ou à encaisser les soucis de la journée, ce n’est pas facile tous les jours.

« Emigrés de la nuit »

Que restera-t-il, dans quelques années, des derniers arabes du coin ? Au moins une pièce de théâtre, Night Shop ou L’Arabe du coin, écrite par Jean-Marc Chotteau, directeur du théâtre La Virgule, à Tourcoing. En 2011 il a monté sa pièce, inspirée de ses virées nocturnes dans les rues lilloises, et de deux épiceries, l’une rue de Gand, l’autre rue du Faubourg-des-Postes, toutes les deux fermées depuis.

Le personnage principal s’appelle Samir et voit passer tous les « émigrés de la nuit qui se racontent ». « L’épicier, c’est un confesseur, un psy. Son magasin, c’est un lieu de bien vivre la ville, alors que les supermarchés, aseptisés et froids, sont mortifères pour le lien social », s’insurge le dramaturge.

Ouissem Boudaya, de l’épicerie du boulevard Davout, est aujourd’hui interdit bancaire et voit son salaire de chauffeur-livreur, son nouveau job, s’enfuir tous les mois dans le règlement des impayés de son ancien magasin. Lahoussine Abalhaoune, près de Montmartre, pense à reconvertir son commerce en poissonnerie.

Mohamed Bouftass, qui veut toujours vendre son Little Market du boulevard de Grenelle, a eu plus d’une vingtaine de visites, mais aucune proposition sérieuse pour racheter son fonds de commerce. « Je ne peux pas baisser le rideau, sinon je perds mes 90 000 euros », soupire-t-il. Pourtant, il veut fermer, et vite.

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26 janvier 2018

Ruée sur les pots de Nutella en promotion : « C’était l’orgie ! »

nutella

Une promotion proposant le pot de 950 grammes à 1,41 euro au lieu de 4,50 euros chez Intermarché a provoqué la cohue dans des magasins.

Face à une telle « information », difficile de ne pas céder à la tentation d’en faire… des tartines ! Jeudi 25 janvier, on a, en effet, frôlé l’émeute dans plusieurs villes et localités de la région Grand Est, comme Forbach (Moselle), Haguenau (Bas-Rhin), ou encore Revigny-sur-Ornain (Meuse). La raison ? Une promotion de 70 %. Mais pas n’importe quelle promotion : c’est le prix de vente de pots de 950 grammes de Nutella qui a ainsi été « sacrifié » par l’enseigne Intermarché.

« Les gens se sont rués dessus, ils ont tout bousculé, ils en ont cassé. C’était l’orgie !, a décrit une employée d’un Intermarché à Forbach (Moselle), préférant rester anonyme. On était à deux doigts d’appeler la police. »

Sur les réseaux sociaux, on a pu visionner des vidéos de clients se ruant sur les pots empilés de la célèbre pâte à tartiner à la noisette.

Un tweet posté dès lundi par une jeune fille et annonçant la promotion a été partagé 16 396 fois, selon Le Parisien-Aujourd’hui en France.

Intermarché propose depuis jeudi, et jusqu’à samedi, une promotion faisant passer le pot de 950 grammes à 1,41 euro au lieu de 4,50 euros. L’opération promotionnelle concerne tous les Intermarché de France.

« Pousse-au-crime »

D’immenses files d’attente s’étaient formées devant les portes, jeudi matin, avant l’ouverture des magasins. « C’est de la folie, on a l’impression d’être au premier jour des soldes », a raconté un employé de l’Intermarché de Haguenau, où « il y a eu des tensions », mais aucun incident.

« A moins 70 %, c’est un pousse-au-crime et on casse l’échelle de valeur. Le client se dit que si le pot de Nutella peut être vendu à moins 70 %, c’est que, le reste de l’année, on marge énormément, alors qu’il est vendu à marge zéro toute l’année… », a observé un employé d’un Intermarché à Revigny-sur-Ornain. Dans ce magasin, tout le stock a été très vite emporté, sans incident, par « des chasseurs de promos qui viennent uniquement pour le produit », a-t-il commenté.

« Depuis lundi, on est harcelés au téléphone », a indiqué, excédée, l’employée du supermarché mosellan. Le magasin a reçu une première livraison de 240 pots, puis un réapprovisionnement de seulement 30 pots. « C’est largement insuffisant, alors qu’il y a des [publicités sur des pancartes] 4 × 3 m dans toute la ville. C’est ingérable, on nous en demande encore, alors qu’on n’a plus rien », a déploré l’employée.

23 janvier 2018

Laëtitia Casta : « Le combat des femmes qui ont le courage de briser le silence est le mien »

Egalité femmes-hommes - Par Laëtitia Casta

L’actrice souhaite que les débats actuels n’opposent pas les hommes aux femmes et s’inquiète de « la violence des mots utilisés ».

[Au détour d’un entretien récemment donné par Laetitia Casta à Corse-Matin, l’actrice déclare : « Je ne suis pas une féministe, je suis une femme. » Des propos abondamment commentés mais sortis, selon elle, de leur contexte. Celle qui joue actuellement au Théâtre de l’Œuvre dans Scènes de la vie conjugale, d’Ingmar Bergman, mise en scène par Safy Nebbou, explicite sa position sur le sujet.]

Tribune. J’ai été choquée de découvrir dans les médias mes propos déformés sur le sujet éminemment brûlant du phénomène #balancetonporc et du féminisme. J’ai également été choquée de voir les réactions provoquées, et une mise au point m’est apparue nécessaire. Non, je ne suis pas contre le féminisme, non je ne suis pas contre la prise de parole des femmes.

Je connais le milieu de la mode et du cinéma depuis l’âge de 15 ans et lorsqu’on me demande ce que je pense des traitements parfois violents, humiliants et vexatoires infligés aux femmes, qu’ils soient physiques ou psychiques, je ne peux que m’en indigner et mener le même combat que toutes ces femmes qui ont le courage de briser le silence, de dire non, de s’adresser à la justice.

Un combat pour « l’harmonie des relations »

Ayant eu l’honneur d’être investie par l’Unicef d’une mission pour les droits des femmes et des enfants, je crois en ces combats au plus profond de moi. Mais ne nous trompons pas, c’est un combat pour les femmes, et non pas contre les hommes, pour le respect et pas contre l’expression du désir, pour l’harmonie des relations. Je rêve que nous restions unis, hommes et femmes, pour rejeter avec dégoût les comportements de certains qui tentent de forcer le consentement de celles qu’ils considèrent comme des proies. Mais je rêve aussi que nous restions unis pour condamner les amalgames qui simplifient un débat grave et complexe.

« JE NE PRÉTENDS PAS PARLER AU NOM DE TOUTES LES FEMMES »

Je suis inquiète des demandes de retrait de tableaux de musée ou de la réécriture d’opéras ou d’œuvres littéraires et je suis inquiète de la violence des mots utilisés. Ai-je le droit de dire cela sans avoir peur ? Je ne prétends pas parler au nom de toutes les femmes, mais en mon seul nom ; ce n’est vraiment pas mon intérêt d’intervenir dans ce débat et je sais le procès en privilège que l’on va me faire, bien qu’il n’en ait pas toujours été ainsi.

Je ne m’exprime qu’en tant que citoyenne à laquelle une question a été posée, qui a tenté d’y répondre honnêtement et dont les propos ont été dénaturés. Une citoyenne soucieuse de dire que l’on peut dénoncer le sexisme qui existe bel et bien et qu’il faut se réjouir de la prise de conscience actuelle de ce phénomène, tout en ne souhaitant pas que l’on en profite pour diaboliser les hommes. Je pensais qu’il s’agissait de bon sens, mais quand les esprits s’embrasent et se laissent guider par la colère, il semble que la moindre expression modérée devienne un crime. Je suis une femme et je suis libre de penser. Laetitia Casta

22 janvier 2018

Aux Etats-Unis, la génération iPhone sous haute surveillance

Par Laurent Borredon - Le Monde

Selon des études, les jeunes Américains de la génération « iGen » passeraient aujourd’hui entre cinq et six heures par jour sur leur smartphone… Et seraient moins autonomes et davantage sujets au mal-être, voire à la dépression.

Ils sont de l’« iGen », la génération iPhone : « Nés depuis 1995, ils ont grandi avec le téléphone portable, avaient un compte Instagram avant même d’entrer au lycée et n’ont pas le souvenir d’une époque avant Internet. » Dans son livre iGen (Atria Books, 2017, non traduit), la professeure de psychologie à l’université de San Diego Jean Twenge se penche sur les adolescents américains d’aujourd’hui. Et met en garde sur les effets ravageurs des smartphones.

« On aime nos téléphones plus que les vraies gens »

En partant des études régulièrement menées auprès des jeunes aux Etats-Unis – et qui concernent 11 millions de personnes sur plusieurs décennies –, elle a noté un changement brutal en 2011-2012. La date correspond à un autre basculement majeur : la généralisation des smartphones. « Je pense qu’on aime nos téléphones plus que les vraies gens », résume dans le livre Athena, 13 ans. Les élèves en dernière année de lycée passent… six heures par jour sur leur téléphone. Pour ceux en dernière année du collège (correspondant, en termes d’âge, à la 4e en France), c’est cinq heures.

Dans cette génération, qui pourrait être incarnée par l’adolescente surveillée par sa mère par une tablette dans l’épisode « Arkangel », dans la quatrième saison de la série britannique Black Mirror (Netflix), l’indépendance et l’aventure sont singulièrement réduites. En 1999, près de 45 % des élèves de 2de estimaient que leurs parents savaient en permanence où ils étaient, 50 % avec qui. En 2015, on est à plus de 60 % pour « où », 65 % pour « avec qui ».

Même lorsqu’ils entrent à l’université – traditionnellement une deuxième coupure du cordon ombilical, aux Etats-Unis –, note Jean Twenge, « les parents d’étudiants continuent de les traiter comme des enfants ». Attitude qui s’appuie, là encore, sur le téléphone portable : la responsable des nouveaux à l’université Stanford s’étonne de les voir « heureux de pouvoir communiquer avec leurs parents plusieurs fois par jour » alors qu’elle-même aurait été « mortifiée », au même âge, d’une telle intrusion.

Baisse des interactions sociales « en personne »

Si la responsabilité revient principalement au désir de contrôle des parents, les enfants sont aussi des victimes consentantes, qui renoncent peu à peu à leur autonomie, conclut Mme Twenge. En 2015, les lycéens de terminale sortaient moins souvent sans leurs parents que des élèves de… 4e de 2009. Le sexe, l’alcool, le permis, les petits boulots… tout est à la baisse. Même les fêtes ne font plus recette : de 1976 à 2007, en moyenne, autour de 70 % à 75 % des élèves de terminale y participaient au moins une fois par mois. En 2015, ils étaient moins de 55 %. Un signe de la baisse drastique des interactions sociales « en personne ».

Or, le mal-être, le temps passé en ligne et ces rapports sociaux virtuels sont étroitement corrélés, selon l’auteure. Les élèves de 4e qui passent plus de dix heures par semaine en ligne ont 56 % de chances de plus de se déclarer « malheureux ». Plus l’enfant est jeune, moins il est armé psychologiquement, et plus le risque est grand. « Les élèves de 4e sont encore en train de construire leur identité et se débattent souvent avec les questions liées à leur image et à leur corps », alerte Mme Twenge. Course aux « likes », mise en scène permanente de sa propre vie (et sentiment que celle du voisin est toujours mieux), manque de sommeil (le téléphone vient se nicher sous l’oreiller)… Les symptômes dépressifs ont explosé entre 2012 et 2015 : + 50 % pour les filles, + 21 % pour les garçons.

Jean Twenge conseille d’attendre le plus longtemps possible avant de donner un smartphone à son enfant et prône un usage modéré. Mais la solution pourrait venir de l’« iGen » elle-même. « Je ne suis pas satisfaite de ma vie parce que beaucoup de mes amis sont accros à leur téléphone – c’est comme s’ils ne voulaient pas me parler parce qu’ils sont sur leur téléphone », confie à l’auteure Olivia, une lycéenne de 18 ans. Dans la série britannique The End of the F***ing World (Netflix), Alyssa, 17 ans, explose son smartphone par terre après qu’une de ses amies lui a envoyé un message plutôt que de lui parler, alors qu’elles sont assises face à face à la cantine. Le début de la révolte ?

20 janvier 2018

Revenu universel

« Et vous, que feriez-vous avec 1 000 euros par mois pendant un an ? » : une association propose de tester le revenu de base

Par Camille Bordenet - Le Monde

En lançant une expérimentation à petite échelle, l’association Mon Revenu de base souhaite amener la société à réfléchir à cette idée.

C’est une idée vieille de plusieurs siècles, qui passionne autant qu’elle divise. Alors que le revenu universel s’est invité au cœur de la campagne présidentielle et reprend du terrain en Europe, Julien Bayou (porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts, EELV) n’entendait pas « laisser retomber le débat », lui qui milite depuis des années pour cette idée d’une allocation versée à tous pendant la vie entière.

D’autant moins à l’heure où plusieurs territoires français souhaitent l’expérimenter. Dernier en date : la commune de Grande-Synthe. En novembre 2017, ce sont huit présidents de département socialistes qui faisaient part de leur volonté de tester ce dispositif, souhaitant porter un « projet d’expérimentation au Parlement ».

En attendant de savoir si ces expérimentations de terrain pourront voir le jour, l’association Mon Revenu de base (MRB), créée par M. Bayou (mais indépendante d’EELV) et une équipe de dix bénévoles, soutenue par le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), a lancé une première expérimentation citoyenne du revenu de base, à petite échelle, en s’appuyant sur une opération de financement participatif.

En un mois, près de 80 000 personnes se sont inscrites sur le site de l’association, dont 20 000 ont accepté de répondre à un questionnaire, et près 36 000 euros ont pu être récoltés, permettant de financer trois revenus de base de 1 000 euros par mois sur un an. Le 6 décembre, trois bénéficiaires ont été tirés au sort : Denis, Caroline et Brigitte. Dans la foulée, une nouvelle opération a été lancée, pour espérer pouvoir élargir l’expérience.

Les revenus versés ne sont pas cumulables avec les minima sociaux. Quant à savoir s’ils seront soumis à impôt, l’association reste en attente de réponse de l’administration fiscale.

Cette initiative française s’inspire directement d’une version similaire menée en Allemagne, Mein Grundeinkommen, qui, depuis sa création en 2014, a récolté suffisamment d’argent pour distribuer à 139 personnes un revenu de 1 000 euros par mois pendant un an.

Derrière la question apparemment simple posée par MRB – « Et vous, que feriez-vous avec 1 000 euros par mois pendant un an ? » –, l’idée est « d’amener le plus de gens possible à se projeter dans une protection sociale du XXIe siècle et à réfléchir à ce que serait leur vie avec un revenu garanti », explique M. Bayou :

« Est-ce qu’on s’arrête de travailler ? On travaille moins ou mieux ? On se nourrit mieux ? On prend du temps pour soi ? »

« UN FILET DE SÉCURITÉ PERMETTANT AUX INDIVIDUS DE S’ÉPANOUIR, DE CHOISIR LEUR VIE »

Arguant du « manque d’efficacité du RSA pour vaincre la pauvreté » et de la nécessité de « repenser notre système de protection sociale », le militant défend l’idée que le revenu de base serait « un filet de sécurité permettant aux individus de s’épanouir, de choisir leur vie et de prendre des risques sans craindre l’extrême pauvreté ».

En étudiant l’impact de ce revenu dans la vie des trois bénéficiaires, mais aussi grâce aux témoignages des participants, l’association entend aussi tirer des enseignements. M. Bayou se dit d’ores et déjà frappé par la grande précarité qui en ressort : « près de 70 % disent avoir dû reporter des soins ».

Le revenu de base a déjà fait l’objet d’expérimentations à petite échelle et sous différentes formes dans plusieurs pays, notamment en Finlande, premier pays européen à l’expérimenter au niveau national, depuis janvier 2017 : 2 000 demandeurs d’emploi, âgés de 25 à 58 ans, ont été tirés au sort pour percevoir 560 euros par mois pendant deux ans.

Plusieurs limites

Si ces expérimentations ont le mérite de nourrir le débat public, Guillaume Allègre, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et spécialiste des politiques sociales, se montre toutefois sceptique quant à leur pertinence d’un point de vue scientifique. Il note ainsi plusieurs limites : la taille de l’échantillon, « souvent trop petit et non représentatif » ; le fait que plusieurs effets sociaux et économiques ne soient pas mesurables ; leur limitation dans le temps « alors que les individus ne réagissent pas de la même façon à des mesures temporaires ou pérennes », ou encore la question du financement, auquel elles ne permettent pas de répondre. En cela, la proposition développée par le MFRB d’expérimenter le revenu de base à un niveau communautaire (une ville, par exemple), lui paraîtrait plus pertinente.

Conscient des limites et des « biais inhérents à tout projet d’expérimentation », M. Bayou estime que « cela ne doit pas empêcher d’essayer et n’invalide pas les enseignements à en tirer ». Il rappelle également que cette initiative citoyenne à petite échelle n’a pas la prétention de « conduire à une étude scientifique », pas plus que de répondre à la question complexe de la faisabilité du principe au niveau d’un Etat. « Le but est avant tout de faire irruption dans le débat public et d’amener la société à se saisir de cette question. »

Avec, à terme, un autre objectif poursuivi également par les départements candidats : qu’une loi autorisant l’expérimentation du revenu de base par les collectivités territoriales soit votée, alors que M. Macron a récemment fait part de son intention de « réformer la Constitution pour assouplir le droit à l’expérimentation ». Les expérimentations par les collectivités doivent en effet passer par le vote d’une loi qui en fixe le cadre.

En 2016, une mission d’information du Sénat avait proposé d’expérimenter rapidement « dans des territoires volontaires » différentes modalités d’un revenu de base.

Vendredi 19 janvier, les associations MRB et MFRB ont été reçues à l’Elysée par une conseillère spéciale et par un délégué interministériel. L’objectif était de sensibiliser les pouvoirs publics sur la possibilité d’une expérimentation à plus grande échelle du revenu de base, dans le cadre du prochain plan de lutte contre la pauvreté. Plusieurs options de tests seront ainsi proposées, avec différents montants, territoires ou publics. Les associations ont évalué le coût de différents scénarios et réfléchi aux possibilités de financement, et espèrent convaincre du sérieux de leur démarche.

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20 janvier 2018

Ecrans : ados accros, parents à cran

Par Marlène Duretz - Le Monde

Collés à leur smartphone, certains deviennent cyberaddicts, tandis que les parents cherchent des solutions. Leur inquiétude ? Les nombreux problèmes liés à l’hyperconnexion : sédentarité, troubles du comportement, autodépréciation et harcèlement.

C’était pour la bonne cause, les parents en conviennent – avant de s’en mordre les doigts. Etre joignables par leurs « petits » et, en retour, pouvoir les marquer à la culotte, c’est l’alibi légitimement avancé par trois quarts de ceux qui ont équipé leurs enfants d’un téléphone portable. « Un passage o-bli-gé », selon tous ceux qui ont cédé aux pressions de leur progéniture, lassés de la voir vampiriser le smartphone parental. « Et c’est là que les emmerdes commencent », selon bon nombre de parents, passés maîtres en sommations à répétition pour qu’elle lâche son « précieux », ne serait-ce que le temps du dîner. A l’école, c’est un peu le même combat. A tel point que le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, a récemment promis de renforcer la mise au ban du doudou numérique dans les établissements scolaires, dès la rentrée 2018.

« MA FILLE DE 14 ANS EST CONSTAMMENT DESSUS, ON EN ARRIVE À LUI ENVOYER UN TEXTO POUR CAPTER SON ATTENTION ! »

UN DIRECTEUR D’ÉCOLE

Les 6-17 ans passent plus de quatre heures par jour devant un écran, les 15-16 ans, plus de cinq heures ; soit une à deux heures de plus en moyenne qu’il y a dix ans, dont cinquante-huit minutes par jour pour le seul smartphone chez les 15-24 ans (Médiamétrie, avril 2017). Cette prédilection pour les écrans peut grimper jusqu’à dix heures par jour, agitant le spectre de la cyberaddiction. Un combat continuel : 67 % des parents reconnaissent que le téléphone de leur enfant « a déjà été une source de conflits ». « C’est un véritable prolongement d’elle-même, déplore un quadragénaire, directeur d’école. Ma fille de 14 ans est constamment dessus, on en arrive à lui envoyer un texto pour capter son attention ! » « C’est une bataille de tous les jours », renchérit, dans un appel à témoignages publié sur le site Lemonde.fr, Mylène, qui restreint le temps de connexion pour éviter « trop de distractions ».

Etablir des règles coercitives

Laisser courir ou intervenir ? « Les écrans ne nous menacent pas. C’est leur mauvais usage qui nous menace », assure le psychiatre Serge Tisseron, membre de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique. Un possible envahissement que les parents, technophiles ou technophobes, tentent de contrer. Souvent avec les moyens du bord. Pour prendre un semblant d’ascendant sur cette petite merveille de technologie, une majorité établit des règles coercitives, délimitant son utilisation. « Nous avons conclu un marché avec lui à la rentrée », raconte Joanne, mère d’un ado de 15 ans. « Pas de connexion après 22 heures, un travail sérieux et régulier, et un plein investissement dans ses autres activités, sportives et culturelles. Pour l’instant, tout se passe très bien », se réjouit cette traductrice. Parfois, c’est un peu plus compliqué. « Malgré une confiance établie et un temps de connexion limité, il m’arrive évidemment de les surprendre avec leurs portables le soir dans leur chambre, mais je ne baisse pas les bras », confie Françoise, mère de deux ados de 16 ans.

A la recherche d’une béquille technologique, un parent sur cinq s’alloue les services d’un logiciel de contrôle parental (OpinionWay pour Xooloo, 2016). Excès de zèle ? « Nous ne les avons jamais espionnés, se défend Valérie, maman de deux ados, mais nous avons un temps mis en place un système de limitation automatique du temps quotidien, et conditionné l’usage de l’écran aux notes scolaires. Si elles baissent, nous le leur confisquons pour un certain temps. » D’autres excellent dans une supervision bien ficelée. « Mon fils de 11 ans a un smartphone que j’ai jumelé au mien, explique cette chef d’entreprise de 38 ans. Outre un contrôle parental sur Safari et YouTube, il est bloqué pour ce qui est des téléchargements avec un mot de passe qu’il ne connaît pas. II n’a pas de compte mail, ni de messagerie instantanée, ni Instagram ou Facebook. Toute la musique qu’il veut, mais pas trop de jeux. A son âge, c’est suffisant. J’adapterai ses accès lorsqu’il grandira. »

« LE PREMIER FACTEUR DE CYBERADDICTION N’EST PAS DÛ AU CARACTÈRE ADDICTOGÈNE DES SITES OU DES APPLIS, C’EST AVANT TOUT UN LIEU DE REPLI, DE REFUGE »

GEOFFROY WILLO TOKE, DOCTEUR EN PSYCHOLOGIE CLINIQUE

Pour éviter l’escalade, certains parents ne font pas dans la nuance et interdisent tout bonnement le portable. Sur le fil de discussion « Téléphone + parents = problème » de Forum-ados.fr, une collégienne de « 13 ans et demi » s’insurge : « Aidez-moi, j’en peux plus ! » interdire le téléphone revient à lui conférer le statut d’objet de désir. « Mais l’interdire dans la sphère familiale relève sinon de l’impossible, au moins de l’absurde, pour Geoffroy Willo Toke, docteur en psychologie clinique et membre de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines. Le premier facteur de cyberaddiction n’est pas dû au caractère addictogène des sites ou des applis, c’est avant tout un lieu de repli, de refuge, quand préexistent des problèmes interactionnels avec les parents. » Car les portes ne claquent pas seulement à cause du téléphone mobile… « Ce qui doit être mis nécessairement sur la table, c’est le dialogue : l’erreur est de penser que le smartphone exclut les parents ou que les parents excluent le smartphone », considère le psychologue.

Les dangers de l’hyperconnexion

« Cadrer sans accompagner est aussi inutile que vouloir accompagner sans cadrer. Les deux sont indispensables », rappelle Serge Tisseron. « Si les enfants se saisissent plutôt bien des ergonomies qui leur sont proposées, en termes de pratiques, d’exposition de soi-même ou à des contenus qui ne sont pas appropriés, le parent a encore là tout son rôle d’éducateur à jouer, ajoute son confrère M. Willo Toke. Il n’y a pas lieu de se sentir en rivalité avec cet objet. » Et encore moins de démissionner ou de renoncer à prémunir ses enfants contre les dangers possibles des « méchants loups » de l’hyperconnexion : sédentarité, troubles du comportement, de l’attention ou du sommeil, incidences des ondes électromagnétiques sur les fonctions cognitives, autodépréciation et harcèlements lourds de conséquences.

Mais les « bonnes manières » s’acquièrent aussi à force de persuasion. Emmanuel a rué dans les brancards lorsqu’il a découvert les écarts de conduite de sa fille de 14 ans, qui est passée de 30 SMS par mois à 3 000, dont certains envoyés à 2 heures du matin, malgré la consignation nocturne du portable au salon. « J’ai détruit la puce, confisqué le portable deux bons mois, avant de l’autoriser à nouveau avec des règles précises d’utilisation et un contrôle parental », témoigne cet ingénieur de 46 ans. Ce père de trois enfants institue même des cures de désintoxication en famille, « très utiles pour prendre conscience que le portable occupe trop de place dans nos vies ».

« Le téléphone prend la place qu’on lui concède », contrebalance le sociologue Stéphane Hugon, cofondateur d’Eranos, un cabinet de conseil spécialisé en design relationnel, pour qui cet écran n’est pas qu’une bête noire, mais une ressource pour étoffer la communication familiale. « Elle sera d’autant plus vertueuse qu’elle permet de produire de l’engagement, de la confiance, de l’autorité, du dialogue… » Jusqu’à se côtoyer en ligne ? « Fréquenter les mêmes réseaux sociaux que son ado, c’est lui dire que le parent est potentiellement là. Cela crée une interface de communication avec lui », suggère M. Hugon. « Sortis de Facebook, mes parents ignorent ce qu’est Snapchat ou Instagram. Et aucun n’en voit l’intérêt », regrette Lorine, 15 ans, un score de 47 215 interactions au compteur de son « Snap », et plus de 250 SMS par jour. Un tableau de chasse bien gardé : ses parents auraient sans doute des « hallus », s’ils avaient la moindre idée d’un aussi « bon rendement ». Les professionnels de santé diraient « comportement addictif ».

Mais l’envoûtement au smartphone concerne également l’adulte, qui devrait balayer devant sa porte avant de frapper à celle de son ado. « Pourquoi j’ai pas le droit d’avoir mon tél avec moi à table alors que mon père ne se gêne pas pour répondre à ses textos ou ses appels téléphoniques du bureau. Moi aussi, j’ai des trucs importants à suivre ! », balance Matéo lorsqu’on le chatouille sur cet objet greffé « H24 » à sa main droite. « La meilleure façon de faire est tout simplement de ne pas rester scotché soi-même à son smartphone », admet Cornelia, loin encore d’être dans l’œil du cyclone avec son fils de 6 ans. Pour l’heure, son explorateur en culottes courtes trouve « drôles » ces gens, « ces robots » qui ne trouvent pas leur chemin dans la rue sans consulter leur téléphone.

20 janvier 2018

RATP et police sont impuissants face à la consommation de crack dans le métro parisien

Par Florian Reynaud, Julia Pascual - Le Monde

Deux syndicats ont appelé à la grève sur la ligne 12 pour dénoncer la présence croissante de toxicomanes dans les stations, qui met « en danger les salariés et les voyageurs ».

Vendredi 19 janvier, sur la ligne 12 du métro parisien, qui relie Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), un conducteur de la RATP commente, désabusé, le « buzz » médiatique du jour : « Ça fait trente ans que je bosse dans le métro. Les toxicos, ils ont toujours été là. Et c’est de pire en pire. » « Drogue. Les zombies du métro », a titré en « une » le journal Le Parisien, vendredi, tandis que les syndicats CGT et SUD-RATP ont appelé à la grève sur la ligne 12. Ils dénoncent une présence de plus en plus importante dans les stations de métro de consommateurs de crack, un dérivé de cocaïne.

Drogue peu coûteuse, qui se présente sous la forme de petits cailloux et qui peut se fumer ou s’injecter, elle entraîne une dépendance rapide. « Le crack a un effet sur la santé particulièrement désocialisant », explique Agnès Cadet-Taïrou, médecin de santé publique à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

Même si le profil des usagers tend à se diversifier, ceux présents dans le métro se trouvent essentiellement dans des situations précaires, vivent souvent en squat ou à la rue. « Le crack est arrivé en métropole depuis les Antilles et la Guyane à la fin des années 1980, retrace Agnès Cadet-Taïrou. Son marché existe essentiellement en Ile-de-France, à Paris et en Seine-Saint-Denis. A l’échelle de la population générale, sa consommation est très faible. » Selon les derniers chiffres disponibles, 0,6 % des 18 à 64 ans avaient déjà expérimenté le crack en 2014.

Dans leur préavis de grève, la CGT et SUD-RATP dénoncent un défaut de « sécurisation » de la ligne 12, qui met « en danger les salariés et voyageurs ». D’après Jérémy Kahli, syndicaliste SUD-RATP, quinze conducteurs de la ligne auraient été agressés en 2017, « souvent parce que quelqu’un s’est “shooté” et est en plein délire ». Ces chiffres n’ont pas été confirmés par la RATP. Elle reconnaît toutefois des « difficultés croissantes », « en particulier au nord de la ligne 12 et de la ligne 4 ».

Un phénomène ancien qui s’étend

Pour ce conducteur de métro, qui parcourt la ligne 12 depuis six ans, plus que la violence, c’est « principalement la présence des toxicomanes sur les voies » qui gêne le travail. « Ils traversent pour aller de quai en quai, font leurs besoins sur les voies ou cachent leur dose dans le tunnel », dit-il, obligeant les agents à solliciter des coupures de courant pour éviter une électrocution, ce qui génère des retards.

Un autre conducteur, venu de la « réserve » renforcer les effectifs de la ligne 12, ajoute : « Il y a aussi ce sentiment que la régie ou l’Etat ne font rien. Il y a des époques où on les chasse à la surface et puis la surface les chasse et les remet dans le métro. » Vendredi, la préfecture de police de Paris et la RATP ont annoncé « une présence renforcée des effectifs » de police et de sécurité, tout en rappelant que depuis deux ans, « plus de 400 affaires liées à ce trafic de stupéfiants ont conduit à l’interpellation de 283 vendeurs et 406 consommateurs ».

La consommation de crack dans le métro est un phénomène ancien. Mais il s’étend : « Depuis environ trois ans, cela explose, confie un délégué du syndicat Alliance-Police nationale au sein de la brigade des réseaux franciliens (BRF). Il y a quinze ans, ça se passait beaucoup dans le nord de Paris, déjà le 18e et aussi le 19e. Aujourd’hui, toute la ligne 12 est touchée. » Alors qu’il arrive à la station Assemblée nationale, dans le 7e arrondissement, un conducteur de métro commente : « C’en est un », opinant du menton en direction d’un homme, assis sur le quai, la mine fatiguée et semblant saisi de spasmes.

« Problème social avant tout »

L’OFDT confirme une « augmentation tendancielle et régulière » du marché du crack. « Dans les structures de réduction des risques pour les usagers de drogues, en 2008, 22 % d’entre eux avaient consommé de la cocaïne basée. On était à 32 % en 2015. Si on prend l’Ile-de-France, on passe de 45 à 51 % », rapporte Agnès Cadet-Taïrou.

La plus forte visibilité des consommateurs, dont témoignent les agents de la RATP, s’explique aussi par d’autres facteurs. Le climat hivernal, bien sûr, qui peut les pousser à se réfugier dans le métro. Mais également la politique de répression de la délinquance. « Dès 2012, avec la création des zones de sécurité prioritaires, qui a accru la surveillance policière sur la voie publique, on a constaté une présence plus importante des usagers dans le métro, rappelle Agnès Cadet-Taïrou. En 2014, le démantèlement du trafic de la cité Reverdy dans le 19e, qui était depuis plusieurs années une plaque importante de vente du crack, a aussi été un tournant. »

Dans les souterrains de Paris, un sentiment de désarroi domine : « Le GPSR [Groupe de protection et de sécurisation des réseaux] fait juste le coup de force de les dégager, mais ils redescendent le quart d’heure d’après, constate un conducteur. Ils sont paumés, tombent dans la drogue et c’est un cercle infernal. » Depuis décembre, quatre associations spécialisées réalisent quatre maraudes par semaine avec des agents RATP. Elles permettent notamment de proposer « un accompagnement médical et social », explique Isabelle Roux, de l’association Charonne. « C’est un problème social avant tout », reconnaît Jérémy Kahli.

Du côté des vendeurs, principalement originaires d’Afrique de l’Ouest, le constat est le même. « Ce sont plutôt des jeunes majeurs sans-papiers qui vivent dans la misère », rapporte le délégué syndical à la BRF. L’organisation du trafic de crack demeure assez méconnue, mais il se tiendrait surtout dans l’enceinte de la gare du Nord, dans le 10e arrondissement. « Il y a entre vingt et trente vendeurs depuis l’ouverture à la fermeture du métro, poursuit le syndicaliste policier. Ils conservent la drogue dans leur bouche, sous la forme de petites bonbonnes emballées dans du film plastique. C’est un moyen de se délester du produit en l’avalant, en cas d’interpellation. »

Le 9 novembre, Massar D., un jeune homme d’une vingtaine d’années et d’origine sénégalaise, a été interpellé. Victime d’un arrêt cardiorespiratoire, il est mort quelques jours plus tard. Une enquête a été ouverte en recherche des causes de la mort. Il avait une trentaine de pochons de crack dans la bouche.

drogue

19 janvier 2018

Faux départ pour le nouveau Vélib’ en Ile-de-France

velib

Par Olivier Razemon - Le Monde

Le système de vélos en libre-service, qui devait se déployer à partir du 1er janvier dans Paris et 67 autres communes, rencontre de sérieux dysfonctionnements.

Enrobé noir, bandes blanches parfaitement tracées, bordures de protection, les toutes nouvelles pistes cyclables de Paris sont superbes. Mais en ce début janvier froid et gris, elles demeurent sous-utilisées. Pas seulement à cause de la météo : les abonnés au Vélib’, qui constituent en temps normal 40 % des cyclistes, sont absents.

Le nouveau Vélib’, qui devait se déployer à partir du 1er janvier dans les rues de la capitale et de 67 autres communes d’Ile-de-France, rencontre de sérieux dysfonctionnements. Initialement, 600 stations devaient être installées dans Paris au début de l’année, un nombre ramené à 300 fin 2017 lorsque les premières difficultés ont commencé à se manifester.

Mais le Jour de l’An, seulement 64 stations étaient identifiées sur le site velib-metropole.fr, et certaines n’étaient pas actives : on n’y trouvait aucun vélo… Dix jours plus tard, la situation s’est à peine améliorée. 68 stations étaient opérationnelles le 10 janvier au soir. L’opérateur Smovengo, qui a ravi en avril dernier le marché à JCDecaux, concessionnaire depuis 2007, assure que la mise en place va s’accélérer, avec l’ouverture de « 60 à 80 stations chaque semaine ».

Une ambition mise en doute par le site velib.nocle.fr, qui tient un décompte rigoureux mais non officiel des stations en service. « Pour atteindre le rythme de 80 par semaine, il faudrait 11 ou 12 nouvelles stations par jour (y compris le dimanche) », observe le créateur de cette plateforme, « JonathanMM », un « geek célibataire de 26 ans », comme il se définit sur son compte Twitter.

Compensations aux usagers

Le ratage commence à se voir. L’opposition à la maire (PS) de Paris Anne Hidalgo s’est engouffrée dans la brèche. Les élus Républicains au Conseil de Paris ont dénoncé « un fiasco », tandis que le groupe UDI-MoDem évoque « la chronique d’une catastrophe annoncée ». Sur Twitter, l’édile elle-même s’est agacée, « en tant que maire de Paris et utilisatrice », de ces dysfonctionnements.

Le 9 janvier, le conseil du Syndicat mixte Autolib’ Vélib’ Métropole, qui rassemble les élus des 68 communes, a infligé à Smovengo des pénalités qui serviront à financer des compensations destinées aux usagers. Selon les termes du contrat passé avec l’opérateur, ces sanctions pourraient atteindre, chaque mois, un million d’euros si plus de 200 stations manquent par rapport au stock prévu. Or aujourd’hui, on en est à plus de 500 stations manquantes.

Smovengo, consortium entre la société montpelliéraine Smoove, Mobivia (ex-Norauto) et le groupe espagnol Moventia, justifie les dysfonctionnements de deux manières. Tout d’abord, le raccordement électrique des 45 000 bornettes connaît des ratés. Les nouvelles stations, qui pour la plupart sont installées au même endroit que celles de JCDecaux, ont besoin d’une alimentation puissante. Il ne s’agit pas seulement de faire fonctionner la station, mais de recharger les vélos à assistance électrique, qui constituent un tiers de la flotte.

Le sous-sol parisien étant « suréquipé » en raccordements en tous genres, l’opération « implique une coordination complexe avec les autres opérateurs de réseau (éclairage, signalisation) », ainsi qu’avec Enedis, le réseau de distribution d’électricité, explique le nouveau concessionnaire. Sous couvert d’anonymat, un élu parisien admet que ces travaux « risquent de durer, car le personnel manque pour les réaliser ».

Par ailleurs, Smovengo affirme aujourd’hui subir un retard de six semaines en raison du recours intenté, au printemps 2017, par son prédécesseur, un argument qui n’avait toutefois pas été invoqué avant la fin de l’année dernière.

Toutes les recettes sont bonnes à prendre

A ces délais s’ajoutent de nombreux bugs, dénoncés sur Twitter par des clients. Certains abonnés ont reçu leur nouvelle carte en deux exemplaires, le service téléphonique demeure la plupart du temps indisponible, l’application fonctionne de manière aléatoire sur Android, le temps d’utilisation est parfois mal décompté, et enfin il existe deux sites Internet présentant pratiquement les mêmes informations, velib-metropole.fr et velib2018.com.

Il est vrai que les ambitions des pouvoirs publics sont énormes. Le nouveau Vélib’ doit devenir, selon la formulation en vogue à la mairie de Paris, à la fois « électrique et métropolitain ». La version Decaux fonctionnait à Paris et dans les communes limitrophes, à moins de 1,5 km du périphérique. Mais il s’agit désormais de couvrir un vaste territoire correspondant à une bonne partie des trois départements de la petite couronne et même au-delà, puisque Juvisy-sur-Orge (Essonne) et Argenteuil (Val-d’Oise) ont adhéré au Syndicat mixte.

Cette transition s’accompagne en outre d’un détachement entre le marché du vélo partagé et celui de l’affichage publicitaire, contrairement au modèle qui a prévalu à Paris pendant 10 ans et qui fonctionne toujours à Lyon, Toulouse ou Nantes. Et ce n’est pas tout : les pouvoirs publics espèrent aussi réduire le coût du service pour la collectivité, très élevé en raison des dégradations mais aussi des redevances publicitaires.

Dans ces conditions, toutes les recettes sont bonnes à prendre. Le concessionnaire pourra ainsi baptiser une station du nom d’un annonceur, comme « BHV » pour la station située à proximité du célèbre grand magasin.

« Accident industriel »

Les circonstances de la mise en place du nouveau service suscitent la colère de l’association de cyclistes Paris en selle. Ses responsables parlent d’« accident industriel » et exigent une gratuité du service pendant trois mois. L’association dénonce en outre la tendance des élus à « faire de la com trompeuse », au sujet du Vélib’comme de la progression des aménagements cyclables.

L’omerta du Syndicat mixte agace aussi Mathieu Marquer, qui fut membre entre 2007 et 2009 d’un éphémère comité des usagers, et qui continue de suivre l’actualité du vélo. « On pouvait deviner dès l’automne qu’on n’atteindrait pas les 600 stations au 1er janvier, et pourtant le Syndicat mixte a observé le silence le plus complet pratiquement jusqu’à la veille du lancement », attaque-t-il.

Les déboires du Vélib’ parisien font écho aux difficultés rencontrées par d’autres systèmes de vélo en libre-service, sans même parler de la concurrence du free-floating – services de partage de vélos, de scooters ou de voitures « sans station ». Face à des coûts très élevés et à un nombre d’abonnés désespérément faible, plusieurs villes moyennes ont en effet abandonné leurs vélos partagés ces derniers mois. Perpignan a renoncé à son « Bip ! » fin décembre. A Caen, le V’eol, qui existait depuis 2008, a cédé le 1er janvier la place au Vélolib’, qui propose beaucoup moins de stations.

Olivier Schneider, président de la Fédération des usagers de la bicyclette, qui rassemble 260 associations, juge sévèrement les choix des municipalités. « En France, le vélo en libre-service ne s’est jamais inscrit dans une politique cyclable. Il a fait office de politique cyclable. Si on avait créé des pistes cyclables et des places de stationnement sécurisé, si on avait agi contre le vol et le recel de vélos, les citadins seraient aujourd’hui beaucoup plus enclins à posséder leur propre vélo », estime-t-il. Et les pistes cyclables seraient bien plus utilisées qu’elles ne le sont aujourd’hui.

18 janvier 2018

Balance ton porc...

18 janvier 2018

Yvette Roudy : « On trouve encore des femmes du côté de la “domination masculine” »

En réponse à la tribune publiée dans « Le Monde » par un collectif de 100 femmes, dont Catherine Deneuve, l’ancienne ministre des droits de la femme juge que l’affaire, « politique », doit être réglée par le gouvernement au plus vite.

Par Yvette Roudy (Ministre aux droits de la femme de 1981 à 1986)

Tribune. Quand j’ai entendu les premières protestations venues d’Amérique s’insurger contre le harcèlement sexuel, je me suis dit : « enfin la relève est assurée » et, aussitôt après, je me suis demandé quand la riposte se produirait-elle. Je n’ai pas eu à attendre longtemps. Le 10 janvier, elle est arrivée de… France, et elle venait de… femmes. En tête – et on ne parle que d’elle – Catherine Deneuve. Oui, vous avez bien lu : celle qui avait signé le « Manifeste des 343 » revendiquant le droit à l’avortement, un droit toujours menacé, soit dit en passant. Je souligne que ce Manifeste est daté de janvier 1971, soit il y a plus de quarante ans. Une autre époque.

J’apprends que Catherine Deneuve, dans une lettre envoyée à la presse, s’excuse auprès de celles qui ont pu se sentir agressées par la tribune parue dans Le Monde. Dont acte… Je ne pense pas que l’on attende de moi que j’entre en conflit avec Catherine Deneuve. Je ne le ferai pas.

Une « question de pouvoir »

Quoi qu’il en soit, la riposte publiée dans Le Monde est habile et ceux qui l’ont suscitée sont « très malins ». On va – se sont-ils dits – utiliser le « vieux truc » : des femmes contre d’autres femmes. Et ça marche encore. On trouve encore des femmes du côté de la « domination masculine ». Sauf que, cette fois, cela risque de ne plus fonctionner car il y a de plus en plus de féministes (avez-vous d’ailleurs remarqué que le mot n’est plus un « gros mot » ?).

Avez-vous aussi remarqué que quelques hommes (pas nombreux, mais ce n’est qu’un début) se trouvent du côté des premières protestataires ? Et que ces dernières sont rejointes par celles qui se souviennent du temps des « petits chefs » ou des « gros chefs », comme le dit si bien Laurence Rossignol. Car voyez-vous, l’affaire est une « question de pouvoir ». Oui, de pouvoir. Celui que l’on a sur celles qui, hiérarchiquement, sont à notre merci et n’osent pas dire non ! sous peine de perdre leurs chances d’avancement dans la hiérarchie.

Il s’agit donc bien là d’une affaire politique. Aussi espérons-nous la réponse de celle qui nous représente au gouvernement et qui attend toujours le « ministère à part entière » promis par le président Macron quand il était candidat.

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