Abraham Poincheval, de retour de son voyage au centre de la pierre
Par Emmanuelle Lequeux
Le plasticien revient sur son expérience, enfermé une semaine au cœur d’un rocher au Palais de Tokyo, à Paris.
Certains partent dans l’espace, pour connaître des sensations fortes. Abraham Poincheval a, lui, préféré s’emmurer, tout simplement. Une semaine passée dans une pierre, taillée à sa mesure, en plein cœur du Palais de Tokyo, à Paris.
Le jeune plasticien en est sorti il y a deux semaines avec l’impression « d’avoir pris quelque chose de très puissant », raconte-t-il à sa libération, après quelques jours de repos. « Parce qu’à l’intérieur je me sentais merveilleusement bien, mais à la sortie j’ai soudain senti une petite fatigue », s’amuse-t-il.
Le 22 février, l’artiste s’était laissé enfermer dans un rocher dans lequel il avait taillé une cavité.
Fatigué, on le serait à moins : assis dans son sarcophage en pouvant à peine faire frétiller ses doigts de pied, soumis à une diète minimale et réduit à la plus absolue solitude, il a enduré le pire (à nos yeux !) avec pour seul désir « de vivre le temps de la pierre, le temps géologique ». Et il n’a pas été déçu du voyage : « J’ai été assez étonné de la façon dont cette pièce m’a accueilli, m’a porté, dans une sorte d’hyper-réception ».
Pourtant, Poincheval n’a rien du novice en matière d’incarcération incongrue. Il lui est déjà arrivé de s’enfermer à six pieds sous terre, des jours durant, avec son complice d’antan, Laurent Tixador, de se lover dans la peau d’un ours au Musée de la chasse, ou de vivre en stylite, en haut d’une colonne.
« Jubilation intérieure »
« Mais, là, j’ai vraiment eu la sensation de partir un peu plus que d’habitude. Dans mes autres performances, il me fallait lutter, faire des exercices mentaux pour tenir, alors que là j’étais constamment dans une jubilation intérieure. Dès les premiers tests, je me suis dit : ah oui, ça envoie ! » Ça envoie même très loin, ce qui n’est pas pour surprendre ses amis géologues.
« A ma sortie, ils m’ont confié que la pierre dans laquelle je m’étais enfermée était hypercalme, qu’elle s’était construite couche par couche, en douceur, sans être jamais tourmentée. » D’où cette euphorie ? « En tout cas, à un moment, je me suis senti partir très très loin, avec mon cerveau tout malaxé, et le retour a été un peu poussif. »
Mais le Thomas Pesquet du caillou avoue néanmoins avoir « envie de tenter avec une autre roche, par curiosité ». Un institut de recherche en neurologie vient d’ailleurs de le contacter pour lui proposer de le suivre dans ses périples intérieurs.
Seul, il ne l’était pas vraiment, pour être honnête. Au fil des sept jours, les visiteurs du Palais de Tokyo venaient fréquemment lui parler. « Il y a eu beaucoup de banalités : “Comment vous faites ?”, “Que mangez-vous ?”, “Comment allez-vous aux toilettes ?”, et aussi des moments incroyables, où les gens s’abandonnaient à la pierre, me récitaient des poèmes, ou me posaient des questions sur leur vie comme si j’étais un oracle. Il fallait vraiment que je sois responsable et que je ne réponde pas n’importe quoi ! »
Voyage immobile
Son seul et unique biorythme : les bruits de l’extérieur. « C’était très beau, ces sons du béton qui rentraient dans la pierre, je regrette de n’avoir pas enregistré. » Pas étonnant que, très vite, tout se soit brouillé. « J’avais un sommeil très étrange, comme en décalage horaire. A la fin de la semaine, je sentais vraiment qu’il me devenait de plus en plus difficile de recenser le temps, et je pense qu’il m’est arrivé deux ou trois fois de prendre mon petit déjeuner en pleine nuit ! »
De là à se retrouver foudroyé par de petites angoisses ? « Pas un instant. D’habitude il y a toujours un moment où ça monte, mais là vraiment pas, ça m’a surpris. Ça m’a presque angoissé de ne pas avoir d’angoisse. »
La vraie violence, il l’a davantage connue à sa sortie. « Il y avait beaucoup de monde, et moi dans le coaltar, tout s’est retourné et a basculé. » Il lui a suffi de se requinquer quelques jours chez lui, à Marseille, et le voilà bientôt reparti pour un autre voyage immobile : à la fin du mois, il s’installe à nouveau au Palais de Tokyo (on peut l’y voir, ainsi que d’autres de ses œuvres, dans l’exposition qui dure jusqu’au 8 mai). Cette fois, il va couver des œufs, pendant trois semaines, jusqu’à l’éclosion. Et, bizarrement, ça lui fait presque plus peur…
Abraham Poincheval, Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, Paris 16e.