Controverse - Peut-on lutter à la fois contre le Covid-19 et contre le réchauffement climatique ?
FINANCIAL TIMES (LONDRES)
Le confinement forcé par la pandémie de Covid-19 a eu deux conséquences : l’effondrement brutal de l’économie et une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre. Est-ce le bon moment pour faire rimer investissement vert et croissance ?
OUI
Les deux vont de pair
Nous avons tiré plusieurs leçons de la pandémie, la première étant que des risques très élevés en matière d’incidence et de probabilité appellent une intervention rapide – et que tout retard coûte cher. Très tôt, les professionnels de santé nous ont mis en garde contre les effets dévastateurs du Covid-19. Pourtant, rares sont les États qui ont pris des décisions à la hauteur des risques encourus.
Des pays comme le Japon, la Corée du Sud, Singapour et le Costa Rica, qui ont immédiatement pris des mesures préventives, donnent l’impression de s’en tirer nettement mieux que ceux qui ont tardé à agir. Le vieil adage selon lequel il vaut mieux prévenir que guérir recueille une large adhésion dans le domaine sanitaire, et il s’applique tout autant au dérèglement climatique.
Les catastrophes naturelles coûtent cher
Nous en connaissons les risques depuis des années. [La banque] Morgan Stanley a calculé que les 16 catastrophes météorologiques et climatiques survenues en 2017 aux États-Unis avaient coûté 309 milliards de dollars [285 milliards d’euros].
Au cours des dix années qui viennent de s’écouler, les pertes, résultant des catastrophes naturelles, se montent à 3 000 milliards de dollars [2 700 milliards d’euros] à l’échelle mondiale. Or, les mesures engagées en faveur du climat restent insuffisantes. Comme Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre, l’a prédit en 2015 :
Le jour où le dérèglement climatique aura une influence directe sur la stabilité financière, il sera sans doute déjà trop tard.”
Préoccupé par cette flambée des risques, Larry Fink, le directeur général du fonds d’investissement BlackRock, écrivait récemment : “Nous sommes à l’aube d’une refonte totale du secteur de la finance.” Reste à savoir si cette refonte interviendra à temps.
Des années à venir décisives
Malgré des efforts louables, nous n’avons pas fait baisser nos émissions de gaz à effet de serre dans les proportions recommandées par les scientifiques, ce qui fait de la décennie en cours la plus décisive de l’histoire. Les dix années à venir détermineront si nous avons ou non une chance d’éviter les répercussions cataclysmiques du dérèglement climatique, qui seraient sans commune mesure avec celles du Covid-19.
Si, d’ici à 2030, nous n’avons pas réduit ces émissions de moitié à l’échelle mondiale, nous ne pourrons plus éviter des “ruptures” qui feront voler en éclats l’économie mondiale et mettront nos vies en danger. Les coûts de l’inaction sont vertigineux – 600 000 milliards de dollars d’ici à la fin du siècle.
Le nœud du problème, c’est que les décisions financières qui vont découler de cette pandémie dans les douze mois à venir détermineront l’avenir de l’économie mondiale pour les dix années qui viennent, c’est-à-dire la période précise où il nous faudra réduire de moitié nos émissions.
Les plans de relance vont coûter plusieurs milliers de milliards de dollars et les États n’auront sans doute pas les moyens de mettre autant de ressources dans d’autres urgences planétaires avant plusieurs années. Nous ne pouvons pas éteindre le brasier de la pandémie et celui du climat juste derrière. Car, d’ici là, il n’y aura plus d’eau à pomper.
La pandémie de Covid-19 entre en concurrence avec l’urgence climatique, et nous devons associer les solutions aux deux crises dans une même politique qui soit cohérente. Après les mesures d’urgence dans les domaines de la santé, de la sécurité et de la protection sociale, des programmes de relance non exclusifs devront engager l’économie mondiale sur la voie d’une croissance durable et d’une résilience accrue.
Directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie, Fatih Birol estime qu’“il ne faut pas laisser la crise en cours mettre en péril la transition énergétique”. Les États doivent réaffecter les 400 milliards de dollars [370 milliards d’euros] de subventions aux énergies fossiles à la promotion de l’efficacité énergétique, des énergies propres et des infrastructures durables.
On peut créer des millions d’emplois
Stéphane Hallegatte, économiste senior au sein du Groupe sur le changement climatique de la Banque mondiale, évoque d’autres investissements possibles, par exemple dans la régénération des sols dégradés, l’assainissement ou encore la mobilité douce. On pourrait ainsi créer des millions d’emplois à brève échéance, encourager l’innovation, appuyer la diversification de l’économie et réduire à la fois nos émissions de gaz carbonique et la pollution atmosphérique, en améliorant au passage la santé publique.
Jamais les conditions n’ont été plus favorables qu’aujourd’hui pour investir dans une reprise axée sur la résilience. Ces dix dernières années, les prix de l’électricité produite par l’éolien terrestre ont fondu de 70 % et ceux de l’électricité photovoltaïque de 89 % ; ceux des technologies de stockage de l’énergie suivent la même trajectoire.
Des investisseurs de premier plan visent le “zéro émission nette”, notamment une alliance de grands gestionnaires d’actifs à la tête de 4 600 milliards de dollars [4 200 milliards d’euros]. Un groupe réunissant de nombreux patrons et dirigeants politiques exhorte la Commission européenne à préparer un ambitieux plan de relance qui intégrerait la transition écologique et numérique. À l’heure de la reconstruction, ouvrons les yeux sur les risques et les possibilités qui se profilent à l’horizon. Repartons du bon pied et choisissons l’avenir que nous voulons.
Christiana Figueres – Ancienne secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur les changements climatiques.
NON
Le coût serait trop élevé
Les défenseurs de l’environnement situent à 1,5 °C la limite “acceptable” pour l’augmentation d’origine anthropique des températures à l’horizon 2100. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) préconise pour 2030 l’introduction de taxes carbone dont le montant médian s’élèverait à 8 dollars par litre de pétrole en dollars de 2019, avant une nette augmentation au fil du siècle. L’instauration de taxes sur les autres sources d’énergie conventionnelle serait tout aussi néfaste pour l’économie – et ridicule d’un point de vue politique.
Les partisans de la lutte contre le changement climatique tentent d’éluder cette réalité en soutenant que les énergies de substitution sont compétitives et qu’une transition mondiale vers le renouvelable serait bonne pour la croissance, en favorisant l’investissement et la création de nouveaux emplois dans l’économie “verte”.
Manque de compétitivité
Seulement voilà : les énergies non conventionnelles ne sont pas compétitives. Sinon, pourquoi aurait-on tenté de les rendre viables à coups de taxes, de subsides et de parts de marché garanties ? Si l’augmentation des parts de marché du renouvelable a tiré les tarifs de l’électricité vers le haut en Europe et aux États-Unis, c’est à cause, notamment, de l’intermittence du vent et du soleil, de leur faible concentration énergétique et des limites théoriques de leur transformation en courant électrique.
L’argument qui veut que les investissements dans l’énergie verte soient bons pour la croissance ne tient pas compte des lourdes répercussions, sur d’autres secteurs, de la chute des investissements et de la hausse du prix de l’énergie. En privilégiant les énergies non conventionnelles, on réduit de manière non négligeable la valeur économique du capital humain et matériel (producteur et consommateur d’énergie) existant. Un tremblement de terre ne rapporte rien ; la même chose vaut pour des politiques qui sabordent la valeur de pans entiers de l’économie. Une énergie chère et une croissance en berne sont incompatibles avec la relance de l’emploi après la pandémie.
Maintenir une énergie bon marché
L’Agence internationale de l’énergie prédit que la récession provoquée par le Covid-19 réduira les émissions de gaz à effet de serre de 8 % cette année. Dans le cas où cette baisse se maintiendrait jusqu’à la fin du siècle, un modèle climatique financé par l’Agence américaine de protection de l’environnement prévoit que la réduction des températures serait légèrement supérieure à 0,1 °C en 2100.
En se fondant sur le même modèle, les effets d’une réduction beaucoup plus forte des gaz à effet de serre seraient d’un niveau que je juge insignifiant. Selon l’accord de Paris de 2015, auquel les parties signataires peuvent aisément se soustraire : 0,17 °C en 2100. Zéro émission de gaz à effet de serre dans tous les pays de l’OCDE : 0,3 °C. Une réduction de 30 % des émissions dans le monde entier : 0,6 °C. Autrement dit, aucun calcul plausible du ratio coûts-bénéfices ne justifierait de telles mesures.
Une énergie bon marché est nécessaire au développement économique des pays pauvres et à la reprise, après les effets dévastateurs du Covid-19 sur l’activité. L’opposition d’ordre idéologique aux énergies fossiles est une posture misanthrope qui considère l’homme de la rue, non comme un esprit créatif capable de résoudre des problèmes, mais comme une bouche à nourrir et une source de pollution.
Vus sous cet angle, la plupart des investissements dans l’humain – l’éducation, la santé, etc. – ne font qu’empirer les choses en augmentant la demande d’énergie.
“Les allégations d’urgence climatique ne sont pas étayées”
Beaucoup, dans les rangs de la gauche verte, ont salué la baisse des émissions de gaz à effet de serre résultant de la récession causée par le Covid-19 et ont exprimé, non pas le souhait d’une reprise de la croissance, mais la crainte d’une recrudescence des émissions.
Ils soutiennent que nous nous trouvons sous une épée de Damoclès climatique. Or, si les effets d’une augmentation de la concentration de gaz à effet de serre sont bien réels, ils n’en sont pas moins limités. Les allégations faisant état d’une “urgence climatique” ne sont nullement étayées et se fondent sur des modèles reposant sur des hypothèses peu plausibles.
En accordant la priorité aux politiques climatiques, on empêchera la plupart des gens d’améliorer leur situation, surtout après le séisme économique causé par le confinement. Sans compter que, si les pays s’appauvrissent, cela veut dire aussi qu’ils auront moins de ressources pour protéger l’environnement. La question n’est pas de savoir si les partisans de la croissance détestent la planète. Mais de savoir si les écologistes détestent l’humanité. Et la planète.
Benjamin Zycher – Chercheur invité de l’American Enterprise Institute, un think tank américain proche des néoconservateurs qui défend des positions climatosceptiques.