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Jours tranquilles à Paris
1 février 2019

Le 1er février 1966, les Françaises n'ont plus besoin du consentement de leur mari...

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28 janvier 2019

A Paris, des « foulards rouges » bien sages défilent pour « défendre les libertés »

Par Allan Kaval, Florence Aubenas - Le Monde

Plus de 10 000 personnes ont manifesté contre « contre les violences » des « gilets jaunes ». Sans pour autant rejeter les revendications du mouvement des ronds-points.

Partir avant que la nuit tombe. Partir avant d’éventuelles casses. Partir vite. Il n’a fallu que quelques minutes et un seul appel au mégaphone pour que la manifestation se volatilise : il n’est pas encore 17 heures, dimanche 27 janvier et la place de la Bastille à Paris est déjà presque vide. C’est à ce moment-là que le chiffre est tombé. 10 500. Un couple de marcheurs s’arrête, se demandant s’il a bien entendu. 10 500 ? Oui, c’est bien ce que la préfecture de police vient d’annoncer : 10 500 personnes ont défilé « contre les violences » des « gilets jaunes ».

La trouille des organisateurs – les « foulards rouges » – était là, avant que le cortège démarre : « Etre moins de 10 000 et se ridiculiser. » Vont-ils mettre en doute le bilan de la police, régulièrement suspectée de minorer les chiffres ? « Certainement pas, s’écrie Corinne Chabert, une des porte-parole. On a justement manifesté pour ça : ne pas contester tout ce qui se fait dans la République. »

Etrange marche que celle-là, cheminant de la Nation à la Bastille à une allure de promenade sous une averse têtue, piquée de drapeaux français – ou quelquefois européens –, avec des pancartes, rares et polies, commençant généralement par « non ». « Non à la pensée unique des “gilets jaunes” », a écrit un monsieur en casquette de tweed. Un autre sous un chapeau de feutre : « Non aux populismes ». Les plus osées : « Non à la chienlit » ou « Non à la peste jaune ». Ceux-là se font d’ailleurs rabrouer. « On avait dit ni insultes ni débordements. Il faut être exemplaire. »

« Merci la police »

De temps en temps, on scande quelques slogans minimalistes comme « Démocratie ! », « le peuple, c’est nous aussi » ou « Merci la police ». Suit parfois une Marseillaise. Plus souvent, le silence.

Des petits groupes se forment, au hasard du cortège. A certains moments, on pourrait se croire sur un rond-point. C’est la première surprise. Dans les rangs, la plupart trouvent que les « gilets jaunes » ont bien fait de bouger. « Ça faisait des années qu’on ne nous entendait pas », dit une jeune femme en fauteuil roulant. Elle se présente : « Une Gauloise réfractaire venue de Normandie. »

Une aide-soignante estime que les « gilets jaunes » avaient raison, au début, de dénoncer les inégalités, l’injustice fiscale. « Même pour la voiture, avec les 80 km/h, les radars, le prix du carburant, je trouvais moi aussi que ça faisait beaucoup », continue un cadre venu de Lille. Certains ont même porté – un temps – le gilet jaune. « Comment ne pas être ému par ces gens-là, les mères célibataires surtout ? », dit une radiologiste.

Et puis, il y a eu un point de bascule. Les images des avenues à Quimper, à Toulouse, à Paris « dévastées comme après une guerre ». Ou, pire, revenant dans toutes les bouches : « L’Arc de Triomphe saccagé. » Une dame : « Depuis, je me réveille le matin, j’ai peur. Qu’est-ce qu’il va se passer ? » La République lui paraît soudain bien fragile.

« Il faut défendre les libertés »

Les institutions, le Parlement, les élections : et si tout ce qui semblait sacré hier allait voler en éclat ? « Menacer les députés de mort, lyncher les journalistes dans les cortèges, insulter les homosexuels : il faut défendre les libertés », dit Christelle, sculpteure parisienne, « de gauche ». Un couple arrive d’Alsace, pour la deuxième fois à Paris. La première, c’était après l’attentat à Charlie Hebdo. Le référendum d’initiative citoyenne leur paraît une folie, capable de revenir sur l’abolition de la peine de mort ou l’avortement.

Autour d’Avignon, Orange ou Bollène (Vaucluse), la plupart des ronds-points sont dirigés par l’extrême droite, affirme de son côté Tiffanie, 35 ans, e-commerçante là-bas. Pour Tang, venu avec elle, « Ils sont comme une dictature. La crainte s’est instaurée. » Ce n’est pas un hasard, disent-ils, si le mouvement des « foulards rouges » est né dans la région, en protestation. Eux ont voté France insoumise.

« Bravo aux courageux qui osent manifester à Paris le 27 janvier », disent des messages sur les réseaux sociaux. Ils parlent de la peur de s’afficher ou de violences possibles contre le cortège. Un groupe de trois financiers internationaux devisent : « Ça devait péter. Mais il y a une forme d’injustice à ce que Macron paie l’addition alors qu’il n’est pas le pire. »

Macron. Le nom du président plane sur le cortège, mais on évite en général de le prononcer. Beaucoup se fâchent si on leur en parle : « On dirait que les journalistes sont payés pour nous mettre mal à l’aise. » Un carré VIP regroupe une vingtaine d’élus, députés et sénateurs sans écharpe, venus « en citoyen » et tous La République en marche (LRM). Autour, les uns leur en veulent d’être là ; d’autres, au contraire, les voudraient plus nombreux.

Le groupe Stop, maintenant ça suffit, organisateur aussi, voulait baptiser la marche « Pour Macron ». Un groupe de jeunes des Républicains a tenté de négocier une place en tête. Un proche de Benoît Hamon voulait venir avec des « gilets jaunes pacifiques ». Refusé, refusé, refusé.

Il y a quelques vrais fans quand même, comme on en avait plus vu depuis la campagne présidentielle. « Je suis à fond pour Macron, ma fille m’a offert son livre pour la fête des mères, dit une retraitée de Drancy. Il a fait des bêtises, mais il ne peut pas être toujours au top. »

Ou ce jeune homme : « C’est Macron qui m’a réveillé, j’aime sa manière de parler, d’avoir l’air toujours en forme. » Lui voudrait devenir acteur et, en attendant, « serveur dans un restaurant très classe ». Il a vu des « gilets jaunes », une fois sur l’autoroute, mais sans leur parler : « Tout m’énerve chez eux, leur façon d’attaquer mon président, de n’être jamais contents. » Il tient à ce que son nom soit écrit : « Thomas Ferrier, 20 ans. »

Plus loin, une ravissante étudiante en classe préparatoire est entourée de photographes : une des rares jeunes à défiler. « Sur 40 élèves, du même milieu social dans le 6e arrondissement, une dizaine sont “gilets jaunes”, d’extrême droite surtout. Nous, on est un peu moins, mais personne n’a voulu venir pour ne pas être récupéré. » Et au milieu ? « Une majorité silencieuse. Le pouvoir d’achat, les étudiants ne se sentent pas concernés. »

« On est le peuple »

Quand le cortège arrive à la Bastille, trente gilets fluo l’attendent sur les marches de l’Opéra. Un chantier boueux et des rangées de CRS séparent les deux groupes. Impossible à cette distance de distinguer le visage des autres ou ce qu’ils crient. On entend parfois juste : « On est le peuple », que rouges et jaunes se renvoient en écho. Très vite, la dispersion commence.

Trois « gilets jaunes » tombent nez à nez avec un homme en écharpe rouge, un peu chic. Tout de suite, ça discute violences. Mais pas les mêmes. « Pourquoi vous ne dégagez pas les casseurs ? On n’est pas contre vous, on est contre la violence », dit Echarpe rouge, très ému. Gilet jaune : « Vous savez ce que c’est une grenade de désencerclement ? Ça balance des billes et moi je m’en suis pris une. »

Marion Biot, 27 ans, naturothérapeute et lui aussi en fluo s’enflamme : « Les foulards rouges remercient la police et nous traitent de fachos. Le jour où quelqu’un foutra la merde dans leurs manifs, ils comprendront. » Récit contre récit, deux réalités.

Un adolescent, 14 ans pas plus, les interrompt. « Je peux faire une photo de vous deux, s’il vous plaît ? » Ils se rapprochent, presque par réflexe. « Plus près », dit le gosse. Ça y est. Les yeux d‘Echarpe rouge se plissent. « Voilà ça me fait chialer tout ça ! Faut arrêter cette violence ! » Et Gilet jaune : « On veut tous que les gens vivent mieux. » Ils se serrent la main.

27 janvier 2019

L’homme est un objet érotique comme les autres

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Les arguments avancés par les hommes pour refuser de s’embellir sont nombreux et d’une mauvaise foi épatante. La chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette s’emploie à les réduire en pièces…

LE SEXE SELON MAÏA

Le corps des hommes existe-t-il ? Quand on entend certains d’entre eux exiger des femmes l’impossible (mettons, la jeunesse éternelle), sans s’interroger une seconde sur leur propre vieillissement ou sur leur propre apparence, on est en droit de se poser la question. Quand on en entend d’autres se plaindre d’une libido féminine défaillante, sans rien faire pour la stimuler, on croit rêver : le désir féminin serait-il si cérébral, si mystérieux, qu’il ferait abstraction de pectoraux en acier ? A d’autres.

D’ailleurs, si nous décollons le nez un instant des polémiques du moment, il devient impossible de nier le timide essor d’une corporéité masculine. Par exemple, les hommes ont des complexes. Selon des études menées par NBCnews sur plus de 100 000 hommes hétérosexuels, 5 % évitaient les rapports sexuels par honte de leur apparence, 5 % avaient du mal à se déshabiller devant l’autre, 14 % rentraient le ventre pendant l’amour, et 4 % cachaient leurs parties génitales (note pratique : il est temps de bander les yeux de vos compagnes et compagnons). Les 4 000 homosexuels interrogés rapportaient des chiffres encore plus élevés : 20 % esquivaient le sexe parce qu’ils se trouvaient moches, et 28 % rentraient le ventre.

Si les deux tiers des hommes hétérosexuels ont tenté de s’embellir par le régime, l’exercice ou la chirurgie, si 22 % d’entre eux se sentent mis sous pression par les médias… c’est bien qu’un certain message est passé : la beauté compte. Et son royaume s’étend bien au-delà de l’aspect purement sexuel (l’essai incontournable sur la question s’appelle Le Poids des apparences, par Jean-François Amadieu, paru aux éditions Odile Jacob en 2002).

Si vous voulez être désiré, soyez désirable

En ce qui concerne l’accès au plaisir sexuel, les bénéfices d’une belle allure sont indéniables. Nous ne sommes pas encore « sapiosexuels » (attirés uniquement par le cerveau de nos partenaires). Nous ne pouvons pas encore réellement faire l’amour à travers des avatars informatiques. Au risque de contrarier les purs esprits : le rapport charnel implique la présence de chair. Qui sera observée, jugée certainement, et appréciée si tout se passe bien. Pour le dire clairement : si vous voulez être désiré, soyez désirable. Si vous ne voulez pas être désirable, contentez-vous de la masturbation.

Au regard de cette équation pourtant basique, la passivité masculine surprend. C’est comme si nous redécouvrions le sujet tous les cinq ans : ah mince, les femmes ont des yeux ! Les tendances se suivent, se ressemblent plus ou moins, et disparaissent dans une indifférence paresseuse : qui se souvient encore des métrosexuels, lumbersexuels et autres spornosexuels surgonflés ?

Les arguments avancés pour refuser de s’embellir sont nombreux et d’une mauvaise foi épatante. Si vous le permettez, je vais les réduire en pièces à la hache. Tout d’abord, le stéréotype des femmes « non visuelles » est invalidé par les tests d’imagerie cérébrale depuis Mathusalem. Si les hommes veulent continuer de croire que leur apparence n’intéresse pas les femmes, ils se plantent le doigt dans l’œil – mais dans l’œil des femmes (et c’est de la maltraitance). Dans les années 1980, on pouvait encore s’en tirer avec l’argument Gainsbourg. Plus aujourd’hui. Par ailleurs, si vous êtes Serge Gainsbourg, faites signe.

Deuxième point : toute esthétisation constituerait une féminisation. Déjà en 1669, un poète anonyme se moquait d’un homme de cour qui, « métamorphosant et son corps et son âme, pour devenir un bel homme, il est devenu une femme » (la citation vient de l’excellent ouvrage La Crise de la masculinité, autopsie d’un mythe tenace, de Francis Dupuis-Déri, aux éditions du Remue-Ménage, paru en 2017).

Cet argument fonctionnerait si la beauté était excluante : plus précisément, si la beauté des femmes prenait la place de celle des hommes (car comme chacun sait, la beauté surgirait en quantité limitée, avec des quotas). Ce postulat absurde se double d’un mépris des préoccupations féminines puisque se comporter comme une femme, c’est la honte.

Solidarité masculine

Ce qui nous amène au troisième point : l’homme concerné par l’existence, mettons, des peignes, est un bellâtre stupide, serait un traître à son genre. Car, dans le cadre d’une certaine solidarité masculine, le calcul est vite fait : si aucun homme ne s’embellit, alors idéalement, l’accès à la sexualité est égalitaire et s’opère au mérite (intellectuel bien sûr).

S’embellir constituerait alors une forme de triche – et non, comme on pourrait l’imaginer, une forme de compensation face aux inégalités de naissance (la vraie triche restant évidemment la loterie génétique qui nous fait beaux, médiocres ou laids, et qu’une maîtrise des codes esthétiques permet justement de subvertir). Pour éviter cette forme de compétition, les hommes traditionnels intimident les esthètes. Le courage le plus élémentaire consisterait à refuser cette intimidation.

Quatrième point, nous manquerions de repères culturels clairs. J’admets que la transmission père-fils se limite souvent à ne pas s’entailler la jugulaire au premier poil poussant sous le menton. Cependant, les magazines masculins et autres coachs en séduction sont de très bon conseil sur ce plan-là. S’intéresser à ce que racontent ces experts vaut mieux que demander aux femmes (comme c’est généralement le cas) « ce qu’on doit faire ». Les femmes ne demandent pas constamment aux hommes comment s’embellir : leurs compétences appartiennent à une culture, dont elles sont responsables et qu’elles font constamment évoluer.

Cinquième argument, les canons de beauté actuels seraient inatteignables. De fait, le corps hollywoodien stéroïdé est désormais officiellement hors de portée des mortels… mais aussi de ceux qui en arborent les scintillants atours (les stars elles-mêmes sont les premières à dire que l’entraînement pour incarner James Bond ou Captain Ouzbek n’est pas gérable sur le long terme). Cet argument tiendrait dans un univers parallèle où la beauté demandée aux hommes serait « parfaite, sinon rien ». Personne ne demande aux hommes d’être parfaits. Seulement de faire des efforts – et s’ils refusent d’en faire, d’éviter de se plaindre.

Le canon existe

Enfin, la beauté masculine n’existerait pas. Dans ce paradigme, le désir n’est possible que parce que le masculin et le féminin sont différents, voire opposés (prenez ça dans les dents, les LGBTQ [lesbiennes, gays, bisexuels, trans, queer] !) : si les femmes sont belles (une généralisation pour le moins curieuse), alors les hommes ne peuvent pas l’être. A ceux qui pensent que la beauté aurait un genre, rappelons donc que les athlètes grecs concouraient nus, et qu’on organisait à l’époque des concours de beauté masculine, de virilité et de prestance, à la fois pour les enfants, les adolescents, les adultes et les vieillards (Concours de beauté et beautés du corps en Grèce ancienne. Discours et pratiques, Vinciane Pirenne-Delforge, 2016). Plus près de nous, les hommes en France ont porté draperies, robes, maquillage, perruques, cheveux longs et talons pendant des siècles.

Oh, et bien évidemment, vous ne vous en tirerez pas en prétendant que la beauté soit « dans l’œil de celui qui regarde » ou « pas quantifiable » : de multiples études ont montré que, lorsqu’il s’agit de reconnaître les visages les plus attirants, nous sommes remarquablement cohérents. Non seulement le canon existe, mais il nous met d’accord.

L’autre chose qui nous met d’accord, en 2019, c’est que les femmes en ont marre d’être culpabilisées pour leur prétendu manque de désir, sans que les hommes (d’accord, certains hommes) s’interrogent sur leur responsabilité personnelle. Nous ne parlons pas ici d’une délicieuse innocence masculine, mais de paresse, d’arrogance et de mépris pour le désir des femmes. Envie de plaisirs charnels ? Remplaçons le déni du corps par le corps du délice.

26 janvier 2019

Acte XI des « gilets jaunes » : la mobilisation a repris malgré des dissensions internes

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Les rassemblements ont été émaillés d’incidents à Paris, Toulouse ou Evreux. Jérôme Rodrigues, une figure des « gilets jaunes », a été blessé à l’œil, et l’IGPN saisie.

Plusieurs milliers de « gilets jaunes » ont participé à l’acte XI, samedi 26 janvier, plus de deux mois après la première mobilisation, le 17 novembre 2018. Les rassemblements ont été émaillés d’incidents sporadiques à Paris, Toulouse ou Evreux, sur fond de dissensions au sein du mouvement concernant la stratégie à suivre.

Le ministère de l’intérieur a recensé 69 000 manifestants, dont 4 000 dans la capitale, soit légèrement moins que le 19 janvier. Ils étaient alors 84 000, dont 7 000 à Paris, selon les autorités – des chiffres contestés par les « gilets jaunes ».

Certains chefs de file de facto avaient appelé à prolonger les manifestations par une « nuit jaune » sur la place de la République, dans l’Est parisien, qui fut en 2016 l’épicentre d’un autre mouvement protestataire, « Nuit debout ». Cette initiative rassemblant quelques centaines de personnes n’aura duré qu’un peu plus de deux heures. La place a été évacuée par les forces de l’ordre, qui ont a poussé les derniers mobilisés vers la station de métro, samedi vers 22 heures.

Dans la journée, cinq manifestations distinctes au total ont été déclarées dans la ville, signe de l’éparpillement de ce mouvement à la recherche d’un second souffle au moment où le gouvernement tente de reprendre la main avec son « grand débat national ».

Un proche d’Eric Drouet blessé à l’œil

Les « gilets jaunes » sont partis de plusieurs lieux de rendez-vous puis ont défilé dans le calme avant de converger, pour beaucoup, aux abords de la place de la Bastille. Des heurts ont éclaté entre manifestants et forces de l’ordre, lesquelles ont fait usage de gaz lacrymogènes, avec l’appui d’un canon à eau, pour disperser les manifestants aux alentours de 16 heures. La préfecture de police de Paris a fait état de 42 interpellations en milieu d’après-midi.

Un « gilet jaune » influent et proche d’Eric Drouet, Jérôme Rodrigues, a été blessé à l’œil place de la Bastille. Il était en train de filmer la fin de la manifestation pour un direct sur Facebook lorsqu’il a été touché. Sur la vidéo qu’il a postée sur le réseau social, on peut voir, à partir de la 9e minute, des forces de l’ordre arriver à proximité de lui. Un projectile, dont la nature reste à déterminer, est lancé dans sa direction. L’homme s’effondre, vite entouré par des « street medics », des secouristes bénévoles.

Présent sur place, Le Monde a constaté que Jérôme Rodrigues a ensuite été encadré par des policiers afin de sécuriser son évacuation par les pompiers. L’inspection générale de la police nationale (IGPN), la « police des polices », a été saisie « pour établir les circonstances dans lesquelles cette blessure est intervenue », a indiqué la préfecture de police sur Twitter. Selon toute vraisemblance, il a été atteint par l’éclat d’une grenade de désencerclement, d’après des sources policières citées par l’AFP.

Gouvernement, policiers et gendarmes se savent sous surveillance, après la polémique qui s’est développée sur l’usage des lanceurs de balles de défense (LBD) et les blessures que ces armes infligent. Les forces de l’ordre ont expérimenté pour la première fois ce samedi l’utilisation de LBD par des binômes, dont un des deux membres est porteur d’une caméra-piéton filmant l’utilisation de cette arme et le contexte. Cela permettra le cas échéant de « réunir des preuves s’il y avait une contestation de l’usage du LBD », avait prévenu Laurent Nuñez, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur.

Le ministre de l’intérieur Christophe Castaner a « condamné » samedi dans un tweet « les violences et dégradations commises samedi encore, à Paris comme en province, par des casseurs camouflés en “gilets jaunes” ». Il a ajouté qu’à Paris, « l’IGPN saisie par [la préfecture de police] fera toute la lumière sur les incidents qui se sont produits place de la Bastille ».

Maxime Nicolle interpellé à Bordeaux

En chemin, l’un des cortèges est passé par le quartier des ministères, où s’est tenu un débat impromptu, en pleine rue, entre la ministre des outre-mer, Annick Girardin, et Etienne Chouard, promoteur du « référendum d’initiative citoyenne » que de nombreux manifestants appellent de leurs vœux.

Ailleurs en France, les manifestants se comptaient par milliers également à Bordeaux, l’un des foyers de la contestation. Une des figures nationales du mouvement des « gilets jaunes », Maxime Nicolle, a été brièvement interpellé samedi soir dans le centre de la capitale girondine, où s’étaient rassemblés environ 200 manifestants décidés à mener une action nocturne. L’homme « faisait parti d’un attroupement à qui il a été donné l’ordre de dispersion. Malgré cet ordre, il est resté et à inciter les autres à faire de même », selon la préfecture. Maxime Nicolle est ressorti moins de deux heures plus tard de l’Hôtel de police. « Il a été entendu en audition et laissé libre », a rapporté le parquet.

A Marseille ou Lyon, les manifestants étaient plus de 2 000, soit environ deux fois plus que le 19 janvier. Le chef-lieu du Rhône a été le théâtre d’affrontements entre « gilets jaunes » et policiers, de même que Toulouse ou Evreux. « De nombreux actes de violences et des dégradations sont commis à Evreux depuis ce matin », a déploré sur Twitter Sébastien Lecornu, ministre et animateur du grand débat voulu par Emmanuel Macron.

A Montpellier, quelque 2 000 manifestants ont défilé, selon la préfecture, et ont rendu hommage aux « gilets jaunes » victimes de violences policières. Des incidents ont éclaté vers 17 heures devant la préfecture, où les forces de l’ordre ont tenté de repousser les manifestants avec des jets d’eau, derrière les grilles du bâtiment. Quelque « 300 casseurs » ont lancé canettes et bouteilles, et deux policiers ont été blessés, dont l’un par un « jet d’engin pyrotechnique », selon la préfecture, qui fait état de six interpellations. La manifestation a également été tendue à Avignon : la préfecture a fait état de quatorze gardes à vue, notamment pour détention de cocktail Molotov.

« D’autres alternatives »

La consultation nationale lancée la semaine dernière par l’exécutif, avec la participation active du chef de l’Etat, pose aux « gilets jaunes » un nouveau défi : comment garder l’initiative face au gouvernement ? « Nous devons maintenir nos mobilisations. Elles ne doivent plus se faire dans la violence. Nous devons avoir d’autres alternatives », lisait-on sur la page Facebook des initiateurs de la « nuit Jaune ».

D’autres « gilets jaunes » ont opté pour une autre stratégie en annonçant mercredi la constitution d’une liste emmenée par Ingrid Levavasseur, aide-soignante de profession, en vue des européennes du 26 mai. Ce choix est loin de faire l’unanimité dans les rangs des « gilets jaunes », si l’on en juge par les réactions suscitées sur les réseaux sociaux et par un communiqué, publié sur la page d’Eric Drouet, fustigeant une « récupération abjecte ».

Dimanche, les partisans du grand débat et opposants à toute contestation violente se compteront à Paris dans « une marche républicaine des libertés » à l’appel des collectifs « STOP, maintenant ça suffit » et « foulards rouges ». Les organisateurs de cette manifestation jurent qu’elle est « apolitique » et qu’ils agissent uniquement par souci de dénoncer les violences et de promouvoir le dialogue.

25 janvier 2019

Maintien de l’ordre : les policiers ne sont pas prêts à renoncer aux lanceurs de balle de défense

police videoPar Nicolas Chapuis

Face à la multiplication des blessés, le gouvernement a concédé l’équipement en caméras des forces de l’ordre dotées de cette arme. Une mesure bien acceptée.

Comme chaque semaine ou presque depuis deux mois, Guillaume (le prénom a été changé) sait déjà de quoi son samedi sera fait. Pour l’« acte XI » des « gilets jaunes », ce jeune policier du sud de la France a prévu d’enfiler de bon matin ses équipements de protection, de sangler son lanceur de balle de défense (LBD) de 40 mm Brügger & Thomet, le fameux « LBD 40 », et de sortir patrouiller avec son unité dans les rues de sa ville.

Comme chaque semaine ou presque depuis deux mois, ce gardien de la paix habilité à l’usage de cette arme dite de force intermédiaire sait que, dans le cadre de ses missions de maintien de l’ordre, il tirera probablement plusieurs cartouches, et ce sans aucun état d’âme. « Contrairement à ce qui est dit, on ne tire pas à la légère avec le LBD, on connaît les conséquences, on a tous vu les images de blessés, personne chez nous n’a envie de crever un œil, si on s’en sert c’est qu’il y a une raison », assure-t-il.

Pour la première fois cependant depuis le début de la crise des « gilets jaunes », Guillaume sera muni d’une caméra afin de filmer l’utilisation qu’il fait de son arme. Une concession faite par le ministre de l’intérieur Christophe Castaner, cette semaine, en commission des lois de l’Assemblée nationale, pour tenter d’apaiser le débat sur le nombre grandissant de blessés, recensés notamment par le journaliste indépendant David Dufresne.

Si le terme de « violences policières » est encore mal accepté dans les rangs – nombreux sont ceux qui ajoutent spontanément « soi-disant » – l’ampleur de la polémique sur le LBD 40 pousse les agents à reconnaître « à la marge » des comportements inadaptés et des tirs « peu réglementaires », mais toujours très « minoritaires ».

« Un outil indispensable »

Pas question pour autant d’envisager l’abandon de l’arme, quitte à porter cette caméra. « Le LBD permet de riposter dans des situations d’extrême violence, l’alternative c’est l’arme à feu et personne ne souhaite ça », estime-t-on à la direction générale de la police nationale (DGPN).

« C’est un outil indispensable, renchérit un policier de terrain, présent sur les manifestations à Paris. Ça permet de neutraliser les lanceurs de projectiles ou de les tenir à des distances suffisantes pour se préserver de leurs actes. Mais aussi de tenir la position défendue. Si on ne l’avait pas, il y aurait beaucoup plus de contacts entre les policiers et les casseurs, et donc beaucoup plus de blessés dans les deux camps. »

Il y a dix ans, l’annonce en urgence de l’équipement en caméra des agents habilités à l’usage du LBD 40 aurait fait scandale dans les rangs des forces de l’ordre, et elle aurait sonné comme une marque de défiance de la hiérarchie.

Mais la démocratisation des smartphones et la diffusion quasi instantanée sur les réseaux sociaux de vidéos ont changé la donne. Tout comme la généralisation des caméras piétons dans les rangs policiers, destinées notamment à filmer les contrôles d’identité pour éviter les dérapages. « La caméra, ça a du bon, de toute façon tout le monde filme dans les manifestations maintenant, ça va permettre aux collègues d’avoir leurs propres images et de montrer qu’ils ont juste fait leur boulot », estime David Leveau, policier à Rennes et secrétaire régional Unité SGP Police-FO.

Caméra actionnée à l’initiative du policier

Du côté de la hiérarchie, on veut surtout éviter que la caméra soit vue par les policiers comme un moyen de contrôle de leur action et donc comme une entrave à l’utilisation des LBD 40. On insiste bien davantage sur « l’intérêt opérationnel d’utiliser des vidéos à des fins judiciaires, pour identifier des auteurs d’infractions ». « C’est avant tout une preuve, non pas de la façon dont les policiers tirent, mais surtout de la manière dont ils sont victimes de violences », explique Thierry Ferré, conseiller du directeur général de la police nationale, Eric Morvan.

Les caméras piétons actuelles, davantage calibrées pour des missions de police de proximité, semblent cependant peu adaptées à l’usage du LBD. Les premières expérimentations le week-end dernier ont montré que les images ne permettaient pas d’identifier les personnes visées, ni d’avoir une perception claire de la trajectoire du projectile. L’emplacement de la caméra, fixée sur la poitrine, risque également de gêner le tireur. Sans parler de l’autonomie limitée des batteries et de la carte mémoire.

Les textes de loi prévoient de toute façon que la caméra piéton ne doit pas filmer en continu et ne peut être actionnée qu’à l’initiative du policier, rappelle la DGPN. « On recommande que la caméra soit déclenchée quand le policer pressent qu’il va y avoir un incident ou qu’il y a une hostilité grandissante, c’est un moyen de démontrer le contexte, mais il n’y a aucune d’obligation », résume Thierry Ferré.

L’usage qui sera fait des images est lui aussi encadré légalement. Elles peuvent être apportées comme preuve dans un cadre judiciaire, dans une procédure disciplinaire de la police des polices, ou servir à des fins pédagogiques pour la formation des troupes. Dans ce dernier cas, les visages doivent être floutés.

Six heures de formation

La caméra permettra-t-elle d’éteindre la polémique sur l’utilisation des LBD, alors qu’un nouveau week-end d’action s’annonce ?

Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS, très critique sur l’usage de cette arme, en doute : « On cherche toutes les solutions qu’on peut pour ne surtout pas toucher à l’architecture globale du maintien de l’ordre. Pour régler un problème avec un outil, on rajoute un autre outil dessus, sans interroger la logique générale du système. »

Certains parmi les forces de l’ordre pointent une formation qui serait trop légère. Elle tient en six heures avec deux tirs de certification. Une habilitation qui ne prépare pas vraiment aux situations réelles, selon un policier de brigade anticriminalité : « L’entraînement doit rester permanent : la formation se fait sur des cibles fixes, ça n’a rien à voir avec des situations de maintien de l’ordre dans la rue avec des gaz, des gens qui nous caillassent, il y a des tirs sur des personnes en mouvement, des tirs déviés… Mais personne ne tire volontairement dans le visage de quelqu’un, ça c’est impossible, on sait les dégâts que ça fait. »

La police des polices va cependant devoir enquêter sur de nombreuses situations ambiguës. Et son travail ne fait que commencer vu l’amoncellement des cas : elle a encore été saisie jeudi 24 janvier par le parquet de Toulon pour enquêter sur les conditions dans lesquelles un manifestant a été éborgné par un projectile.

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24 janvier 2019

Selfies mortels...

Les selfies sont plus dangereux que les requins ‼️ 🤳🏻🦈 Mourir en prenant un selfie est malheureusement en pleine expansion. Cette semaine, Gigi Wu, une taïwanaise connue pour ses selfies en bikini en altitude, est morte des suites d’une chute de 30 mètres ! 😱

Quelles sont les causes : la recherche de la super photo ? le selfie unique ? l’adrénaline ? la reconnaissance ? des milliers de likes ? des commentaires qui font le buzz ???? Tout ceci est ridicule ! 🤬😤🤯 Aujourd’hui de nombreuses personnes n'hésitent pas à se mettre en danger à cause d’un comportement trop narcissique et surtout très bête. Le selfie est devenu un comportement à risque comme de l’état d’ivresse ou la prise de stupéfiants… .

Alors, faites-nous rêver de vos photos de voyages, de vos exploits, de vos coups de cœur, de paysages merveilleux, de vos commentaire touchants ou drôles mais ne soyez jamais imprudents inutilement ou ne négligez jamais les dangers qui vous entourent ! 

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19 janvier 2019

Collège sans portable : « On ne pouvait pas vivre sans, maintenant on se parle »

Par Pascale Krémer - Le Monde

Depuis 2017, un principal de Haute-Saône a banni les smartphones des murs de son établissement. Retour sur une expérience pionnière.

Des adolescents privés de portable qui ne se sentent pas punis, mais « libérés ». Qui se reconnaissent, en souriant, « capables de ­vivre sans ». « Large ! », même. Et aucune sonnerie de réveil pour interrompre ce doux rêve parental. On ne dort pas, ces collégiens existent, il faut simplement aller jusqu’à Faucogney-et-la-Mer pour les rencontrer, au fond d’une vallée de Haute-Saône, sur le plateau dit des Mille Etangs.

« Au bout du bout du département le plus rural. C’est un peu le Ushuaïa français, ici », plaisante Rudy Cara devant le collège qu’il dirige. Un gros Rubik’s Cube tacheté d’orange, de bleu et de jaune, posé au cœur d’un bourg de 500 habitants, avec vue sur l’entrepôt SEB, sur le Trésor qui a fermé et la gendarmerie qui s’apprête à le faire. En Terre de feu ­franc-comtoise, le principal du collège Duplessis-Deville est un pionnier : dès novembre 2017, il a bouté les smartphones hors de son établissement. Un peu plus d’un an avant que la loi (3 août 2018) n’impose l’interdiction dans tous les collèges et écoles de France.

« REGARDEZ ! ILS ONT RELEVÉ LA TÊTE. ET ILS NOUS ONT REDEMANDÉ DES BALLONS ! » RUDY CARA, PRINCIPAL DU COLLÈGE DUPLESSIS-DEVILLE

Pourquoi avoir devancé l’appel ? Face aux élèves qui investissent bruyamment la cour – c’est la récré de 14 h 50 –, le principal convoque ses souvenirs. Il y a un an, ces mêmes collégiens squattaient, par grappes, les bancs et les tables de ping-pong, regard fixé sur le portable. Ils s’envoyaient des SMS pour se demander « T ou ? », tandis que la réponse s’écrivait en silence sur le banc d’en face. Le centre de la cour, lui, demeurait désert. « Regardez ! Ils ont relevé la tête, observe le principal. Ils se regardent à nouveau. Et ils nous ont redemandé des ballons ! »

Ça discute, ça court, ça se bouscule, ça hurle, dans l’éternel rectangle ­bitumé que ceignent des bancs et dominent trois arbres plantés sur une butte herbeuse. Une récré banale, en somme, savourée pourtant comme une victoire par les adultes qui la surveillent. « Les ­petits sixièmes ont de nouveau des pantalons troués et plein de terre quand ils arrivent au gymnase », s’attendrit Mathieu Jeannin, professeur de sport. Tout comme l’assistant d’éducation, Alain ­Simonet : « Ils sont vivants ! »

L’interdiction de l’usage des téléphones portables ne visait pas simplement à réinventer la cour de récré du XXe siècle. C’est tout le collège qu’il fallait sauver. Quelque 150 élèves, répartis dans huit classes, pas même de conseiller principal d’éducation, et quatorze des vingt profs à temps partagé : cela sentait le sapin pour ce minuscule établissement des Vosges saônoises. Lorsqu’il débarque, en 2014, pour diriger son cinquième collège, Rudy Cara, ex-prof d’histoire en banlieue ­lyonnaise, tente un coup de poker éducatif : « Pour accroître notre attractivité auprès des familles, il fallait penser l’école autrement, offrir une autre manière de ­vivre. Une école où l’on se passe de téléphone pour échanger. »

Pas plus que les autres, le collège de Faucogney n’était épargné par les problèmes de concentration, de triche, ­d’addiction, de conflits, harcèlements et rackets entre élèves, observés depuis que les portables prolongent la main des ados – 30 % à 40 % des sanctions sont liées à leur usage, selon le syndicat de chefs d’établissement SNPDEN-UNSA. Bannir les smartphones ? Pas une sinécure quand les élèves grimpent dans le car de ramassage scolaire dès l’aube, le reprennent en sens inverse à la nuit tombante, pour parfois ne trouver personne au retour chez eux – nombre de parents occupent des emplois ouvriers à horaires ­décalés. « Certains ont le portable greffé à la main depuis qu’ils ont 7 ans car leur ­famille cherche un contact permanent », explique Alain Simonet.

Convaincre les parents

Première étape : convaincre une petite poignée de géniteurs réticents. Ces parents plus prompts à venir récupérer le portable de l’enfant confisqué qu’à répondre aux sollicitations du prof de maths… « Il a fallu un peu de temps, ­admet M. Cara, pour expliquer que la relation avec leur enfant ne passait pas par le téléphone, qu’on leur apportait un soutien éducatif. C’est cette génération de parents qui achètent un portable au gamin pour qu’il ne soit pas isolé, y compris parmi ses camarades, mais qui ensuite ont besoin d’aide pour poser des limites. »

Les douze parents élus au conseil d’administration, eux, n’ont pas barguigné. Et un peu plus d’un an après le ­démarrage de l’opération « zéro portable », ils se déplacent volontiers jusqu’au collège pour témoigner de leur soulagement. Autant de convertis prêchant la bonne parole. Catherine Barczynski, mère d’une jeune fille en 3e et enseignante : « Je ne suis pas contre les écrans mais leur utilisation doit être régulée. Nos enfants n’ont pas besoin du portable au collège. Ils doivent apprendre à s’insérer dans un groupe, le respect de l’autre, ça vaut le coup d’interdire. » Edwige Grillot, carré blond, pull parme, a un fils en 5e et de la compassion « pour les profs dont ça pollue les cours » : « Les règles soulagent aussi les enfants de la pression du groupe pour avoir un portable. Et de plus en plus tôt. Mais c’est leur donner un outil de grande personne alors qu’ils sont encore des enfants ! »

Confiscation temporaire

Le plus remonté, c’est Frédéric Coste-Sarguet, un artisan-boucher à barbe grise, dont le fils fréquente la classe de 3e et « les écrans trois heures par jour ». « Les gamins, on essaie de les tenir mais ça ne dure jamais très longtemps. Les écrans, c’est une obsession, c’est hypnotique. Il faut leur inculquer qu’ils peuvent appuyer sur “off” de temps en temps, et que ça va très bien se passer. »

Le débranchement s’est opéré en douceur. Après la modification du règlement du collège, en novembre 2017, il a été convenu que les portables demeureraient « éteints, au fond du sac », sous peine de confiscation temporaire. Mais les captifs du smartphone ont d’abord bénéficié d’une « période probatoire » jusqu’au mois de janvier. « Je m’amusais à leur envoyer des SMS pour voir s’ils me répondaient, raconte le principal. Et on rendait dans la journée les portables ­confisqués. Les premiers temps, on a un peu joué au chat et à la souris… »

« AU DÉBUT, ON N’ÉTAIT PAS TROP D’ACCORD, ÇA NOUS SAOULAIT. MAINTENANT, MON TÉLÉPHONE, JE LE RANGE EN ARRIVANT. » MAEVA, 14 ANS

Il faut dire que les souris faisaient de la résistance. Les délégués de classe avaient majoritairement voté contre cette atteinte à leurs droits fondamentaux d’adolescents. Le sentiment d’injustice, pourtant, s’est tassé plus vite qu’ils ne l’avaient eux-mêmes imaginé. Maeva, 14 ans et de longs cheveux bruns, en ­témoigne : « Au début, on n’était pas trop d’accord, ça nous saoulait. Maintenant, mon téléphone, je le range en arrivant. » Bon, pas franchement « éteint au fond du sac », plutôt « en veille dans la poche du manteau ». « Mais je n’y pense plus du tout, à part quand je regarde l’heure. » Certains de ses camarades ont redécouvert l’intérêt de la montre. D’autres, celui de se parler.

Nathan, le fils du boucher, un sportif gaillard et élégant, était franchement « contre l’interdiction » qu’il jugeait « agaçante ». Désormais, il s’entend dire : « On s’habitue. On va voir les gens. C’est pas qu’on se porte mieux mais on se tape des barres entre potes. Le téléphone, c’est un mur entre les êtres. » Etrange. On croirait entendre leurs parents. Et le phénomène se reproduit à la sortie de toutes les classes. Nina, 13 ans, en sweat étoilé : « Ceux qui n’avaient pas le téléphone, c’étaient les gros boloss… On ne savait rien faire sans nos téléphones. Maintenant c’est plus convivial, on se parle plus, on ne fait pas que se montrer des photos. »

Téléphone dans les toilettes

Elève de 4e, Agathe opine de la queue-de-cheval. « De base, l’interdiction, j’étais pour. Quand la sonnerie arrivait, on avait encore la tête dans la vidéo qu’on regardait. Et il y avait des imbéciles qui prenaient des photos gênantes. Ça gâchait les années collège. Maintenant c’est mieux, l’ambiance. On se raconte ce qu’on fait, les classes se mélangent à la récré, on s’amuse comme au primaire. »

La conversation s’éternisant, fusent les premiers « Je vous dis pas qu’on n’est jamais dessus ». Les « Y en a toujours qui transgressent, dont moi », un peu bravaches. Marceau, en 3e, chevelure pétard et franchise détonante, sort encore son smartphone en physique « parce qu’il y a les tables de labo avec une petite planche devant », et « pendant les interros, si je m’énerve à pas trouver un truc », et encore « dans les toilettes en récré ». « Des fois, on est trois ou quatre dans une cabine. En plus, y a le radiateur… »

On ne « caftera » pas, évidemment, mais le principal n’est pas dupe. Il s’amuse, d’ailleurs, des temps qui changent, des téléphones remplaçant la cigarette, dans les toilettes. Car globalement, observe-t-il, les frustrations sont passées, les limites acceptées, les confiscations devenues rares. « Le problème est derrière nous. » Devant, il y a la solution : une palette d’activités susceptibles ­d’occuper le temps de cerveau soudain disponible. Le collège de Faucogney-et-la-Mer mobilise à tour de bras, parents, grands-parents et autres bénévoles, pour initier au judo, aux échecs, à la peinture, à la vidéo, au ping-pong, au handball, aux activités de pleine nature – pêche, confection de nichoirs à oiseaux, cueillette de champignons…

« Certains élèves ne savent pas surfer sur le Net »

L’ambiance n’est ni à la prohibition ni à la nostalgie. Le téléphone peut être utilisé à la vie scolaire, en cas de besoin. Les cyclistes l’ont en poche à chaque sortie. Et les enseignants ne renoncent pas à s’en servir en cours. Professeur de français, Frédéric Simon fait lire Le Horla, de Maupassant, sur portable, et « tente de montrer qu’on peut l’utiliser comme outil de travail ». « Certains élèves ne savent pas surfer sur le Net. » Lui qui apporte dictées et cours sur smartphone apprécie la ­concentration retrouvée, depuis un an.

« Auparavant, se souvient-il, on entendait sans arrêt des petits signaux sonores. Certains faisaient des blagues aux autres, leur envoyaient des SMS ­exprès pour que leur portable soit confisqué. On entendait même des sonneries ! Et quand je voyais les mains d’un élève s’attarder dans son sac posé sur la table, je savais qu’il jouait. » Son collègue de SVT, Stéphane Boudinot, ne regrette pas non plus « l’agitation au retour de la ­récré où des conflits étaient nés parce qu’ils s’envoyaient en permanence des messages, des insultes, et que les uns ­prenaient les autres, qui ne le voulaient pas, en photo… »

Mais l’idée n’est pas de jeter le smartphone avec l’eau du bain. « On ­repart de zéro, on enseigne les moments où s’en servir ou non, on recrée un cadre protecteur contre la violence des réseaux sociaux. Bref, on fait notre devoir d’éducation », assume le principal. Sans nier toutefois que l’outil puisse être précieux aux plus introvertis. Et qu’à peine franchie la grille de l’établissement, tous les élèves replongent encore plus goulûment dans leur portable. Rudy Cara, lui, savoure un autre petit plaisir : « Quand on confisque un téléphone, maintenant, les parents me disent : “Mais gardez-le toute la semaine, je compte sur vous pour lui apprendre à ne pas s’en servir !” »

17 janvier 2019

Exposition aux écrans : qui défend-on, les enfants ou l’industrie du numérique ?

Un collectif de professionnels de la santé infantile s’inquiète de l’explosion des troubles intellectuels et cognitifs et estime urgent de lutter contre la surexposition précoce aux écrans.

Comme chaque année, l’éducation nationale publie le nombre d’enfants scolarisés souffrant de handicap (repères et références statistiques 2018 de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance). Les chiffres ont progressé de façon extrêmement importante. Les résultats sont frappants : le nombre de nos enfants scolarisés entre 2 et 11 ans souffrant de troubles intellectuels et cognitifs, de troubles du psychisme ou de troubles du langage est en très forte augmentation alors que les chiffres des troubles visuels, auditifs, viscéraux et moteurs n’ont pas bougé.

Evolution du nombre d’enfants de 3 à 11 ans scolarisés avec un handicap. | DIRECTION GENERALE DE L'ENSEIGNEMENT SCOLAIRE

La comparaison avec les chiffres publiés par les mêmes instances les années précédentes révèle l’importance de cette épidémie. Depuis 2010, les troubles ont progressé respectivement de 24 % pour les troubles intellectuels et cognitifs, de 54 % pour les troubles psychiques et de 94 % pour les troubles de la parole et du langage.

Affirmer que ces chiffres sont le seul fait de l’amélioration du dépistage ou de l’inclusion des enfants souffrant de handicap (loi datant de 2005) n’est plus tenable.

Un facteur environnemental ne pourrait-il pas expliquer de telles progressions des troubles graves chez nos enfants ? Parmi d’autres, quelle pourrait être la responsabilité de la surexposition aux écrans ?

DIRECTION GENERALE DE L'ENSEIGNEMENT SCOLAIRE

Effet délétère

Le 31 mai 2017, les professionnels du Collectif surexposition écrans (CoSE) , qui travaillent auprès d’enfants, lançaient une alerte de santé publique dans une tribune parue dans Le Monde. Dix-huit mois plus tard, le collectif recense les études et renouvelle son message.

De nombreux travaux confirment depuis vingt ans l’effet délétère sur le langage, le sommeil et le comportement, d’une exposition à la télévision des enfants de moins de 2 ans soit en direct soit en arrière-plan permanent. Aucune étude à ce jour ne montre un effet bénéfique de l’exposition aux écrans. On relève les mêmes inquiétudes pour les autres écrans numériques sur le sommeil, le langage, le contrôle des émotions.

Pour les grands enfants, les études confirment le lien entre l’exposition aux écrans et les troubles du sommeil, les troubles de l’attention, l’hyperactivité et la baisse des résultats scolaires. Il existe aussi un retentissement sur les activités physiques, le poids, la vision, l’humeur (anxiété, isolement, dépression) et des attitudes hypersexualisées ou violentes dues à l’exposition à la pornographie et à la violence.

En France, l’étude ELFE (étude longitudinale française depuis l’enfance) analyse de multiples aspects de la vie des enfants nés en 2011. En décembre 2018, les résultats sur l’exposition aux écrans de 13 276 enfants sont publiés : deux tiers des enfants âgés de 2 ans regardent la télévision tous les jours. Ces résultats sont ceux de l’année 2013. Qu’en est-il en 2019 des enfants de 2 ans toujours exposés à la télévision mais aussi aux écrans nomades ?

POURQUOI NE PAS APPLIQUER UN PRINCIPE DE PRÉCAUTION ? POURQUOI NE VEUT-ON PAS ENTENDRE LES MESSAGES D’ALERTE ?

Souvenons-nous : les premiers ordinateurs apparaissent en 1990, les premiers smartphones en 2007, les premières tablettes en 2010 ; l’envahissement de nos vies par les technologies numériques est récent, massif et inédit. Nos enfants sont inévitablement exposés.

En 2018, on commence à informer. Ainsi, le carnet de santé mentionne depuis avril que les écrans sont déconseillés avant 3 ans. En octobre, le Conseil supérieur de l’audiovisuel lance une campagne : pas d’écran avant 3 ans. Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, exprime son inquiétude sur les conséquences de l’exposition aux écrans sur les apprentissages.

Elaborer une stratégie nationale de prévention

En novembre, la sénatrice (Union centriste) de Seine-Maritime Catherine Morin-Desailly propose une loi visant à lutter contre une exposition précoce des enfants aux écrans. Cette proposition, votée au Sénat à la quasi-unanimité, est rejetée par la secrétaire d’Etat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, Christelle Dubos, sous prétexte d’un manque d’études. Pourtant, les études donnent des résultats inquiétants et on imagine mal des études randomisées où certains nourrissons seraient massivement exposés, et d’autres préservés des écrans…

Pourquoi ne pas appliquer un principe de précaution ? Pourquoi ne veut-on pas entendre les

messages d’alerte concernant la surexposition des enfants aux écrans ? Des conférences de membres du collectif sont annulées, leur participation à des émissions écartée. Que craint-on ? Qui défend-on ? L’enfant ou l’industrie du numérique ?

Nous demandons aux responsables politiques de soutenir les équipes de recherche, sans conflit d’intérêts, pour que nous disposions en France d’études qui lèvent tous les doutes sur ce sujet, et d’élaborer une stratégie nationale de prévention des risques liés à la surexposition aux écrans (en informant au plus juste toutes les familles, en informant tous les professionnels de l’enfance et en créant des soutiens à la parentalité).

En attendant cette prise de conscience, nous demandons que CoSE puisse poursuivre ses messages de prévention et d’information au vu de ses observations de terrain et de son travail pour la seule cause qui compte : protéger les enfants et leurs familles !

Pour le collectif CoSE :

Docteure Sylvie Dieu Osika, pédiatre à Rosny-sous-Bois et à l’hôpital Jean Verdier, Bondy ;

Docteur Eric Osika, pédiatre à Bry-sur-Marne et à l’hôpital Saint-Camille, Bry-sur-Marne ;

Docteure Marie-Claude Bossiere, pédopsychiatre, praticien hospitalier, Paris ;

Sabine Duflo, psychologue et thérapeute familiale en pédopsychiatrie (CMP, EPS Ville-Evrard), Noisy-le-Grand ;

Docteure Anne-Lise Ducanda, médecin de PMI (protection maternelle infantile), santé et développement de l’enfant ;

Docteur Bruno Harlé, praticien hospitalier en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (Rhône) ;

Docteure Lise Barthélémy, pédopsychiatre, Montpellier ;

Morgane Balland, psychomotricienne, CMP enfant et unité de psychiatrie périnatale, Noisy-le-Sec ;

La bibliographie est disponible sur demande à l’adresse contact@surexpositionecrans.org et sur www.surexpositionecrans.org

15 janvier 2019

Au Japon, la prison comme maison de retraite

Par Philippe Pons, Tokyo, correspondant - Le Monde

Pour pallier pauvreté et solitude, des Japonais de plus de 65 ans se font arrêter pour de menus larcins, contraignant les prisons à s’adapter à de nouvelles contraintes.

LETTRE DE TOKYO

Il se chauffait au soleil d’hiver dans ce petit parc désert du quartier à la population aux revenus modestes d’Arakawa, au nord de Tokyo. Agé, emmitouflé dans une parka qui avait connu des jours meilleurs, un bonnet sur le crâne, il portait une barbichette clairsemée. Echange de sourires. La conversation s’engage sur l’hiver ensoleillé japonais, la vie d’autrefois, la pension insuffisante, la solitude des personnes âgées… « Demain j’irai à la prison voir un ami, ce n’est pas un criminel, il a mon âge [78 ans] et il a été arrêté pour un vol à l’étalage dans une supérette. Il voulait se faire arrêter. En prison, il a chaud, il est nourri et s’il est malade, on s’occupe de lui… Comme il est récidiviste, il en a pris pour deux ans… Un jour il faudra peut-être que je fasse comme lui. »

Le Japon a le plus faible taux de criminalité du monde et une population carcérale relativement peu nombreuse par rapport à d’autres démocraties avancées. Mais celle-ci vieillit vite. Reflet de l’évolution démographique de l’archipel ? Pas seulement.

Sénilité et incontinence

Le Japon a la médaille d’or en espérance de vie mais la proportion des actifs dans la population se réduit et un quart de la population a plus de 65 ans (40 % en 2050). La délinquance de Japonais âgés (et surtout des femmes de la même tranche d’âge) est un phénomène apparu depuis une décennie qui va en s’aggravant.

Selon le « Livre blanc sur la criminalité » de décembre 2018, 21,1 % des personnes arrêtées en 2017 avaient plus de 65 ans alors qu’en 2000, cette tranche d’âge ne représentait que 5,8 % de la population carcérale. Les délinquants âgés sont arrêtés pour de menus larcins. La majorité vole des produits alimentaires pour se nourrir ou améliorer l’ordinaire. Une minorité dit préférer la prison à une vie au seuil de la pauvreté (ou en dessous) et à la solitude.

L’arrivée de seniors dans les prisons a créé de nouvelles charges pour l’administration pénitentiaire. Ces détenus âgés présentent souvent les symptômes dus à la vieillesse : ils entendent mal et tardent à exécuter les ordres ; certains sont incontinents, d’autres ont des problèmes de mobilité et il faut parfois les aider à se nourrir et à se laver : un surcroît de travail pour les gardiens. « Certains errent sans savoir où ils sont », écrit Yamamoto Joji dans Ceux qui ont élu domicile en prison, livre de souvenirs sur l’année que l’auteur a passé derrière les barreaux, publié en 2018.

Des détenus âgés présentent en outre des symptômes de sénilité : selon le ministère de la justice, en 2016, c’était le cas d’un sur dix des plus de 65 ans. À partir de 2019 a été institué un examen psychologique pour les prisonniers de plus de 60 ans. Ceux qui sont diagnostiqués séniles bénéficient d’un traitement spécial. Des prisons ont aussi commencé à aménager des quartiers réservés aux détenus âgés. La prison devient pour certains l’équivalent d’une maison de retraite et leur incarcération revient à une sorte de prise en charge par l’Etat compensant l’insuffisance des retraites.

Hausse des « morts solitaires »

Au lendemain de la guerre, trois générations pouvaient vivre sous le même toit puis la famille monoparentale s’est imposée et les seniors ont commencé à vivre seuls… et de plus en plus vieux. Divorcés ou ayant perdu leur conjoint, sans famille ou se refusant par fierté à demander de l’aide, six millions de Japonais âgés vivent dans un isolement quasi total et meurent ainsi. Les « morts solitaires » sont en augmentation constante : plus de 30 000 en 2016. Selon une enquête de la municipalité de Tokyo, 40 % de ces morts solitaires n’avaient pas de famille ni d’amis.

Les femmes sont les plus touchées par la détresse de la vieillesse : dans leur cas, la solitude se conjugue à la précarité financière. Beaucoup de Japonaises âgées vivent sous le seuil de pauvreté en raison d’une retraite insuffisante à la suite du décès du mari. Et elles seraient plus nombreuses que les hommes à chercher à se faire emprisonner : en 2017, une détenue sur cinq était âgée de plus de 65 ans. Quand elles sortent, elles récidivent plus que les hommes. Globalement, un quart des anciens détenus de plus de 65 ans récidive dans les deux ans qui suivent leur libération. Ce taux, le plus élevé toutes tranches d’âge confondues, contribue à l’augmentation des seniors dans la population carcérale.

« La prison est une oasis pour moi. J’ai perdu ma liberté mais je n’ai plus à m’occuper de rien. Je peux parler avec d’autres détenues, je mange trois fois par jour, disait une détenue de 78 ans interrogée par l’agence Bloomberg en mars 2018. Ma fille me rend visite une fois par mois. Elle me trouve pathétique. Elle a sans doute raison. »

L’homme à la barbichette du parc est pensif : « On peut comprendre les récidivistes. La vie est dure dehors. Mon ami dit qu’en prison au moins, il ne se préoccupe de rien… Et dehors, personne ne l’attendra quand il sortira. Sinon moi, si je suis en vie. » Des détenus âgés meurent en prison. Après la crémation (obligatoire au Japon), leurs cendres sont envoyées à un parent – s’il en existe un connu de l’administration.

13 janvier 2019

Et si l’amant parfait était une lesbienne ?

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Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Les hétérosexuels feraient bien de s’inspirer des pratiques saphiques qui les font tant fantasmer et qui fonctionnent !, nous explique la chroniqueuse de « La Matinale », Maïa Mazaurette.

LE SEXE SELON MAÏA

En 2018, la requête la plus couramment tapée sur la plus importante plate-forme pornographique était « lesbian ». Même chose en 2017, 2016, 2015... on ne change pas un hashtag qui gagne ! Nous voici en présence d’un des paradoxes du désir contemporain : une minorité invisibilisée, noyée sous des stéréotypes peu flatteurs, attisant pourtant les fantasmes et la curiosité. Un double discours qui se traduit dans les représentations : des pratiques stéréotypées, conçues de manière écrasante pour un public hétérosexuel (car les femmes, comme les hommes, placent « lesbian » au premier rang de leurs errances érotiques).

Nous avons déjà parlé des raisons de ce succès lors d’une précédente chronique, attaquons-nous donc au nerf de la guerre : les hétérosexuels ont bien raison d’être curieux, vu que les lesbiennes sont incontestablement plus douées au lit. Selon une étude britannique de 2014, elles atteignent l’orgasme 75 % du temps, contre seulement dans 61 % des cas pour les femmes hétérosexuelles (et 58 % pour les bisexuelles). Des résultats confirmés en 2017 aux Etats-Unis : 86 % d’orgasmes pour les lesbiennes, 66 % pour les bi, 65 % pour les hétéros. De telles disparités n’existent pas entre les hommes.

Les choses deviennent encore plus intéressantes quand on entre dans le détail : 25 % des lesbiennes ont un orgasme à tous les coups, contre 16 % des hétéros. A l’autre extrémité du spectre, 2 % des lesbiennes n’ont jamais d’orgasme, contre 7,5 % des hétéros et 13 % des bi. Pour le cliché des lesbiennes frigides et des bisexuelles magnifiquement épanouies, on repassera !

Nulle intention ici de promouvoir une quelconque homosexualité (le lobby gay ne répond pas, il est à Mykonos) : il s’agit d’une simple question d’humilité. Ecartons donc les justifications faciles : oui, les lesbiennes peuvent s’inspirer de leur propre corps pour comprendre celui de leurs partenaires... mais l’identification a ses limites. Une lesbienne n’arrive pas en terrain conquis sous prétexte qu’elle a un clitoris, elle ne possède pas « le code » pour faire jouir une inconnue (astuce : si vous avez besoin d’un code, vous confondez votre compagne avec un coffre-fort).

C’est d’ailleurs quand nous considérons nos partenaires comme des stéréotypes (l’homme, la femme, Mars, Vénus) que nous adoptons des pratiques complètement irrationnelles. Est-ce qu’un homme voudrait qu’on lui gifle le pénis ? Non. Est-ce qu’il vanterait les mérites du « petit coup vite fait » si on parlait de le sodomiser, est-ce qu’il trouverait sympa que ça fasse « un peu mal » ? Devrait-il être amoureux pour jouir ? Non. Le jour où nous cesserons de nous focaliser sur les détails anatomiques pour reconnaître que le câblage est identique, nous pourrons commencer à souffler (de joie).

A ce titre, les lesbiennes ne bénéficient d’aucune science infuse. Seul avantage stratégique : elles sont dispensées de l’attente sociale consistant à « faire la femme » sous prétexte qu’elles sont des femmes (rappel pour les couples hétérosexuels : non, l’homme n’est pas obligé de faire l’homme, sinon vous confondez l’anatomie et le destin, et vous sciez 90 % du champ des possibles).

Comment faire alors pour réveiller la lesbienne en vous ? (Ne faites pas d’histoire, nous avons toutes et tous une lesbienne en nous.) Laissons de côté le scissoring, qui demande beaucoup trop de synchronisation et de muscles dans les cuisses (cette pratique, aussi appelée frottage ou tribadisme, consiste à s’emboîter comme des ciseaux – la pornographie adore, les lesbiennes sont divisées).

Bienveillance sous toutes ses formes

Commençons donc par le commencement, en déclinant la bienveillance sous toutes ses formes. Bienveillance esthétique, en évitant les commentaires désobligeants et les attentes ridicules (les femmes entre elles sont moins susceptibles de se sentir obligées d’avoir des mensurations de rêve ou des vulves « comme à la télé »). Bienveillance dans la patience, l’écoute, la communication. Réalisme envers ses propres capacités : si vous êtes un homme, restez dans la zone située entre le mansplaining (« je vais te faire jouir ») et le suicide (« les femmes sont des grizzlis sans poils, je ne vais jamais y arriver »).

Deuxièmement : au royaume (redoutablement mal nommé) des amuse-bouches, le clitoris est roi. Cessez de considérer le cunnilingus comme un préliminaire, et prolongez-le jusqu’à l’orgasme (car sans surprise, si vous vous arrêtez en plein milieu, ça ne marche pas). Précisez que vous n’êtes pas pressé : parce que les hétérosexuels ont une fâcheuse tendance à instrumentaliser cette pratique pour remettre leur pénis au centre de l’univers (oh, quelle surprise, un pénis !), leurs compagnes se sentent coupables quand une minette dure plus de trois minutes ! Elles peuvent alors se désinvestir, plutôt que prendre le risque d’être déçues ou de paraître en demande.

Bien sûr, tous les cunnilingus ne se terminent pas par l’orgasme. Mais si vous commencez, soyez prêt à continuer pendant quinze minutes – et faites-le savoir, sans mettre la pression. Si vous n’avez pas la force de vous occuper d’un clitoris pendant quinze minutes (pauvre lapin), il est temps de reconsidérer votre hétérosexualité. Bon, j’exagère : les fatigués peuvent évidemment utiliser leurs doigts. Comme l’écrit Marie Candoe dans son guide Osez... les conseils d’une lesbienne pour faire l’amour à une femme (qui vient de ressortir aux éditions La Musardine) : « Proposez-lui de placer vos doigts sur son clitoris et de vous préciser le rythme qui lui va. Mêlez alors vos doigts aux siens, ralentissez votre pression et observez la sienne, suivez-la, laissez-vous entraîner dans cette caresse à deux, c’est encore comme ça que vous découvrirez le mieux ce que votre amie aime. »

Ce qui fonctionne vraiment

Point suivant, inspirez-vous de ce qui fonctionne vraiment. Une stimulation génitale associée à du sexe oral et des baisers sera satisfaisante pour 80 % des hétérosexuelles et 91 % des lesbiennes (Archives of Sexual Behavior, 2017). Stimulation génitale, ça veut dire qu’on peut mettre les doigts ? Oui. Mais demandez toujours la permission... et coupez vos ongles, Dieu vous le rendra au centuple. Même si vous connaissez votre partenaire, ne considérez jamais son intérieur-cuir comme acquis – rappelons au passage que la pénétration, comme la conversation ou les salsifis, n’est pas obligatoire. Des fois, on n’a pas envie. D’autres fois, on n’est pas prête. (Une femme qui se raidit n’est pas prête.)

Si vous n’aimez pas les cunnilingus, vous pouvez réaliser une double stimulation avec une seule main : le pouce sur le clitoris (délicatement), l’index en pénétration vaginale – hop, vous voici transformé en Rabbit, 2019 commence de manière formidable, non ? Profitez de votre main libre pour étendre votre zone d’action érotique (il n’y a pas que le triangle génital dans la vie) : incluez les orteils, le périnée, le cou, etc.

Pour la pénétration, outre les doigts, pensez aux godemichés montés ou pas sur un harnais, aux vibromasseurs, mais aussi aux sextoys permettant de contourner le tout-pénis. La marque pour lesbiennes Wet for Her regorge d’options comme l’extenseur digital Two, le Rabbit augmenté Amorino, ou le tout nouveau RockHer. Il existe en ligne quantité de vibrateurs adaptables sur les doigts, parfaits pour les couples hétérosexuels. Envie de quelque chose de plus intense ? Si vous avez fantasmé toute votre vie sur la scène finale du film Requiem for a Dream, n’hésitez pas à investir dans le même double godemiché : ces choses-là entrent très bien dans un corps d’homme (inutile de vous évanouir, je sais que vous êtes là).

Dernière recommandation : vous inspirer des lesbiennes dans l’idée de produire une performance cosmétique, tendre et froufroutante serait incroyablement réducteur. Vous avez donc droit à toutes les déclinaisons qui vous font plaisir... y compris le BDSM, le cuir, les orgies et autres jeux de frustration. Les lesbiennes ne sont pas des anges. Les hétérosexuelles non plus !

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