Par Claire Gatinois - Le Monde
La disparition rocambolesque de l’opposante biélorusse – et sa réapparition à la frontière ukrainienne – montrent la volonté du président de museler les responsables de l’opposition.
Sa confession n’a dupé personne. Alexandre Loukachenko a déjà démontré à maintes reprises qu’il était l’un des meilleurs apôtres de l’ère de la post-vérité. Mais l’aveu de l’autocrate biélorusse lâchant, mardi 8 septembre, aux grands médias publics russes « Je suis peut-être resté [au pouvoir] un peu trop longtemps », aurait pu faire frissonner la foule qui réclame son départ depuis l’élection présidentielle du 9 août. Le frisson fut bref. Aux quatre journalistes dévoués au Kremlin, dont la célèbre patronne de Russia Today Margarita Simonian, le chef d’Etat a vite ajouté : « Je ne vais pas partir comme ça. J’ai bâti la Biélorussie pendant un quart de siècle, je ne vais pas abandonner. » « De plus, a-t-il assuré, si je pars, mes soutiens seront massacrés. »
« Batka », (papa) comme il aime à se faire appeler a aussi promis une réforme constitutionnelle et la tenue d’élections présidentielles anticipées. « Des mensonges bien sûr ! », commente l’analyste politique Andrei Yeliseyeu. « Alexandre Loukachenko lance des promesses creuses pour tenter de calmer la population et la faire patienter », estime-t-il.
La colère des Biélorusses a, de fait, franchi un nouveau cap dans la journée de mardi après le rocambolesque enlèvement et la tentative ratée d’expulsion de l’opposante Maria Kolesnikova, 38 ans. Membre du présidium du conseil de coordination, organisation créée mi-août pour tenter de gérer une transition pacifique du pouvoir, la trentenaire avait été kidnappée dans le centre de Minsk la veille, avant de réapparaître quelques heures plus tard à la frontière ukrainienne où elle a été arrêtée par les gardes-frontières.
Passeport déchiré
Maria Kolesnikova ainsi que deux de ses collaborateurs au sein du conseil de coordination, Anton Rodnenkov et Ivan Kravtsov, avaient été conduits par les services spéciaux biélorusses à la frontière. Transportés dans diverses administrations, menottés et un sac sur la tête, ils ont été interrogés et menacés de poursuites judiciaires avant de se voir proposer de quitter le pays. Mais alors que MM. Rodnenkov et Kravtsov, optant pour l’exil forcé, traversaient la ligne les amenant en Ukraine, Maria Kolesnikova décide de déchirer son passeport et s’extirpe par la fenêtre de la voiture la menant à la frontière. « Elle criait qu’elle n’irait nulle part », ont raconté depuis Kiev dans la soirée de mardi les deux collaborateurs qui étaient à ses côtés. « Ce qui les intéressait, c’était le transport de Maria Kolesnikova hors des frontières. Ils l’expliquaient par la nécessité d’une désescalade de la situation », a expliqué Ivan Kravtsov.
Dans l’après-midi, à Minsk la foule est descendue dans la rue pour saluer le courage de celle qui est devenue un symbole de la résistance biélorusse en criant « Libérez-la ! ». Mais Alexandre Loukachenko, qui se plaît à décrire ses contempteurs tels des couards aux mains de l’étranger, a continué de prétendre que Mme Kolesnikova était en réalité une fuyarde pressée de rejoindre sa sœur en Ukraine. Et qu’elle aurait été empêchée de traverser la frontière pour avoir contrefait la loi.
Peu importe que le vice-ministre de l’intérieur ukrainien, Anton Guerachenko, ait, quelques heures plus tôt, assuré avec véhémence que le départ de l’une des principales figures de l’opposition « n’était pas un voyage volontaire » mais une expulsion forcée. « Maria Kolesnikova n’a pas quitté la Biélorusse car cette femme courageuse a résisté. (…) Alexandre Loukachenko porte personnellement la responsabilité de sa vie et de sa santé », a précisé ce dernier. « Maria a toujours répété : “Papa, quoi qu’il arrive, je resterai en Biélorussie” », a aussi confié le père de la militante, Alexandre Kolesnikov au site biélorusse Tut.by. « C’était sa position de principe. »
Le panache de Maria Kolesnikova lui coûtera cher
« En poussant le présidium du conseil de coordination à l’extérieur du pays, le gouvernement veut donner l’illusion qu’il n’entend liquider personne, qu’il a confiance en lui et que les opposants “s’enfuient comme des rats” », analyse le commentateur politique Peter Kuznetsoff. « L’opposante a cassé cette rhétorique », souligne-t-il.
Le panache de Mme Kolesnikova lui coûtera sans doute cher. Celle qui fut directrice de campagne de Viktar Babaryka avant que l’ex-banquier ne soit jeté en prison le 18 juin, pourrait, selon toutes probabilité, elle aussi séjourner quelque temps derrière les barreaux pour un motif quelconque. L’ONG Viasna, de défense des droits de l’homme, recense à ce jour pas moins d’une cinquantaine de prisonniers politiques. « Le pouvoir peut aussi l’expulser à nouveau, avec ou sans passeport. Alexandre Loukachenko a déjà montré qu’il n’avait que faire du droit international », observe le chercheur biélorusse Tadeusz Giczan, faisant référence au chef de l’Eglise catholique interdit d’entrée en Biélorussie le 31 août, après un déplacement en Pologne.
Il reste que le geste de Mme Kolesnikova met au jour les méthodes de l’autocrate. A ceux qui en doutaient encore, Alexandre Loukachenko démontre qu’il se débarrasse progressivement de tous ses opposants politiques. Ceux qui ne sont pas jetés en prison sont priés de quitter le territoire manu militari. Avant Maria Kolesnikova, Svetlana Tsikhanovskaïa, seule véritable candidate d’opposition et égérie de la campagne présidentielle, avait notamment dû s’envoler mi-août pour la Lituanie à la suite de menaces visant sa famille.
En décapitant l’opposition, le dictateur espère éteindre la révolte
Le scénario, répété à l’envi, a permis d’éviter l’émergence d’un véritable leadership au sein de l’opposition à Minsk. Il a aussi dépecé progressivement l’ensemble de l’Etat-major du conseil de coordination. Au sein du présidium, seuls deux membres sont encore libres en Biélorussie : le Prix Nobel de littérature, Svetlana Alexievitch, et l’avocat Max Znak. « Bravo Macha », a salué celui-ci dans un message Facebook en s’adressant à Maria Kolesnikova. « Tout est désormais clair pour tout le monde (…) maintenant il faudra justifier sa détention », a-t-il pris soin de rappeler.
En décapitant ainsi l’opposition, le dictateur espère éteindre progressivement la révolte. Si les observateurs locaux notent qu’une telle hypothèse est vaine – le conseil de coordination n’ayant aucun lien direct avec les manifestants –, beaucoup craignent néanmoins que les protestations, jusqu’ici pacifiques, ne dérivent progressivement dans la violence. « C’est ce que cherche Loukachenko », note le journaliste biélorusse Andrej Dynko.
Livrée à elle-même, l’opposition biélorusse en appelle désormais ouvertement au secours de l’Europe. « Ma nation, mon peuple a maintenant besoin d’aide. Nous avons besoin qu’une pression internationale s’exerce sur le régime qui s’accroche désespérément au pouvoir. Nous avons besoin que des sanctions s’appliquent sur ceux qui ont exécuté les ordres criminels et violé les règles du droit international et des droits de l’homme », a notamment plaidé Svetlana Tsikhanovskaïa lors d’un discours destiné à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (PACE).