Lancé en juillet 1946, le tout petit maillot de bain n’a connu le succès que dans les années 1970. L’historienne Ghislaine Rayer raconte l’étonnant destin de cet « ovni du vestiaire féminin » (1) .
Ghislaine Rayer, historienne du balnéaire et de la lingerie.
On date précisément la naissance du bikini ?
Oui. C’est une création de Louis Réard. Et il est présenté le 5 juillet 1946, à la piscine Molitor, à Paris.
Les maillots deux pièces existaient depuis les années 1930. Quelle est la différence ?
Un bikini, c’est une toute petite culotte avec un haut. Il découvre le nombril, ce qui était jusqu’ici tabou. Ce premier bikini, avec une culotte tenue par deux liens sur les hanches, c’était très osé à l’époque. Louis Réard va ensuite l’assagir. Il faudra attendre vingt ans pour que le bikini revienne à cette version initiale.
Qui est Louis Réard ?
Quelqu’un qui avait mille défauts et cent mille qualités. Il était issu d’une famille de tailleurs. Il a été brièvement styliste automobile puis s’est installé à Paris dans les années 1930 en se spécialisant dans le balnéaire. Il sentait que la rigidité des codes allait bouger. Le bronzage devenait à la mode. Plutôt que d’enlever les bretelles et retrousser le maillot, pourquoi ne pas en faire un plus petit ?
Depuis quand le bronzage est-il à la mode ?
À partir de 1925, les Années folles, la mode de la garçonne. On a dit que Coco Chanel a lancé cette mode du bronzage, mais elle existait déjà en Italie, notamment à Venise. C’était une mode de l’élite. Le bronzage ne devient pas populaire avant les années 1950.
Réard est le seul à vouloir réduire le maillot ?
Jacques Heim, qui était également un couturier réputé à l’époque, sort la même année un maillot appelé « Atome »… le plus petit élément alors connu. On n’a pas retrouvé d’images de ce maillot. Qui était a priori plus couvrant.
Pourquoi ce nom de bikini ?
Une référence aux essais atomiques américains sur l’atoll de Bikini – atoll des îles Marshall, situées dans l’océan Pacifique, en Océanie –, très médiatisés. Tout comme la fascination pour les îles, comme Hawaï. Réard avait une particularité, il déposait plein de noms. Le jour où il dépose Bikini, le 16 juin 1946, il avait également déposé Hawaï, Soleil d’Hawaï et d’autres noms très ridicules… Il a sans doute choisi Bikini en réaction à l’Atome de Heim.
Le premier bikini n’a pas eu de succès ?
Il a quand même enfoncé un clou médiatique. En 1948, L’Oréal sort une huile solaire de protection, Ambre solaire, et crée le personnage de Suzy (incarné par la starlette Suzy Bastide), une fille bronzée en bikini. Une image que l’on verra partout. Mais le bikini tel qu’on le porte actuellement n’a vraiment eu droit de cité sur les plages familiales qu’au début des années 1970.
Les Français ont inventé le bikini, mais les États-Unis ont un rôle essentiel dans l’évolution du maillot de bain ?
Pour tout ce qui est évolution technique ou pratique, les États-Unis ont toujours eu une longueur d’avance. Le lastex (latex recouvert de coton ou laine), par exemple, créé dans les années 1930. Mais pour le stylisme, l’avantage était français.
Brigitte Bardot va populariser le bikini ?
Le médiatiser surtout. Les célèbres photos de Brigitte Bardot, en 1953, sur la plage du Carlton pendant le festival de Cannes, vont faire le tour du monde. Cependant, contrairement à ce que l’on croit, Bardot n’a jamais porté de bikini en vichy rose.
Une seule Miss Monde a défilé en bikini ?
En 1951, le concours a été gagné par la Suédoise Kerstin Haajansson. Mais cela a été un choc. Certains pays ont trouvé cela indécent, et refusé de voir leurs miss en bikini.
Le bikini a parfois été interdit ?
Il était proscrit sur les plages françaises de l’Atlantique. En Italie, en Espagne, en Belgique. En Allemagne aussi, curieusement, alors qu’il y avait ce culte du corps.
Pourtant, le village espagnol de Benidorm doit tout au bikini ?
C’est une histoire étonnante. C’était un petit village de pêcheurs. En 1952, le maire est allé en scooter à Madrid demander une dérogation à Franco. Il l’a bizarrement obtenu, même si l’épouse du général était farouchement contre le bikini. C’est comme cela que cette plage est devenue célèbre, et que Benidorm est devenue une ville de 70 000 habitants, fréquentée par des millions de touristes.
Quel est l’impact du tube de Dalida, Itsy Bitsy Bikini, en 1960 ?
À l’époque, le bikini se voit sur les plages chics, dans les nombreux concours de miss ou dans les publicités. Pas sur les plages populaires. Cette chanson est le reflet de ce qu’il se passe. Les jeunes filles voulaient acheter des bikinis, comme les starlettes, mais l’environnement familial et l’éducation faisaient qu’elles ne pouvaient pas le porter.
Les films « de plage » américains des années 1960 mettent le bikini à l’honneur…
Ils participent à la fascination pour la Californie, avec l’explosion de groupes comme les Beach Boys. Néanmoins, l’une des images les plus frappantes de l’époque est celle d’Ursula Andress dans James Bond 007 contre D rNo (1963). C’était la première fois que l’on voyait à l’écran une femme en bikini, qui était indépendante et pas seulement un faire-valoir du mâle.
En Europe, il faut attendre l’après-1968 pour que le bikini se démocratise ?
Oui, mais le bikini évolue à cette époque. Avec le haut triangle, qui n’a plus le côté sexy du soutien-gorge à balconnet. On part sur une idée plus sportive, plus indépendante, mais moins sexy de la femme.
Le monokini n’est pas le topless, dites-vous ?
C’est très différent. Le monokini est un maillot à bretelles qui laisse la poitrine apparente. Le styliste autrichien Rudy Gerneich sort ce maillot en 1964, mais c’est une provocation. Il sera vite oublié.
Le trikini est encore plus ancien ?
Dans les années 1930, il était une façon de dénuder la peau tout en respectant les codes, puisque c’est un maillot une pièce avec des trous partout. C’est très joli quand on est bien faite mais les traces de bronzage ne sont pas… possibles. C’est plutôt un maillot de soirée.
Finalement, le bikini a très peu évolué depuis sa création ?
C’est un ovni dans le vestiaire féminin. Depuis les années 1970, il n’a pas évolué d’un pouce. Seules les matières ont changé. Elles sèchent plus vite, elles peuvent laisser passer les rayons du soleil. Ces évolutions ne se voient pas à l’œil… nu.
Recueilli par Philippe RICHARD.
(1) Bikini, la légende, Ghislaine Rayer et Patrice Gallupeau, Michel Lafon, 192 pages, 29 €. •Exposition « Molitor fête les 70 ans du Bikini ». Piscine Molitor à Paris, jusqu’au 30 août.