Emmanuel Macron place François Bayrou au Plan
Audrey Tonnelier - Le Monde
Le président du MoDem va prendre la tête, le 3 septembre, du Haut-Commissariat au Plan et à la prospective
C’est un morceau de l’ancien monde qui fait irruption dans le nouveau. Le Haut-Commissariat au Plan, vestige de l’après-guerre, créé en 1946, doit être ressuscité le 3 septembre en conseil des ministres, en même temps que la présentation du plan de relance pour le pays, a annoncé Emmanuel Macron devant l’Association de la presse présidentielle, vendredi 28 août. Une double renaissance, puisque le chef de l’Etat a confié à son allié François Bayrou le soin de réveiller cette institution mise en sommeil depuis le début des années 1990.
Le président du MoDem était sorti du gouvernement en juin 2017 à cause de l’affaire des assistants présumés fictifs de son parti au Parlement européen. L’annonce n’est pas que symbolique. Si la nomination du maire de Pau, dans les tuyaux depuis début juillet, s’est fait attendre tout l’été, c’est parce que cette fonction revêt un caractère transversal dans l’action de l’exécutif. La définition de son périmètre a donné lieu à d’intenses tractations avec le premier ministre, Jean Castex, désireux de ne pas voir le centriste se muer en chef du gouvernement bis.
Un ministre résumait, au cœur de l’été, le problème posé par ce retour de la planification au sommet de l’Etat. « Ce Commissariat au Plan interroge le rôle du premier ministre. Est-ce que cette institution est uniquement un organisme de réflexion, ou bien intervient-elle sur tous les ministères ? Si le Plan est impératif, ça veut dire que le commissaire au Plan est au niveau du premier ministre », estimait alors ce membre du gouvernement.
Or, François Bayrou ne cesse de répéter en privé qu’il veut rétablir la « philosophie d’origine » de la fonction. Jean Monnet, premier titulaire du poste en janvier 1946 sous l’égide de Charles de Gaulle, à l’époque président du gouvernement provisoire de la République française, avait pour mission de moderniser le pays et son économie sur la base de plans quinquennaux, en associant fonctionnaires, ingénieurs, chercheurs et partenaires sociaux. « Il avait un décret d’attribution très étendu. Le premier plan fut adopté en conseil des ministres », rappelle le secrétaire général du MoDem, Jean-Noël Barrot, qui a envoyé une note sur le sujet à l’Elysée.
De son côté, Jean Castex voit le Haut-Commissariat au Plan comme un moyen de « rééclairer l’action publique d’une vision de long terme ». « Il faut recréer des outils de prospective », a-t-il défendu, le 8 juillet, en assurant que sa « seule préoccupation, c’est l’action face à la crise qui arrive ». Une vision partagée par le chef de l’Etat. « On a besoin d’avoir au service du président de la République et du gouvernement une instance qui réfléchit à plus long terme et avec moins de contraintes, en connaissant le pays », a souligné Emmanuel Macron, vendredi.
Après l’abandon des plans quinquennaux au début des années 1990 – le dernier s’acheva en 1992 –, le Commissariat a vu son influence décroître ces dernières années, son rôle étant recentré sur une fonction d’expertise. Baptisé, en 2006, Centre d’analyse stratégique, puis, en 2013, France Stratégie, il a connu un bref regain de notoriété à la faveur du passage à sa tête (2013-2017) de l’économiste Jean Pisani-Ferry, avant que ce dernier ne rejoigne l’équipe de campagne du candidat Macron à la présidentielle.
Rattaché à l’Elysée
Aujourd’hui, François Bayrou souhaite que les différentes agences chargées de la prospective lui soient rattachées. Le secrétariat pour l’investissement ou encore le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), successeur de la Datar, sont aujourd’hui sous l’autorité de Matignon. Un conseiller ministériel résume la chose crûment : « Il y a une guerre Castex-Bayrou. Castex ne peut pas accepter un Etat dans l’Etat. »
Le Béarnais pourrait devenir un rival potentiellement encombrant, aussi, aux yeux du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, chargé de conduire la relance. Le maire de Pau a déjà obtenu gain de cause sur un point crucial : son poste sera rattaché directement à l’Elysée, et pas à Matignon. Une manière, plaide-t-il, de ne pas apparaître comme une instance gouvernementale et de battre en brèche toute idée de concurrence avec le premier ministre.
Dans son esprit, le président de la République est celui qui définit le temps long, là où le chef du gouvernement s’attache à la gestion quotidienne des affaires de l’Etat. Rien de plus logique, donc, que de rendre des comptes au premier, et pas au second. D’autant que cette renaissance du Plan est avant tout une volonté du chef de l’Etat.
L’idée est réapparue à la faveur de l’épidémie de Covid-19. Au printemps, l’Elysée faisait valoir que cette crise inédite rebattait les cartes de la mondialisation et ébranlait les fondements du libre-échange. Le manque de masques ou de médicaments, produits pour la plupart en Chine, a remis au centre du débat les sujets de souveraineté économique et de relocalisation industrielle.
Les critiques à l’égard de la gestion de la crise par l’Etat central, par ailleurs, auraient illustré selon l’exécutif le besoin de déconcentration et de plus grande proximité entre les citoyens et leurs services publics. Une demande déjà présente parmi les doléances des « gilets jaunes ».
« Cette crise a révélé des fragilités en termes d’adaptabilité de l’Etat et des collectivités territoriales. Nous avons besoin de voir à moyen et long terme. C’est ce qui donne tout son sens à la création d’un Haut-Commissariat au Plan », indiquait le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, le 16 juillet, dans une interview aux Echos.
Est-il possible pour autant, dans la France de 2020, de ressusciter cette institution à l’identique ? « Les raisons pour lesquelles le Plan a disparu au début des années 1990 sont toujours là : l’acceptation de la mondialisation, l’économie de marché, la multiplication des contraintes budgétaires, mais aussi le fait que la plupart des grands investissements (TGV, autoroutes…) sont aujourd’hui derrière nous », avertit Philippe Martin, ancien conseiller économique d’Emmanuel Macron, aujourd’hui patron du Conseil d’analyse économique, un think tank rattaché à Matignon. Celui-ci voit néanmoins matière à réflexion pour le futur haut-commissaire dans des domaines comme le changement climatique, la question territoriale, ou encore la démographie, avec le vieillissement de la population.
Le risque est grand, néanmoins, de voir se multiplier les instances. Fin mai, Emmanuel Macron a déjà installé une commission d’experts sur les grands défis économiques, sous l’égide de Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014, et d’Olivier Blanchard, ancien chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), censée livrer des recommandations autour des thèmes du « climat », des « inégalités » et du « vieillissement ».
« L’expérience est nécessaire »
Toujours est-il que, sur le plan politique, le choix de confier ce poste à François Bayrou, qu’il pourra cumuler avec sa mairie de Pau, suscite des critiques dans l’opposition. « François Bayrou y a beaucoup réfléchi, c’est une conviction qu’il porte », a défendu M. Macron, prenant soin de préciser que pour l’ancien triple candidat à la présidentielle, « c’est tout sauf un lot de consolation, c’est une responsabilité importante ».
« Qui imagine le haut-commissaire au Plan mis en examen ? », ironise néanmoins le secrétaire national d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), Julien Bayou, alors que M. Bayrou est placé sous ce statut depuis décembre 2019 pour « complicité de détournement de fonds publics » dans l’affaire des assistants de son parti.
« On prend les mêmes qui échouent depuis quarante ans et on recommence ! », dénonce de son côté le Rassemblement national, pointant du doigt le fait que l’ancien ministre de François Mitterrand et de Jacques Chirac, âgé de 69 ans, a commencé sa carrière d’élu en 1983.
Un argument balayé par l’intéressé devant ses proches ces dernières semaines. « Si j’ai besoin de traverser l’Atlantique à la voile, et que je dois choisir entre Titouan Lamazou, qui a traversé l’Atlantique cent fois, et un petit jeune très bien qui ne l’a jamais fait, qui je prends comme skippeur ? L’expérience est nécessaire », plaide-t-il en petit comité. Les récifs placés sur sa route sont nombreux.