Entretien
Benoît Jacquot, réalisateur et président du jury du festival de Deauville 2015.
Vous êtes président du jury du Festival du cinéma américain, qui démarre aujourd’hui, à Deauville. Qu’est-ce qui vous attire dans ce rôle ?
Je ne peux pas dire que ça m’attire comme un aimant la limaille. Mais si on me fait l’honneur et la gentillesse de me le proposer, j’y vais. Même si je ne me sens pas spécialement légitimé à présider un jury. Ça m’est arrivé plusieurs fois : à Angers pour le festival Premiers Plans, à Deauville pour le cinéma asiatique, à Annecy pour du cinéma italien. Et j’ai été juré à Cannes. J’ai une certaine expérience…
Pas question de farnienter, donc…
Non, parce qu’en plus, j’ai deux films en préparation. Non seulement j’emmène du travail, mais j’ai demandé à ce que mon opérateur fasse partie du jury. Mon assistant va passer deux-trois jours, ma productrice aussi. J’espère avoir le temps de me promener sur les planches…
C’est quoi, un bon film ?
Un bon film, c’est un film qui, quand on le voit, tient ses promesses. À partir de là, on peut discuter. Un beau film vous emporte et vous donne l’impression de voir quelque chose que vous n’avez jamais vu. Ça arrive.
Vous êtes western ou film noir ?
C’est amusant parce que, généralement, les cinéastes qui ont fait de grands westerns ont aussi fait de grands films noirs. Et inversement. J’ai peut-être un penchant pour le film noir, mais je n’en suis même pas sûr. Et j’ajouterais la comédie musicale. Un grand cinéaste pouvait traverser les genres en faisant quelque chose de très personnel : Les hommes préfèrent les blondes, Scarface et Rio Bravo, on voit bien que ces trois films sont du même auteur (Howard Hawks).
Qu’est-ce que les Américains ont de plus que nous ?
Rien. Ils n’ont pas inventé le cinéma, quoi qu’ils en disent. C’est nous. On n’a rien à leur envier. Je n’ai pas la moindre envie d’aller faire un film aux États-Unis. Mais à tous égards, le cinéma américain m’apporte énormément. Il produit des films pour lesquels j’ai un appétit d’avance. Ce sont les films américains qui m’ont donné envie de faire du cinéma.
La première fois où vous avez mis les pieds à Hollywood ?
Il y a assez longtemps. Je vivais avec une actrice avec qui j’avais fait des films. Elle était partie là-bas pour un film avec Marlon Brando et George G. Scott, engagée par la MGM. Après une discussion avec George C. Scott, un caractère terrifiant, elle a été virée. Je suis allé la rechercher, aux frais de la MGM. J’avais une vingtaine d’années, c’est la première fois que j’allais à Hollywood.
Cinq films américains…
Je mettrais un Griffith, Le lys brisé, L’Aurore de Murnau ,un Chaplin, un Hitchcock, un Lang, un Walsh….
Le festival rend hommage à Orson Welles. Que lui diriez-vous si vous le rencontriez ?
J’ai dîné avec lui quand j’étais très très jeune. Il avait fait Le procès. Il passait beaucoup de temps en France. Je ne lui ai pas parlé. J’ai écouté et regardé. J’étais vraiment junior. Aujourd’hui, je lui demanderais quelle jouissance ténébreuse il a trouvé, pendant presque toute sa carrière, à ne pas faire les films que soi-disant il voulait faire. »
Recueilli par Pierre FORNEROD (Ouest France)