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Jours tranquilles à Paris
31 octobre 2018

Illectronisme : les oubliés de la start-up nation

Par Aline Leclerc, (avec Manon Rescan)

La dématérialisation des démarches administratives est un des piliers de la « révolution numérique » que le gouvernement appelle de ses vœux. Une mesure potentiellement excluante.

Sur la table de sa salle à manger, Annie, 71 ans, a étalé tous les courriers qu’elle range habituellement bien précautionneusement dans des pochettes à rabats. Il y a là des lettres de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV), de la Caisse d’allocations familiales (CAF), des avis d’impositions.

Cette ancienne gardienne d’immeuble, en Seine-Saint-Denis, cherche à comprendre pourquoi sa retraite de base est passée de 1 145,94 euros à 1 106,38 euros. Et depuis quand exactement ? Elle a beau chercher, elle ne trouve pas. Les derniers courriers de la CNAV remontent à 2015. Où sont passés les autres ? « Ah mais je n’en reçois plus maintenant, c’est tout par Internet, explique-t-elle, et Internet, moi j’y connais rien. »

Se lancer seule dans la création de son « espace personnel » ? Annie ne l’imagine même pas. Il lui faudrait remplir sans se tromper numéro de Sécurité sociale, date de naissance, mais surtout inventer un mot de passe et franchir l’étape de sécurité qui oblige l’internaute à recopier des lettres biscornues pour prouver qu’elle n’est « pas un robot » : « Qu’est ce que c’est que ce machin-là ? », se cabre la retraitée.

Comme elle semble loin de ce HLM de Seine-Saint-Denis, la « start-up nation », cette nation qui « pense et bouge comme une start-up », cette France bientôt « leader de l’IA [intelligence artificielle] et des deeptechs [des produits ou des services sur la base d’innovations de rupture] » dont rêve le président Emmanuel Macron, comme le 9 octobre à Paris, devant les start-upers de la Station F. Lors de sa présentation de la réforme de l’Etat, lundi 29 octobre, le premier ministre Edouard Philippe a d’ailleurs redit son « ambition » : « que 100 % des services publics soient accessibles en ligne à l’horizon 2022. » La dématérialisation des démarches administratives devenant ainsi l’un des piliers de la « révolution numérique » que le chef du gouvernement appelle de ses vœux.

« Le côté humain disparaît derrière les écrans »

« C’est à la fois terriblement démocratique et potentiellement excluant », observe Jean Deydier, fondateur et directeur d’Emmaüs Connect, une branche de l’association Emmaüs qui lutte contre l’exclusion numérique. « Pour une très grosse majorité de la population, la dématérialisation est une aubaine, tout sera plus simple. Mais dans le même temps, on risque de laisser une masse de population sur le bord de la route », poursuit-il.

Car Annie n’est malheureusement pas la seule à redouter les démarches en ligne. Des personnes confrontées aux mêmes difficultés, Le Monde en a croisé partout en France.

Comme Indira, 26 ans, qui doit se faire aider pour remplir son dossier en ligne dans un Pôle emploi de Belfort – à l’heure où l’opérateur met en avant ses « applis » pour smartphone ou son site « Emploi store » pour « booster sa recherche d’emploi ». Ou Marie, 48 ans, qui vient chercher de l’aide au Secours catholique à Paris pour actualiser son dossier de revenu de solidarité active (RSA). « Partout, le côté humain disparaît derrière les écrans, dit-elle. Avant, quand on avait un problème, on pouvait espérer être reçu. Maintenant, c’est tout par informatique. »

A Bourg-Achard (Eure), c’est encore cette retraitée qui confie son désarroi à sa députée lors d’un repas des Anciens organisé par le centre communal d’action sociale : « Comment fait-on quand on n’a pas d’ordinateur ? » Et qui n’a pas reçu l’appel d’un parent ou d’un voisin, en recherche d’une assistance technique face à l’outil informatique ?

Perdu, aussi érudit ou diplômé soit-il, devant un test de sécurité qui demande d’identifier des détails dans une image, ou devant l’élaboration d’un mot de passe sécurisé avec « caractères spéciaux » ? Des consignes évidentes pour les initiés mais qui ont tout d’une langue étrangère pour les néophytes. Une forme d’illettrisme appelée illectronisme.

Le secrétariat d’Etat chargé du numérique compte treize millions de Français qui n’utilisent pas ou peu Internet dont 6,7 millions qui ne s’y connectent jamais. Une enquête CSA de mars révélait que 15 % de nos concitoyens trouvaient l’usage des équipements de nouvelles technologies « difficile », et jusqu’à 39 % des 70 ans et plus.

Les plus concernés sont les publics les plus fragiles. Une étude publiée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) en 2017 faisait de la dématérialisation « la double peine des personnes en difficulté » : personnes âgées, personnes handicapées ou souffrant de maladie chronique, allocataires de minima sociaux, habitants de zone rurale. Ce sont à la fois ceux qui ont le plus de difficultés d’accès au système qui en sont les plus tributaires pour toucher les allocations auxquelles ils ont droit.

« 20 % à 25 % de personnes en difficulté »

Les freins sont de deux ordres : il y a ceux qui manquent d’équipement – pas d’ordinateur ou de smartphone, ou pas de connexion Internet à domicile. Mais il y a aussi les difficultés d’usage. « Des gens qui comprennent à peu près comment marche un ordinateur bloquent devant l’enjeu : ils savent qu’une erreur peut leur coûter cher, indique Jean Deydier. C’est là qu’on constate un effet contraire de la dématérialisation : on crée un nouveau canal mais qui génère du stress et crée un afflux au guichet. »

Il suffit en effet de se rendre dans une CAF ou dans un centre des impôts pour constater que les files d’attente n’ont pas diminué.

Assistante sociale depuis 1981 dans un département défavorisé, Nicole voit ainsi de plus en plus de personnes venir lui demander de faire des démarches à leur place, à commencer par la création d’une adresse mail.

« La fracture numérique on la voit au quotidien », déplore-t-elle en pointant les risques du système : « avant, pour le RSA, les gens recevaient un courrier tous les trois mois. Maintenant, l’actualisation se fait par mail. Mais, s’ils n’ont pas d’ordinateur, ou ne savent pas se connecter, ils n’y ont pas accès… Or au moindre retard, l’arrêt du paiement est immédiat. »

Le phénomène n’est pas nouveau : en 1999, Lionel Jospin, alors premier ministre, redoutait déjà que l’essor des technologies de l’information crée « un fossé numérique ». Mais l’accélération de la « révolution numérique » – Edouard Philippe a encore annoncé, lundi, une nouvelle vague de services accessibles en ligne – a accru les inquiétudes.

« Si en 2022, on oblige les gens à accéder aux services publics par le numérique, il y aura 20 % à 25 % de personnes en difficulté », a alerté le Défenseur des droits Jacques Toubon, le 18 octobre, lors de la quatrième convention de ses délégués, qui s’est tenue en présence du secrétaire d’Etat chargé du numérique, Mounir Mahjoubi. M. Toubon, qui a appelé à « simplifier et réhumaniser les services publics offerts aux citoyens », publiera en décembre un premier rapport entièrement consacré à la dématérialisation.

Déjà, certaines démarches administratives ne se font plus qu’en ligne. C’est le cas pour la prime d’activité. Et pour la première fois en 2019, ce sera également le cas pour la déclaration de revenus, mettant tout le monde au pied du mur. De nouveaux documents vont également être dématérialisés dans les années qui viennent, comment les ordonnances médicales (une expérimentation aura lieu en 2019) ou encore l’inscription (en ligne) sur les listes électorales.

« Soit on forme les gens et on booste leurs capacités, soit on ne fait rien et on les perd », résume Jean Deydier. Emmaüs Connect a d’ailleurs lancé, en octobre, une campagne pour étoffer son volant de bénévoles chargés de la formation des personnes victimes de cette fracture numérique.

« Ticket-restaurant » du numérique

Conscient des risques, M. Mahjoubi a lancé, mi-septembre, un « plan national pour un numérique inclusif ». L’objectif est de détecter les publics en difficulté et de les rendre le plus autonome possible : 10 millions d’euros vont ainsi permettre de financer des « pass numériques », sorte de ticket-restaurant du numérique, donnant droit de 10 heures à 20 heures de formation. Et 5 millions d’euros doivent permettre de faire émerger partout en France des « hubs » – la rhétorique de la start-up nation n’est jamais loin –, soit la création de structures référentes, dédiées à l’inclusion numérique.

Le gouvernement espère créer ainsi un « effet levier » qui permette de monter en puissance sur le sujet. Pôle emploi financera par exemple des « pass numériques » pour que certains demandeurs d’emploi puissent accéder à des cours.

Les jeunes ayant choisi de faire un service civique ont par ailleurs été identifiés comme autant d’accompagnateurs potentiels à l’inclusion numérique. A Pôle emploi, ils sont déjà 3 200 à épauler les demandeurs. L’objectif affiché par le gouvernement est de former 1,5 million de personnes confrontées à l’illectronisme par an. « C’est très ambitieux », reconnaît-on dans l’entourage de Mounir Mahjoubi, où l’on est conscient que cet objectif ne sera pas atteint la première année. « Il faut que l’opinion publique s’empare du sujet qui reste encore confidentiel », ajoute-t-on au secrétariat d’Etat chargé du numérique.

Présenté le même jour que les annonces gouvernementales sur la pauvreté, le plan Mahjoubi est d’ailleurs passé un peu inaperçu. Il a néanmoins été salué par les associations qui y ont vu un premier pas encourageant. Mais tout reste à construire. L’élaboration des « hubs » n’en est encore qu’au stade de l’appel à projet.

Et dans le milieu associatif, certains pointent le risque de voir cette nouvelle manne de financement mal utilisée. « Jusqu’ici il n’existait rien, ce plan est une base. Mais il n’est pas adapté au public que nous connaissons », estime Armelle de Guibert, déléguée générale des Petits Frères des pauvres, qui aide des personnes âgées en situation de précarité. « Ce public âgé ne se rendra pas dans des endroits inconnus pour prendre des cours », redoute la responsable associative.

« Est-ce qu’on va aider seulement ceux qui sont les plus proches du numérique, ou aussi ceux qui en sont le plus loin ? », interroge, lui aussi, le directeur d’Emmaüs Connect, Jean Deydier.

En présentant la réforme de l’Etat lundi, le gouvernement a précisé que les Français désireux de faire part de leurs difficultés d’accès aux services publics, notamment liées à la dématérialisation, pourront bientôt le faire… en ligne, via la plateforme « Vox Usagers ».

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30 octobre 2018

Sexo - Pourquoi, et par quoi, remplacer un pénis ?

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Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Face à une pornographie génératrice de complexes, recourir à des aides extérieures peut constituer une bonne alternative. Mais si le membre viril comme instrument pénétrant est remplaçable, il ne l’est pas comme instrument de plaisir, rappelle la chroniqueuse de « La Matinale », Maïa Mazaurette.

C’est une question qui fâche, mais qui devrait nous rassembler : remplacer les pénis, pour quoi faire ? Le corps humain doit-il toujours être transformé en marchandise, ou en l’occurrence, traité comme un objet ? S’agit-il de castrer les hommes pour satisfaire le lobby féministo-chirurgical ? Délaissons les théories du complot et soignons plutôt notre bonne humeur dominicale : disposer d’alternatives pour la pénétration pourrait paradoxalement sauver nos pénis sous pression. Car en ce moment, on leur en demande beaucoup.

L’omniprésence de la pornographie commerciale fait en effet croire que les pénis normaux (13 cm en érection) ne répondent pas aux critères contemporains de désirabilité (malheureusement, savoir que la pornographie est hyperbolique n’empêche pas d’en ressentir les effets – de même que les retouches publicitaires n’empêchent pas de développer des complexes). Nos attentes concernant les performances sont tout aussi irréalistes : selon l’enquête Zava de mai 2018, un Français sur deux surestime la durée du rapport sexuel (qui est de 5 minutes en moyenne).

Cette pression touche les micropénis autant que les gourdins, les malades (stress, déprime, effets secondaires médicamenteux) autant que les amants bien portants victimes de coups de mou bénins (fatigue, ivresse, routine). Car quand on a l’impression de ne pas « assurer », le cercle vicieux s’enclenche, provoquant des impuissances ou des éjaculations rapides. C’est la double peine ! Face à ces embarras, on a tendance à penser implants ou pilules. Mais des alternatives non-invasives – des pénis de remplacement, donc – peuvent constituer des filets de sécurité émotionnels et sexuels. Plutôt que se morfondre face à une mécanique constamment perçue comme défaillante, il faudrait pouvoir porter des godemichés comme on enfile une paire de lunettes.

Chemins de traverse

Les hommes ne sont bien sûr pas les seuls bénéficiaires de cette forme d’« aide à domicile ». Les femmes, les couples de femmes, les personnes trans, les masturbateurs comme vous et moi (surtout vous) sont concernés… tout comme les simples curieux et les explorateurs. Si les chemins de traverse nous donnent du plaisir, pourquoi se soumettrait-on toujours à l’anatomie ?

La première alternative qui vient à l’esprit, la plus proche du « vrai » pénis, c’est évidemment le gode-ceinture. Et si nous persistons à imaginer des harnachements de cuir et des protubérances agressives, il est temps de secouer les représentations, car la machine de guerre n’est pas la seule option. La marque WetForHer propose ainsi des petites culottes féminines, auxquelles les utilisatrices peuvent attacher des godemichés (de 85 à 125 euros le kit complet, existe aussi en version boxer).

Bien sûr, rien n’oblige à remplacer un pénis par son strict équivalent, ou par une excroissance qui se situerait au même endroit ! Les amants audacieux pourront jouer sur des pénis déplaçables, destinés à inventer de nouvelles positions : il existe des harnais « universels » permettant de se coller une verge sur le genou, sur la cuisse ou au milieu du front, comme nos amies les licornes. Avant d’en rire, considérez les possibilités offertes : avec un godemiché installé sur le menton, on peut combiner pénétration vaginale et cunnilingus. Absurde ? Pas pour le plaisir féminin !

Cependant, si le côté Frankenstein vous effraie, considérez plutôt les godemichés façon science-fiction, fixables sur des machines (les mécaniciens du dimanche adoreront construire la leur) ou sur son mobilier, en ajoutant tout bêtement des ventouses.

Du côté des godemichés sans harnais, les dernières limites de l’imagination tombent… D’où la nécessité de s’informer face à un choix pléthorique. Avez-vous envie d’un modèle réaliste, ludique, merveilleux ? Cette dernière question vaut qu’on remette en cause les représentations traditionnelles : vous trouverez dans le commerce des reproductions de pénis d’animaux (nos amies les bêtes apprécieront qu’on les laisse tranquilles) ou de créatures fantastiques (c’est la spécialité de la marque Bad Dragon, qui existe depuis déjà dix ans). On peut également se tourner vers des godemichés « aspirationnels » qui serviront uniquement d’objet de fantasme (je doute que quiconque arrive à insérer les 90 centimètres du modèle Moby ailleurs que dans son imagination).

Découpler pénis et virilité

Puisque nous parlons de format, ne négligeons pas un des intérêts essentiels du pénis artificiel : sa taille… mais sans aller forcément vers l’élargissement. Car en l’absence de terminaisons nerveuses sur votre dildo préféré, vous ne saurez pas toujours si vous faites mal, ou au contraire, si votre partenaire a un orgasme. Il faut donc redoubler d’attention… ou commencer en utilisant les substituts les moins chers du marché : les doigts (et par extension, les mains). Côté précision et mobilité, on n’a pas encore trouvé mieux. Cependant, les adeptes du silicone pourront aussi se tourner vers les petits godemichés flexibles, bien plus supportables et bien moins intimidants pour une pénétration anale.

Enfin, grâce aux modèles à double embout, en verre, métal ou bois, aux variations vibrantes, parlantes, gonflables, phosphorescentes, connectées, waterproof, d’autres modes d’intromission deviennent possibles, qui nous éloignent du côté glauque souvent associé aux godemichés ultraréalistes. Chacune de ces spécificités questionne nos habitudes : finalement, la pénétration, c’est quoi ? Sur qui s’opère-t-elle, à quelles fins, dans quelles positions ? Pourquoi la production culturelle s’acharne-t-elle à nous présenter comme alternatives des concombres ou des manches à balais ?

Le fait est que nous restons attachés à l’intégrité du corps masculin dans toutes ses dimensions… et tant mieux. Car si le pénis comme instrument pénétrant est remplaçable, il ne l’est absolument pas comme instrument de plaisir (le jour où les concombres auront des orgasmes, faites-moi signe). A ce titre, le membre viril ne risque pas de finir aux oubliettes ! On rappellera d’ailleurs aux réticents que ça n’était pas « mieux avant » : le plus vieux godemiché a été retrouvé en Allemagne, et daterait d’il y a 30 000 ans. De la Grèce antique à Shakespeare, de la Chine du XVe siècle au Zanzibar du XIXe siècle, nous avons toujours eu des alternatives. Manifestement, ça ne nous a jamais empêché de reproduire l’espèce.

Pas de panique morale, donc : découpler le pénis de la virilité ne remet pas plus en cause la virilité que découpler les performances de la jouissance ne remet en cause notre humanité. On pourrait même arguer du contraire. Se prendre pendant quelques minutes pour un amant infatigable, rêver d’être un dieu ou un esclave, fantasmer un corps différent et des plaisirs infinis… qu’y a-t-il finalement de plus humain ?

27 octobre 2018

ça sent déjà Noël et les chocolats bien avant l'heure...

noel

Photo prise au Super U de Belz

26 octobre 2018

« La thèse du ruissellement, selon laquelle plus l’offre culturelle sera riche, plus elle sera partagée par tous est illusoire »

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Par Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde »

Les milliards investis dans les équipement de l’Etat ou l’offre numérique croissante n’y font rien : ce sont surtout les milieux aisés et cultivés qui en profitent, déplore dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».

Olivier Donnat est sociologue au ministère de la culture. Il est un loup dans la bergerie, l’ennemi de l’intérieur, le gars qui casse le moral, fait tomber les illusions. Et les deux études qu’il vient de publier, sur le livre et la musique, ne vont pas arranger sa réputation. Le problème est que ce qu’il écrit depuis trente ans est exact. Ce qu’il a prophétisé s’est vérifié. Ce qu’il annonce est inquiétant.

En spécialiste des pratiques culturelles, il a montré que les milliards investis par l’Etat pour construire musées, opéras, théâtres, salles de spectacle ou bibliothèques, n’ont servi qu’à un Français sur deux – aisé, diplômé, Parisien, issu d’un milieu cultivé. Ceux qui restent à la porte, souvent aux revenus modestes, s’en fichent ou pensent que cette culture axée sur les traditionnels « beaux-arts » est déconnectée de leurs envies.

« L’EXCELLENCE CONDUIT À PRIVILÉGIER DES CRÉATIONS EXIGEANTES AUXQUELLES LES PERSONNES LES PLUS ÉLOIGNÉES DE LA CULTURE NE SONT PAS PRÉPARÉES »

Ce constat, on le lit dans l’enquête sur les pratiques culturelles des Français que le ministère publie tous les dix ans. Olivier Donnat a piloté celles de 1989, 1997 et 2008. La prochaine est pour 2019, qui se fera sans lui – il part à la retraite dans deux mois.

Le fossé se creuse

Elle devrait être tout autant déprimante. Car ce qu’a montré notre sociologue, c’est que le fossé se creuse. La construction frénétique de musées ou de théâtres en trente ans a provoqué une forte augmentation de la fréquentation, mais ce sont les aficionados qui y vont plusieurs fois, tandis que les ouvriers et les jeunes de banlieue y vont moins.

C’est dur à entendre, car l’Etat culturel s’est construit sur l’illusoire thèse du ruissellement : plus l’offre culturelle sera riche, plus elle sera partagée par tous. Aussi le ministère et les créateurs ont longtemps nié cette étude. « Il y a eu des tensions, se souvient Olivier Donnat. J’ai été vu comme un rabat-joie, on me disait que j’avais tort. »

Aujourd’hui, cette dure réalité est acceptée puisque les cinq derniers ministres de la culture ont fait du combat pour la diversité des publics leur priorité. Mais Olivier Donnat a montré que dans les faits, rien n’a bougé. D’abord parce que ça se joue ailleurs, dans la cellule familiale, à l’école aussi – deux foyers d’inégalités. Mais un obstacle se trouve aussi au sein même du ministère de la culture, armé pour soutenir son offre prestigieuse, très peu pour capter un public modeste.

Contradiction

Olivier Donnat pointe aussi une contradiction. « Nos grands lieux culturels visent logiquement l’excellence. Sauf que l’excellence conduit à privilégier des créations exigeantes auxquelles les personnes les plus éloignées de la culture ne sont pas préparées. Parler à ces personnes est très compliqué. La Philharmonie de Paris y parvient en décloisonnant les genres musicaux. »

Prenons le contre-pied. La France se doit d’avoir les meilleurs musées, opéras ou théâtres, tant mieux pour ceux qui aiment, et tant pis pour les autres. On ne va pas fermer ces lieux qui contribuent au prestige de la nation et dopent le tourisme. Et puis sans ces équipements, la situation serait sans doute pire. Enfin, pourquoi vouloir qu’une pièce novatrice, un film expérimental et un art contemporain pointu plaisent à tous ?

Sauf que cette offre est financée avec de l’argent public et qu’au moment où les fractures sociales n’ont jamais été aussi fortes, une telle posture est jugée élitiste et a du mal à passer. Ajoutons qu’il existait, dans les années 1960 à 1980, un riche tissu culturel local (MJC, associations) qui, en trente ans, a été broyé sans que l’Etat bouge le petit doigt au motif qu’il n’est pas de son ressort, alors qu’en fait il le méprise. Ce réseau avait pourtant l’avantage d’offrir aux jeunes un premier contact avec la culture.

POUR OLIVIER DONNAT, L’AVENIR S’ANNONCE NOIR POUR LE THÉÂTRE CLASSIQUE OU CONTEMPORAIN, LES FILMS FRANÇAIS D’AUTEURS OU LA LECTURE DE ROMANS

En pot de départ, Olivier Donnat nous confie que le pire est à venir. Car les plus gros consommateurs de notre culture d’Etat sont les baby-boomers – ils ont du temps, de l’argent, lisent beaucoup, vont intensément au spectacle. Sauf qu’ils ont 60 ans et plus. « Dans dix ou vingt ans, ils ne seront plus là, et nos études montrent qu’ils ne seront pas remplacés », dit Olivier Donnat, qui annonce un avenir noir pour le théâtre classique ou contemporain, les films français d’auteurs ou la lecture de romans.

Le numérique, dont les jeunes sont familiers, peut-il favoriser la démocratisation culturelle ? Eh bien non, répond Olivier Donnat avec ses ultimes études sur « l’évolution de la diversité consommée » dans le livre et la musique (à télécharger sur le site du ministère de la culture ou sur cairn.info).

« Le numérique produit les mêmes effets »

L’offre en livres et en musiques a pourtant considérablement augmenté en vingt-cinq ans. Mais les ventes baissent. Et puis, qui en profite ? « Le numérique, porté par les algorithmes et les réseaux sociaux, ouvre le goût de ceux qui ont une appétence à la culture, mais ferme le goût des autres, qui, par exemple, ne regardent que des films blockbusters », explique Olivier Donnat, qui en conclut : « Le numérique produit les mêmes effets que les équipements proposés par l’Etat : ce sont les milieux aisés et cultivés qui en profitent. »

Olivier Donnat prolonge la déprime en décryptant les ventes de livres et de musiques. Tout en haut, les heureux élus sont moins nombreux et à la qualité incertaine – best-sellers pour les livres, compilations pour les CD. Tout en bas, et c’est récent, le sociologue constate une hausse phénoménale de livres et musiques pointus, vendus à moins de cent exemplaires ou à moins de dix exemplaires.

Et au milieu, il y a quoi ? Des paquets d’œuvres souvent de qualité, dont les ventes sont également en baisse, noyées dans la surproduction. Ces œuvres du « milieu » font penser aux films « du milieu », ainsi nommés quand ils étaient fragilisés, coincés entre les blockbusters et les films marginaux. Les œuvres du milieu, qui définissent une « qualité française », forment justement le cœur de cible du ministère de la culture. Elles seront demain les plus menacées. Déprimant, on vous dit.

22 octobre 2018

« On ne se taira plus » : des centaines de personnes réunies à Paris contre l’homophobie

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Par Pierre Bouvier, Solène Cordier

Face à la recrudescence d’agressions homophobes violentes, les associations LGBT avaient appelé à un rassemblement de solidarité dimanche, place de la République à Paris.

« Ça manque un peu de gaieté », plaisante un jeune homme venu avec ses amis, alors que le slogan « Dehors les homophobes » est scandé entre deux interventions à la tribune, dimanche 21 octobre, place de la République à Paris, lors d’un rassemblement contre les violences homophobes.

Mathilde et Gwendoline, 28 et 30 ans, ont tenu à venir pour exprimer leur solidarité. « On a le sentiment qu’il y a une recrudescence de ces actes, et c’est important dans ce contexte de se mobiliser », disent les deux jeunes femmes. Comme beaucoup ici, elles ont déjà été confrontées à des injures homophobes.

Il y a dix ans, Gwendoline a connu pire. Alors qu’elle se trouvait dans le métro avec sa compagne de l’époque, elle a subi les crachats et les insultes d’une mère et de ses deux enfants, qui ont passé à tabac sa petite amie. « C’était violent, mais je n’ai pas porté plainte à l’époque, j’étais jeune, je me sentais sans doute un peu coupable. Aujourd’hui je le ferais », réfléchit la jeune femme.

Ne plus se taire

« On vit toujours dans la crainte du regard de l’autre, de la stigmatisation », déplore un peu plus loin Laurent, un grand gaillard de 48 ans. « On en a ras-le-bol d’être considérés comme des citoyens de seconde zone et on est venus dire aujourd’hui qu’on ne se taira plus », prévient-il, drapeau de l’Interassociative lesbienne, gay, bi et trans (Inter-LGBT) à la main, avant la minute de silence observée à la mémoire de Vanessa Campos et de toutes les victimes des actes anti-LGBTQ.

« Est-ce qu’il est acceptable de vivre dans une société qui produit des agressions homophobes tous les trois jours ? », interroge debout sur l’estrade Joël Deumier, le président de SOS-Homophobie, qui a lancé l’idée du rassemblement avec l’Inter-LGBT, avec le soutien d’une cinquantaine d’associations. « Ces visages tuméfiés, c’est la réalité de la LGBTphobie », lance-t-il devant plusieurs centaines de personnes en référence aux photographies et aux témoignages de personnes agressées en raison de leur orientation sexuelle qui apparaissent régulièrement sur les réseaux sociaux ou dans la presse quotidienne.

Pourtant, le phénomène reste difficile à quantifier. Tous les acteurs de terrain s’accordent à évoquer un climat hostile aux homosexuels, avec une recrudescence de passages à l’acte violents. Mais les chiffres de la préfecture de police, obtenus par l’Agence France-presse (AFP), font eux état d’une baisse de 37 % des actes homophobes recensés à Paris au cours des neuf premiers mois de l’année par rapport à la même période en 2017 (74 actes contre 118 l’an passé).

« Derrière quelques cas médiatisés, il reste énormément de personnes qui ne sont pas entendues et n’osent pas aller dans un commissariat », pointe Joël Deumier. Selon le dernier rapport de SOS-Homophobie, qui s’appuie sur l’enquête annuelle « Cadre de vie et sécurité » de l’Insee, « seulement 4 % des victimes d’insultes LGBTphobes déposent effectivement plainte », rappelle-t-il.

Le débat sur l’extension de la PMA cristallise les tensions

Pour les responsables associatifs, l’actuel débat sur l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA), dans le cadre de la révision prochaine de la loi de bioéthique, alimente ce cycle d’agressions.

« Cela fait des années qu’on nous dit qu’il faut patienter. Et laisser le débat se poursuivre sans fin favorise les passages à l’acte homophobes et les agressions violentes de ces derniers temps », considère Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l’Inter-LGBT. Elle qui réclame une « ouverture effective et rapide de la PMA pour toutes », alors que le gouvernement a annoncé la présentation du projet de loi de révision de la loi de bioéthique d’ici à la fin de l’année, et un débat parlementaire pas avant début 2019.

« Les remontées qu’on a montrent une hausse du stress communautaire », ajoute la porte-parole, en dénonçant à la fois les agressions violentes et les messages homophobes véhiculés par les adversaires de l’extension de la PMA. « On a en ce moment dans les rues une campagne d’affichage avec des slogans d’une grande violence pour les familles LGBT qui sont ainsi invisibilisées », dénonce-t-elle en invoquant le spectre de la « vague de haine » du mariage pour tous. A l’époque, en 2012-2013, les actes homophobes avaient connu une forte augmentation.

Le rendez-vous de dimanche avait ainsi pour objectif d’interpeller les politiques face à ce regain de tensions. « Quand les pouvoirs publics ne condamnent pas à l’unanimité ces agressions, ils s’en rendent complices, voire coupables », a lancé sous les applaudissements Joël Deumier.

Campagne de communication

Reçues, jeudi 18 octobre, au secrétariat d’Etat chargé de la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes et contre les discriminations par Marlène Schiappa et le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, les associations LGBT sont ressorties déçues, n’ayant pas obtenu gain de cause sur leurs revendications.

Parmi elles, le lancement d’une campagne de sensibilisation nationale « sur les LGBTphobies et ses effets », la publication d’une circulaire pour rappeler les sanctions dont sont passibles les auteurs d’actes homophobes et une formation obligatoire sur ces questions pour les professeurs, les magistrats et les forces de l’ordre.

« Nous voulons montrer que des solutions existent. Sur la question de la PMA, une manière d’endiguer la parole LGBTphobe, c’est par exemple de montrer qu’être un bon parent est indépendant de l’orientation ou du genre », considère Joël Deumier, dont l’association vient de lancer une campagne de communication pour véhiculer ce discours sur la parentalité.

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21 octobre 2018

« A force de voir des catastrophes, l’esprit s’habitue »

Par Nicolas Santolaria

Fascination pour l’apocalypse, barrières psychologiques… Le chercheur Per Espen Stoknes analyse les ressorts mentaux qui empêchent de lutter contre le réchauffement climatique.

Per Espen Stoknes est psychiatre-clinicien, membre du Parti vert norvégien et auteur de l’ouvrage What We Think About When We Try Not To Think About Global Warming (Chelsea Green Publishing, 2015, non traduit). Il a étudié les phénomènes qui nous empêchent de passer de la prise de conscience à l’action collective sur les questions environnementales.

Pour vous, le principal problème dans la lutte contre le réchauffement climatique est un problème psychologique. Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion ?

La plupart des scientifiques qui communiquent sur le climat pensent qu’il suffit de transmettre des connaissances à un public ignorant, pour changer son état d’esprit et faire évoluer les comportements. Cette ­approche ne produit ni compréhension ni engagement. Ça ne marche pas.

Si peu de gens soutiennent les projets de taxation du CO2, c’est parce qu’ils ne considèrent pas le changement climatique comme une menace personnelle. Globalement, depuis les années 1990, les préoccupations liées au réchauffement ont baissé dans la plupart des pays européens. L’immigration, le crime, l’emploi, la santé, l’éducation ­passent avant.

Ce paradoxe psychologique pourrait être résumé ainsi : plus les preuves scientifiques du dérèglement s’accumulent, moins les gens semblent préoccupés par les questions climatiques.

Pourquoi ?

Il existe cinq barrières mentales qui nous empêchent de voir la réalité en face. Tout d’abord ce que j’appelle la « distance », qui nous fait envisager le réchauffement comme quelque chose de lointain, concernant avant tout les ours polaires. Vient ensuite le « catastrophisme » : la façon anxiogène dont le problème est présenté conduit notre cerveau à éviter totalement le sujet. Le troisième point, c’est la « dissonance cognitive ». Quand on sait que l’utilisation d’énergie fossile contribue au réchauffement, alors le fait de conduire, de manger du steak, de prendre l’avion crée en nous un malaise intérieur, que l’on tente de dissiper en se disant que notre voisin a une voiture plus polluante que la nôtre.

Vient ensuite le « déni » : on fait comme si on ne savait pas, alors qu’on sait. Enfin, les mesures de lutte contre le réchauffement entrent parfois en conflit avec notre « identité ». La nécessité d’une régulation étatique peut, par ­exemple, venir heurter mes convictions conservatrices et anti-interventionnistes, qui prennent alors le pas sur la réalité.

Dans une Ted Conference que vous avez faite à New York en 2016, vous parlez de « collapse porn ». Sommes-nous excités par l’idée de l’effondrement ?

Une étude de l’Oxford Institute of Journalism a montré que plus de 80 % des articles ou des informations sur le changement climatique adoptent l’angle de la catastrophe.

Le collapse porn, c’est cette fascination de l’apocalypse qui s’exerce au travers des vidéos, des films, des médias. Tout cela repose sur une imagerie standardisée, avec des colonnes de fumées noires, des rues remplies de voitures, et de la banquise qui fond.

C’est vrai que, lorsqu’on parle de ­réchauffement, on nous montre toujours le même ours famélique dérivant sur un morceau de glace microscopique…

Oui, exactement. D’une certaine manière, nous nous délectons de la ruine de la société et de la destruction de tout ce que nous aimons.

Cette imagerie catastrophiste aboutirait à ce que vous appelez la « fatigue de l’apocalypse ». C’est quoi ?

A force de voir des catastrophes, notre esprit s’habitue, la peur et la ­culpabilité diminuent, et à la fin vous ne prêtez même plus attention lorsqu’on vous parle de la fin du monde. Vous entrez alors dans une ­logique d’évitement.

L’autre effet collatéral est que vous vous mettez à projeter des stéréotypes sur ceux qui sonnent l’alarme, à les considérer comme des marchands de malheur, des hystériques.

Que penser des collapsologistes, qui, eux, pour le coup, se préparent très activement à l’effondrement de la civilisation ?

Je pense que ce sont des fondamentalistes. Je ne dirais pas qu’ils ont tort, mais que leur esprit est possédé par une seule histoire, laquelle ­devient l’unique vérité.

En réalité, on ne sait pas du tout comment cela va finir. Il faut envisager des scénarios positifs pour le futur, c’est le meilleur antidote à cette obsession du collapsus.

Ce récit apocalyptique est-il totalement néfaste ?

Comme image, comme émotion, comme histoire, l’apocalypse crée en nous l’opportunité d’une réorientation existentielle et questionne en profondeur notre culture.

Peut-être que certains de nos modes de vie et de nos façons de penser doivent prendre fin, mourir, pour que d’autres puissent voir le jour.

Comment encourager ce changement ?

Actuellement, nous sommes pris dans un « piège de gouvernementalité ». Les politiques savent très bien qu’il faut taxer les émissions de CO2 pour enrayer le réchauffement, mais ne le font pas, car ils craignent de ne pas être réélus ; et le public se dit : si le problème climatique était vraiment important, les responsables politiques feraient ­certainement quelque chose.

Il faut partir de la base, utiliser les ­réseaux sociaux pour diffuser des normes sociales positives, exercer une influence douce, une forme de « nudging » climatique.

Si des ­personnes que j’admire changent leur attitude, prennent les transports en commun, mangent végétarien, investissent dans les panneaux solaires, alors cela deviendra une nouvelle manière d’être. ­Lorsque les comportements auront changé, les dirigeants suivront.

21 octobre 2018

Les vélos en libre-service d’Uber débarquent à Paris

Par Éric Béziat

Le géant américain des VTC a choisi Berlin et Paris comme têtes de pont en Europe pour sa marque Jump de bicyclettes électriques.

Il est rouge, gros, rapide et a de quoi faire peur à ses ­concurrents. Lui, c’est le vélo électrique Jump. Il tire son nom de la marque de bicyclettes partagées que vient d’acheter Uber, et qui s’apprête à débarquer en Europe.

Jeudi 18 octobre, le géant américain de la réservation de VTC (voitures de transport avec chauffeur) a annoncé qu’il allait lancer début 2019 une flotte de vélos électriques à Paris, sans fournir plus de précision sur la date et le nombre d’appareils déployés.

Paris ne sera pas la première tête de pont de Jump en Europe. Uber va lancer cette nouvelle offre à Berlin « dans quelques semaines », là encore sans indication précise. « L’objectif, c’est de se lancer dans d’autres villes » après la capitale française, a déclaré Steve Salom, le directeur général d’Uber pour la France, la Suisse et l’Autriche, citant Lyon.

L’engin a été présenté à Paris lors du salon de la mobilité urbaine Autonomy. Malgré son aspect massif et son air robuste, il est très souple à conduire grâce à l’assistance électrique qui lui donne une autonomie de cinquante kilomètres et lui permet de rouler à 25 kilomètres/heure. Jump sera le premier vélo à batterie disponible en free floating à Paris, c’est-à-dire en stationnement libre, sans borne d’attache. Un cadenas en forme de U permettra de l’accrocher au mobilier urbain.

Pour le réserver, le déverrouiller et le reverrouiller, il suffira de passer par l’application Uber de réservation de VTC. Le prix du trajet n’a pas été donné, mais une porte-parole de la marque souligne que les tarifs devraient s’aligner sur ceux de la concurrence (louer un Vélib’ électrique de manière occasionnelle coûte 5 euros de forfait pour la journée + 1 euro la demi-heure). Aux Etats-Unis, Jump est accessible moyennant 2 dollars (1,7 euro) les trente premières minutes, puis 7 cents de dollar la minute supplémentaire.

« Devenir rapidement un acteur majeur »

Uber arrive donc sur un nouveau marché en Europe, lesté de sa notoriété, de la puissance de son application et, paradoxalement, de sa capacité à perdre de l’argent. « L’idée est de devenir rapidement un acteur majeur », relève-t-on chez Uber, première entreprise de mobilité au monde par la valeur (elle est estimée à environ 100 milliards de dollars, soit 87 milliards d’euros) et qui pourrait faire son introduction en Bourse en 2019.

Débutant en matière de vélos partagés, Uber compte sur sa jeune expérience outre-Atlantique. D’abord partenaire de Jump à San Francisco (Californie), où ont été déployés 250 engins en février, la société a, devant le succès de l’expérimentation, racheté son partenaire un mois plus tard. A présent, 7 000 vélos Jump sont déployés dans dix villes aux Etats-Unis, dont New York et Chicago (Illinois), et des trottinettes électriques Jump commencent à être testées à Santa Monica (Californie).

L’irruption de cette marque en Europe correspond au virage stratégique amorcé par le PDG d’Uber, Dara Khosrowshahi. « De plus en plus, Uber ne sera plus seulement destiné à réserver une voiture, mais il servira à se déplacer d’un point A à un point B avec le meilleur moyen [de transport] possible », déclarait, en avril, le ­patron irano-américain qui a succédé au fantasque Travis Kalanick, débarqué par ses actionnaires en août 2017.

D’où l’investissement dans Jump, mais aussi dans les trottinettes en libre-service Lime (désormais disponibles à Paris).

Défi complexe

Aux Etats-Unis toujours, Uber s’est allié avec la société de covoiturage et d’auto-partage Getaround pour proposer un service de location de voitures entre particuliers baptisé « Uber Rent ». Insatiable, le groupe a aussi noué un partenariat avec la start-up Masabi, spécialisée dans les billets électroniques, afin de permettre à ses clients de payer leurs trajets en bus et en train avec l’application Uber. Celle-ci deviendrait, dans le monde rêvé de M. Khosrowshahi, un assistant personnel universel de mobilité.

UBER-JUMP POINTE LE BOUT DE SON GUIDON AU MOMENT OÙ LE VÉLIB’ PARISIEN, EN GRANDE DIFFICULTÉ OPÉRATIONNELLE AU DÉBUT DE L’ANNÉE, RESSORT LA TÊTE DE L’EAU

En attendant, Uber doit parvenir à gagner son pari du vélo en free floating en Europe. Un défi complexe. Dans la capitale française, nombreux sont ceux qui s’y sont cassé les dents. Des quatre acteurs présents début 2018, il ne reste que les deux opérateurs de vélos chinois, Mobike et Ofo. Ce dernier, filiale de l’Uber chinois, Didi, a d’ailleurs décidé de réduire la voilure sue le Vieux Continent, décidant de ne rester qu’à Milan (Italie), Londres et Paris.

Uber-Jump pointe le bout de son guidon au moment où le Vélib’ parisien, en grande difficulté opérationnelle au début de l’année, ressort la tête de l’eau. Les 11 000 Vélib’, désormais opérationnels à 80 %, vont être difficiles à concurrencer.

« Augmenter les bases de clients »

Sans compter que d’autres rivaux se placent sur le marché hexagonal, telle la start-up Zoov, qui propose aux villes une flotte de vélos électriques partagés accrochés à des stations minimalistes et très bon marché. Un système astucieux fondé sur une petite batterie fournie aux abonnés permet de gérer la recharge sans coûts opérationnels élevés.

En revanche, pour ce qui est de Jump, de nombreux observateurs critiquent l’impossibilité de changer la batterie. Un défaut que les manageurs d’Uber ­envisagent de corriger.

« Uber-Jump comme Didi-Ofo ne gagneront jamais d’argent avec le free floating, assure Yann Marteil, directeur général de Via ID, l’un des actionnaires du nouveau Vélib’. Mais ce n’est pas forcément leur but. Ce type d’activité est, pour ces acteurs, une façon finalement peu onéreuse d’augmenter leurs bases de clients pour proposer ensuite des trajets en voiture, des livraisons, des voitures à louer. »

14 octobre 2018

"Symbole d'autorité", contrainte "ridicule"... Pourquoi la cravate n'est plus dans le coup

Longtemps considérée comme un accessoire indispensable dans de nombreux secteurs professionnels afin d'incarner le sérieux et l'élégance, la cravate est de plus en plus laissée au placard.

En 2010, la révélation d'un dress code strict dans la banque UBS avait fait scandale. Parmi les instructions destinées aux salariés contenues dans ce "document proprement hallucinant", selon Rue89, le port "absolument impératif" de la cravate pour les hommes. Près de dix ans plus tard, la cravate s'efface petit à petit du monde du travail, sans fracas.

Depuis juillet 2017, le port de la cravate et de la veste n'est plus obligatoire pour les députés français. En juillet 2018, c'est le cabinet d'audit PwC (PricewaterhouseCoopers), spécialisé dans les missions d'audit, d'expertise comptable et de conseil, qui a aboli tout code vestimentaire pour ses salariés. Une contrainte que de plus en plus d'entreprises et d'administrations, en France, ont décidé d'abandonner.

"Un symbole d'autorité et de respect"

Inexorablement, la cravate perd de sa superbe. Un "abandon progressif" constaté par Serge Carreira, maître de conférences à Sciences Po Paris et spécialiste du luxe et de la mode : "On l'impose de moins en moins de manière systématique à tout le monde au sein d'une entreprise." Toutefois, il existe des secteurs qui résistent à la tendance. "Dans le monde de la finance, dans la haute administration, la cravate reste quelque chose de statutaire, estime Serge Carreira. C'est un symbole d'autorité et de respect vis-à-vis de ses interlocuteurs, de ses clients..."

Un formalisme qui n'est pas toujours très bien compris par les principaux intéressés. Josselin travaille pour une banque d'entreprise, il est analyste crédit, il n'est pas en contact avec les clients et, pourtant, il doit se plier à une règle qu'il juge "ridicule".

Il faudrait m'expliquer en quoi le costume-cravate est nécessaire pour passer sa journée devant des tableaux Excel.

Josselin, employé d'une banque d'entreprise à franceinfo

Cet été, en raison des fortes chaleurs et "après négociations", le jeune homme a obtenu le droit de tomber veste et cravate. "Mais avant la rentrée de septembre, mon supérieur m'a rappelé qu'il fallait les remettre en m'expliquant qu'il s'agissait d'une question de bienséance..." poursuit Josselin, dubitatif. Une "contrainte" aussi pour Aymeric, fiscaliste qui n'est pas non plus en contact avec des clients. "Le costume-cravate représente un budget, mais dans le secteur financier, on s'y conforme. C'est un mélange entre obligation et mimétisme", décrit-il.

"Etre en costume-cravate, c'est un peu comme le bleu de travail, ça rend les gens neutres", souligne aussi Aymeric, qui évolue dans un univers professionnel essentiellement masculin. C'est justement pour "casser les codes" et montrer qu'on peut être "bien habillé et professionnel sans tous se ressembler en costume-cravate gris ou bleu" que Nicolas, collaborateur parlementaire, a décidé de s'émanciper. "Ça a été remarqué, mais je suis soutenu par ma hiérarchie, c'est une petite liberté qui compte beaucoup au quotidien", poursuit-il.

"La fin de l'uniforme professionnel"

Mais pour lâcher la cravate, il a fallu "de l'assurance et de la légitimité" à Nicolas. Au début de sa carrière, lors d'un stage dans un ministère, il respectait strictement le costume-cravate "pour être pris au sérieux malgré l'âge" et "pour ne pas offrir une fenêtre de tir sur sa crédibilité."

Si vous venez d'arriver dans un ministère, que vous êtes jeune et qu'en plus, vous vous faites remarquer pour votre façon de vous habiller, le risque est grand qu'on juge moins votre travail que votre personne. Donc je mettais tout le temps une cravate.

Nicolas, collaborateur parlementaire à franceinfo

Même si elle "tend à s'estomper", la cravate reste donc "un signe extérieur de sérieux, d'autorité et de compétence", explique Thomas Chardin, fondateur et dirigeant de l'agence Parlons RH (ressources humaines). Il pointe un paradoxe : "Vous ne ferez pas confiance à votre banquier s'il vous reçoit en T-shirt, short et tongs. Pour autant, ce n'est pas parce qu'il porte une cravate, qu'il sera compétent." Toutefois, Thomas Chardin constate un "recul de ces normes, du standard et de tout ce qui se rapporte à une forme d'uniforme professionnel. L'entreprise s'ouvre pour être en résonance avec la société."

Dans le monde du travail aujourd'hui, on va privilégier l'autonomie et la responsabilité en matière vestimentaire.

Thomas Chardin, dirigeant de Parlons RH à franceinfo

Et lors de l'entretien d'embauche ? "La cravate est certes moins incontournable, mais il faut garder à l'esprit que l'obligation de la porter ou non est liée à la culture de l'entreprise, elle peut incarner une forme de respect de l'autre, par exemple", explique Guillaume Pestier, directeur commercial de CCLD Recrutement, cabinet de recrutement commercial et distribution. "Dans le doute, il vaut mieux en mettre une, quitte à l'enlever ultérieurement", conseille-t-il.

"La dictature du cool"

Et lorsqu'ils sont libres de leur choix, les salariés laissent leur cravate au placard. Deux raisons principales : l'abandon d'une contrainte et l'image vieillotte de l'accessoire. "Porter une cravate, cela demande un effort : il faut faire un nœud, ça impose de mettre une chemise, avec le bon col, c'est une coordination de plus en couleurs, en matières..." énumère Marc Beaugé, journaliste mode de M Le Monde et directeur de L'Etiquette, nouveau magazine consacré à la mode masculine. Davantage de confort et de simplicité donc, et l'abandon d'un accessoire "qui n'est plus synonyme de succès, mais de ringardise", souligne Marc Beaugé.

On est dans une époque où les grands puissants, ceux qui entreprennent, à la tête des Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon), portent des T-shirts.

Marc Beaugé, journaliste mode à franceinfo

Dans certains secteurs, on assiste même à une surenchère. On ne doit pas paraître sérieux, car ce terme est synonyme d'austérité et de manque de créativité, on doit faire preuve d'audace. C'est ce que Thierry, directeur conseil dans une grosse agence de communication parisienne, appelle "la dictature du cool". "Dans mon milieu professionnel, les baskets ont une symbolique bien plus puissante que la cravate", note le trentenaire.

Résultat : s'il fait parfois le choix d'en porter une, c'est "par plaisir, pour l'élégance et le chic, et, parfois face à des clients importants". Mais la situation est assez rare pour que "cela devienne un sujet de conversation à l'agence", s'amuse Thierry.

Dans l'univers des start-ups ou dans les milieux créatifs, la cravate peut clairement apparaître antinomique.

Guillaume Pestier, directeur commercial de CCLD Recrutement à franceinfo

Journaliste, Jérôme fait lui aussi figure d'intrus avec une cravate au sein de sa rédaction. Un choix qu'il a effectué au début de sa carrière pour se démarquer de ses confrères, notamment lors des conférences de presse. "Les journalistes sont habillés de la même façon, jeans-T-shirt ou chemise et baskets. Au moins, si on oubliait mon nom ou mon média, mes interlocuteurs pouvaient se dire : 'Ah oui, le mec avec la cravate'", raconte-t-il.

La cravate n'a donc pas tout à fait dit son dernier mot. "Elle est sortie de la sphère de l'uniforme pour devenir un accessoire de mode à part entière", estime Serge Carreira, maître de conférences à Sciences Po Paris. "Les nouvelle générations portent des cravates très fines qui sortent du schéma classique avec un costume. Elle est plus rock, comme le fait par exemple le créateur Hedi Slimane", note le spécialiste de la mode.

Marc Beaugé refuse également d'enterrer la cravate. "J'aimerais qu'on la porte par plaisir, qu'on se rende compte que c'est cool d'être bien habillé", espère le "monsieur mode" du Monde. S'il regrette l'effacement progressif de la cravate, le journaliste estime "qu'il vaut mieux pas de cravate qu'une cravate mal portée" : "Quand elle est mise sous la contrainte, elle est souvent très mal portée." Lyrique, Marc Beaugé assure que le costume-cravate reste "le vêtement ultime, l'absolu du vêtement". "Cela fait 300 ans qu'il existe en l'état, très peu de vêtements traversent les époques à ce point, constate-t-il. Même s'il y a des hauts et des bas, il y aura toujours des hommes en costard-cravate."

13 octobre 2018

Livres audio, podcasts... Les Français ont la tête dans le casque

Par Catherine Rollot - Le Monde

Des classiques de la littérature aux créations originales, les histoires s’écoutent désormais autant qu’elles se lisent. Une nouvelle façon de s’immerger dans un récit, d’apprendre, de ressentir aussi.

C’est un rituel bien rodé qui commence avant même de fermer la porte d’entrée. Chaque matin, Carmelina Collado prépare sa dose littéraire. Démêler et brancher les écouteurs, vérifier où reprendre pour n’avoir qu’à appuyer sur le ­petit triangle « play », et plonger, en dévalant les escaliers, dans son livre audio. La voilà partie pour trente-cinq minutes d’immersion, le temps de trajet vers son bureau parisien, dans un roman en espagnol, un polar en anglais ou une saga en français. « Ma bulle de calme dans le tumulte du métro – qui ne m’empêche pas de m’excuser si je marche sur le pied du voisin. »

Déjà cinq ans que cela dure. Cette ­polyglotte, cadre dirigeante dans un grand groupe hôtelier, a attrapé le virus en vacances. La réverbération du soleil qui brouille la vue, les grains de sable dans les pages, le sac trop chargé pour accueillir un poids supplémentaire, autant de bonnes raisons qui lui ont fait tester « le livre qui parle ».

Résultat : « Les trois tomes de Millénium sur une plage brésilienne en trois semaines, s’amuse-t-elle. Je venais de découvrir la puissance de la voix pour entrer dans un récit, l’émotion de l’écoute. Depuis, je n’ai jamais plus arrêté. Au contraire, je complète à d’autres moments avec des podcasts. »

Génération Marlène Jobert

Relever la tête de l’écran pour se laisser bercer par des mots, écouter le récit d’un écrivain, les péripéties d’un aventurier ou la sagesse d’un moine bouddhiste… ils sont de plus en plus nombreux à ouvrir grand leurs oreilles. Et à faire le plein d’histoires en écoutant des livres mais aussi des podcasts ou « balados », comme les appellent les Québécois, ces programmes (issus d’émissions diffusées sur des antennes ou podcasts dits « natifs », des créations originales) que l’on peut télécharger gratuitement puis consommer à tout moment depuis son mobile ou sa tablette.

Le format a déjà sa vitrine, le Paris Podcast Festival, qui se déroulera du 19 au 21 octobre à la Gaîté-Lyrique. Quant au livre audio, il attend lui aussi son salon, prévu à l’été 2019.

Qui l’aurait cru ? Les enfants et petits-enfants de la génération du Petit Prince lu par Gérard Philipe, des contes de Marlène Jobert et des K7 du Père Castor, ne cessent de grossir les rangs du club des lecteurs casqués.

A l’heure du numérique, les encombrants coffrets de cassettes, puis de CD, ont cédé la place à des enregistrements en MP3. Le développement de l’iPod puis du smartphone a dépoussiéré un format catalogué pour les tout-petits, les personnes âgées ou les malvoyants. Hors de ces catégories, le lecteur auditeur a longtemps été méprisé en France. La faute à une vision trop scolaire de la lecture. Le livre devait se mériter, le décodage faisait partie du processus. Des a priori dépassés par le besoin de mobilité et le changement des habitudes culturelles.

« CE FORMAT PERMET ­D’ALLER CHERCHER DES GENS PLUS JEUNES, QUI SE CULTIVENT AUTREMENT QUE PAR LE CANAL TRADITIONNEL DE LA LECTURE » JULIE CARTIER, DIRECTRICE DE LIZZIE

Dans sa mesure toute suédoise, Ulf Nilsson, consultant dans la high tech, ne se formalisait plus des piques de ses amis français qui s’étonnaient de le voir « écouter des classiques ». Aujourd’hui, les mêmes lui demandent des conseils pour trouver la meilleure plate-forme de téléchargement. Au pays de la social-démocratie, le livre parlant est un objet culturel comme les autres. « Les pays scandinaves et l’Allemagne ont une forte habitude de l’oralité, explique Valérie Lévy-Soussan, PDG d’Audiolib, filiale d’Hachette et d’Albin Michel, lancée en 2008. La mobilité joue aussi. Aux Etats-Unis, les longs trajets en voiture favorisent l’écoute. »

En France, le marché ne représente que 1 % du chiffre d’affaires des éditeurs, contre 12 % en Suède et 10 % outre-Atlantique, mais ce segment se porte bien. Il est même devenu un relais de croissance pour les éditeurs et diffuseurs, qui à l’image d’Audible, propriété d’Amazon, ou de Lizzie (marque audio du français Editis), ­d’Actes Sud, ou encore de Kobo (associé à Orange), s’y sont récemment engouffrés.

Pour Julie Cartier, directrice de Lizzie, lancé en juin et proposant 200 titres en CD et en numérique, « ce format permet ­d’aller chercher aussi des gens plus jeunes, qui se cultivent autrement que par le canal traditionnel de la lecture. Ils vont retrouver dans le livre audio l’immersion qu’ils apprécient dans le podcast ou les séries ».

Cet engouement ­relève de la même quête, celle d’une narration orale, teintée de nostalgie. « Il y a un vertige de l’écoute, une émotion qui nous renvoie à quelque chose de très primitif, à l’enfance, au souvenir du parent, de la maîtresse ou du maître, qui nous racontait une histoire », décrypte Silvain Gire, cofondateur et directeur éditorial d’Arte Radio, qui depuis 2002 ne propose que des créations originales.

L’appli rose, une série audio érotique

En mars 2017, Audible a voulu comprendre les rapports que les Français entretiennent avec les contenus audio parlés ­(sondage OpinionWay réalisé auprès de 2 003 personnes). Un sur deux se souvient des lectures lues à haute voix par ses parents. Le souvenir est encore plus fort parmi les plus jeunes (64 % des 18-25 ans).

L’écoute se fait chez soi, dans son salon, dans son lit, mais aussi beaucoup dans les transports. « Ce qu’on veut, quand on veut, où l’on veut, l’audio libère les mains et les yeux, c’est sa grande force », explique Constanze Stypula, directrice d’Audible France, qui, à côté de son ­catalogue de 250 000 titres de livres audio, dont 9 000 en français, investit tous azimuts autour du son, en sponsorisant et distribuant « le meilleur du podcast natif français » mais aussi en se lançant dans des créations originales, comme L’appli rose, une série audio érotique de dix épisodes.

La tête dans le casque, le son permet aussi de se consacrer à autre chose, sans perdre le fil. « C’est ma routine du dimanche midi, en faisant la cuisine, j’écoute mes programmes favoris, sur des sujets liés au genre, au féminisme, à la masculinité », confie ­Annabelle Chauvet, jeune journaliste free-lance de 25 ans.

Au menu, un assortiment de valeurs sûres : La Poudre ou Quoi de meuf (Nouvelles Ecoutes), Les Couilles sur la table (Binge audio). Et des découvertes plus récentes comme Entre, un podcast produit par Louie Media, dans lequel Justine, 11 ans, ­raconte son entrée au collège et sa sortie de l’enfance, ou Mon prince viendra (Arte Radio), une fiction sentimentalo-rigolote sur la quête de l’amour sur les sites de rencontres.

La recette du succès tient dans l’intimité tissée entre le narrateur, le sujet et l’auditeur. « Le “je” fait le podcast, résume Silvain Gire. Notre plus grand succès ? Crackopolis, les ­confidences d’un dealer de crack recueillies par Jeanne Robet, un feuilleton en quinze ­épisodes. C’est du costaud, un sujet difficile, mais il y a une vérité du terrain, du témoignage qui emporte tout. »

Un loisir passionnant et chronophage

Le format audio de poche répond aussi à un autre besoin, celui d’optimiser les moments de creux, de vide. De transformer les corvées en plaisir. « Attendre chez le médecin, dans une file, dans une administration n’est plus aussi pesant, constate Hélène, ­professeure des écoles. Parfois même, je me surprends à regretter d’être interrompue dans mon bouquin quand vient mon tour. »

Estelle Elbourg Grava, chargée de la communication au sein de Willa, un incubateur qui accompagne les femmes créatrices de start-up, est « tombée dedans il y a un an ». A raison de cinq ou six épisodes par semaine, elle avale des ­sujets de fond, d’autres plus légers, de la ­ fiction comme du documentaire, « avec ­pourtant l’impression de faire une pause ».

Selon Samia Bendodo, cadre dans l’assurance, le podcast vient étancher une soif d’apprendre. L’envie d’approfondir des sujets hors du flux superficiel de l’actu ou peu explorés dans les médias traditionnels. Un loisir passionnant mais chronophage.

Et un brin addictif. « Tu commences avec une émission sur Colette, tu continues avec un programme de géopolitique et tu te retrouves à écouter un podcast sur la photographie, confie la quadragénaire. Et là, tu te surprends à être accrochée, sans voir, mais simplement par la ­ puissance d’évocation des mots, bien supérieure à celle de l’image. »

Un « Netflix du podcast »

Pouvoir de la voix, espace infini de création, sentiment de liberté absolue… Côté podcasteurs, les ressorts de l’intérêt sont les mêmes. Vincent Hazard, qui a financé sa série Timide en faisant appel à du financement participatif, se réjouit d’avoir créé une « fiction ­sonore comique indépendante » en huit épisodes, hors des contraintes de la production ­radio.

L’histoire de Luc, un garçon timide mais moins gentil qu’il n’y paraît, réalisée avec des professionnels (acteurs, ingénieur du son…) défrayés grâce aux 6 000 euros de dons, racontée sur le ton de l’humour, relève de l’expérimentation pour cet auteur réalisateur, habitué à travailler entre autres pour Radio France.

« C’est un plaisir de maîtriser toute la chaîne, de l’écriture à la réalisation. Mais cette page blanche a un revers ; la difficulté à émerger dans l’océan des productions diffusées sur les plates-formes de podcasts. » Un flot qui ­engloutit aussi les utilisateurs, car aucun ­sujet ne paraît échapper à ces pastilles sonores dont on ignore le nombre total.

D’où l’idée de répertorier les contenus audio existants selon les centres d’intérêt de chacun sur une application payante par abonnement. Carine Fillot, ancienne de Radio France, y croit. D’ici quelques semaines, elle espère avoir réuni les fonds pour lancer son projet baptisé Elson. D’autres start-up – comme Magellan, lancée par l’ancien patron de Radio France Mathieu Gallet – travaillent sur l’idée d’un « Netflix du podcast ». La voix, saison 1.

13 octobre 2018

Climat : 80 mobilisations citoyennes prévues samedi, en France et en Europe

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Les initiatives sont rassemblées autour de la plate-forme « ilestencoretemps.fr », lancée après la marche pour le climat organisée, le 8 septembre, dans plusieurs villes de France.

Sous le slogan « Il est encore temps », près de quatre-vingts marches citoyennes sont prévues samedi 13 octobre, en France mais aussi en Suisse, au Luxembourg ou encore en Belgique, pour appeler à une prise de conscience sur les dangers du réchauffement climatique.

L’avertissement publié lundi par les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies, qui prévient que le monde doit engager des transformations « sans précédent » s’il veut limiter le réchauffement à 1,5 °C, a contribué à relancer les revendications citoyennes sur les questions environnementales.

A Paris, Lyon, Nantes, Pau ou Papeete, des comités locaux, rassemblés sur la plate-forme « ilestencoretemps.fr », se sont approprié l’initiative prise le 8 septembre par un Parisien, Maxime Lelong, en réaction à la démission surprise de Nicolas Hulot du poste de ministre de la transition écologique et solidaire. Des dizaines de milliers de personnes s’étaient rassemblées pour demander plus de volontarisme politique dans la lutte contre la hausse globale des températures.

« On redescendra dans la rue »

Avec d’autres militants, Maxime Lelong a participé à la plate-forme « ilestencoretemps.fr ». Elle relaie des campagnes d’ONG, comme celle montée contre la Société générale pour qu’elle arrête de financer des énergies fossiles ou pour une initiative appelant à changer de mode de vie en 90 jours.

A terme, les internautes choisiront trois actions qu’ils jugeront prioritaires. Elles seront présentées à l’Elysée, « qui s’engage à donner une réponse », assure Maxime Lelong. « Si cette réponse ne nous convient pas, on redescendra dans la rue. »

La page Facebook du mouvement a déjà rassemblé 60 000 abonnés en un mois. En parallèle, 700 bénévoles travaillent sur des thématiques précises via le forum de discussion. La plate-forme a aussi constitué un « Kit de lancement » pour faciliter les démarches et la communication au moment de la création d’événements dans chaque ville.

Vingt youtubeurs ont aussi lancé à leurs millions d’abonnés, souvent jeunes, un appel assurant qu’on « peut agir pour éviter le pire du changement climatique ». « On voulait montrer l’éventail des actions possibles pour accélérer la réflexion et l’action », souligne le vidéaste Ludovic Torbey, qui a coécrit cette vidéo pour YouTube et la chaîne Osons causer . « La température monte aussi dans nos têtes !, déclare Maxime Lelong. Marcher, c’est très bien mais ça ne résout rien. Si on veut avancer, il faut mettre en place des solutions concrètes. »

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